Influence of Sargassum algae (sargassum fluitans, sargassum natans) on socio-economic activities along the Ivorian coast (Côte d’Ivoire – West Africa)
AKA Koffi Sosthène, SANKARE Yacouba, KOMOE Koffi & N’CHO Amalatchy Jacqueline
Résumé: Les sargasses sont une variété d’algues flottantes, originaires de la mer des sargasses en Amérique Centrale. Elles envahissent depuis quelques années les côtes ivoiriennes et y créent des désagréments. Quelle est l’emprise de ces algues sur le milieu environnemental du littoral et ses proximités? Cette étude analyse les conséquences des Sargasses sur les activités socio-économiques du littoral ivoirien. La méthodologie comprend la revue de la littérature, une enquête de terrain faite d’observations directes, un guide d’entretien et des ateliers d’échanges. Il résulte de ce travail que les sargasses sont présentes en Côte d’Ivoire depuis 2011 et ont un effet négatif tant sur les activités touristiques du littoral que sur la pêche artisanale lagunaire et marine. Ces deux types de professions subissent les mêmes inquiétudes avec une réduction draconienne des revenus durant leur survenue d’avril à juin, avec un pic au mois de mai. La détérioration de ces algues met les populations du littoral dans une situation incommode. L’odeur nauséabonde de l’hydrogène sulfuré (H2S) que cette métamorphose engendre est source d’une gêne critique aux conséquences sur le long terme. Cependant des luttes sont entreprises dans les secteurs d’activités touchés, quoique précaires (balayage, séchage, calcination, enfouissement, leur extraction des filets…). Son enrayement définitif doit être l’objet d’une politique nationale adéquate, voire sous régionale des pays du Golfe de Guinée vivant les mêmes réalités.
Mots clés: Amérique centrale, Côte d’Ivoire, pêche, sargasse, tourisme
Abstract: Sargassas are a variety of floating algae from the Sargassum Sea in Central America. They have been invading Ivorian coasts for a few years and are creating inconveniences. What is the influence of these algae on the environmental environment of the coast and its proximities? This study analyzes the consequences of Sargasso on the socio-economic activities of the Ivorian coast. The methodology includes a review of the literature, a field survey of direct observations, an interview guide, and exchange workshops. The methodology includes a review of the literature, a field survey of direct observations, an interview guide, and exchange workshops. As a result of this work, Sargassum has been present in Côte d’Ivoire since 2011 and has a negative effect on both coastal tourism and small-scale lagoon and marine fisheries. These two types of occupations are facing the same concerns with a drastic reduction in income from April to June, peaking in May. The deterioration of these algae puts coastal populations in an awkward situation. The nauseating odor of hydrogen sulphide (H2S) that this metamorphosis generates is a source of critical discomfort with long-term consequences. However, struggles are taking place in the sectors of activities affected, albeit precarious (sweeping, drying, calcining, burial, extraction of nets …). Its final containment must be the object of an adequate national policy, even subregional, the Gulf of Guinea countries living the same realities.
Keywords: Central America, Côte d’Ivoire, fishing, sargasse, tourism
Plan
Introduction
Méthodologie de la collecte des données
Résultats et analyses
Origine
Description et répartition spatiale
Influence des sargasses sur les activités socio-économiques du littoral ivoirien
Esquisse de solutions à la lutte contre l’invasion des sargasses et recommandations
Conclusion
Texte intégral Format PDF
INTRODUCTION
Le littoral ivoirien vit une situation précaire face à l’invasion des macro-algues flottantes libres. Elles sont brunes de plusieurs espèces (Peteretal., 2000) dont deux marquent périodiquement l’espace maritime du pays. Il s’agit de Sargassum natans et de Sargassum fluitans qui appartiennent à la famille des sargassaceae. Ces plantes aquatiques pélagiques sont mieux développées dans les îles Caraïbes et leur milieu de prédilection est l’océan Atlantique. Aujourd’hui, elles se sont propagées dans le Golfe de Guinée. Ce transit est facilité par les courants marins qui circulent dans cet espace et par des navires en provenance des caraïbes. La présence de ces macrophytes aquatiques sur les plages met les populations riveraines dans une situation inhabituelle parce qu’il se décomposent dans ces espaces balnéaires, même s’ils constituent d’excellentes nurseries en mer. L’envie de repos, de changement de cadre de vie est le leitmotiv auquel s’ajoute le bain de soleil. Les pêcheurs sont pareillement préoccupés par la présence de ces algues qui constituent une gêne. Elles dérangent l’ordre préétabli dans l’évolution normale des choses. Ces espèces de plantes invasives ont certainement des liens avec l’écosystème marin ivoirien et son sol. Des auteurs ont longuement travaillé sur sa biologie, sa morphologie, son évolution spatiale et d’autres aspects (Feldmann et al., 1977, Johnson et al., 2012 ; Marechal et al.,2012 ). Il faut donc mesurer l’ampleur du phénomène et évaluer son impact sur les activités menées le long du littoral. Dès lors, il se pose un véritable problème aux autorités politiques et au monde scientifique qui doivent entrevoir des solutions au regard de ces dépôts massifs, source d’insalubrité. Aussi, le littoral ne sert-il pas d’indicateur de la santé économique d’un pays (pêche, tourisme, zone portuaire, types d’habitat des riverains) ? De façon singulière, le travail vise à étudier les conséquences des sargasses sur les activités socio-économiques et les populations du littoral ivoirien. Une méthode de travail s’annonce utile pour y parvenir.
MÉTHODOLOGIE DE LA COLLECTE DES DONNÉES
La méthodologie adoptée relève des procédés classiques des sciences humaines avec des variantes en fonction des domaines d’intervention. Le travail s’est bâti sur la revue bibliographique qui a consisté à parcourir les ouvrages généraux, les travaux de thèses et revues, des documents scientifiques, les photographies ayant trait aux plantes sargasses. Les écrits de Abbott et al.(1976), de Doyle et al.( 2015), ont été d’un apport essentiel au niveau de ces espèces d’algues aquatiques et de leur emprise environnemental. Le travail s’est opéré suivant une méthode précise et rationnelle. Il prend en compte tout le littoral ivoirien presque. 12 stations d’étude dont les coordonnées géographiques sont déterminées à l’aide d’un lecteur électronique GPS sont retenues. La pratique de terrain s’est faite de l’est à l’ouest du pays: Assinie Mafia (campement), Assouindé, Mondoukou plage, Bassam plage, Abidjan (Gonzacqueville), Jacqueville, Grand-Lahou, Fresco, Sassandra, San-pédro, Grand-béreby et Tabou (figure 1).
Réalisation : Aka, Sankaré, Komoé, N’cho, 2016
Figure 1: Localisation des sites d’études des sargasses le long du littoral ivoirien
L’on a tenu compte de certains facteurs pour opérer ces choix dont la facilité d’accès au littoral et la présence effective des algues (Sargasses) sur la façade maritime pour mieux appréhender le phénomène. Le raisonnement est forgé sur les enquêtes directes de terrain et structuré en questions, consignées dans le guide d’entretien. Des interviews couplées à des ateliers d’échanges avec les parties prenantes ont alors été réalisées. Cette séquence s’est adressée aux responsables des infrastructures hôtelières, restaurants et de loisirs, aux artisans pêcheurs marins et lagunaires, aux autorités administratives et coutumières des localités riveraines de la côtière ivoirienne. Aussi, à l’aide d’un instrument de mesure de longueurs, une estimation de la quantité de Sargasses frais est obtenue au mètre carré (m²) par station, ainsi que sa hauteur. L’essentiel est de mieux cerner l’évolution spatiale des sargasses. Le traitement du texte s’est fait à l’aide du logiciel Microsoft Word, version 2007, Excel, et ArcGis pour la carte. La mission a connu une durée de 4 jours (14 au 17 juin 2016). À l’issue de l’analyse des résultats, le travail se structure autour de trois grands axes, particulièrement l’origine, la description et la répartition spatiale des sargasses d’abord, leur influence sur les activités socio-économiques du littoral ivoirien ensuite, et enfin une esquisse de solutions et de recommandations pour une lutte efficace.
RÉSULTATS ET ANALYSES
Origine, description et répartition spatiale
Les sargasses ou sargassum sont originaires de l’Amérique Centrale, de l’Amérique Latine, précisément de la mer des sargasses qui lui confère ce nom. L’océan Atlantique demeure son espace d’expansion formant un banc immense (Abbott et Hollenberg, 1976). En tant que plantes aquatiques pélagiques, elles se sont diffusées aujourd’hui le long des côtes des pays du Golfe de Guinée (Benin, Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon, Ghana, Gambie, Libéria, Nigéria, Sao-Tomé et Principé, Sénégal, Sierra Léone et Togo).
Ce déplacement est favorisé par les différents courants océaniques qui circulent dans cet espace, les eaux de mer étant en perpétuel mouvement. Ces courants océaniques partent du Gulf Stream et de ses ramifications en Afrique dont le courant équatorial, sud équatorial, de Guinée, des Açores, de l’Angola, et celui du Benguela (Lili, 2016). Ainsi, les zones chaudes de l’Amérique centrale, de l’Amérique Latine, aux eaux du Golfe de Guinée semblent plus favorables à son évolution. Localisée au sud des Bermudes entre 40° et 70° ouest, 25° et 35° nord où les courants marins sont faibles, la zone des sargasses ou mer des sargasses s’étend sur 3 millions de km² et est estimée entre 4 et 11 millions de tonnes flottantes (Bouchon et al., 2002). Les sargasses échouent depuis 2011 sur les côtes ivoiriennes selon les riverains. Comment se présentent ces d’algues ?
Description et répartition spatiale des sargasses sur les côtes ivoiriennes
Les sargasses des côtes ivoiriennes sont de 2 types: Sargassum fluitans et Sargassum natans. Elles flottent à la surface de l’eau. Les stades jeunes présentent des rameaux aplatis à allure de feuille. Ces macrophytes ne s’accrochent pas aux rochers des zones côtières. Les sargassum natans de la figure 2 sont caractérisées par un thalle denté, mince avec des flotteurs surmontés d’épines. Les feuilles sont effilées.
Quant aux Sargassum fluitans de la figure 3, le thalle denté et les feuilles sont plus larges avec des flotteurs sans épine. Dans leur répartition sur les côtes ivoiriennes, l’espèce Sargassum natans est fréquemment rencontrée sur les plages du pays comparativement à l’espèce Sargassum fluitans, qui est de faible quantité. Ces deux types d’algues existent dans toutes les stations. Le littoral assure leur régularité très remarquée (Assinie, Assouindé, Mondoukou, Jacqueville, Grand-Lahou). La station de San-Pédro se distingue des autres du côté ouest du pays par la densité de ces algues qui nécessite par endroits des engins lourds pour son déguerpissement. L’on note une présence significative de sargassum fluitans dans l’est ivoirien (Assinie, Mondoukou) et à l’ouest (Sassandra, tabou). Pourquoi donner une très grande valeur à ces algues n’eut été leur impact sur les activités socio-économiques? Aussi, ne disposent-elles pas d’atouts dans certains secteurs d’activités ?
Source : Komoé, Juin 2016
Figure 2 : Sargassum natans avec des flotteurs épineux
Source : Komoé, Juin 2016
Figure 3 : Sargassum fluitans possédant des flotteurs sans épine
Influence des sargasses sur les activités socio-économiques du littoral ivoirien
Les sargasses résultent d’horizons bien connus, mais un peu disparates aujourd’hui du fait des courants océaniques et de certains moyens de locomotion comme les navires. Cette réalité crée une atteinte aux activités littorales et du large. Le secteur du tourisme et celui des pêches paraissent les plus affectés par ce phénomène aux multiples conséquences sur les usagers et les riverains. Ici, l’intrus (sargassum) devient rapidement envahissant au détriment de l’écosystème récepteur (Verlaque, 1993) et constitue une difficulté à résoudre.
Le tourisme et la menace des sargasses
Parmi les espaces à forts potentiels touristiques du littoral, Assouindé et Bassam bénéficient d’un environnement convenable. Toutes les formes d’activités touristiques peuvent y être développées parce que ce secteur n’est pas suffisamment exploité, hormis les domaines de guides touristiques, de fabriques et de ventes d’objets d’art, de la paire restaurants-hôtels etc. Ce sont des cités balnéaires très prisées et des lieux privilégiés de villégiatures des Abidjanais. Assounidé possède des sites naturels dignes d’intérêts. Cette localité, de façon particulière est plus reluisante, tenant compte du complexe lagunaire Aby-Ehy-Tendo, des mangroves auxquels s’ajoutent les cocotiers et le site Ramsar N’ganda N’ganda. Assouindé demeure un endroit paradisiaque. L’on a dénombré dans cette localité 560 équipements touristiques dont 23 hôtels-restaurants, 66 maquis-restaurants, 391cabanes et bungalows et 80 résidences secondaires. Un accent particulier est porté sur la plage et sur les différentes stations balnéaires. Ces sites (Assouindé et Bassam) sont pris d’assaut tous les week-ends par des milliers de touristes. Ce sont des endroits incontestablement propices pour évacuer le stress et la pression des bureaux et autres lieux de travail. Il existe dans ces espaces des bungalows qui appartiennent à des particuliers. Bassam possède un centre artisanal, un centre céramique (quartier France), un centre professionnel de vannerie, de poterie dénommé Aboutou. Ces lieux de formation et de création permettent de produire des vans, des bijoux en or, en argent, en bronze, le batik, le tissage simple, le tissage sur toile. La menuiserie et la cordonnerie sont fortement représentées, permettant la réalisation également des œuvres d’art additionnelles comme l’indique la photo 1. Les ressources financières touristiques reposent sur ces éléments de valeur. Ce potentiel est à valoriser, y compris le tourisme bleu et le tourisme vert. À travers ces différents centres, l’on pérennise la culture africaine.
Source : Nos enquêtes, Juin 2016
Photo 1 : Atelier du village artisanal de Grand-Bassam
L’envahissement des plages par les sargasses constitue non seulement une curiosité mais freine énormément le tourisme balnéaire, et les activités qui y sont rattachées. Avec leur prolifération sur toutes les plages et dans les eaux marines côtières, il apparaît nécessaire de mettre en place une étude détaillée pour suivre leurs effets sur cette activité multidimensionnelle comme l’atteste la figure 4.
Source : Nos enquêtes, Juin 2016
Figure 4 : Répartition des visiteurs selon le motif dans les régions de Grand-Bassam et Assouindé
Globalement, la zone littorale est un espace à plus fort potentiel touristique du pays. En effet, le plan national du développement touristique (BNETD, 2012.) indique que sur environ 130 sites identifiés sur le territoire national, 59 sont concentrés le long du littorale. Toutes les formes d’activités attractives peuvent y être déployées. Aujourd’hui, les plantes flottantes ou sargasses font des incursions prononcées dans cet espace de loisirs, sources d’agressions des installations et des aménagements des opérateurs économiques. Les lieux visités le long du littoral sont d’une importance particulière pour les touristes. La présence des sargasses dérange tous les acteurs. De ce constat, un bouleversement est pressenti tant par les riverains que par les autres composantes. Les différentes stations vivent le même événement d’Assouindé à Tabou. Les sargasses occupent de façon intensive des espaces de loisirs comme l’atteste la photo 2 de la station de Grand-Lahou.
Source : Nos enquêtes, Juin 2016
Photo 2 : Plage de Grand-Lahou envahie par les Sargasses
Elles représentent des éléments stabilisateurs du littoral certes, mais leur décomposition le long des plages est inévitable, dégageant ainsi une odeur putride d’hydrogène sulfuré (H2S). Cet état de fait provoque des nausées, des larmoiements, des maux de tête et une perte de sommeil (Doyle et al. 2015). De façon substantielle, Assinie a ses installations touristiques bien entretenues, mais la mer et ses bordures ne sont plus attractives à la baignade pour cause d’une insalubrité notable. Aussi, la fréquentation des touristes est-elle réduite presque de moitié, jouant considérablement sur les dividendes. Ces algues de coloration roussâtre provoquent des irritations corporelles. Elles servent de refuge et de lieu de reproduction des bestioles, des tiques. Ces insectes chassent les touristes qui n’ont d’yeux que pour le sable fin et l’eau. La fréquentation des visiteurs et des commerçants d’objets d’art est en baisse de façon drastique. Il va sans dire que les revenus connaissent une chute. Les bungalows en paille indiqués par la photo 3 sont pour la plupart en état de dégradation avancée tandis que ceux construits en dure, perçus sur la photo 4 manque d’entretien, dû à une absence de clients.
Photo 3 Photo 4
Source : Nos enquêtes, Juin 2016
Photo 3 : Plage de Grand-Lahou envahie par les Sargasses
Photo 4 : Bungalows moderne en ruine à Assinie
Sur un total de 40 bungalows à Mondoukou, seuls 15 sont fonctionnels ; Assinie en a 45 en état d’usage sur la centaine. Cependant Bassam, Jacqueville accueillent plus de 5000 visiteurs le week-end pour leur politique de propreté mise à exécution. Bassam présente une situation un peu spéciale parce qu’une partie des bungalows ou bay-windows est faite avec du matériau en dure. Toutefois, ceux constitués essentiellement de la paille subissent le même type d’effritement.
Les sargasses sont des freins aux activités commerciales liées à la plage (maquis, buvettes, artisanat, transport, vente de fruits et de jus…). Les commerçants affirment la chute de leur chiffre d’affaire et indexent ces algues brunes comme les principaux responsables de la répulsion des touristes. Les clients sont quasiment absents durant les mois d’occupation des plages d’avril à juin avec un pic en mai. Toutes ces difficultés liées aux sargasses participent à la forte détérioration du tourisme. Sur le littoral ouest, les passionnés et les curieux viennent assouvir cette envie par l’observation. Le dynamisme touristique connait durant ce temps un déclin tout comme les activités halieutiques à cette même période.
La pêche, une activité fortement dégradée par la présence des sargasses.
La pêche est une activité fondamentale pour les riverains des milieux marins, saumâtres, et estuariens. Elle est à majorité artisanale, pratiquée avec des filets (sennes de plage) qu’atteste la photo 5 ou des pirogues souvent actionnées par des moteurs.
Source : Nos enquêtes, Juin 2016
Photo 5 : Pêche à la senne de plage à Assouindé
Dans l’accomplissement de leurs tâches quotidiennes, les pêcheurs sont dérangés par l’invasion imprévue des sargasses dans les eaux superficielles et de fond. Ils sont donc contraints de suspendre les engins de capture pendant 1 à 3 mois (avril à juin), vivant de déception parce qu’ils ont opté pour cette profession. Á Assinie, Mondougou et dans d’autres espaces, ces algues sont touffues et empêchent une moisson fructueuse. C’est l’exemple de l’archipel de Key en Floride qui connaît une population de sargasses particulièrement épaisse, rendant toute navigation impossible (Abbott et Hollenberg 1976). Ainsi, la venue de ces algues a des conséquences sur le revenu des pêcheurs, leur famille et réduit la qualité de la nourriture en protéines animales. Le mois de mai dans les stations de recherches a été une période sombre pour les acteurs. Plusieurs pêcheurs de la nationalité ghanéenne sont partis dans leur pays d’origine, pour ne reprendre le travail une fois cette plante venait à disparaître ou à être considérablement réduite. Aujourd’hui, les acteurs se sont’ familiarisés à ces herbes marines dont leur présence est synonyme de vacances. Le nom local n’existe pas encore, puisque c’est une nouvelle découverte qui les empêche de mener à souhait la tâche. Ces algues deviennent un véritable problème, car elles s’accrochent aux filets qu’elles rétrécissent ou endommagent. Leur survenue devient un obstacle à la capture des ressources halieutiques. Pour les extraire des filets, il faut les sécher lorsqu’elles sont nombreuses. Il faut deux à trois jours pour les enlever frais.
De façon générale, les engins de production et les intrants tant en lagune, en mer qu’aux embouchures des fleuves (espaces poissonneuses) ont un coût élevé. Il s’agit notamment des filets, des engins de propulsion, des caisses de conservation, des ressources aquatiques capturées, du carburant. Les sargasses s’accrochent aux hélices des hors bords et abiment les moteurs dans leur grande majorité. Avec toutes ces contraintes, il faut nonobstant payer les pêcheurs professionnels. Ces algues ont pourtant dans certains espaces du monde une grande importance. Les sargasses, grâce à leur morphologie et à leur forte densité constituent des abris pour de nombreuses espèces animales. De nombreux alevins, crustacés et poissons s’y refugient. Les seiches y trouvent un support pour leur ponte, les crevettes y pullulent. D’un point de vue environnemental, les sargasses sont une niche de la biodiversité (Loraine, 1989 ; Tsukidate, 1992 ; Mattio, 2008). Elles meurent et sèchent en dehors de leur support (eau) une semaine après leur propulsion sur la berge par la marée ou la houle. Les lagunes ivoiriennes qui ont des débouchés permanents ou partiels en mer subissent le même dégât. À cet effet, plusieurs auteurs ont travaillé sur leurs potentialités dont Écoutin et al. (1994), Lhomme (1994), N’goran (1990). Il ressort de ces travaux que les capacités de production en poissons de la lagune Ebrié sont comprises entre 9000 et 10000 tonnes/an. Cette production correspond à un rendement de 130 kg/ha. Quant à la lagune Aby, elle couvre 50% de l’ensemble des captures lagunaires du pays (5000 et 7000 tonnes/an). L’estimation de celles de Grand-Lahou est de 2000 tonnes/an et 300 tonnes/an pour Fresco. Ces eaux saumâtres ont connu deux mois d’interruption de pêche due aux macrophytes. Certains acteurs affirment que les sargasses sont à l’origine d’une véritable mortalité des ressources de l’eau. Elles ne rendent pas facile les prises et leur avancée affecte partiellement les lagunes par simple communication avec l’océan. Le même scénario est vécu par les pêcheurs à cannes, mais à un degré moindre comparativement aux autres types de pêche. Pour les 2 ou 3 mois d’activités de pêche perturbées ou interrompues, les populations riveraines et particulièrement les pêcheurs estiment qu’ils perdent des milliers de francs. Ils l’évaluent en moyenne entre 30 000 et 50 000 FCFA par mois pour les artisans pêcheurs lagunaires et entre 50 000 et 150 000 FCFA par mois pour leurs collègues de mer. Ce constat leur permet de s’abstenir des aventures infructueuses. Ces plantes aquatiques influencent pareillement l’activité d’extraction de sable de plage.
Les sargasses, éléments perturbateurs de l’extraction de sable des plages
En dehors de la pêche et du tourisme, dans certaines localités comme Tabou et San-Pédro (photo 6), les opérateurs économiques du secteur de l’extraction de sable de plage ou d’embouchures de fleuves s’enrichissent. Ils le vendent pour la construction des infrastructures et des habitations. La présence des sargasses dans ces espaces porte entorse à cette activité. Pour mieux la mener, ils organisent l’entretien de ces endroits, occasionnant un financement supplémentaire. Face à cette nouvelle donne, l’on assiste à une augmentation du prix de sable en fonction de la capacité des véhicules de transport. Il oscille entre 35 000 et 50 000 FCFA alors que le prix bord champ avoisine la moitié.
ESQUISSE DE SOLUTIONS À LA LUTTE CONTRE L’INVASION DES SARGASSES ET RECOMMANDATIONS
Une lutte précaire menée par les populations riveraines et les opérateurs économiques
Un véritable mécanisme d’attaque n’est pas encore mis en œuvre. Le combat contre les sargasses, quoique difficile à mener, les acteurs du littoral font preuve d’efforts avec les maigres moyens et les techniques dont ils disposent. Les pêcheurs, étant des artisans importants et menacés par ce désastre ont opté pour l’extraction des sargasses des filets et à leur séchage pour un enfouissement systématique. C’est une lutte saisonnière développée d’avril à juin, ponctuée d’arrêts incessants de l’activité. Certains parmi eux trouvent cet engagement laborieux et improductif. Ils préfèrent se retirer de l’activité de pêche durant la période de leur apparition. Les acteurs qui assurent encore cette fonction accordent une attention particulière aux engins de locomotion ou de propulsion pour esquiver l’infiltration des algues dans les accessoires de moteur afin d’éviter d’autres frais de réparation en dehors des maigres captures.
Quant aux responsables des espaces de loisirs (plages et infrastructures hôtelières des bordures), la défense consiste au balayage des plages, à la mise en tas des algues pour le séchage. L’on procède également à leur calcination et à leur enfouissement pour maintenir la clientèle. À cet effet des rencontres ont lieu couramment pour asseoir une politique d’enrayement périodique comme à Bassam, Jacqueville, à un degré moindre Sassandra.
Recommandations pour enrayer les algues sargassum
Au vu des ennuis causés par ces plantes sur les activités économiques et les populations du littoral, il convient d’y remédier par des propositions concrètes. Ce faisant, des moyens adéquats doivent être dégagés pour établir un réseau de surveillance des eaux marines de février à juin. Cette disposition permettra d’alerter et d’organiser la lutte. Contrairement à celle-ci jugée archaïque, le volet chimique a été expérimenté dans les pays développés avec les herbicides, mais sans succès car le risque pour l’environnement est trop grand (Yoshida, 1983). Aussi, ne serait-il pas captivant de mener des recherches approfondies pour servir de contrepoids au développement de ces algues. Ceci, aux fins de réduire ou de vaincre son impact sur les principales activités que sont le tourisme et la pêche, sans toutefois omettre l’aspect sanitaire pour les riverains. Initier la collecte en mer avant leur échouage sur les côtes ou leur entrée en lagune pourrait diminuer au maximum leur existence puisque ce sont des plantes flottantes. Dans cette situation, un filet sera tendu entre deux navires pour tirer les radeaux dans un coin et faciliter la récolte mécanique avec pour objectif le transport et l’enfouissement. La possibilité de dresser des barrages flottants dans les canaux de communication mer-lagune aiderait à empêcher leur arrivée en lagune. Le plan de lutte pourrait nonobstant aider à valoriser les sargasses au vu de leurs utilités dans la médecine et dans la production de compost (Doyle et al. 2015 op.cit.). Tout cet aménagement pourrait être un facteur d’appui aux actions déjà entreprises par les acteurs concernés et actifs du milieu littoral. L’usage de la télédétection par satellite semble être un moyen réfléchi pour étudier le littoral en suivant son évolution pour mieux envisager des solutions (Loraine, 1889).
CONCLUSION
Les sargasses sont des algues flottantes qui vivent en milieu marin. Le contact avec les autres espaces aquatique (lagunes, embouchure des fleuves) créent des déboires aux riverains, aux différents types de pêcheries et aux espaces de loisirs. Ces plantes arrivent aux côtes périodiquement et constituent un frein à l’économie ivoirienne. Leur régularité depuis 2011 est l’affaire des entités économiques concernées. Des actions de destruction sont certes menées, mais insignifiantes au regard de l’ampleur des gâchis vécus. Il convient maintenant d’entreprendre des opérations de lutte efficiente au plan national contre ces macrophytes. Aussi, toute cette gamme de propositions ne relève-t-elle pas de la volonté politique, surtout qu’elle nécessite un investissement important.
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Pour citer cet article
Référence électronique
AKA Koffi Sosthène, SANKARE Yacouba, KOMOE Koffi & N’CHO Amalatchy Jacqueline (2018). « Influence des algues sargasses (sargassum fluitans, sargassum natans, sargassum natans) sur les activités socio–économiques le long du littoral ivoirien ﴾Côte d’Ivoire – Afrique de l’ouest﴿». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (5) 2. En ligne le 25 décembre 2018, pp. 10-15. URL: http://laurentian.ca/cjtg
Auteurs
AKA Koffi Sosthène
Docteur en géographie
Chargé de recherche au Centre de Recherches Océanologiques (C.R.O), Abidjan-Côte d’Ivoire
Email: sosaka2013@yahoo.fr
SANKARE Yacouba
Docteur en hydrobiologie benthos
Maître de recherche au Centre de Recherches Océanologiques (C.R.O), Abidjan-Côte d’Ivoire
Email: sankare811@yahoo.fr
KOMOE Koffi
Enseignant-chercheur
Maître de conférences
Université Félix Houphouët Boigny (UFHB), Abidjan-Côte d’Ivoire, URF Biosciences, Laboratoire botanique
Email : komoek@yahoo.fr
N’CHO Amalatchy Jacqueline
Docteur en Géographie
Chargé de recherche, Centre de Recherches Océanologiques (CRO)
Email: amalachyyayo@yahoo.fr