Mineral resource curse: Mounana, from a potentially rich village to a ghost town
Jean-Kevin Aimé TSIBA
Résumé: L’activité minière génère d’importants capitaux. Cependant ces capitaux profitent plus à l’entreprise qu’à la région d’exploitation, surtout lorsque celle-ci se trouve dans un pays en développement. Cela signifie que cette localité hérite plus des externalités négatives comprises comme une exploitation abusive du milieu, de la population et la stagnation économique. Le poids de cette analyse se comprend mieux en utilisant la thèse sur la malédiction des ressources. Au Gabon, la situation de Mounana attire notre attention. Cette localité est d’ailleurs à l’image du pays tout entier qui sombre quelque peu dans la pauvreté, alors qu’elle a un sous-sol immensément riche. L’exploitation passée de l’uranium, par la Compagnie des mines d’uranium de Franceville de 1961 à 1999, n’a pas grandement profitée à la région. L’analyse des conséquences de l’exploitation sur ce milieu révèle d’importants griefs qui justifient l’échec d’une politique minière vouée à l’exportation.
Mots clés: Malédiction des ressources, uranium, pollution, paupérisation, Gabon
Abstract: Mining activity generates significant capital. However, this capital benefits the business more than the operating region, especially when it is in a developing country. This means that this locality inherits more negative externalities understood as an abusive exploitation of the environment, the population and economic stagnation. The weight of this analysis is better learned by using the thesis of the resource curse. In Gabon, the situation of Mounana draws our attention. This locality is also in the image of the whole country which sinks somewhat in poverty, while it has a very rich mineral. Past uranium mining by the Compagnie des mines d’uranium de Franceville from 1961 to 1999 did not greatly benefit the region. The analysis of the consequences of exploitation on this environment reveals important grievances that justify the failure of an export mining policy.
Keywords: Resource curse, uranium, pollution, impoverishment, Gabon
Plan
Introduction
L’adaptation du concept de malédiction des ressources à Mounana
L’existence des externalités négatives à Mounana : un constat alarmant
Le morcellement de l’environnement
De la pollution à la radioactivité : un environnement en danger
Mounana : d’une ville minière à une ville fantôme
L’État et les facteurs à la base de la malédiction des ressources à Mounana
Une économie basée sur la rent-seeking (rente minière)
Les effets des contrats dits léonins
La forte imposition des prix
L’absence d’institutions étatiques fortes
Conclusion
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INTRODUCTION
En Afrique, la majorité des pays, dont le sous-sol bénéficie d’une importante concentration des ressources minérales, s’est adaptée au fil des années à une économie de rente, c’est-à-dire un système économique dépendant de l’industrie extractive. Souvent de telles économies paraissent très peu compétitives du fait de la volatilité des prix des ressources sur le marché. C’est donc un système moins rassurant qui laisse les pays dans une situation inconfortable. Cependant, les éléments les plus déplorables générés par l’industrie extractive restent les externalités négatives, comprises comme l’ensemble des mauvaises conséquences engendrées par les minières dans les régions exploitées. Denault, Abadie et Sacher (2008) les qualifient de «coûts d’ordres sociaux, humains ou environnementaux qui sont en cause dans les processus de production, mais que les sociétés n’ont pas à assumer dans leur comptabilité. Ils sont les stigmates du profit, mais en autant que d’autres, seulement, les portent.» Au Gabon, l’état de la ville de Mounana, située dans la région du Haut-Ogooué, semble confirmer cette réalité. En effet, la cité née de l’exploitation de l’uranium par la Compagnie des Mines d’Uranium de Franceville (COMUF) trainerait d’importants impacts laissés par une industrie apparemment moins impliquée dans la gestion durable du milieu. Depuis l’arrêt des activités en 1999, après 40 ans d’extraction ininterrompue, Mounana est rentrée dans un état de dégradation qui tend à la confirmation du concept de la malédiction des ressources naturelles.
Cet article dont l’objectif est de montrer comment Mounana a subi les conséquences néfastes d’une industrie tournée vers l’exportation, s’articule autour de trois interrogations : Que peut-on retenir des externalités négatives considérées comme la conséquence de l’indifférence de la COMUF face à l’environnement de Mounana ? En quoi est-ce que la cité uranifère d’autrefois ressemble-t-elle désormais à une « ville fantôme? » Quels sont les mécanismes adoptés par l’État gabonais, à l’époque de l’exploitation, à mettre au crédit des facteurs structurant la malédiction des ressources naturelles dans cette localité ?
Pour en arriver à une conclusion, des enquêtes participatives in situ ont été menées en dehors de la consultation de quelques archives. Cette démarché a permis de ressortir un portrait global de la ville de Mounana et de situer respectivement les responsabilités de la COMUF et de l’État gabonais.
L’ADAPTATION DU CONCEPT DE MALÉDICTION DES RESSOURCES À MOUNANA
Quelle expression paradoxale à première vue ! Naturellement, on est tenté de croire que les ressources naturelles sont une bénédiction absolue pour la région qui en recèle et partant pour le pays tout entier. On pense d’ores et déjà aux potentiels investissements colossaux à venir. Cela dépendra, bien entendu, de l’importance des ressources économiquement exploitables et des objectifs assignés par les investisseurs. En même temps, l’installation de l’industrie minière peut constituer un effet multiplicateur du point de vue de l’augmentation de la population et du développement de la localité. Ce serait, peut-on dire, le socle sur lequel le système des investisseurs devrait se satisfaire au nom du profit à générer et du développement local à réaliser. Cette analyse rejoint celle de Gilles Carbonnier (2007), lorsqu’il déclare que « les Investissements Directs à l’Etranger dans le secteur extractif et les recettes d’exportation devraient contribuer ipso facto au développement économique, conformément aux théories selon lesquelles l’apport de capital représentait la clé de voûte des stratégies de développement ». Malheureusement, l’observation de nombre de régions dont le sous-sol est riche ne donne presqu’aucun véritable motif de satisfaction. Car, les populations et l’environnement se trouvent légués consciencieusement aux antipodes des bénéfices générés par l’exploitation de la ressource locale. Les exemples des bouches du fleuve Niger au Nigeria, riche en hydrocarbures, et celui de l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), pourvue en ressources minières de tout genre, sont largement démonstratifs d’un chaos environnemental et humain. En effet, ces régions sont, d’un côté, gangrénées par des groupes de rebelles qui terrorisent les populations et les entreprises en concession, et, d’autre côté, abandonnées par les pouvoirs publics de même que les entreprises du point de vue de leur développement proportionnel à l’exploitation des ressources. En conséquence, on y observe l’installation durable et anormale du spectre de l’insouciance aussi bien par les entreprises expatriées que par l’État qui semble oublier ses responsabilités régaliennes.
La compréhension de ce concept conduit également à établir, avec Jeffrey D. Sachs et Andrew M. Warner (1997) « une corrélation négative entre l’abondance en ressources naturelles et la croissance du PIB. » Selon eux, la majorité des pays ayant une plus grande quantité de ressources tendent à se développer moins vite que les autres. Cela est semblable à une « malédiction » du fait que les ressources deviennent comme des obstacles à leur croissance (Christophe, 2012). Ils confirment cette théorie en établissant les écarts entre le ratio des exportations en ressources naturelles sur le Produit National Brut (PNB) et la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) réel dans certains pays naturellement riches (cf. figure 1).
Source : Sachs et Warner, 2001
Figure 1 : Corrélation négative entre ressources naturelles et croissance du PIB
La théorie de la malédiction des ressources ne doit pas se cantonner uniquement sur la croissance du PIB ou du PNB. Elle doit être également applicable sur le développement humain. Ces mots sont de Bulte et al. (2005). Il ajoute que « l’abondance en ressources naturelles serait aussi corrélée négativement avec le niveau de développement humain (IDH) ». C’est justement cette comparaison entre le développement humain et la quantité des ressources naturelles qui attire notre attention. Un rapprochement est directement fait entre l’homme pris dans son milieu de vie naturel ayant une réalité économique façonnée par l’exploitation des ressources de son biotope. Disons que plus les entreprises font des bénéfices, plus l’environnement se métamorphose et plus encore la population se paupérise. Une sorte de délitement ininterrompu s’installe, expliquant la corrélation négative insufflée par l’entreprise aux ambitions « capitalisantes » sur la région d’où elle tire l’essentiel de son profit. La plupart du temps, les localités exploitées héritent d’un environnement néoformé découlant d’une fragmentation rapide et brutale du géosystème initial par l’activité générateur de capitaux dont l’essentiel des bénéfices est perçu ailleurs. À ce propos, Christophe V. (2012) souligne que « la malédiction des ressources désigne une situation dans laquelle un pays dispose d’un secteur des ressources naturelles tourné vers l’exportation, qui génère de substantielles recettes publiques mais qui, paradoxalement, engendre stagnation économique. » La situation de Mounana, ville située dans le sud-est du Gabon, dont le sous-sol autrefois riche en oxyde d’uranium n’est pas des plus optimisantes en Afrique. Elle en vient presqu’à confirmer le bien fondé du concept de malédiction des ressources. C’est d’ailleurs à l’image du pays tout entier qui occupe de loin la 111ème place dans le classement de l’Indice du Développement Humain du PNUD. Ce classement amène à dire que le Gabon est dans un goulot d’étranglement alors que le pétrole, le bois, le manganèse et bien d’autres ressources naturelles structurant le sous-sol sont régulièrement exploitées depuis plus d’un demi-siècle. Pour une population d’à peine 1 800 000 habitants, le Gabon aurait pu être un eldorado africain.
L’EXISTENCE DES EXTERNALITÉS NÉGATIVES À MOUNANA : UN CONSTAT ALARMANT
Le morcellement de l’environnement
Les installations minières se traduisent très souvent par la déforestation, le déplacement forcé des populations, la pollution et d’autres atteintes graves à l’environnement (Gilles, 2007). Par cette phrase, Gilles Carbonnier exprime une confirmation des faits vécus dans la majorité des zones d’exploitations minières à travers les pays en développement. Il soutient que l’activité minière a toujours métamorphosé le milieu, lorsque les mesures de précaution sont inexistantes ou lorsque la réhabilitation n’est pas d’un niveau requis. Le paysage de Mounana en est une parfaite illustration, et ce malgré une réhabilitation sélective réalisée et défendue par AREVA à travers sa filiale COMUF. La réalité est telle que les impacts de l’exploitation sont toujours visibles sur l’essentiel des sites, 18 ans après l’arrêt des activités.
Rappelons que l’exploitation de l’uranium de Mounana a commencé véritablement en 1961. À cette époque les problématiques environnementales étaient loin d’animer sérieusement les débats. Le monde faisait plutôt face au paradigme de l’épuisement des richesses, dont la limitation de la production comptait parmi des propositions admises dans la mesure de la longévité des gisements circonscrits. D’autres regards se penchaient vers la multiplication des démarches exploratoires afin d’augmenter le capital réserves mondiales. Ces idées soutenues par le club de Rome en 1972, sont appuyées par Elikia Mbokolo (2016) lorsqu’il déclare sur les antennes de Radio France Internationale (RFI) qu’au « début des années des indépendances et tout au long des années 1970, la question de l’environnement n’était pas encore une question préoccupante, du moins au début des années 1960. » À cet effet, aucun intérêt ne pouvait donc conduire la COMUF à s’inviter dans une problématique non préoccupante et dépensière à l’époque de son installation à Mounana. Raison pour laquelle, au début de l’exploitation, les déchets miniers étaient déversés dans la nature par l’entreprise. D’ailleurs ces pratiques ont eu court le plus longtemps possible, malgré la prise de conscience mondiale progressive sur des questions concernant la gestion durable de l’environnement à partir des années 1970. Jacques Iltis (992) établit ce réveil mondial dès 1970, lorsqu’il déclare « qu’à partir du milieu des années 1970, des normes d’exploitation respectant l’environnement ont été appliquées progressivement aux mines en activité et exigées, de toute manière, par les pouvoirs publics préalablement à toute ouverture, au moment de la délivrance du permis d’exploitation. » Le Gabon emboite véritablement le pas dans les années 1990. Le 16 juillet 1993 le Président de la République promulgue la loi 16/93, portant « code de l’environnement » du territoire Gabonais, après son adoption par les deux chambres du parlement, à savoir l’assemblée et le sénat. Cependant, malgré la promulgation de cette loi et la visibilité des questions environnementales dans le monde, la COMUF ne ménagea aucun effort allant dans le sens du strict respect du milieu, étant donné la dangerosité évidente de l’uranium exploité. L’uranium est connu pour ses effets radioactifs très nuisibles à la santé humaine et animalière. Son exploitation nécessite donc obligatoirement des mesures de précautions nécessaires et efficaces afin d’épargner l’environnement de l’éparpillement des radionucléides. Ce comportement n’est pas à négliger, surtout lorsque l’activité se déroule en découverte. Mounana a connu une exploitation bimodale. Certains gisements furent exploités à ciel ouvert à travers des carrières profondes et grandement déployées. Il s’agit par exemple des carrières de Mounana et Oklo. D’autres gisements, par contre, ont connu une exploitation souterraine sous forme de galeries, dont Boyindzi, Oklo mine et une partie de Mounana. Cependant on retiendra que ces deux modes d’exploitation n’ont pas fabriqué un milieu sain. Mounana a plutôt reçu en héritage un environnement empoisonné selon le constat établit par Dominique Hennequin.
S’agissant de l’exploitation en découverte, le regard est tourné particulièrement vers la fragmentation physique du milieu qui tranche désormais avec le paysage séculaire (Tsiba, 2014). En effet, la COMUF procédait, comme il en est partout ailleurs, par le décapage des morts-terrains et des volumes importants des roches stériles constituées en dépôts successifs avant d’accéder au minerai de valeur. Cette technique conduit au creusement d’excavations profondes donnant à travers le site un complexe de la balafre composé d’un côté des carrières Mounana et Oklo-Carrière et de l’autre côté des lacs de la Ngamamboungou, de Mounana et de la Mitembé (photo 1). Ces scarifications profondes et bien étendues sont considérées comme des friches minières témoins d’une ancienne activité à grande emprise sur le milieu.
Parallèlement, Mounana hérite d’un dédale de galeries creusées dans la roche pour extraire le minerai (figure 2). Oklo-mine, Boyindzi et Mounana (sur sa partie profonde) constituent les gisements exploités en galeries dont l’accès était respectivement garanti par des puits et des tunnels. Bien que l’exploitation souterraine se concilie mieux avec le paysage, du fait de son déroulement en sous-sol, elle reste quand même très dangereuse, à cause particulièrement du risque d’affaissement ou d’effondrement des surfaces au-dessus des cavités. Cependant la COMUF affirme avoir sécurisé ses différents sites avant l’arrêt total des activités. Elle procédait par le bouchage des galeries au fur et mesure de l’extraction du minerai, en injectant les stériles miniers. La population n’est soumise à aucun risque d’affaissement quelconque dans le court, le moyen et le long terme, dit-elle.
Source : COMUF Source : J.-K.A. Tsiba, 2011
Figure. 2 : Schéma des galeries d’Oklo Photo 1: Vue partielle du lac Ngamamboungou
Toutefois, la réhabilitation de ce territoire est loin d’apporter une résilience optimale de sorte à ramener le paysage à un état proche de son état initial. Ailleurs, la même activité menée par le groupe AREVA a fait preuve d’une réhabilitation réussie. C’est le cas de la commune de Bessines en France dont le réaménagement des différents sites a remodelé proprement le territoire. Malheureusement, le territoire de Mounana totalement dévasté ne peut se prêter à aucune autre activité avant de très longues années. La population locale vivant de l’agriculture traditionnelle sur-brûlis, héritée des générations passées, se voit donc amputer de plusieurs hectares de terres fertiles qui sont désormais classés comme friches minières très dangereuses tels qu’en témoignent des panneaux de signalisation présents sur place (Photo 1). Pour cause la présence de la radioactivité anormalement élevée, alors que la minière n’a de cesse de répéter que « la qualité du réaménagement a été confirmée par quatre missions de l’AIEA effectuées de 2001 et 2006 pour le compte du gouvernement gabonais » (AREVA, 2007). En s’inspirant de ce genre de chaos écologique à partir des territoires des indiens au Canada, Normand Mousseau (2012) parle de l’impact local désastreux de l’exploitation minière. Le territoire exploité porte à jamais les stigmates d’une activité brutale et fragmentaire. Il s’agit là d’une sorte de cercle vertueux pour l’entreprise qui s’est beaucoup enrichie pendant des années, et ce au détriment de l’environnement mounanais qui lui portera des marques indélébiles de cette exploitation le plus longtemps possible (figure 3).
Source: Tsiba J.-K.A, 2014
Figure 3: Le paysage minier de Mounana après réhabilitation
En ce qui concerne les galeries souterraines, contrairement aux arguments avancés par la COMUF, plusieurs éléments montrent l’absence d’une sécurisation totale du site. Il n’est pas surprenant que 18 ans après l’arrêt des activités, l’inquiétude de la population s’est avérée justifiée. En effet, en décembre 2015, il est apparu d’énormes fissures sur la route ralliant la ville de Moanda, la nationale N°3, à la hauteur des galeries d’Oklo-mine (photo 2). Ces fissures sont dues à l’affaissement lent et continu du sol jonché des galeries sous le poids des véhicules. Un phénomène qui vient ainsi contredire la thèse du remblaiement préalable des galeries effectuées par la COMUF avant la fermeture de l’entreprise. Cette thèse suscite d’ailleurs des interrogations s’agissant de l’efficacité du confinement des déchets dans ces galeries en forme de labyrinthe. Les populations locales sont inquiètes. Cette inquiétude a ravivé le débat sur la portée des risques industriels encourus à Mounana. La politique de l’autruche savamment pratiquée par la minière est désormais considérée comme une simple fuite en avant.
Source : Koaci.com, 2015
Photo 2 : Route fissurée entre Mounana et Mda
À contrario, malgré ces faits palpables et désastreux, la COMUF semble ne pas céder à ce qu’elle qualifie de machination calomnieuse contre une entreprise pionnière en matière de réhabilitation environnementale en Afrique subsaharienne. L’entreprise s’appuie sur les travaux de réhabilitation menés sur l’essentiel des sites. Pour elle, ces travaux répondaient strictement au cahier de charge imposé par l’État gabonais. Ce qui sous-entend que l’État doit prendre ses responsabilités, compte tenu des conventions d’établissement liant les deux parties. Plus encore, l’entreprise soutient sa position en ventant la mise en place de l’observatoire de santé, crée pour porter secours aux anciens travailleurs affectés par des pathologies dites minières. L’observatoire de la santé constitue la preuve de la bonne foi de l’entreprise et sa volonté de mettre la population de Mounana dans des conditions de meilleure sécurité.
De la pollution à la radioactivité : un environnement en danger
L’autre phénomène déplorable est la pollution à la radioactivité. Il ressort des études réalisées par le laboratoire de la Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité (CRIIRAD), Médecin du Monde, l’association SHERPA, l’ONG et Brainforest (2010) qu’à Mounana la radioactivité est omniprésente. La raison évoquée est la mauvaise utilisation des déchets miniers et la réhabilitation très approximative de quelques sites sélectionnés pour des raisons non promulguées. La CRIIRAD (2007), affirme que les informations présentées par AREVA concernant l’impact environnemental et sanitaire de ses activités à Mounana ne rendent absolument pas compte de la réalité. « Les relevés effectués sur place en octobre 2007 ont indiqué une radioactivité anormalement élevée tant sur des sites extérieurs (mine de Boyindzi, abords de la digue sur le fleuve Ngamaboungou, berges du fleuve Mintembé, abords de la voie conduisant à la carrière d’Oklo), qu’à l’intérieur des habitations de la cité ouvrière dénommée « cité Rénovation ».» (cf. tableau 1).
Source : Rapport de la CRIIRAD, 2009
Tableau 1 : Mesures radiométriques recueillies sur quelques sites et lieux publiques
Elle s’appuie également sur une thèse soutenue par l’association SHERPA (2007) déclarant qu’il « est apparu qu’un certain nombre de bâtiments et édifices, et non des moindres: la maternité, une partie du camp des infirmiers, la salle de consultations de l’hôpital, l’école de Massango, la dalle et la terrasse du marché soumis à des contrôles de radioactivité ont mis en évidence un niveau de radioactivité de 2000 chocs/seconde. » On pourrait logiquement penser que les populations courent des risques de contamination très graves, d’autant que la radiotoxicité de certains radionucléides a une durée de vie très longue, évaluée à plus de 4 milles années. Cette situation souligne la précarité de l’environnement et soulève en même temps deux interrogations qui semblent essentielles. La première concerne la transparence affichée par l’entreprise dans la gestion des données environnementales et la seconde correspond à l’état de santé des populations, surtout celles des anciens salariés, expatriés comme nationaux, longtemps restés au contact du minerai. Quelques témoignages recueillis dans la ville, lors de nos enquêtes participatives, auprès des habitants et quelques anciens ouvriers encore en vie, concordent à dire que la COMUF a géré en toute opacité tous les risques émanant de l’activité uranifère. Massala, un ancien mineur déclare que : « on a aimé travailler pour la COMUF. Mais on le faisait aveuglement sans savoir des conséquences. La COMUF ne nous a jamais tenu au courant de la dangerosité de l’uranium à partir de sa radioactivité » (2013).
Nous comprenons que même les salariés qui étaient au contact direct du minerai furent mis à l’écart des informations concernant sa dangerosité. À propos de la dosimétrie, par exemple, il apparait que les travailleurs exerçant dans tous les postes au fond des mines disposaient d’un dosimètre individuel, mais si les relevés se faisaient mensuellement, les résultats n’étaient pas communiqués (SHERPA, 2007).
Le docteur Angélique Kombila, médecin de l’entreprise jusqu’en 2004 précise que le service médical ne recevait pas les résultats après analyse dans des laboratoires occidentales, par suite du refus du service de radioprotection de les transmettre (SHERPA, 2007). Beaucoup de griefs de cette nature confirment le laxisme volontaire pratiqué par la COMUF face à la protection de ses salariés. Un ancien ouvrier de l’usine, nommé Alphonse, interrogé sur place affirme qu’« ils se sont rendus compte beaucoup d’années plus tard, malheureusement, que la COMUF a fait preuve d’une absence d’éthique environnementale et d’un manque d’humanisme envers ses salariés ». Aussi, il « n’existait aucune procédure de consignation ; pas de fiche de nuisance par employé ; pas de PICB dans les secteurs de traitement mécanique du minerai ; pas de mesure de protection individuelle suivant les postes de travail. » (SHERPA, 2007).
Un autre témoignage aborde dans le même sens et critique l’indifférence de l’entreprise. En effet, « de 1977 à 1980, je travaillais en maintenance des installations en milieu minier. Il n’existait pas pour le service de maintenance une tenue exigée. Nous descendions dans les mines soit en short et T-shirt avec le casque et les bottes soit avec une combinaison. De 1981 à 1991, je travaillais en usine, il n’existait pas de tenue exigée, ni d’exigence de port de tenue spéciale pour des travaux à risques (exemple, changement des filtres à manches, remplacement des toiles de filtration, etc.) et rien n’a été mis en place pour assurer un minimum de protection individuelle aux employés. Nous étions en tenue de ville ou short et baskets » (SHERPA, 2007).
En revanche, la radioactivité ambiante relevée dans la ville est imputable à la promiscuité des habitations aux différentes carrières minières. Les cités minières construites pour loger les salariés sont jugées proches des différents sites. Une situation qui expose les populations à des radionucléides soumis aux forces du vent (cf. figures 4 & 5). Toutefois, il s’est avéré également que parmi le nombre de bâtiments constituant ces cités dortoirs, certains édifices et lieux publics ont été construits à bases des matériaux extraits des gisements, qu’il s’agisse du sable ou du gravier. Une thèse accréditée par le Centre National de Prévention et de Protection contre les Rayonnements Ionisants (CNPPRI), l’organe gabonais de régulation des rayonnements ionisants. Pour référence, à travers la cité Rénovation, la majorité des bâtiments sont radiologiquement marqués, attendant leur démolition prochaine (cf. photo 3).
Source : J-K.A. Tsiba, 2013
Photo 3 : Un bâtiment radiologiquement marqué
Soulignons que, ce contexte local de pollution et de fragmentation paysagère, confirme bien la théorie sur l’existence des externalités négatives dans des territoires soumis à l’exploitation minière. Bolya (2002) décrit ce comportement abusifs des entreprises sur les peuples locaux et démunis en s’inspirant des pratiques blâmables perpétrées par certaines industries minières canadiennes expatriées dans des pays en voie de développement. Selon lui, des sociétés de droit canadien « peuvent souiller les nappes phréatiques au point de rendre toxique pour des décennies le seul point d’eau dont bénéficiaient jadis des communautés, envelopper de poussière les populations jusqu’à les rendre malades, transformer en va-nu-pieds les Africains qui vivent depuis des générations sur des gisements récemment acquis, brutaliser les ouvriers, ensevelir vifs des mineurs récalcitrants ou bouleverser des équilibres sociaux séculaires (…) Les conséquences ne sont jamais considérées dans les données comptables et sont donc inexistantes pour ces dernières. Pis, les externalités sont la condition même d’un profit rapide et spectaculaire. Elles sont le prix de la prospérité. » Mounana en fait véritablement les frais comme nous l’avons vu. Ce qui revient à dire que dans les perspectives d’un développement durable, le territoire minier mounanais devrait être érigé en un no man’s land, question de sécuriser les écosystèmes environnants. Cela éloignerait également des populations des contaminations directes ou indirectes par inhalation et par digestion.
Source : Jean-Pamphile Koumba, 2009
Figure 4 : Urbanisation de Mounana traduisant la promiscuité des habitations aux différents sites miniers
Source : Brainforest, 2010
Figure 5 : La promiscuité des mines près des activités des populations
MOUNANA : D’UNE VILLE MINIÈRE À UNE VILLE FANTÔME
Par définition, est considérée comme ville minière, une commune totalement inféodée à une entreprise exerçant dans l’extraction des mines. C’est donc une cité construite pour loger la main-d’œuvre au service de la mine. Mounana répond parfaitement à cette définition, du fait que son peuplement soit majoritairement tributaire de l’attractivité exercée par la COMUF pendant sa période rayonnante. La population a augmenté dès que l’entreprise a lancé sa production en 1961, alors que la localité était considérée comme un petit village de moins de 200 habitants. La COMUF a constitué un effet de levier qui a fait naître une ville-champignon dont le nombre d’habitants a atteint rapidement les 12 000 dans les années 1990. Cette thèse a été confirmée par Faustin Ombanda Ondamba (2000) et Jean-Kevin Aimé Tsiba (2014). Cette croissance exponentielle s’est fait au détriment de certains villages aux alentours qui ont connu un dépeuplement mais aussi des régions voisines, voire de la République du Congo.
Cependant, à partir de 1999, une saignée démographique s’empara de la localité, suite à la fermeture de la mine à cause de l’épuisement des réserves économiquement exploitables. La population mounanaise est passée de 12 000 habitants en 1999 à moins de 6000 selon le dernier Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) effectué en 2013. La ville-champignon d’autrefois qui va perdre sa population prend progressivement l’allure d’une ville-fantôme fortement gangrénée par le mal de vivre en raison de l’absence d’une activité économique prospère à même de créer des emplois et de garantir le niveau de vie des populations. C’est d’ailleurs le propre des villes industrielles à travers le monde dont le départ de la mono-industrie laisse derrière elle un désastre. Les villes comme Makabana situées en République du Congo, après le départ précipité de la Compagnie Minière de l’Ogooué (COMILOG) en 1991 de ses terres et Bodie, une ancienne ville aurifère Californienne aux Etats-Unis, pour ne citer que celles-là, accréditent bien cette thèse.
Au Gabon, Mounana constitue un cas d’école qui illustre bien la déconvenue économique et socio-environnementale engendrées par des mines. Aujourd’hui, il ne reste que les ruines d’une activité autrefois rayonnante bien que monopolisante. La politique de restructuration économique locale n’a pas été suivie d’effets escomptés. L’État gabonais, peut-on le dire, a manqué de tact et de réactivité ou de stratégie d’investissement sérieux sur le devenir de la cité du manganèse. Il aurait été intéressant de déployer beaucoup plus d’efforts allant dans le sens de la diversification économique et du soutien par exemple du secteur agricole qui pouvait sortir la commune de l’impasse créée par le départ de son entreprise dominante. Pour la COMUF, le modèle d’industrialisation dans lequel elle a baigné, celui des années coloniales, n’était que bénéfique, d’autant plus que les dépenses relatives au volet social ou urbanistique n’étaient limitées qu’à la construction de quelques infrastructures qui lui étaient profitables. Une sorte de paternalisme social ne profitant pas à la localité. C’est le cas des cités-dortoirs des ouvriers, d’une infirmerie, des aires de jeux et quelques voies urbaines. Les obligations hors minières telles que les investissements dans le développement de la ville n’ont jamais fait l’objet des préoccupations de l’entreprise, prétextant la nature du contrat signé avec l’État.
De cette absence de vision du futur de la cité uranifère découle évidement la paupérisation galopante des habitants traduite (cf. tableau 2). Une conséquence dramatique qui met en cause les responsabilités essentielles de l’État, comme l’encadrement de la croissance urbaine. L’actuelle Mounana est très loin l’époque glorieuse de la COMUF. Le pouvoir d’achat des populations a totalement chuté, renvoyant l’essentiel d’anciens salariés à la traditionnelle agriculture sur-brûlis destinée à nourrir simplement la famille nucléaire. Le fameux paradoxe des pays ou villes minières dont les politiques d’investissements économiques sont axées aveuglement sur l’activité minérale extractive, est une fois encore démontré avec le cas de Mounana. Il s’agit ici d’une sorte de « syndrome hollandais » qui s’était emparé de l’économie hollandaise dans les années 1960 suite à la mise en exploitation des réserves gazières du gisement Slochteren. Les exportations du gaz naturel enregistrèrent de bonnes performances durant des années. Cette performance a entrainé par la suite une récession. Jean-Philippe Koutassila décrit ce phénomène dans un article écrit dans le quotidien anglais « The Economist », parut en 1977 (p.82-83). Il expliqua que la hollande était entrée dans une phase de récession après plusieurs années de bonnes performances économiques : « la part des profits dans le revenu national, qui avait atteint le seuil de 16,8 pour cent en moyenne par an entre 1965 et 1970, ne s’élevait plus qu’à 3,5 pour cent en moyenne par an au cours des cinq dernières années qui ont suivi le premier choc pétrolier. Le taux de chômage, qui ne s’élevait qu’à 1,1 pour cent en 1970, s’établit à 5,1 pour cent tandis que l’emploi dans le secteur manufacturier a chuté de 16 pour cent depuis 1970 » (1998). Cependant le paradoxe vient du point de vue des échanges extérieurs. En effet, le pays enregistra des grandes performances des années durant. Koutassila ajouta que « Le compte courant, dont le déficit annuel était de 130 millions de dollars entre 1967 et 1971, s’est sensiblement amélioré après le premier choc pétrolier pour atteindre un solde excédentaire de 2 milliards de dollars par an entre 1972 et 1976.
Source : Enquête de terrain par l’auteur, 2015
Tableau 2 : Témoignages recueillis auprès de quelques habitants
Ce contraste entre, d’une part, une conjoncture économique interne plutôt recessionniste et, d’autre part, des comptes extérieurs largement excédentaires, concluait « The Economist », est révélateur des symptômes d’un Dutch Disease dont la Hollande aurait été victime à la suite de la hausse des prix du pétrole » (1998).
Le syndrome Hollandais traduit donc cette propension à essayer d’outrepasser des autres secteurs économiques en comptant sur les capitaux rapportés par les exportations minières. Les conséquences sont donc la décrépitude du pays ou de la ville, lors de la baisse des prix des produits sur le marché ou de l’arrêt total des activités.
L’ÉTAT ET LES FACTEURS À LA BASE DE LA MALÉDICTION DES RESSOURCES À MOUNANA
L’assujettissement à la malédiction des ressources de la population du Gabon en général et celle de Mounana en particulier relèverait d’une conjonction de plusieurs facteurs considérés comme d’importants freins au développement. En ce qui concerne ce document, quatre principaux maux ont été recensés. Il s’agit de la politique de la rente minière héritée de la colonisation, des contrats d’exploitation signés avec le pays tutélaire d’AREVA, de l’imposition des prix et surtout de l’absence des institutions fortes au niveau national dans le domaine des mines.
Une économie basée sur la rente-seeking (rente minière)
Commençant par la rente-seeking encore appelée l’économie de rente, ce concept populaire, connut pour son enracinement dans la plupart des économies des pays en voie de développement, ne fait pas exception au Gabon. Les quelques industries gabonaises les plus connues évoluant dans le secteur primaire, c’est-à-dire le pétrole, le manganèse, le bois et anciennement l’uranium sont de type extractives. Notons néanmoins que l’industrie du bois connait une dynamique de transformation locale depuis 2009. C’est aussi le cas du manganèse qui a enregistré entre 2000 et 2014 la construction de deux usines d’agglomération d’une partie des pondéreux et des fines boueuses autrefois épandues dans des cours d’eau comme la Moulili.
Autrement dit, l’industrie gabonaise excelle uniquement dans l’exportation des produits en l’état sans subir une première transformation pouvant apporter de la valeur ajoutée. Cette démarche rentière est presque loin d’apporter satisfaction au développement du pays tout entier étant donné qu’elle n’encourage pas l’industrialisation locale. On peut donc déplorer l’absence considérable d’investissements pouvant s’enraciner à partir de l’extraction jusqu’à la transformation du brut avant son exportation en produit fini. Cela aurait pu vivement encourager les politiques d’investissement en s’attelant par exemple aux industries manufacturières de première nécessité. L’une des conséquences remarquable et permanente est l’inflation des prix de la majorité des produits d’importation par rapport aux rares productions locales.
Les effets des contrats dits léonins
La nature des contrats d’exploitation des ressources signés avec la métropole, c’est-à-dire la France apporte très peu d’avantages à ses anciennes colonies. Ces contrats dits léonins, dont les charges sont supportées par le pays colonisé, furent majoritairement signés avant 1960, l’année de l’indépendance de la plupart des pays sous la domination française. Ils sont établis sur la base des matières premières et sont considérés comme des accords politico-stratégiques. Leur signature relève d’une ambigüité indescriptible, d’autant que les pays concéderaient la mainmise totale de leurs ressources à la métropole. Une monopolisation du pouvoir dont seule la France a le droit de décider sur la possibilité de diversifier les partenaires et les clients. Parmi ces accords on peut citer notamment les fameux « Contrats Secrets » paraphés à la veille des indépendances garantissant les intérêts français dans son cercle colonial. Ces engagements opaques semblent soutenus par des clauses de défenses militaires, lesquels selon Patrick Benquet (2010), « officiellement, il s’agit de venir en aide au président contre une agression extérieure. Mais des clauses secrètes, prévoient que la France interviendra également si le président est contesté à l’intérieur de son propre pays. » Ambroise Ebonda allant dans le même sens soutient qu’en signant, en 1961, des « Accords de Défense » avec des nouveaux pays indépendants, la France a cherché à garantir son accès aux précieuses matières premières, d’autant que l’ancienne puissance coloniale devait fournir une assistance militaire à ces protégés en échange d’un accès préférentiel aux ressources naturelles stratégiques. Gabrielle Hecht (2016) n’en dit pas moins. Elle explique que les traités signés avec la France devaient assurer « à l’ancienne puissance coloniale un accès privilégié à l’uranium et à d’autres matières premières stratégiques, en interdisant notamment les exportations qui pourraient aller à l’encontre des intérêts militaires français. En échange, les dirigeants africains se voyaient garantir la sécurité militaire, des marchés pour leurs produits et une aide au développement. » On peut le découvrir dans les articles 1 à 5 des Accords de Coopération signés le 17 août 1960 établit comme suit :
Au regard de ces traits d’union solidement tissés, la France a usé de sa position de pays industrialisé doté d’une technologie très avancée pour profiter de la faiblesse du Gabon. Les français savaient que pour investir dans l’exploitation d’uranium, il ne suffisait pas d’avoir la matière première. Il fallait par ailleurs des investissements colossaux et des « technologies complexes, deux choses qui n’étaient pas aisément accessibles aux premiers dirigeants postcoloniaux du Gabon (…) » (Hecht, 2016). Alors, pendant ces moments de tâtonnement et d’adaptation, céder aux propositions françaises, pour peu qu’elles rapportent quelque chose d’intéressant au pays, paraissait logique et raisonnable, peu importe la nature et la valeur du contrat. La France pouvait donc profiter de ces moments pour solidifier sereinement son hégémonie par une avalanche de contrats dans presque tous les domaines. Par conséquent, on peut donc comprendre l’absence d’importants investissements dans l’industrie de base dont les produits sont voués directement à l’exportation juste après leur extraction. Ce vide colossal peut donc expliquer le tâtonnement du pays jusqu’à nos jours, alors que la transformation locale des ressources créerait beaucoup d’emplois et rapporterait d’importants capitaux à l’économie nationale.
La forte imposition des prix
L’un des volets découlant des accords de coopération concerne l’établissement des prix de vente des matières premières. Les prix sont imposés par la métropole, dans le cadre de l’uranium, s’ils ne dépendent pas de la conjoncture internationale comme il en est pour le pétrole. Une suite logique dira-t-on, du fait que la loi du plus fort s’étend de l’amont vers l’aval. Le contexte de l’uranium est beaucoup plus complexe. Cela restreint nos analyses, fautes de statistiques. Il est donc nécessaire de rappeler que ce secteur reste « un univers complexe en raison, entre autres, de la diversité des partenaires, de types de contrats » (Ndong, 2009). Selon ce dernier, Jean Claude Blaquemart classe les contrats en tenant compte du critère de durée. Il en ressort donc les contrats dits spot ou contrats instantanés d’une durée maximale d’un an entre la date de signature et celle de livraison ; les contrats à court terme, d’une durée maximale de deux ans entre la date de signature et la date de livraison ; les contrats à moyen terme d’une durée maximale de cinq ans entre la date de signature et la date de livraison et les contrats à long terme d’une durée supérieure à cinq ans.
Il est donc nécessaire de souligner qu’en l’absence d’une bourse de l’uranium, « le prix se négocie par contrat. Il y a 15% du marché de l’uranium qui se négocie à court terme avec des contrats à moins de douze mois et 85% qui se négocient à long terme avec des contrats de 2 à 10 ans, mais en général les contrats sont de 3 à 5 ans. » Ils se négocient généralement entre les différents contractants, palliant l’absence d’un organisme officiel attitré et commun à tous ou d’une bourse créée à cet effet comme l’Organisation des Pays Exportateurs du Pétrole (OPEP) à propos justement du pétrole. Cette technique fait intervenir de manière voilée les rapports de force entre les deux parties, c’est-à-dire l’entreprise métropolitaine et l’État concerné. Généralement les États acceptent d’outrepasser les lois, lorsqu’elles existent, en faisant fi des valeurs intrinsèques du produit au profit de l’entreprise. Dans le cas de l’uranium du Gabon, il s’avère que les négociations se passaient directement entre la « colonie » et la métropole, celle-ci jouant un double rôle : celui du pays colonisateur, d’une part, et celui de l’unique client privilégié dont les opérations d’achat sont menées par le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), d’autre part. Le CEA est donc considéré comme l’organe officiel de négociation avec le Gabon. « Le CEA jouissait d’une autonomie considérable au sein de l’État français ainsi qu’au Gabon (…). Selon Gabrielle Hecht (2016) « le CEA avait les mains libres pour négocier la valeur politique, économique et sociale de l’uranium gabonais ». Edgard Ndong (2009) parle de « la mainmise de la France sur la consommation et la commercialisation de l’uranium gabonais. » En ceci, il est donc aisé de conclure que l’État gabonais encaissait uniquement le « prix africain » qui lui était imposé, considéré comme de l’aide au développement ou la récompense à la loyauté et des investissements du CEA (Hecht, 2016). En d’autres termes ce prix ne correspondait pas à la véritable valeur de l’uranium, « 24 dollars la livre. » Il était très différent du « prix du marché » appliqué à des pays comme les USA, l’Australie, le Canada par Nuexco (une société de courtage établissant des prix au comptant pour les pays occidentaux), soit 48 dollars la livre pour une livraison immédiate (Hecht, 2016). La conséquence d’un tel marchandage est l’insuffisance de revenus perçus par le Gabon, expliquant en grande partie l’absence des investissements à la hauteur de ses aspirations, le pays étant parfois obligé de recourir à des prêts à intérêt auprès des institutions financières internationales. Cependant ces turpitudes ont parfois agacés le Chef de l’État qui digérait mal la relégation de sa ressource stratégique au dernier plan. Omar Bongo manifesta quelquefois son mécontentement devant les autorités françaises, en épinglant le pouvoir abusif et sans limite du CEA. Dans les années 1970, il déclara que « le Commissariat français à l’énergie atomique, qui avait été jusque-là le principal client, sinon l’unique utilisateur, n’en était pas le propriétaire et que désormais, on ne pourrait utiliser cet uranium sans que le Gabon ne fasse connaître son point de vue notamment en matière de prix » (Anonyme, 1977). Après cette déclaration remarquablement fracassante, il ne tarda pas à demander à ses différents ambassadeurs installés aux USA, Japon, Italie, Espagne, Israël et autres de trouver les clients qui pourraient remplir le carnet de commande de l’uranium gabonais (CHAN Paris, 1973). Il n’était plus question de continuer à brader le précieux produit national, alors que la même ressource atteignait des prix beaucoup plus intéressants dans d’autres pays.
L’absence d’institutions étatiques fortes
Enfin, il ne suffit pas d’avoir des hommes forts à la tête de l’État, il faut aussi des institutions fortes et dignes pour constituer un État respecté et solide. Cette assertion entend ici dire que l’absence des institutions fortes au sein d’un pays offre une sorte de carte blanche à qui veut profiter de sa richesse. Mehlum, Moene et Torvik (2006) qualifient l’abondance en ressources naturelles de malédiction uniquement lorsque « les institutions sont mauvaises et deviendrait une bénédiction si les institutions sont bonnes. » Disant que l’État gabonais parait exsangue de toutes lois solides et musclées pour faire face aux velléités d’exploitation ou impérialistes de ses clients. Les institutions mises en place semblent bancales, vue l’étendue de leur inefficacité. Cette réalité met en évidence un vide juridique ou la faiblesse de la loi en la matière. Les codes gabonais de l’environnement, par exemple, qu’il s’agisse de la 16/93 ou de la loi 0007/15, portent d’énormes lacunes justement à propos de l’environnement des ressources minérales et de la gestion des populations allogènes. Alors qu’un accent important devrait être mis sur la protection des hommes et leur patrimoine.
Au-delà de l’absence des institutions, on note parfois les déficits budgétaires qui découlent de la mauvaise gestion des deniers publics ou de l’insuffisance des capitaux. Philip Lane et Aaron Tornell (1996) affirment que cette « situation constitue un grand avantage pour des dirigeants politiques qui détournent l’essentiel du budget soit pour s’entretenir, soit pour entretenir « les groupes de pression de manière plus que proportionnelle à la croissance des revenus, dans le cas des pays comme la RDC où les groupes des rebelles sèment constamment la terreur. » Ils ajoutent que les dépenses improductives augmentent, souvent dans le but de maintenir la paix sociale dans un contexte d’inégalité croissante : un petit groupe profite de la manne pétrolière alors que la majorité n’en voit que les effets négatifs en termes de renchérissement du coût de la vie et celui de la dégradation de l’environnement. Pour Philip Lane et Aaron Tornell (1996) « Ce phénomène est aggravé dans les pays dont les institutions étatiques sont faibles et les groupes d’intérêt sectoriels puissants. » Les faits semblent donc évidents et n’ont de cesse d’attirer l’attention d’autres scientifiques. Fantu Cheru (2007) parle de l’attachement insécable de la souffrance et de la pauvreté à l’abondance des matières premières à cause d’un laxisme entretenu pour des intérêts personnels. Il renchérit en étalant les faits à l’échelle continentale : « malgré l’abondance de ses ressources naturelles, l’Afrique continue de souffrir d’un niveau de pauvreté et de sous-développement élevé en raison de capacités institutionnelles, juridiques et humaines limitées qui empêchent les gouvernements et les populations d’atteindre un développement global et une transformation structurelle . »
CONCLUSION
Cet article vient d’apporter un éclairage sur l’état de la ville de Mounana 18 ans après l’arrêt de l’exploitation de l’uranium par la Compagnie des Mines d’Uranium de Franceville (COMUF). Mounana apparait désormais comme une ville fantôme. Le départ de la COMUF n’a pas été suivi d’une politique de diversification de l’économie qui pouvait garantir un meilleur niveau de vie à la population et limiter les mouvements d’immigration vers d’autres villes comme Moanda. La population est passée de 12 000 en 1997 à 6 000 habitants de nos jours. Une importante saignée démographique qui traduit le sous-peuplement de la ville. L’autre aspect à signaler est la présence quasi permanente des externalités négatives laissées par l’entreprise, entachant véritablement la qualité de vie des populations. Nous avons vu que Mounana hérite des friches minières connues sous la fragmentation du paysage séculaire. Malgré les travaux de réhabilitations entrepris par l’entreprise, avant l’arrêt des activités, le paysage de Mounana garde les stigmates d’une entreprise présentant d’énormes carences en ce qui concerne l’éthique environnementale.
Notons également, et surtout, la présence anormalement élevée de la radioactivité ambiante découverte dans les périmètres exploités, dans les logements des anciens mineurs et aussi à travers certains endroits fréquentés quotidiennement par la population (figure 5). Enfin, il faut dire que l’État gabonais qui devrait jouer le rôle d’intermédiaire dans la restructuration et la réparation des conditions de vie à Mounana, fait preuve d’une inefficacité qui semble confirmer la thèse de l’abandon de la population à son triste sort. Ce constat réitère donc la thèse de l’inefficacité de l’État face à ses responsabilités régaliennes. L’État gabonais devrait se sentir très concerné face à cette situation catastrophique en expansion à Mounana pour sauver une commune qui a beaucoup apporté à la construction du pays. Malheureusement, la dégradation de Mounana n’est pas un cas isolé dans le pays. La ville de Gamba bâtit sur le littoral sud commence à subir les mêmes effets depuis que ses gisements pétroliers répondent de moins en moins aux attentes des entreprises en place. Ce désengagement étatique dans les cités qui, autrefois, ont apporté un plus dans l’édification du Gabon moderne doit être corrigé dans la perspective de la mise en place d’une nation juste dont les fruits profitent à toute la population.
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Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Kevin Aimé TSIBA (2017). «La malédiction des ressources minérales. Mounana, d’un village potentiellement riche à une ville fantôme». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (4) 2. En ligne le 31 décembre 2017, pp. 65-79. URL: http://laurentienne.ca/rcgt
Auteur
Dr Jean-Kevin Aimé TSIBA
Institut de Recherches en Sciences Humaines (IRSH-CENAREST)
Libreville – Gabon
Courriel: tsibaaime2000@yahoo.fr