Bassora-bassora or the serving of a peripheral district in Niamey
YAYE SAIDOU Hadiara
Résumé: Des cars rapide de Dakar aux opeps de Yaoundé, en passant par les Zémidjan de Cotonou, ces nouveaux moyens de transport envahissent de plus en plus les capitales africaines et entraînent une circulation anarchique. Les nouveaux moyens de transports en commun qui résultent pour la plupart du secteur informel viennent combler le manque de l’offre de transport public qui contraint les habitants des périphéries à effectuer quotidiennement de longs trajets avant de les emprunter. Les municipalités n’ont pas su répondre à la forte croissance de la population urbaine et à l’étalement urbain. Depuis la fin des années 1980, le paysage des moyens de transports urbains dans les villes africaines a évolué avec la disparition progressive ou encore l’affaiblissement des entreprises publiques chargées du transport urbain. Le secteur informel a peu à peu occupé l’espace laissé vacant dans le but de répondre aux nécessitées de l’étalement urbain. Le présent article montre comment les taxis bassora-bassora se sont implantés et développés dans un quartier périphérique de Niamey appelé Bassora.
Mots clés: Niger, Niamey, transport urbain, transport informel, Bassora
Abstract: From the rapid minivans in Dakar to the collective taxis (opeps) in Yaoundé, through the Zémidjan in Cotonou, informal system of transportation invade African capitals leading to anarchic traffic. These resourceful public transport systems are trying to fill the gap in the public transport supply, for the inhabitants of the outskirts forced to travel long distances on a daily basis before using them. The municipalities did not respond to the demo-spatial explosion because they did not support unprofitable public enterprises. Since the late 1980s, the urban transport landscape in African cities has evolved with the gradual disappearance of public enterprises following various restructuring plans. Thus the informal sector has gradually occupied the space left vacant, especially the services required by urban sprawl. This article shows how collective taxis bassora-bassora have been established and developed in a suburban area of Niamey called Bassora.
Keywords: Niger, Niamey, Urban transportation, informal transportation, Bassora
Plan
Introduction
Naissance et développement du quartier Bassora
Population en périphérie et emploi au centre
Genèse des bassora-bassora
Fonctionnement des bassora-bassora
Desserte
Tarification
Opérateurs de bassora-bassora
Clients
Activité rentable avec d’importantes externalités négatives et quelques propositions d’amélioration
Conclusion
Texte intégral Format PDF
INTRODUCTION
L’accroissement démographique a profondément transformé l’organisation spatiale de la ville de Niamey. Dans un contexte d’urbanisation rapide et de progression de la pauvreté urbaine en Afrique, une grande partie de la population connaît des difficultés pour satisfaire ses besoins de mobilité. Elle connaît au quotidien des conditions de transport de plus en plus difficiles. La dynamique du développement urbain de Niamey se traduit par un rapide étalement urbain. On lui associe de nombreuses insuffisances liées à l’absence de la prise en compte d’une approche intégrée de l’espace urbain. Mentionnons parmi ces insuffisances la concentration des emplois au centre-ville (Yayé Saidou, 2014). La nécessité de mettre en place des moyens de transports efficaces s’impose et interpelle tous les opérateurs économiques.
Le transport en commun et la mobilité des populations urbaines sont des éléments essentiels au bon fonctionnement de la ville car, ils garantissent et rendent aisé l’accès au lieu d’emploi (Plat et Pochet, 2002). Leur importance apparaît également dans l’analyse des fonctions de production et d’échanges aussi bien internes que nationaux ou internationaux. L’efficacité d’une ville se mesure le plus souvent par l’efficacité de ses échanges que conditionnent les déplacements et le transport à l’intérieur de la ville et avec son arrière-pays. La satisfaction des besoins essentiels de la vie urbaine engendrent des besoins de déplacements urbains. À Niamey, plusieurs politiques ont été mises en œuvre par les pouvoirs publics pour améliorer la mobilité dans la ville. Cependant, le constat qui peut être fait aujourd’hui est que ces différents projets et programmes ont eu des impacts positifs très faibles dans la mobilité des Niaméens. On peut même sans risque affirmer que la ville de Niamey traverse aujourd’hui une crise dans le domaine des transports et des déplacements à cause de l’insuffisance des équipements et du parc automobile : nombre réduit de routes bitumées, d’autobus, prédominance des taxis dont les tarifs quoique bas sont prohibitifs au regard des revenus des ménages, vétusté du parc automobile dominé par des automobiles jetées au rebus par l’occident et qui retrouvent ici une seconde vie, etc. Le transport est aujourd’hui un problème pour les citadins plus particulièrement pour les habitants des quartiers périphériques qui sont très loin du centre-ville de Niamey qui concentre les fonctions commerciales et administratives. Les habitants de ces quartiers périphériques qui souffrent de la défaillance du système de transport ont imaginé et mis en œuvre un système de transport original pour faciliter leur accès à Niamey.
Cet article s’intéresse à la mobilité quotidienne des Niaméens et particulièrement à celle des populations d’un quartier périphérique enclavé de la capitale du Niger appelé Bassora. Comment sont nés les taxis bassora-bassora? Comment fonctionnent-ils ? Quelles appréciations en font leurs usagers ? Le manque ou l’insuffisance de moyens de transport collectif pousse les habitants des quartiers périphériques à innover pour satisfaire leurs besoins de déplacement. Les données utilisées dans cet article sont issues d’une enquête ménage réalisée dans le cadre d’une thèse de doctorat (Yayé Saidou, 2014) et complétées par une enquête qualitative effectuée en 2016 auprès de 25 chauffeurs de bassora-bassora et de 25 habitants du quartier Bassora. L’échantillon est composé de 25 ménages choisis au hasard à travers tout le quartier afin de réactualiser les données récoltées en 2011. Un entretien avec le chef de quartier a permis d’obtenir des informations pertinentes sur l’histoire du quartier. L’entretien avec le Secrétaire général du 4ème arrondissement communal de Niamey a permis de recueillir des données sur les équipements sociaux de base disponible dans le quartier.
NAISSANCE ET DÉVELOPPEMENT DU QUARTIER BASSORA
Bassora est, en réalité, composé de deux quartiers. Il s’agit des quartiers Talladjé-est et Sary Koubou. Bassora est aussi le nom donné au camp de formation des gardiens de la paix appelé Camp Bassora. Bassora est un des quartiers de l’arrondissement communal Niamey IV situé à l’Est de la ville de Niamey (voir carte n°1).
Carte n°1: Présentation de la zone d’étude
Créé vers 2000, c’est un quartier loti séparé du reste de la ville, à l’ouest par la ceinture verte qui est longue de 25 km et large de 1 km. Sa superficie est de 2500 ha. En plus du kilomètre de ceinture verte qui isole ce quartier du reste de Niamey, Bassora est également séparé du quartier périphérique Talladjé, plus au sud, par le boulevard Mali béro doublé d’un caniveau et d’équipements scolaires. À l’Est, le quartier est délimité par la clôture de l’aéroportuaire Diori Hamani. Au Sud il est délimité par le boulevard Mali béro. L’accès principal au quartier est la voie latéritique dégradée qui jouxte la ceinture verte. Cet isolement et l’insuffisance de moyens adéquats de transport permettant de le relier à la ville ont favorisé l’apparition d’un mode original de transport en commun appelé bassora-bassora.
Bassora est situé dans la partie orientale du plateau de la rive gauche du fleuve Niger. Cette surface horizontale recouverte de sables peu épais et d’allure moutonnée expose par endroit une cuirasse ferrugineuse imperméable. Elle repose sur le socle. L’imperméabilité de la cuirasse ferrugineuse et la planéité de cette espace géomorphologique limitent l’écoulement des eaux de pluie. L’inexistence d’un réseau d’évacuation des eaux de pluie vient compliquer la gestion des routes en toute saison.
POPULATION EN PÉRIPHÉRIE ET EMPLOI AU CENTRE
Premier pôle économique du Niger, la ville de Niamey compte aujourd’hui une population de plus de 1 000 000 habitants. Les 1er, 2ème et 4ème arrondissements communaux sont les plus peuplés (voir tableau n°1). Situés sur la rive gauche du fleuve ces trois arrondissements regroupent presque 90% de la population.
Source: RENALOC (Répertoire nationale des localités), 2012
Tableau n°1 : la population de Niamey par commune
En raison de la saturation et des mutations des quartiers centraux, l’étalement urbain se fait de plus en plus loin du centre dont la population résidente stagne, alors que le nombre de bureaux et services augmentent. Cette augmentation accentue le déséquilibre entre les emplois et les logements au cœur de la ville. La population de la ville de Niamey se concentre de plus en plus dans les quartiers périphériques Nord et Est. Elle se déplace quotidiennement vers les quartiers centraux faiblement peuplés mais assurant l’essentiel des emplois de la capitale. L’urbanisation accélérée en périphérie est devenue une sorte de moteur pour le système de transport, dans la mesure où l’augmentation incontrôlée des distances dans la ville augmente les besoins de déplacements motorisés. La ville, espace d’échanges, est, pour les économistes, un marché (Chadoin, 2004) qui engendrent des déplacements des personnes et des biens. Ces déplacements occupent de ce fait, une grande place dans toutes les villes.
L’étalement urbain continu renforce les difficultés de déplacements pour les habitants localisés sur les franges urbaines, et qui sont souvent parmi les plus pauvres, mais sans exclusivité car on y retrouve également des ménages aisés. Or une ville ne fonctionne que si ses habitants peuvent se déplacer, y compris à pied, pour bénéficier de ses services et de ses opportunités (Orfeuil, 2004). La difficulté de se déplacer est de nos jours considérée comme une des composantes de la pauvreté. La mobilité constitue donc un enjeu essentiel pour le devenir même des grandes villes pour lesquelles, la gestion durable des déplacements est l’un des défis majeurs des décennies à venir.
Le quartier Bassora compte 31 844 habitants dont 14 702 hommes et 17 142 femmes (Répertoire national des localités, RENALOC, 2012). Il s’est très vite peuplé, car dans les données du recensement de 2001, la population du quartier ne figurait pas dans les statistiques du RENALOC, et voilà que 12 ans après la population de ce quartier avoisine celle du quartier Talladjé Koado peuplé de 34 725 habitants, créé depuis 1966 (Yayé Saidou et Motcho, 2012). Bassora présente les mêmes caractéristiques démographiques que l’ensemble de la ville de Niamey avec une forte fécondité, un rapport de féminité légèrement positif, une population très jeune et hétérogène. On y trouve des hauts fonctionnaires, des hauts gradés de l’armée, de riches commerçants qui côtoient des gagne-petit. Sa population est cosmopolite. Toutes les ethnies du pays y sont représentées ainsi que les étrangers provenant des pays africains limitrophes. À Bassora, on dénombre 3 écoles primaires publiques et un complexe d’enseignement secondaire. Il n’y a aucun équipement marchand et de service, pas de centre de santé publique mais quelques cabinets de soins privés et le centre quatarien AMA qui offre un service de soins semi privé. Cette absence d’équipements marchands et de services aux populations fait de Bassora un dortoir. On comprend dès lors les besoins de déplacements de cette population enclavée et loin du centre-ville. En effet, la majorité des habitants de Bassora sortent de leur quartier pour réaliser leurs activités. Ils se dirigent surtout vers le centre-ville qui se situe à près de 6 km. Ils ne rentrent chez eux que pour dormir, car le quartier ne compte ni lieu de loisir ni lieu de sport. Bassora ne dispose pas non plus d’une infrastructure routière bitumée. Les trois grandes voies qui le parcourent sont latéritiques (Voir carte n°2). Elles sont dégradées et constituent les seules voies « praticables » qu’empruntent tous les véhicules y compris les bassora-bassora. L’état des voies et l’enclavement font que le quartier Bassora n’est pas desservi par la SOTRUNI (Société des transports urbains de Niamey). Les taxis tête rouge sont les moyens de transport collectifs dominants dans la ville de Niamey. Ils s’arrêtent le plus souvent sur le boulevard Mali béro c’est-dire à la limite Sud du quartier. Voilà le contexte qui a déclenché l’apparition des bassora-bassora.
Carte n°2: Les principales voies du quartier
GENÈSE DES BASSORA-BASSORA
Après l’abandon par les collectivités publiques du transport en commun, l’offre de transport repose aujourd’hui principalement sur le secteur informel qui opère selon ses propres règles très variables et non formalisées. Cette offre reste toujours très déficitaire en quantité comme en qualité. Son caractère déficitaire pénalise surtout les liaisons transversales et donc les quartiers périphériques peu accessibles pendant les premières décennies de leur création. La concentration des activités et des emplois au centre-ville, les contraintes naturelles du site de la ville et l’étalement urbain, aident à comprendre l’importance des flux de la migration pendulaire entre les périphéries et le centre-ville. Pour faire face à ces flux la SNTU (Société Nationale de Transport Urbain), épine dorsale du système de transports urbains de la ville, créée dans les années 60, devenue par la suite SOTRUNI a montré ses limites au cours des années 90, favorisant ainsi le développement du secteur informel. La SOTRUNI, qui autrefois desservait la quasi-totalité de la ville, disposait de 14 lignes qui étaient parcourus par 20 autobus (Yayé Saidou H., 2014). De nos jours, cette société ne compte qu’une dizaine de bus vétustes, alors que la population et l’espace urbain qu’elle devrait desservir ont été multipliés par 3 depuis sa création en 1996. On comprend dès lors que le transport urbain à Niamey soit naturellement dominé par le secteur informel. C’était d’abord les taxis tête rouge, puis se sont ajoutés les talladjé-talladjé et lazaret-lazaret, ensuite les faba-faba et maintenant les bassora-bassora. À part les faba-faba qui signifient aide en Zarma, les autres taxis collectifs portent les noms des quartiers périphériques qu’ils desservent qui sont respectivement Talladjé et Lazaret.
Les bassora-bassora sont apparus à Niamey vers 2004 comme un mode à part, avec le cachet particulier qu’ils ont su donner au système d’exploitation. Du nom du principal quartier qu’ils desservent, les bassora-bassora disposent d’une carrosserie break offrant 6 places assises y compris le chauffeur. Ces familiales sont facilement reconnaissables grâce à leurs têtes bleues (voir photo n°1). Le parc est vétuste et comprend plusieurs marques mais il reste dominé par la Toyota Starlet. En 2015, il se composait de 100 à 110 bassora-bassora. Le nombre exact de ces taxis est difficile à déterminer. La population du quartier était estimée à 31 844 habitants en 2012 soit un ratio de 320 habitants par taxi. L’accroissement des besoins de déplacements des populations et l’insuffisance de l’offre ont fini par rendre ce moyen de transport incontournable dans ce quartier dont la particularité réside dans leur système d’exploitation en ligne directe ou semi-directe : du marché Wadata au quartier Bassora et vice-versa.
Photo n°1: Gare des bassora-bassora
La place des bassora-bassora s’est incontestablement accrue avec l’absence totale d’un autre moyen de transport collectif dans le quartier pendant longtemps. Aujourd’hui la station des bassora-bassora situé derrière le village artisanal de Wadata qui accueille plus de 100 véhicules est le symbole du rôle que jouent ces modes dans les relations entre Niamey et cette banlieue enclavée.
Promu par des habitants du quartier dans le but de se faire un peu d’argent mais aussi d’apporter une réponse aux besoins de déplacement de leurs concitoyens, les bassora-bassora connaissent une relative prospérité. Ils sont l’initiative d’un fonctionnaire à la retraite résident du quartier qui avait une vieille Toyota Starlet avec laquelle il transportait, moyennant la somme de 200 ou 250 FCFA, des habitants du quartier notamment des femmes au foyer et des petits commerçants qui peinaient à trouver un transport collectif pour sortir du quartier. Il fut rejoint par deux autres personnes dont Monsieur Boula qui continue encore à exercer le métier de chauffeur de bassora-bassora. Ce dernier nous a confié lors de notre enquête que « c’était vraiment pour venir en aide aux habitants du quartier et en même temps gagner un peu d’argent, qu’ils avaient entrepris cette activité car les taxis tête rouge refusaient de venir dans ce quartier, à cause des chemins cahoteux ». Au début le prix était fixé à 250 FCFA, et les initiateurs des bassora-bassora embarquaient à chaque voyage 6 clients dont 2 à côté du chauffeur et 4 sur la banquette arrière soit une recette de 1 500 FCFA par voyage. Leur succès était tel qu’ils firent des émules aussi bien dans le quartier que dans d’autres quartiers périphériques comme la Cité des députés sise au Nord de la ville. Les bassora-bassora sont des véhicules légers, moins gourmands en carburant ; leur taille leur permet de se faufiler partout et d’emprunter les voies cahoteuses du quartier (voir photo 2). Ce succès a attiré également les faba-faba (qui signifie aide dans la langue zarma) qui sont des mini bus. Ils relient les quartiers périphériques d’Aviation, Koira Tégui, Goudel et Bassora.
Photo n°2 : l’état des routes du quartier Bassora
FONCTIONNEMENT DES BASSORA-BASSORA
DESSERTE
La souplesse d’adaptation des basssora-bassora fait qu’ils desservent l’ensemble du quartier de 6 h 00 à 22 h 00 voire plus tard. Les itinéraires desservis ne sont pas fixes. Ils dépendent de l’état des voies : les tronçons inondés ou trop ensablés sont automatiquement contournés. Cinq clients qui vont à un point fixe du quartier peuvent induire un changement d’itinéraire. Nonobstant ces impondérables, les principaux axes sont (voir carte 3) :
– Wadata- Camp Bassora –Boulabangou- Martaba
– Wadata- Talladjé 50m
– Wadata- Centre AMA –Tagabati- Farkayebi
Carte n°3: les principaux itinéraires des bassora-bassora
En l’absence de points d’arrêt matérialisés les clients attendent les bassora-bassora n’importe où. Il s’en suit des arrêts intempestifs qui dégradent la qualité du service.
TARIFICATION
La tarification est très glissante et la péréquation ne reflète pas la structure des coûts sur les dessertes des autres modes de transport collectifs dans les autres quartiers périphériques comme le montrent les tarifs ci-après :
– 200 FCFA de Wadata la première latérite pour une distance de près de 5 km
– 300 FCFA de Wadata à deuxième latérite pour 7 km
– 400 FCFA de Wadata à Martaba
– 200 FCFA, à partir de n’importe quel point du quartier pour joindre Wadata.
Il faut noter que si la tarification varie en fonction de la distance à parcourir à l’intérieur du quartier, elle est fixe pour en sortir quelle que soit la distance. Ici le risque est dans le temps d’attente qui peut être très long aussi bien pendant les heures de pointes que pendant les heures creuses quand les taxis se font rares. La tarification varie aussi en fonction des saisons et des heures de la journée. Elle est revue à la hausse pendant la saison de pluie du fait de l’impraticabilité des voies et aux heures de pointes quand la demande est maximale.
OPÉRATEURS DE BASSORA-BASSORA
Il s’agit des chauffeurs, des propriétaires et des chauffeurs-propriétaire. À ceux-là s’ajoutent un acteur principal du fonctionnement qui est le coxeur qui s’occupe du remplissage des bassora-bassora à la gare de Wadata. 50% des enquêtés sont propriétaires de leurs véhicules. Les propriétaires des bassora-bassora constituent une population relativement âgée avec une moyenne d’âge de 45 ans. Quoi de plus normal dans une ville ou près de la moitié de la population est pauvre et n’a donc pas accès au crédit auprès des banques. Les propriétaires des bassora-bassora sont à 45% scolarisés et possèdent en général un ou deux taxis. Certains d’entre eux font parallèlement du commerce. Ils sont 40% à être dans l’activité depuis 10 ans. D’après les données de notre enquête pour devenir chauffeur de bassora-bassora, il suffit d’avoir un permis de conduire approprié, être en bonne santé et disposer d’un véhicule en règle. Les chauffeurs de bassora-bassora constituent une population relativement jeune. Plus de la moitié des chauffeurs que nous avons rencontrés (55%) a moins de 35 ans et 82% moins de 45 ans. Seulement 5% d’entre eux ont plus de 50 ans. Ces chauffeurs sont peu scolarisés : plus de 55% n’ont pas dépassé le niveau primaire et près de 10% n’ont fait aucune étude. Ils viennent de plusieurs horizons mais plus de 35% sont des anciens apprentis-chauffeurs ou ont été chauffeurs d’autres types de transport collectif.
Le chauffeur rémunéré mensuellement à 20 000 FCFA en moyenne ne bénéficie d’aucune protection sociale. Il n’est donc pas inscrit à la sécurité sociale. En revanche, il exploite le véhicule au risque et périls du transporteur puisqu’il a une mainmise totale sur l’exploitation et verse un montant journalier de 5 000 ou 6 000 FCFA au propriétaire, qui prend en charge les grosses réparations et la maintenance de son taxi. Les chauffeurs ne s’occupent que des petites réparations : vulcanisation, changement d’ampoule, etc. Ils sont à 85% membres d’un syndicat et comptent sur leur association pour la défense de leurs intérêts vis à vis de l’administration et pour lutter contre les transporteurs clandestins. Dans notre échantillon, la totalité des contrats liant le chauffeur et le propriétaire est orale. Le contrat oral suppose une confiance entre les contractants, mais avantage le propriétaire qui ne se prive d’ailleurs pas de ce droit pour licencier le chauffeur au moindre problème.
Le coxeur est basé généralement à la gare des bassora-bassora du marché Wadata où il est chargé d’organiser le chargement des véhicules et le départ des taxis en fonction de leur ordre d’arrivée en gare et de leurs destinations. Cette organisation n’existe pas à l’intérieur du quartier Bassora. D’habitude le rôle de coxeur est joué par d’anciens chauffeurs qui ne peuvent plus exercer en raison de la limite d’âge ou des problèmes de santé. Ils sont rémunérés sous forme de commission à raison de 200 FCFA par véhicule chargé (marchandises et passagers) qui quitte la gare.
CLIENTS
Lorsque l’on cherche à mieux connaître les utilisateurs des bassora-bassora, on se rend compte qu’il s’agit de citadins aux revenus modestes c’est-à-dire de petits commerçants (50 % des clients), des élèves et d’étudiants (25%) et des personnes en quête de travail (24 %). Une répartition selon le genre et l’âge permet de voir que les femmes et les jeunes empruntent plus les bassora-bassora que les hommes. D’une manière générale, les clients de ces taxis collectifs quittent le quartier le matin et rentrent souvent vers 19 h après avoir accompli leur travail et leurs courses. Ils sont généralement très satisfaits des services rendus par ces bassora-bassora qui leur permettent de pouvoir se déplacer. C’est le cas de Fati, une femme qui fait du petit commerce dans le quartier qui va souvent au petit marché sis au centre-ville pour s’approvisionner. Elle manifeste sa satisfaction par ces propos : «Grâce aux bassora-bassora, je peux exercer mon petit commerce sans problème, car ce sont ces bassora-bassora seuls qui desservent notre quartier, ils m’amènent jusqu’à Wadata et de là-bas je prends un autre taxi pour aller au petit marché où je m’approvisionne quotidiennement».
D’autres, par contre, comme Boubacar affirment que c’est malgré eux qu’ils prennent les bassora-bassora. Pour ce fonctionnaire, se déplacer avec les bassora-bassora, « c’est voyager dans l’angoisse avec les excès de vitesse, dans des véhicules brinquebalant, vétustes, surchargés et enfumant leurs passagers sur des rues défoncées de la gare du marché Wadata à destination. Tous les facteurs pouvant entraîné un accident de la route sont ici réunis ». Boubacar renchérit en disant que « pour ne pas faire un grand détour, Les bassora-bassora traversent la ceinture verte qui est une zone d’insécurité par excellence surtout le soir. Plusieurs taxis ont été attaqués par des bandits tapis dans la ceinture verte de Niamey ». C’est donc faute de mieux que des clients comme Boubacar sont obligés d’emprunter les bassora-bassora.
D’autres clients confient que c’est surtout le matin entre 7 h 00 et 9 h 00 qu’ils rencontrent beaucoup de difficultés à trouver une place dans un bassora-bassora du fait de la forte demande consécutive à la taille de la population et au nombre de taxis disponibles. C’est le cas de Rabi : « on peut attendre près d’une heure sans avoir un bassora-bassora ce qui fait que très souvent j’arrive en retard à mon travail à l’hôpital National de Niamey sis dans la zone administrative. Pour m’y rendre, il me faut encore patienter pour avoir un taxi tête-rouge à Wadata ». Pour Fati le calvaire du transport collectif est permanent : « Pendant les heures creuses, il est difficile également d’en trouver car un grand nombre des bassora-bassora reste à la gare Wadata. Très peu prennent le risque de sillonner le quartier à ces heures-là. Faute de clients permettant de remplir les taxis, ils attendent les périodes de pointe pour envahir le quartier au grand dam de nous autres usagers ».
ACTIVITÉ RENTABLE AVEC D’IMPORTANTES EXTERNALITÉS NÉGATIVES ET QUELQUES PROPOSITIONS D’AMÉLIORATION
Les Bassora-bassora constituent un réservoir de main d’œuvre abondante et bon marché pour les zones éloignées. En effet, 80% des jeunes chauffeurs que nous avons interrogés affirment avoir choisi cette activité parce qu’ils n’ont rien d’autres à faire, d’autres répondent que c’est une activité très rentable pour eux parce qu’ils ont beaucoup de clients dans le quartier et la distance à parcourir n’est pas trop longue pour relier le quartier Bassora au marché Wadata, ce qui leur permet de faire plusieurs navettes par jour. En moyenne ils font 20 tours par jour et 65% affirment que leur recette journalière varie entre 10 000 et 20 000 FCFA. Ils doivent déduire de ce montant 6 000 FCFA pour le propriétaire, payer le carburant et réparer les petites pannes. La marge du chauffeur reste assez réduite. Le fonctionnement actuel du système génère d’importantes externalités négatives du genre accidents et pollution atmosphérique. Nous ne disposons ni de données chiffrées sur le nombre d’accidents ni sur l’impact environnemental causé par ces véhicules. Toutefois, on peut affirmer que ces externalités sont la conséquence de quatre principaux facteurs: 1) Un secteur très atomisé, 80% des propriétaires ne possèdent qu’un seul véhicule, 2) Un secteur dominé par des véhicules de petite capacité (6 à 7 personnes par voyage), 3) Un parc automobile vieux : l’âge moyen de véhicules est d’environ 15 ans, 4) L’état défectueux des routes et 5) Des chauffeurs obligés de travailler dans des conditions limites (près de 18 h de travail) pour réunir une recette journalière exigée par les propriétaires de véhicules et un surplus pour compenser la faiblesse de leur salaire fixe mensuel en deçà du comics.
Les problèmes de mobilité des habitants du quartier Bassora sont nombreux. Ces problèmes sont liés tantôt aux déficits des infrastructures en matière de transport, tantôt à la situation socioéconomique de la population. Face à tous ces problèmes, la nécessité pour l’État d’avoir des stratégies et programmes en vue d’améliorer les conditions de mobilité dans la ville qui ne cesse de s’agrandir. Nous formulons les propositions suivantes: 1) Pour apaiser les souffrances des populations du quartier Bassora en matière de transport, des infrastructures routières permettant un accès facile aux véhicules de transport en commun devront être aménagées, 2) Mettre des véhicules en bon état, qui ont passé le test de visite technique et 3) Dariner les eaux pluviales et usées dans le quartier afin de faciliter la circulation des voitures et des deux roues pendant la saison de pluie.
CONCLUSION
La situation générale des transports urbains et la configuration du trafic sont une conséquence de la localisation des emplois et du commerce dans le centre-ville. Ce centre ne concentre pas simplement des emplois, mais plusieurs fonctions dépassant très souvent les limites de la ville de Niamey : fonction administrative, commerciale, sanitaire, financière, scolaire, universitaire, symbolique, etc. Les citadins, qui sont dans les périphéries défavorisées, sont généralement non motorisés. Ils souffrent donc du déséquilibre de territorialité et aussi du manque d’organisation du système de transport à Niamey. Ainsi la faible desserte des zones périphériques par les transports collectifs, l’absence de promotion d’un transport public par la puissance publique, et l’état défectueux des routes dans ces zones ont engendré ici une exclusion spatiale. Débizet (2004) a ainsi raison de dire que la « multiplication des quartiers périurbains et des espaces peuplés en discontinuité dans le périurbain aggrave les contraintes que subissent leurs habitants, tant pour travailler, que pour se nourrir et se distraire ». C’est pour toutes ces raisons qu’il est nécessaire de développer un réseau de bus, mode de transport moins cher et plus sécurisant. En attendant, les quartiers périphériques, à la fois marqués par la rareté et la mauvaise qualité de la voirie mais aussi par l’insuffisance de la couverture spatiale en transport collectif, sont, de ce fait, difficiles à rejoindre. C’est dans ce contexte que naquirent les taxis bassora-bassora, un mode de transport informel qui permet de satisfaire les besoins des habitants du quartier périphérique Bassora. Il s’agit en fait d’un quartier enclavé, séparé de la ville au sud par le l’aéroport, à l’est et au nord par la ceinture verte. Ici le besoin de mobilité est pressant, ce mode de transport collectif vient donc au secours des habitants de ce quartier c’est ce qui fait l’originalité des bassora-bassora.
Références bibliographiques
ALOKO N’GUESSAN Jérôme., 1999. « Les taxis communaux ou woro-woro et l’environnement des transports urbains collectifs à Adjamé, Abidjan, Côte d’Ivoire ». In Géo-Eco-Trop, (23), 143-159.
CHADOIN, Olivier., 2004. La ville des individus. Paris, Harmattan.
DEBIZET, Gilles., 2004. Déplacements urbains de personnes: de la planification des transports à la gestion durable de la mobilité, Mutations d’une expertise. Géographie – Aménagement, Thèse de doctorat, Paris, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne.
ORFEUIL, Jean-Pierre., 2004. Transports, Pauvretés, Exclusions : Pouvoir bouger pour s’en sortir. Paris, La tour d’Aigues, l’Aube.
PLAT, Didier., POCHET, Pascal., 2002. « D comme Dar es Salam, ou le danger du désengagement public», In GODARD, X., Les transports et la ville au sud du Sahara le temps de la débrouille et du désordre inventif (p.73-82). Paris, Karthala/INRETS.
YAYÉ SAIDOU, Hadiara., 2014. Se déplacer à Niamey, mobilité et dynamique urbaine, Thèse de doctorat, Grenoble, Université Grenoble Alpes/Université de Niamey.
YAYE SAIDOU Hadiara., et MOTCHO Kokou Henri., 2012. «Grandeur et décadence des taxis suburbains Talladjé-talladjé de la ville de Niamey.», EspacesTemps.net, Travaux, 12.03.2012. Repéré à http://www.espacestemps.net/articles/grandeur-et-decadence-des-taxis-suburbains-talladje-talladje-de-la-ville-de-niamey/
Pour citer cet article
Référence électronique
YAYE SAIDOU Hadiara (2019). «Bassora-bassora ou la desserte d’un quartier périphérique à Niamey». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (6) 1. En ligne le 15 septembre 2019, pp. 42-48. URL: http://laurentian.ca/cjtg
Auteur
YAYE SAIDOU Hadiara
Enseignante-chercheure
Département de Géographie
Faculté des Lettres et Sciences Humaines (FLSH)
Émail: hadiara18@yahoo.fr