Women’s migration and evolution of gender relation in Senegalese area
DIANKA Daouda
Résumé :La féminisation accrue des flux migratoires et la diversité des emplois du travail féminin sur le marché mondial sont deux éléments manifestes et incontournables sur le champ des migrations internationales. L’avènement des femmes sur la scène migratoire a modifié les modèles sociétaux et familiaux et a une répercussion grandissante sur l’évolution et la recomposition des rapports sociaux entre hommes et les femmes dans les ménages. La migration féminine individuelle longtemps stigmatisée est en passe de devenir aujourd’hui un fait de société au Sénégal.
Mots clés : Rapport de Genre, Femme, Migration individuelle, Sénégal, Évolution sociétale
Abstract: Senegalese women are increasingly migrating. In fact, the international migration influx is partially due to this feminization of migration and the diversity of female labor jobs. It has changed the social “order” and family patterns in Senegalese society. These changes have altered the social “power-order” between men and women in households. Men are no longer the sole family provider and their “power” is challenged. Female migration was stigmatized by Senegalese society. It is no longer the case.
Keywords: Gender relation, single migration, Senegal, societal evolution
Plan
Introduction
Revue de la littérature et analyse du concept genre
Évolution du statut social des migrantes individuelles dans la société sénégalaise
Mutations du statut de la femme dans la société sénégalaise
Être femme migrante et chef de ménage au Sénégal
Conclusion
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INTRODUCTION
Les migrations internationales sont sans aucun doute l’un des phénomènes sociaux qui alimente les relations Nord-Sud depuis bientôt trois décennies. Les études menées sur les migrations internationales ont surtout porté sur les flux des travailleurs sans qualification, en majorité des hommes. On y traite de flux de main-d’œuvre et de transferts financiers (Simon, 1995; Sow, 1995; Lututala, 1986). Cette perception a pendant longtemps occulté l’ampleur des autres composantes des migrations internationales. Depuis les années 2000, on assiste à une grande poussée féminine dans les migrations internationales (Dianka, 2008; Charef, 2002; OIM 2000). Selon l’Organisation internationale des migrations (2002), les femmes représentent 52,8% des mobilités internationales (OIM, 2003). Voilà une donnée statistique qui force une nouvelle lecture et qui oblige de ne plus passer sous silence le poids réel des femmes dans les migrations internationales. Comme dans la société sénégalaise, le nombre des femmes qui migrent seules va croissant et qu’elles se détachent de plus en plus de la tutelle d’épouses, de filles de migrants (Oso, 2000), elles deviennent désormais protagonistes de leur migration (Mainguet et Dianka, 2003; Dianka et Étongué Mayer, 2014).
Parce qu’elles voyageaient sous tutelle, les sénégalaises migrantes étaient invisibles. Leur détachement de la tutelle masculine et l’obtention d’une plus grande visibilité résultent de la sous-estimation des femmes comme actrices et motrices du développement (Moujoud, 2003). L’invisibilité « s’explique en premier lieu par l’existence d’un vide théorique dans le domaine de la littérature sur les mouvements de population » (Oso, 2000). La non-visibilité de la migration féminine trouve ses origines dans le stéréotype de la femme considérée comme économiquement inactive et dépendante de l’homme (Antoine et Sow, 2000). En conséquence l’évolution et l’importance de la population féminine migrante ont longtemps été occultées et sous-estimées tant dans les statistiques que dans la littérature consacrée aux études sur les migrations internationales. Depuis plus d’une bonne décennie, les recherches sur la migration internationale font état d’une migration indépendante féminine de plus en plus importante marquée. Les travaux récemment menés au Sénégal montrent que la migration internationale féminine individuelle a pris naissance dans les villes (Dianka, 2008) à la fin des années 1980 et qu’elle tend aujourd’hui à s’étendre au milieu rural. Plusieurs hypothèses sont d’ores et déjà avancées pour expliquer cette évolution des migrations africaines. Elle pourrait résulter des crises économiques et serait un révélateur de l’incapacité des hommes à faire seuls, face aux besoins courants des ménages. L’émigration serait, ainsi, un prolongement international de l’apport croissant des femmes dans les revenus des ménages africains (Antoine et Fall, 2000). Elle pourrait être le produit de changements sociaux éducatifs et culturels récents conférant aux femmes le désir d’acquérir une certaine autonomie à la fois financière, sociale empreinte de liberté de mouvement et de décision (évolution des mentalités, augmentation du niveau d’instruction des femmes, ouverture sur le monde). On comprend alors de mieux en mieux pourquoi les femmes occupent une part importante dans les flux migratoires mondiaux et pourquoi leur contribution est passée de 47% en 1960 à 49% en 2000 (Zlotnik, 2003). L’arrivée des migrantes individuelles a non seulement renforcé la féminisation première née du regroupement familial en France dans les années 1974, mais mérite une reconsidération des thématiques de l’immigration (Diaby, 1998). Il est important d’étudier ce phénomène dans le cadre d’une migration Sud/Nord.
La migration internationale féminine individuelle sénégalaise, que nous appelons celle des « Fatou-Fatou » s’inscrit dans les parcours migratoires actuels. La mobilité, initiée par les femmes wolofs à majorité mouride, s’étend progressivement à toutes les composantes ethniques (toucouleur, sérères, soninké) et religieuses (Tijanes, Layènes, Khadres, etc.) du Sénégal. Les motifs qui sous-tendent cette mobilité sont nombreux mais les principaux facteurs sont la recherche de revenu et d’autonomie (liberté et droits) et in fine la reconnaissance d’un véritable statut de la femme sénégalaise. Suite à ces migrations, les migrantes ont acquis au Sénégal, un nouveau rôle, par exemple celui de femmes chefs de ménage. Elles sont impliquées dans les décisions concernant la famille et le rôle de chacun dans la famille. Ainsi, le développement de la mobilité féminine accentue les mutations socio-économiques au Sénégal.
L’objet de cette contribution est de mettre en lumière les impacts des migrations féminines individuelles sur le rapport de genre dans les aires de départ (Sénégal). Dans cet article, après avoir défini le rapport de genre, nous étudierons l’évolution du statut des migrantes individuelles au Sénégal. L’étude de ces dernières nous amènera à parler du statut de la femme chef de ménage et son impact sur la société sénégalaise.
REVUE DE LA LITTÉRATURE ET ANALYSE DU CONCEPT GENRE
Si le concept « genre » est utilisé dans les milieux universitaires depuis les années 1970, il a fallu attendre la Conférence Internationale sur Population et développement Durable (CIPD) en 1994 au Caire, pour faire de lui un préalable au développement durable (Agounke et al, 1999). Les constats sur les inégalités persistantes liées au sexe sont basés non pas sur des critères objectifs mais sur des considérations de rapports sociaux entre hommes et femmes. Ces derniers ont convaincu, depuis les années 1990, les institutions internationales et les chercheurs à faire du rapport de genre un pilier des activités de recherche et de développement socio-économique. Le genre peut être défini comme une construction sociale de rôles, d’idéologies, de comportements qui font référence à une notion biologique de sexe, d’attribut assigné sur la base de l’appartenance sexuelle (Agounke, et al. 1999). En anglais, la différence entre genre et sexe est claire, tandis que dans la langue française la distinction est moins nette. En Français, le genre renvoie au masculin et au féminin mais n’introduit pas de caractère social. Le genre correspond à l’ensemble des analyses scientifiques ayant pour objectifs de déconstruire toutes les thèses inspirées du patriarcat. D’après Veron (2000), «le genre est une construction sociale, un ensemble de rôles, de perceptions, d’idéologies et de comportements fondés sur une interprétation de la différence biologique entre les sexes». Au-delà des simples différences sexuelles, l’approche genre insiste sur les fondements socio-culturels des inégalités entre hommes et femmes. Selon Mackie (1987) elle est fondée sur trois principes : 1) une notification de la différence sexuelle entre masculin et féminin, 2) les individus sont modelés selon le sexe par les normes sociales qui leur spécifient ce qu’ils devraient être, sentir et faire; 3) la hiérarchisation des activités, des rôles et des statuts.
Nombreuses sont les sociétés africaines ayant un caractère patriarcal très affirmé. Celles-ci sont organisées selon une stratification sexuelle dans laquelle les activités et tout ce qui a trait au masculin sont plus valorisés que ce qui est féminin. La migration, possiblement source de richesse, faisait partie de ses activités. Cette structure sociétale a fait, qu’historiquement, la migration était principalement masculine et les femmes immigrées n’étaient que très rarement visibles. Cependant, depuis quelques années, la migration individuelle a tendance de se féminiser. En tant qu’actrices indépendantes, les femmes des pays du Sud, notamment les Fatou-Fatou, s’engagent, de plus en plus, dans le processus de migration à la recherche de meilleures conditions de vie et/ou de travail. Comme l’a si bien affirmé, Alfred Sauvy «si la richesse ne se déplace pas vers les pays pauvres, les démunies iront la chercher là où elle se trouve ». La migration féminine étant donc un enjeu économique et d’indépendance, l’insertion socio-économique des migrantes, impacte directement la réussite de leur parcours migratoire. Mais, l’insertion des migrantes et des migrants sur le marché du travail est aussi guidée par les structures des sociétés de départ, et donc de la société sénégalaise pour les Fatou-Fatou. Elle fait référence à la relation structurellement inégalitaire entre les hommes et les femmes, telle qu’elle se manifeste au niveau micro (au sein de la famille) et au niveau macro (par exemple sur le marché du travail). Aussi, la question du genre se répercute sur les différences homme/femme à l’insertion professionnelle, ce qui a aussi un impact sur le statut social de la femme migrante dans l’aire de départ. Quand on parle d’insertion des migrants et des migrantes sur le marché du travail, l’approche genre est nécessaire pour reconnaître les discriminations sexuelles sur la base du genre et faire le lien entre les stéréotypes sexuels et les caractéristiques des emplois dits «féminins» et «masculins» qui, en réalité, correspondent aux rôles sociaux (Lindsey, 1990). Quand bien même les femmes migrent pour des motifs économiques, elles rencontrent plus de difficultés que les hommes dans l’insertion sur le marché du travail. Dans de telles circonstances, l’approche genre devient le meilleur allié pour comprendre les fondements de telles inégalités. En un mot, les similitudes constatées dans les modes de migration (accroissement des migrations féminines individuelles et pour des motifs autres que sociaux) entre hommes et femmes ne sont pas perceptibles lors de l’insertion dans le marché du travail (Lescligrand, 2000). En l’état actuel de la recherche et de la réflexion sur les migrations féminines, il n’est plus possible d’analyser ce phénomène sans prendre en considération la société dans son ensemble et sans tenir compte des rapports qui déterminent la place respective des hommes et des femmes dans son organisation socio-économique. Pour mieux rendre compte de la construction sociale des sexes, nous nous efforçons de nous appuyer sur la notion de genre qui tend à se substituer dans la littérature en sciences sociales à celle de sexe trop exclusivement biologique.
Les relations de genre sont à considérer non seulement dans le cadre du groupe familial mais aussi dans celui de la société dans son ensemble. Au Sénégal, l’arrivée des femmes sur la scène migratoire aidée en cela par la réussite des primo-migrantes est venue bouleverser l’ordre préétabli qui faisait des hommes de potentiels candidats, pourvoyeurs de revenus. Elles ont rehaussé leur image en s’émancipant sur le plan social et financier même si parfois leur image fait l’objet de quolibets colportés par les hommes vivant avec elles dans le pays d’immigration. Nous sommes passés de l’invisibilité des femmes migrantes à la visibilité de leur existence perçue, la plupart du temps, dans un rôle passif: les femmes comme accompagnatrices des hommes migrants. Ce n’est que récemment qu’une nouvelle perspective sur les femmes migrantes comme actrices économiques et sociales de développement a vu le jour.
ÉVOLUTION DU STATUT SOCIAL DES MIGRANTES INDIVIDUELLES DANS LA SOCIÉTÉ SÉNÉGALAISE
L’image de la femme migrante individuelle dans la société s’est élaborée en deux phases : l’une négative, l’autre positive :
• la phase négative correspond au tout début du phénomène quand les femmes ont commencé à s’inviter sur la scène migratoire, et ce, de manière individuelle. Les soupçons qui pesaient alors sur elles dans les lieux d’immigration, loin de tout contrôle social, furent aggravés par les rumeurs propagées par les hommes qu’elles côtoient dans les pays d’accueil ;
• la phase positive correspond, aujourd’hui à la réussite et aux rôles importants joués par les femmes migrantes dans l’amélioration du quotidien des familles. Elles sont devenues des soutiens incontournables pour les familles et les parents restés au pays. Elles répondent plus promptement que les hommes en cas de sollicitations familiales. Cette image positive des femmes migrantes Fatou-fatou bouleverse aujourd’hui les structures sociales et établit de nouveaux rapports sociaux avec les hommes (Mainguet et Dianka, 2003).
Les migrantes sont devenues des pourvoyeuses de revenus pour les familles. Elles participent de plus en plus aux discussions et aux décisions familiales. Les migrantes, grâce à leurs activités commerciales et salariales, ont un peu plus de pouvoir. Leur position se renforce et de nouveaux rapports sociaux se mettent en place au sein des ménages. Ils réduisent les inégalités entre les hommes et les femmes. Cette situation nouvellement créée par la migration internationale féminine et individuelle est loin d’être acceptée par certains hommes. Elle peut être à l’origine des conflits et des scènes de ménages dans les familles émigrées en France pouvant conduire au divorce.
Selon Kane, « les rôles économiques se trouvent redistribués, la gestion du ménage obéit à un certain bicéphalisme. Mais les statuts de l’un et de l’autre (des conjoints) sont maintenus, du moins en apparence. A cause du bouleversement des rôles opérés dans le foyer, la femme parle sur un autre ton, les inflexions de sa voix prennent celles d’un vrai chef de famille. L’homme sait que lui seul ne porte pas les chausses. Le foyer est ainsi installé dans une crise d’autorité» (Kane, 2003). La migration internationale des femmes mariées est source de difficultés dans les couples. D’un côté, les hommes monogames dont les épouses ont émigré, souffrent du manque d’affection et parfois de considération dans certains milieux et groupes ethniques (Soninkés et Toucouleurs) où ils sont considérés comme des maris dominés. Les propos d’un habitant de Bakel dont l’épouse a migré en France constituent une parfaite illustration : « certes le départ de ma femme a eu des impacts positifs dans notre quotidien mais je me sens incompris voire déprécié par certaines personnes de ma communauté qui voient en moi un incapable et un homme soumis aux dictas de sa femme. Je ne peux pas continuer à vivre comme ça. Il y a la pression de la famille qui pèse sur moi, car mes frères et, surtout, ma grande sœur m’oblige à me remarier. Les enfants souffrent de l’absence de leur mère».
Dans le pays d’accueil, les femmes mariées sont soumises à des pressions familiales et font face à des forts préjugés sociaux. Une migrante mariée, ayant plus de 40 ans et ayant migré seule en France, décrit que : « quand je suis arrivée en France, je suis hébergée par ma sœur et son mari. Un départ qui n’a pas empêché certaines personnes dont des proches de me traiter de «thiaga» c’est-à-dire de prostituée ou de mauvaise femme. Six mois après, le mari à ma sœur m’a appelé pour me dire qu’il y a un retraité qu’il connaît bien au foyer, qui cherche une femme. Je lui ai dit que je ne veux pas me marier maintenant et que personne ne peut m’obliger à me remarier. […] Il a mal digéré ma réponse et a fait intervenir ses amis et des parents à Paris pour me convaincre mais en vain ». Dans ces cas, la migration est facteur de liberté et d’autonomie. Bardem note que « la liberté que les femmes migrantes ont acquise par le canal de la migration illustre le développement d’une certaine forme d’individualisme, lui-même générateur de nouvelles solidarités non plus hiérarchiques et obligées mais tendanciellement horizontales, égalitaires et assises sur de nouvelles bases de type contractuel. Les relations naturelles assignées se trouvent, en quelque sorte, sélectivement réinterprétées par un consentement librement accepté à partir de redéfinitions statutaires conquises, voire imposées» (Bardem, 1993). L’accès à l’autonomie des migrantes passe souvent par des ruptures. Si les unes se soustraient aux alliances matrimoniales traditionnelles contractées dans les sociétés de départ, d’autres les rompent dans le pays d’accueil par un divorce, ou font du mbarann (mot wolof qui renvoie à une femme qui a beaucoup d’amants). Selon le rapport du troisième recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 2002, la fréquence du divorce dans la population tend à prendre de l’ampleur avec une plus grande exposition des femmes à ce phénomène, surtout, lorsque leur âge est compris entre 20 et 35 ans. Ces ruptures, en partie dues aux migrations internationales féminines, sont le signe d’une fragilité sociale et d’une redéfinition des rapports sociaux entre les hommes et les femmes dans les sociétés de départ, notamment au Sénégal. Elles se sont traduites aussi sur le plan social par une évolution du statut, et du rôle des femmes aux travers différentes mutations dans le regard, l’autonomie, la liberté et les responsabilités, en conférant notamment à certaines d’entre elles le statut de véritables chefs de ménage.
MUTATIONS DU STATUT DE LA FEMME DANS LA SOCIÉTÉ SÉNÉGALAISE
La migration n’explique pas à elle seule l’amélioration du statut de la femme. Elle a un impact positif car elle contribue à l’introduction de nouveaux comportements qui accélèrent le changement social. En effet, si les époux émigrent, certaines femmes se retrouvent avec la responsabilité d’une famille ou d’une terre sans avoir forcément l’autonomie de décision. Si ce sont elles qui migrent, elles adoptent des comportements inspirés de la société occidentale. Ainsi, les mouvements migratoires affectent la condition des femmes et leurs rapports avec les communautés d’origine. Paradoxalement la désagrégation sociale entraînée par la crise économique peut avoir un impact positif sur le statut des femmes. Les difficultés obligent les hommes à reconnaître que le travail des femmes est devenu un apport indispensable aux ressources du ménage. La crise a révélé la dimension véritable de ce travail auparavant peu visible. Cette situation a permis aux femmes d’accéder à une plus grande autonomie et de responsabilité. Depuis, les femmes peuvent jouir d’une certaine facilité de mouvement que leur a conféré leur statut de migrantes. Cette autonomie gagnée intervient à deux niveaux:
• dans le milieu de départ, il s’agira d’un levier qui permet un changement perceptible dans les milieux de départ et qui affectera les normes sociales de référence et la perception du rôle des femmes. Les ajustements, qui ont lieu pendant le processus migratoire, fournissent aux jeunes générations des modèles différents et influencent positivement le ratio filles/garçons dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. Certaines migrantes sont devenues des actrices du changement en modifiant les relations dans la structure familiale de leur communauté d’origine pour privilégier des stratégies intermédiaire entre les normes des sociétés d’origine et d’accueil.
• dans le pays d’accueil, les migrations féminines influencent leur statut socioéconomique et leur rôle dans le développement du pays d’origine. L’éducation, l’expérience professionnelle et l’autonomie acquises par la migration les libèrent des rôles traditionnels et leur permettent d’exercer ou de réclamer des droits. Leurs voix comptent autant que celles des hommes au sein des familles. Cette nouvelle position conduit parfois à un meilleur équilibre dans les couples et rehausse leur estime de soi et leur aura.
L’organisation patrilinéaire de la société confiait la gestion du ménage en cas d’absence du mari à un parent masculin. Compte tenu du système très inégalitaire des sociétés de départ, les femmes ne pouvaient pas prétendre à cette fonction. Mais, les nombreux facteurs conjoncturels ont incité les communautés de départ de manière générale à accepter de renégocier les pouvoirs de gestion et de prise de décision (Antoine et Sow, 2000). Les contraintes imposées par la migration vont modifier les conditions objectives et les processus de décision dans plusieurs domaines comme l’éducation des enfants, l’utilisation des méthodes contraceptives, le nombre d’enfants souhaités dans le ménage, etc. Les femmes migrantes souhaitent être associées aux décisions familiales et veulent avoir plus de considération à leur égard.
Un nombre élevé de femmes migrantes africaines, par leurs actions quotidiennes, contribue à changer le regard porté sur elles par la société. De nombreuses migrantes internationales envoient régulièrement de l’argent au pays pour venir en aide aux familles ou pour financer un micro-projet. L’image de la femme change même si des résistances persistent encore dans certains milieux. Zanga (2003) note que «de nos jours, il n’est plus rare de voir un père s’extasier ouvertement de la fille dans la famille. Les filles s’occupent mieux de leur famille, entend-t-on de plus en plus». L’arrivée des femmes sur la scène migratoire et leur apport financier ont largement contribué à changer, dans une certaine mesure, leur place au sein de la communauté. Les jeunes filles et les femmes ne sont plus perçues, uniquement, comme de futures génitrices ou une force de travail. Elles sont celles sur lesquelles comptent les familles. Maintenant, les groupes familiaux iront jusqu’à consentir des sacrifices, encore inimaginables il y a quelques décennies, afin de procurer à ces filles une éducation de taille, et, par là, un statut social subséquent. Cependant, les femmes migrantes se plaignent de leur manque de visibilité et de leur instrumentalisation dans le phénomène migratoire. Elles revendiquent la liberté dans les mouvements et ne veulent plus être exclues des instances de décision ou du circuit d’information, vu la place primordiale qu’elles occupent dans le champ migratoire.
Cette présence féminine est actuellement très forte puisque la demande de main-d’œuvre bon marché dans les secteurs de travail dits féminins est considérable dans les pays européens. Plusieurs faits observés dans les milieux de départ sont des indices de changement de comportements. La réussite économique, souvent procurée par la migration internationale, a développé un besoin d’urbanisation, d’engagement et d’ouverture au monde chez les femmes migrantes. Mais ce sentiment est loin d’être partagé parce que dans certain milieu, les hommes ne veulent pas voir que les codes traditionnels établis (la soumission de la femme et son infériorité devant les hommes, refus de toute notion d’égalité et de partage de pouvoir) soient bouleversés au prix d’une révolution menée par des femmes. La non résignation à être une personne dominée au sein d’un groupe ou d’une société, avec un rôle et un statut prédéterminé provoque des tensions qui poussent ainsi les femmes à revendiquer plus de droits que ne leur reconnaît la société. Ainsi, se note une réelle volonté de promotion sociale qui ne s’obtient plus par les codes traditionnels sociaux, comme la descendance lignagère ou le rang dans la hiérarchie sociétale, mais la plupart du temps, par l’argent et, par ricochet, l’état de migrant. La migration internationale a permis à certaines femmes migrantes de disposer de moyens financiers conséquents pour envoyer leurs filles dans les meilleures écoles. Certaines femmes migrantes qui ont toujours été confrontées à des difficultés dans le pays d’accueil, en particulier, pour la recherche d’un emploi, mesurent aujourd’hui l’importance de l’instruction et encouragent les filles à aller à l’école.
L’influence de la migration se note aussi à travers les types visibles de consommation urbaine comme les achats alimentaires et les comportements vestimentaires. La frustration vient du côté vestimentaire comme illustrés par les propos de Dramé, un émigré en vacances au pays en ces termes : «certaines jeunes filles migrantes et même certaines épouses d’émigrés en vacances au village ont délaissé les tenues traditionnelles et revêtent plus de tailleurs ou de pagnes courts et serrés, accompagnant la mode pas trop appréciés par la communauté» (Dianka, 2008). Au niveau de la consommation courante, on note que la plupart des ménages des migrants internationaux sont dotés de l’électricité, de l’eau courante, du téléphone et de matériels électroniques (télévision, magnétoscope, etc.). Enfin, la notion de confort est venue renforcer l’évolution des comportements sociaux dans les sociétés de départ.
La migration internationale féminine individuelle tend à devenir aujourd’hui un fait de société dans les aires de départ et son impact sur le statut de la femme sénégalaise est considérable. Elle a permis à certaines d’entre-elles d’endosser le rôle des chefs de ménage avec ou sans conjoints. Cette nouvelle responsabilité acquise par les femmes vient bouleverser le schéma organisationnel des ménages qui attribuait la chefferie aux hommes.
ÊTRE FEMME MIGRANTE ET CHEF DE MÉNAGE AU SÉNÉGAL
Au Sénégal, les femmes occupent une place primordiale dans l’économie nationale. C’est grâce à leurs activités économiques qu’elles épaulent les maris dans la quête effrénée de la satisfaction des besoins vitaux et fondamentaux des ménages. La division sexuelle du travail et du mode de fonctionnement des ménages dans les sociétés africaines, dominées par le système du patriarcat, avaient défini les rôles entre les hommes et les femmes. Mais, ce système semble révolu avec l’évolution du temps. Les choses ont évolué et les conditions d’existence deviennent de plus en plus dures en inadéquation avec le développent et la multiplication de tous les besoins crées par la modernité. Les revenus de certains époux sont loin de suffire et les femmes sont de plus en plus contraintes à assumer de lourdes responsabilités et à avoir beaucoup d’autonomie. Mencher cité par Bissilliat (1996) a constaté quatre facteurs permettant de définir le chef de ménage: l’autorité, la prise de décision, la principale contribution économique au foyer, le contrôle et la garde des enfants.
A ce propos, une analyse plus fine du rôle de ces femmes autorise à penser que leur nombre est aujourd’hui fortement minoré par les analyses et les projections démographiques. La montée du chômage accentuée par la crise économique et la fermeture de nombreuses entreprises ont touché beaucoup d’hommes, chefs de ménage, qui ont fini par déléguer aux femmes ce qui leur revenait de droit dans la société sénégalaise. Ces situations conjoncturelles qui ont fortement ébranlé l’autorité « économique et morale » des hommes dans les ménages, ont réduit la portée de leurs responsabilités en leur sein. Elles ont provoqué, entre autres effets notoires, une plus forte responsabilisation des femmes et un accroissement de leurs fonctions symboliques et/ou réelles. L’ingéniosité de ces actrices sociales à trouver des solutions précaires, au fonctionnement des unités domestiques, leur confère de réelles responsabilités. La gestion conjointe du pouvoir à re-profilé les rôles et les statuts sociaux au sein même de la famille, voire, de la société sénégalaise (Bop, 1995).
Ce phénomène de femmes, chefs de ménage, prend aujourd’hui beaucoup d’ampleur dans nos sociétés. Ce constat s’explique par le fait que « la situation de migration a conduit les femmes qui migrent ou dont les maris migrent, à assumer le rôle de chef de ménage. La hausse des migrations aussi bien masculine que féminine s’est traduite par une augmentation du nombre de foyers dont le chef est une femme. Le pouvoir économique dont dispose la femme est l’un des critères qui peut dans certains cas lui conférer le rôle de chef de ménage. Il s’agit du membre du ménage le plus actif sur le marché du travail mais aussi la personne qui prend l’essentiel des décisions pour les autres membres du ménage (Bissiliat, 1996).
Dans les années 1990, le caractère économique de la migration féminine devient plus visible. Oso, (2000) révèle que : « la migration féminine s’inscrit dans un processus de transfert international du travail reproductif, processus parallèle à l’internationalisation des activités productives au niveau mondial. Ce phénomène est en phase avec l’augmentation dans la planète des femmes chefs de famille (c’est-à-dire les foyers qui sont soutenus économiquement par des femmes). Le nombre de foyers dirigés par des femmes augmente au cours des dernières décennies comme l’indiquent les statistiques des Nations Unies, voire sont sous-estimés compte tenu du fait d’une absence de reconnaissance sociale, juridique et par conséquent, statistique du phénomène des femmes chefs de famille. Le développement de courants migratoires de caractère féminin est étroitement lié à ce phénomène qui se développe sur les cinq continents. L’insertion des femmes immigrées dans le marché du travail des pays d’accueil répond souvent à une stratégie de survie de l’unité domestique de sorte que la femme devient le principal fournisseur de l’économie familiale dans trois situations types: en tant que pionnière de la migration, envoyant de l’argent à la famille restée au pays; en tant que principal acteur économique de la famille regroupée dans le pays d’accueil du fait du chômage ou de la maladie du conjoint; enfin, en tant que chef du foyer monoparental (femme séparée, divorcée, veuve ou mère célibataire)».
Boulahbel-Vilac (1991) note qu’«il faudrait ajouter à cette typologie l’existence de stratégies migratoires d’émancipation de femmes qui fuient des environnements sociaux qui leur sont défavorables et qui présentent des profils sociologiques similaires aux femmes chefs de famille. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes. Les transformations sociales et familiales que connaissent les pays du Tiers Monde donnent à voir des configurations familiales très hétérogènes et complexes, contrairement à l’image d’Épinal de la famille patriarcale, qui se reproduirait dans le temps à l’identique. Une manifestation de ces changements porte sur l’évolution des sujets de recherche portant désormais sur les rapports conjugaux et la répartition des rôles féminins et masculins qui s’avèrent dépasser les cadres de la famille patriarcale, soumise à des transformations socio-historiques propres à chaque pays du pourtour méditerranée. Par ailleurs, le modèle de la famille patriarcale communément décrite ne peut concerner l’ensemble des pays africains. Des différences socio-culturelles induites par des histoires et des représentations sociales inhérentes à chaque société perdurent…».
Néanmoins, le phénomène des femmes, chefs de famille intéresse de nombreux chercheurs de pays d’Afrique ouverts de plus en plus aux travaux portant sur les migrations féminines, aidées en outre par les programmes de recherche internationaux sur les femmes et le développement. Lescligrand (1999) avance que « dans différents pays d’Afrique, aux modèles dominants de migration concernant les femmes à savoir les migrations matrimoniales (les femmes quittant leur village pour se marier) ou les migrations familiales (les femmes rejoignant leur mari, parti dans une ville ou à l’étranger), s’ajoute la réalité et le développement des migrations économiques : la migration économique urbaine concerne différentes catégories de personnes, les jeunes filles, les femmes divorcées ou les femmes veuves. Les femmes chefs de famille le sont soit en raison de l’absence des conjoints émigrés dans les pays développés, soit en raison de l’incapacité du conjoint (maladie, chômage durable) soit enfin en raison de l’absence totale de conjoint (décès, famille monoparentale)».
Lazaar (1995) remarque que «s’agissant des migrations externes, on peut prendre l’exemple de l’émigration féminine marocaine qui touche des milieux sociaux différents: de jeunes diplômées, (en 1996, le Maroc compte 230 000 chômeurs diplômés, candidats potentiels à l’émigration), des célibataires, des veuves, des divorcées et même des femmes mariées qui laissent leur mari au Maroc pour contribuer à l’économie familiale à partir de l’étranger. Plusieurs milliers de femmes ont dès lors, pris la route des pays arabes et européens plus particulièrement l’Espagne à la recherche d’un emploi mieux rémunéré. Cette arrivée de main-d’œuvre peu coûteuse coïncide en Péninsule Ibérique notamment avec l’essor d’entreprises à économie souterraine. Certaines migrations de femmes marocaines en Espagne sont exclusivement individuelles et une part vient grossir les rangs du commerce de la prostitution (jeunes filles célibataires, femmes mariées ou divorcées)». Les mutations intervenues dans la société marocaine ont eu des répercussions directes sur la condition des femmes à l’instar du Sénégal où le rôle et l’engagement des femmes dans la gestion des ménages se sont accrus.
Elles ont acquis de nouvelles responsabilités jadis conférées aux hommes comme le statut de chef de ménage. D’après la Direction de la Prévision de la Statistique (Sénégal, DPS, 1992)), les résultats de l’enquête nationale au Sénégal révélaient que 22,5 % des ménages urbains comptaient une femme, chef de famille contre 16 % dans le milieu rural. Cette évolution rapide s’explique essentiellement par l’augmentation du divorce, du veuvage de la migration du mari, combiné à d’autres facteurs tels le chômage et la précocité des divorces chez les jeunes couples. Le pourcentage des femmes chefs de ménage plus nombreux en milieu urbain est passé de 19 % en 1988 à 27 % en 1994. Mbodji (2002) souligne que le rôle de chef de ménage est de plus en plus joué par les Africaines et les Sénégalaises, du fait des réalités de l’économie de crise actuelle, de la fréquence du divorce et du veuvage, de la migration des hommes, de l’urbanisation, du développement de l’éducation des femmes, ainsi que du début d’un processus d’émancipation des femmes à travers divers canaux. A l’instar de l’évolution mondiale, de plus en plus de ménages (20% au Sénégal) sont dirigés par des femmes, surtout en milieu urbain. Mais ces dernières, privées de conjoint, seules avec les enfants ou d’autres membres de la famille à charge, et ne disposant pas suffisamment de ressources, sont plus exposées aux risques de pauvreté.
Charbit et Petit (1996) notent qu’«à l’heure actuelle, les différentes enquêtes conduites sur les migrations féminines révèlent un facteur explicatif important de l’existence des chefs de famille: des structures familiales affaiblies, une précarisation du statut social des femmes (veuve, divorcée…) et une situation économique dégradée dans les pays d’émigration».
Depuis le milieu des années 1990, des collaborations européennes sur ce sujet se multiplient. Les pays de l’Europe du Sud (Italie, Espagne, Portugal, Grèce) en tant que pays d’immigration sont concernés par ce phénomène, significatif à la fois de la réalité vécue par ces pays, de la transformation des migrations ainsi que de la visibilité des migrations féminines (Bissiliat, 1997). Plusieurs travaux sont consacrés à cette problématique (Anthis et Lazardis, 2000).
Le syndrome et le mythe de la femme au foyer ont fait oublier aux spécialistes de la planification, les problèmes de celle qui subvient à ses propres besoins. Pourtant, il n’en demeure pas moins vrai que les familles qui ont à leur tête une femme ne font plus figure d’exception, tant dans les pays développés que dans ceux qualifiés de sous-développés. Certaines femmes qui se trouvent placées dans une situation de chef de ménage, suite généralement à des divorces, du décès ou du chômage des époux, sont contraintes de trouver des moyens pour nourrir leur famille. Dans un contexte de récession économique et de pauvreté qui sévit en Afrique et au Sénégal, les femmes migrantes jouent un rôle capital dans une stratégie de survie visant à améliorer la situation socio-économique du foyer. Elles sont tenues d’assumer de nouveaux rôles, comme celui de chef de ménage. En général, celui-ci s’exerce dans des conditions de travail et de vie particulièrement précaires et dures que ces femmes rencontrent au quotidien, dans la mesure où leur rôle économique est largement déprécié par les institutions des pays de départ et les acteurs sociaux.
Les études sur le genre se fondent généralement sur l’hypothèse d’une discrimination multiforme à l’égard des femmes. Sous sa forme sociale, elle se traduit dans son statut de femme au foyer, confinée principalement aux tâches domestiques et aux soins apportés aux enfants et aux malades, donc dépendantes et sans pouvoir de décision. A ce titre, la femme chef de ménage est appelée à assumer une autorité sur un groupe d’individu et à prendre des décisions importantes collectivement et individuellement sur ces personnes qui sont sous sa responsabilité. L’augmentation du nombre de femmes, chefs de ménage peut augurer l’amorce de mutations sociales profondes dans la place qu’occupent les femmes dans la société sénégalaise. Ce processus du changement dans les mentalités et ses conséquences mérite une attention particulière pour les chercheurs qui ont légué au second plan la mobilité féminine individuelle.
Selon la DPS (Sénégal, DPS, 2004), l’Enquête sénégalaise auprès des ménages (ESAM II) dans sa deuxième phase révèle que sur 1 067 591 chefs de ménage, 207 333 sont des femmes, soit près d’un ménage sur cinq. La proportion de femmes chefs de ménage est variable d’un milieu à l’autre. Par exemple à Dakar, près d’un ménage sur quatre (24,7%) est dirigé par une femme, cette proportion est plus forte dans les autres villes (30,4%) et plus faible au milieu rural (13,0%). La faible proportion de femmes, chefs de ménage en milieu rural tient certainement aux structures traditionnelles encore vivaces dans les noyaux familiaux et à la plus grande résistance des ruraux face aux changements de mentalités pourtant indispensables à leur promotion économique et sociale. C’est, qu’historiquement, le statut de femme au foyer a longtemps été ancré dans les mentalités, par respect de l’ordre établi de la société agricole traditionnelle qui ne concevait l’indépendance et la liberté des femmes que dans les limites prédéfinies et culturellement acceptables. La forte présence de femmes, chefs de ménage dans les autres villes pourrait s’expliquer par la prédominance de la migration urbaine vers Dakar qui touche plus les hommes que les femmes. En effet, la DPS (Sénégal, DPS, 2002) à partir de l’Enquête 123 révèle que sur 10 migrants de l’agglomération urbaine de Dakar, près de six proviennent d’une ville de l’intérieur et un de l’étranger. Toutefois, il y a lieu de souligner que la proportion de femmes, chefs de ménage tient au fait que ce concept est défini au sens large, incluant toutes les femmes à la tête d’un ménage, y compris celles qui dirigent les leurs, parce que le mari est temporairement absent. Il s’agit des femmes issues d’un ménage polygame ou les épouses des migrants.
On fait abstraction des critères comme le pouvoir économique et la prise de décisions qui doivent entrer en ligne de compte dans une définition du concept de chef de ménage qui se veut rigoureuse. A ce propos, les résultats de l’Enquête Sénégalaise Auprès des Ménages (ESAM) réalisée par la DPS (Sénégal, DPS, 2002) sont instructifs. Ils indiquent que 70% des femmes sont déclarés chefs de ménage de droit, ce qui signifie que 3 femmes sur 10 sont des polygames qui assument ce rôle du fait de l’absence temporaire de leur mari. Le phénomène de femmes chefs de ménage est également important en Asie et en Amérique Latine car d’après l’OIM (2002), 30% de femmes le sont dans cette partie du monde. En effet, les femmes sont davantage touchées par la globalisation parce qu’elles sont nombreuses à intégrer le marché international du travail. D’autre part, elles subissent de manière indirecte les effets négatifs de la migration de leurs maris ou les effets de la dégradation constante de leur environnement. Il faut remarquer que dans cette partie du monde, les femmes sont au centre des principales décisions qui engagent la famille. Par exemple, l’absence du père est historique, soit à cause de l’émigration de celui-ci ou parce que les hommes n’assument pas souvent leurs responsabilités et obligations paternelles ni celles du mariage.
CONCLUSION
La migration internationale féminine est en constante évolution au Sénégal et elle n’épargne aucun groupe ethnique et religieux au cours des trois dernières décennies. Elle s’explique par un contexte local marqué par les mutations et les changements qui se sont opérés dans les rapports de genre au sein des ménages sénégalais et les dures conditions d’existence des aires rurales et urbaines. La mobilisation des ressources pour la survie des ménages est le principal motif qui explique le départ des hommes et des femmes. Elle se aussi caractérise par la jeunesse de ses membres et elle répond à une demande croissante du travail dit féminin à l’échelle mondiale. L’arrivée des femmes sur la scène migratoire s’est accompagnée d’une redéfinition ou d’une redistribution des rôles dans les rapports hommes et femmes dans les ménages. Elle est parfois source d’une vraie déstabilisation sociale et d’une remise en cause des attributs sociaux de base dans les aires de départ. Elle a aussi favorisé des conflits et des tensions sociales. Les rares travaux en cours et qui ont sur les rapports de genre et la migration sont plus accentués sur le rôle que jouent les femmes dans la migration. En Afrique, l’histoire de la condition féminine des rapports entre hommes et femmes-en clair, l’étude de la place des femmes dans la société sénégalaise et de l’évolution de leur rôle est récente. Pendant longtemps, en Europe la société industrielle, à l’époque n’était pas prête à employer la main-d’œuvre la moins coûteuse, l’idée semble avoir pris une autre tournure. Une grande partie du travail quotidien est effectuée par les femmes. Dans ce cadre, une étude de la condition de vie des migrantes s’avère indispensable pour mieux comprendre les stratégies déployées dans le pays d’accueil grâce aux structures mises en place par les migrantes à travers les réseaux de solidarités. L’étude du genre dans les sciences humaines marque le passage de l’étude des femmes en migration à celle du genre et de la migration, de la migration entendue dans son acception classique (le fait de se mouvoir d’un espace d’origine à un espace d’accueil et de s’y installer pour une durée plus ou moins longue) à des formes différentes, plus variées de déplacements: migrations, circulations, va-et-vient que nous englobons sous le terme «mobilités». La mobilité faisant également référence au passage d’un statut ou d’une position sociale à une autre dans la hiérarchisation sociale, que nous pouvons rapprocher des changements/reconfigurations des rapports sociaux de sexe.
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Pour citer cet article
Référence électronique
Daouda Dianka (2016). «Migrations féminines et évolution du rapport de genre en milieu sénégalais». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (3) 2. Mis en ligne le 25 décembre 2016, pp. 15-25. URL: http://laurentienne.ca/rcgt
Auteur
Daouda DIANKA
Géographe
Enseignant Agréé de l’Ontario (EAO)
Toronto, Canada
Courriel:Dianka.daouda@gmail.com