Analyse du mode d’accès, de conservation de l’eau et risques de maladies hydriques dans un quartier populaire : Cas de Kennedy Clouetcha dans la commune d’Abobo (Côte d’Ivoire)

Analysis of the mode of access, water conservation and risks of waterborne diseases in a popular district: Case of Kennedy Clouetcha in the commune of Abobo (Ivory Coast)

COULIBALY Moussa, COULIBALY Mamoutou & DIOMANDE Soumaïla


Résumé: Kennedy-Clouetcha est un quartier de la commune d’Abobo où les populations sont confrontées au problème récurrent d’eaux. Cette étude vise à montrer les risques de maladies hydriques liés aux modes d’accès et de conservation de l’eau à domicile dans ce quartier. À l’aide de la recherche documentaire et l’enquête de terrain qui a porté sur 272 chefs de ménages, les résultats obtenus montrent que les populations de Kennedy ont recours à divers modes pour accéder à l’eau. Les ménages qui ont accès à l’eau par un abonnement à la SODECI représentent 40,44% des enquêtés. Une part importante des ménages (37,13%) ont recours aux installations clandestines appelées communément “eau anago” pour avoir de l’eau. Près de la moitié (49,63%) des ménages ont accès à l’eau potable à moins de dix mètres de leurs logements. Pour prévenir les coupures intempestives d’eau, 96% des ménages stockent l’eau. La durée de stockage varie d’une journée à plus de trois jours. Les principales maladies déclarées par les ménages sont le paludisme (33,46%), les dermatoses (30,88%) et la diarrhée (25,37%). La majorité des cas de ces maladies (47,29%) a été enregistrée par les ménages qui achètent de l’eau auprès des revendeurs. Il est donc souhaitable que les gouvernants investissent davantage dans le secteur de l’eau afin de réduire les risques pour la santé humaine.  

Mots clés: Abobo, Kennedy, accès, conservation, risque, maladies hydriques 

 

Abstract: Kennedy-Clouetcha is a neighbourhood in the commune of Abobo where the population deals with a recurrent water problem. This study aims to show the risks of waterborne diseases linked to the modes of access and conservation of water at home in this neighbourhood. Using documentary research and a field survey of 272 heads of households, the results show that the people of Kennedy use various methods to access water. Households that have access to water through a SODECI subscription account for 40.44% of those surveyed. A significant proportion of households (37.13%) use clandestine installations commonly known as ‘anago water’ to obtain water. Almost half (49.63%) of households have access to drinking water within ten metres of their homes. To prevent untimely water cuts, 96% of households store water. The duration of storage varies from one day to more than three days. The main diseases reported by households are malaria (33.46%), skin diseases (30.88%) and diarrhoea (25.37%). Households buying water from vendors recorded the majority of cases of these diseases (47.29%). It is therefore desirable that governments invest more in the water sector to reduce the risks to human health.

KeywordsAbobo, Kennedy, access, conservation, risk, waterborne diseases  

 

Plan

Introduction
Outils et méthodes
Résultats
Les caractéristiques socio-démographiques des ménages
L’eau, un liquide précieux de plus en plus inaccessible aux ménages
Accès à l’eau et risques sanitaires
Discussion
Conclusion

 

Texte intégral                                                                                Format PDF    

INTRODUCTION

Partout dans le monde, le problème de l’eau se pose tous les jours. Source d’inégalité quand elle est rare ou difficile d’accès, de conflits géopolitiques là où elle est partagée ou encore de problèmes de santé publique quand elle est polluée : quels que soient les enjeux soulevés par la question de l’eau, les plus affectés sont toujours les plus vulnérables (Agence Française de Développement, 2018, p. 3).

L’accès à une eau de boisson saine est une condition indispensable à la santé, un droit humain élémentaire et une composante clé des politiques efficaces de protection sanitaire. L’eau est indispensable à la vie et tous les hommes doivent disposer d’un approvisionnement satisfaisant en eau (suffisant, sûr et accessible). Un meilleur accès à une eau de boisson saine peut se traduire par des bénéfices tangibles pour la santé. Tous les efforts doivent être consentis pour obtenir une eau de boisson aussi saine que possible. Une eau de boisson saine se prête à tous les usages domestiques habituels, et notamment l’hygiène personnelle (OMS, 2004, p. 6 et 11). Or environ 2,1 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à l’eau potable, dont 900 millions qui n’ont pas accès à une source d’eau améliorée et 1,2 milliard qui ont un accès à une source d’eau améliorée, mais où l’eau n’est pas potable (A. Carvalho, et al, 2011, p. 1). En 2007, un milliard et demi de personnes dans le monde n’ont pas accès à l’eau potable (PS-Eau, 2007, p. 4). À la fin de 2011, sur environ 768 millions de personnes n’utilisant pas des points d’eau améliorés, 344 millions vivent en Afrique (BAD, 2015, p. 3).

La Côte d’Ivoire n’échappe pas à cette situation de difficile accès à l’eau potable. L’approvisionnement en eau potable et l’assainissement de la ville font partir des difficultés quotidiennes de la plupart des ménages ivoiriens surtout ceux des quartiers populaires et à faibles revenus. Les types d’eau utilisés par les populations comportent souvent beaucoup de risques pour la santé, faute d’une hygiène convenable. Pour favoriser l’accès du plus grand nombre aux services essentiels d’alimentation en eau potable et en assainissement, la Société de Distribution d’Eau en Côte d4voire (SODECI) accompagne la politique de l’État de Côte d’Ivoire visant le développement du secteur de l’eau potable et de l’assainissement. L’amélioration de l’accès des populations à ces services publics est sa mission essentielle. En 2016, le nombre d’abonnés au réseau urbain d’eau potable en Côte d’Ivoire a ainsi augmenté de 10 %, passant de 852 662 à 937 183 abonnés. À Abidjan, le taux de croissance du nombre d’abonnés est de 7,6 % par rapport à 2015. Pour ce qui est de l’intérieur du pays, il s’améliore davantage cette année, avec une hausse de 12 % par rapport à 2015. L’accroissement de la demande en eau potable a conduit l’État de Côte d’Ivoire à investir pour le développement des installations de production et l’amélioration du circuit de distribution d’eau. Ces investissements ont permis à la SODECI d’augmenter sa production d’eau potable sur l’ensemble du territoire (SODECI, 2016, p. 42). En 2016, l’entreprise a produit 242,4 millions de m3 d’eau potable, contre 227,4 millions de m3 en 2015, soit une hausse de 6,6 % (SODECI, 2016, p. 43).

Malgré tous ces progrès dans le domaine de l’approvisionnement en eau, les populations de la commune d’Abobo restent confrontées au problème d’accès à l’eau potable. La commune d’Abobo connaît quatre niveaux d’accès à l’eau à savoir l’accès très difficile, l’accès difficile, l’accès moyen et l’accès facile. En 2015, le quartier Kénnedy-Clouetcha faisait partir du niveau accès difficile où les usagers sont desservis entre 6 heures et 12 heures par jour avec une pression plus ou moins bonne de l’eau (A. D. F. Awomon, 2016, p. 161-163). Dans ce quartier, face aux coupures intempestives et la baisse de pression, les populations développent diverses stratégies (stockage de l’eau). Une pratique qui n’est pas sans conséquence sur la qualité de l’eau et la santé des populations.

En effet, les maladies hydriques dont est victime la population de la commune d’Abobo sont la fièvre typhoïde, le choléra et la diarrhée. Selon le poids des maladies à transmission hydrique des ménages, la diarrhée est en tête avec 66,03% puis vient la fièvre typhoïde avec 23,14% et le choléra 10,83% (A. D. F. Awomon, 2016, p. 221). La diarrhée continue à tuer environ 2,4 millions de personnes chaque année, dont une très grande majorité d’enfants de moins de cinq ans. Les femmes sont aussi particulièrement touchées, car dans la plupart des cas, ce sont elles qui sont chargées de l’approvisionnement en eau de la famille (A. Carvalho, et al, 2011, p. 1).

Le quartier Kennedy-Clouetcha fait partir des quartiers qui ont une prévalence de maladies hydriques moyenne comprise entre 11 et 20% (A. D. F. Awomon, 2016, p. 189). En 2016, on dénombrait 377 cas de maladies diagnostiqués dans les centres de santé de Kennedy. La diarrhée aigüe sans déshydrations (72,95%) et diarrhée aigüe avec déshydrations sévère (20,69%) sont les principales formes de diarrhées diagnostiquées dans les structures sanitaires de Kennedy (District sanitaire Abobo Est, 2016).

Au regard de tous ces constats, cette étude vise à montrer les risques sanitaires liés aux modes d’approvisionnement et de conservation de l’eau à domicile au quartier Kennedy. Le quartier Kennedy-Clouetcha, composé de trois sous-quartiers qui sont Clouetcha, Forêt sacrée et Mission Catholique, est situé sur un interfluve au Centre-Est de la commune d’Abobo. Il est limité au Nord par le quartier Plaque 1 et 2, au Sud par le quartier Sans Manquer, à l’Ouest par le quartier Agbékoi et à l’est par le village Abobo Baoulé (cf. figure 1). Il est séparé des quartiers Agbékoi et Plaque 1 et 2 par un ravin, communément appelé “Gros Trou” par la population.

Figure_1

Figure 1 : Présentation et localisation de la zone d’étude

Kennedy-Clouetcha est l’un des quartiers populaires de la commune d’Abobo. Sa population est passée de 25 817 habitants en 1998 à 41 055 habitants en 2014 (INS-RGPH, 2014).

OUTILS ET MÉTHODES

Pour atteindre l’objectif fixé, notre démarche méthodologique s’est appuyée sur une exploitation de la littérature en rapport avec la thématique. Elle a permis de comprendre les caractéristiques socio-économiques ainsi que les modalités d’accès à l’eau. Celle-ci a été complétée par une observation directe et une enquête de terrain réalisées au quartier Kennedy Clouetcha.

L’enquête par questionnaire a été menée auprès des chefs de ménages. Elle a été effectuée en février 2019. L’enquête a porté sur un échantillon de 272 chefs de ménage répartis en fonction du poids de chaque sous-quartier (cf. tableau 1). La taille de notre échantillon a été obtenue par l’utilisation de la formule de Fisher : N= t2. P. (1-P) / e2 où t = 1,65 avec taux de confiance de 90%; e = 5% et p = 50 %.

Tableau_1

Source : Mairie 2009 ; INS-RGPH, 2014

Tableau 1 : Répartition des chefs de ménages enquêtés au quartier Kennedy-Clouetcha

Les informations recueillies à travers la recherche documentaire et les enquêtes sur le terrain ont subi un dépouillement manuel et informatique. Le logiciel Word a été utilisé pour la saisie de texte, le logiciel Excel pour l’élaboration de tableaux et de graphiques et sphinx Millenium 14.5 pour le masque de saisie. Certaines données traitées sont traduites en carte. La réalisation de ces cartes s’est faite à l’aide des logiciels ArcView et Adobe Illustrator.

RÉSULTATS

Les résultats de cette étude portent sur les caractéristiques sociodémographiques des enquêtés et différents risques de maladies hydriques liés aux divers modes d’accès et de conservation de l’eau dans les ménages de Kennedy-Clouetcha.

Les caractéristiques sociodémographiques des ménages

Les activités professionnelles des chefs de ménages

À Kennedy Clouétcha, les chefs de ménages enquêtés exercent plusieurs types d’activités (cf. tableau 2).

Tableau_2

Source : Enquêtes de terrain, février 2019

Tableau 2 : Les activités professionnelles des chefs de ménages par sous-quartier

Il ressort du tableau 2 que 81 chefs de ménages correspondant à 29,78% de l’échantillon sont des commerçants. Ces derniers sont plus représentés dans les sous-quartiers Clouetcha et Forêt-Sacré avec des proportions respectives de 35,65% et 32,65%. Une part importante des chefs de ménages (21,69%) exercent dans la l’administration publique. Les hommes de métier, au nombre de 44 chefs de ménages, soit 16,18% de l’ensemble des enquêtés. Les sans-emplois occupent une part non négligeable de l’échantillon (13,60 %).

Une population caractérisée par plusieurs niveaux d’instruction

Les chefs de ménages enquêtés dans la zone d’étude ont différents niveaux d’instruction (cf. figure 2).

Figure_2

Source : Enquête de terrain, février 2019

Figure 2 : Répartition des chefs de ménages selon le niveau d’instruction

La figure 2 montre que 80 chefs de ménages sur les 272 enquêtés n’ont aucun niveau d’instruction. Parmi ceux qui sont allés à l’école, 80 chefs de ménages, soit 29,41% ont le niveau secondaire. Les ménages ayant le niveau primaire sont au nombre de 38, ce qui correspond à 13,97% de l’ensemble. À ceux-là, il faut ajouter les chefs de ménages ayant le niveau supérieur et ceux qui ont suivi les cours dans une école franco-arabe, ces derniers représentent respectivement 14,34% et 29,41% de l’ensemble. Les sous-quartiers Clouetcha (38,04%) et Forêt-sacrée (40,82%) enregistrent les forts taux de ceux qui n’ont pas été à l’école. Au sous-quartier Clouetcha, 29,63% des enquêtés ont un niveau secondaire.

Un statut d’occupation des logements dominé par des locataires

Le statut du chef de ménage dans le logement est une caractéristique importante qui a un impact sur le mode d’approvisionnement en eau. Les chefs de ménages enquêtés sont soit propriétaires ou hébergés ou soit locataires comme l’illustre la figure 3.

Figure_3

Source : Source : Enquête de terrain, février 2019

Figure 3 : Le statut d’occupation des chefs de ménages dans les logements

Sur les 272 chefs de ménages enquêtés, 197 chefs, soit 72,43% de l’ensemble sont des locataires tandis que 50 chefs de ménages, ce qui donne 18,38% des enquêtés sont des propriétaires. Ceux qui sont hébergés sont au nombre de 28. Les locataires sont plus dominants dans les trois sous-quartiers étudiés.

Une suroccupation des logements dans la zone d’étude

Le nombre de personnes dans le ménage a un lien étroit avec les besoins en eau du ménage. Le tableau 3 met en évidence la taille des ménages enquêtés à Kennedy.

Tableau_3

Source : Enquête de terrain, février 2019

Tableau 3 : La taille des ménages dans les sous-quartiers étudiés

Les résultats de notre enquête montrent que 125 des chefs de ménages enquêtés, soit 45,96% ont 5 à 7 personnes dans le ménage. À la suite de ceux-ci, 30,88% des chefs de ménages enquêtés ont 1 à 4 personnes dans leurs ménages. Les chefs de ménages dont la taille varie de 8 à 10 personnes occupent la troisième position. Ils sont au nombre de 38, soit 13,97% des chefs de ménages enquêtés tandis que les ménages de plus de 10 personnes sont au nombre de 25, représentant 9,19%.

Le nombre de personnes dans les ménages varie selon les sous-quartiers. Les ménages comportant 5 à 7 personnes sont plus représentés dans les sous-quartiers Mission Catholique et Clouetcha avec respectivement les proportions de 57,41% et 40,87%. Le sous-quartier Clouetcha enregistre le plus grand nombre de ménages de plus de 10 personnes.

L’eau, un liquide précieux de plus en plus inaccessible aux ménages

Une minorité des ménages connectée aux réseaux d’adduction en eau potable (SODECI)

Au quartier Kennedy Clouetcha, il faut noter qu’une part importante de la population n’est pas raccordée au réseau d’eau potable (cf. figure 4).

Figure_4

Source : Enquête de terrain, février 2019

Figure 4 : Répartition des ménages selon leur statut d’abonnement à la SODECI

L’analyse de la figure 4 montre que sur les 272 chefs de ménages enquêtés, 162 chefs, soit 59,56% de l’ensemble ne sont pas raccordés au réseau d’adduction d’eau potable de la SODECI (Société de Distribution d’Eau en Côte d’Ivoire). Le sous-quartier Mission Catholique enregistre 64,81% des ménages non raccordés au réseau d’eau potable. Les non abonnés à Clouetcha et à Forêt-sacrée représentent respectivement 53,92% et 61,22%.

Les principales sources d’approvisionnement en eau potable au quartier Kennedy

L’accès à une eau de boisson sûre et saine est un droit fondamental dont sont encore privés certains ménages de Kennedy Clouetcha. Pour accéder à l’eau, les ménages de ce quartier ont recours à divers modes d’approvisionnement en eau (cf. figure 5).

Figure_5

Source : Enquête de terrain, février 2019

Figure 5 : Divers modes d’approvisionnement en eau potable

Il ressort de l’analyse de la figure 5 que 40,44% des chefs de ménages enquêtés sont abonnés à la société de distribution d’eau de la Côte d’Ivoire. Les chefs de ménages qui ont recours aux revendeurs d’eau communément appelés « eau anango » sont au nombre de 101, ce qui correspond à 37,13% des chefs de ménages enquêtés. Il faut ajouter à ceux-là, 22,43% des chefs de ménages qui achètent de l’eau auprès des abonnés (cf. photos 1 et 2).

Photos 1 & 2

Source : Cliché Coulibaly M., mars 2019

Photo 1 : Un point de vente d’eau au Sous-quartier Forêt-sacrée & Photo 2 : Un enfant revenant du point de vente d’eau au quartier Mission Catholique

L’accessibilité géographique des ménages raccordés aux points d’eau

L’approvisionnement en eau du ménage est parfois assuré par les chefs de ménages, les femmes ou les enfants. Ceux-ci parcourent souvent de longues distances (cf. tableau 4).

Tableau_4

Source : Enquête de terrain, février 2019

Tableau 4 : Répartition des ménages selon la distance parcourue pour avoir de l’eau

Près de la moitié des chefs de ménages enquêtés (49,63%) ont accès à l’eau à moins de 10 m. Les chefs de ménages qui parcourent 10 à 100 m pour avoir de l’eau sont au nombre de 73, ce qui donne 26,84%. Les chefs de ménages parcourant des distances importantes pour obtenir de l’eau se trouvent généralement au sous-quartier Forêt-sacrée (6,12%) et à Clouetcha (5,22%) (cf. photo 3).

Photo 3

Source : Cliché Coulibaly M, mars 2019

Photo 3 : Des jeunes hommes à la recherche de l’eau au Sous-quartier Clouétcha

Le temps mis par les chefs de ménages pour accéder à l’eau potable

La figure 6 met en relief le temps mis par les chefs de ménages pour avoir de l’eau.

Figure_6

Source : Enquête de terrain, février 2019

Figure 6 : Le temps mis par les chefs de ménages pour accéder à l’eau

Sur les 272 chefs de ménages enquêtés, 135 chefs, soit 49,63% de l’ensemble ont accès à l’eau à moins de 5 minutes de marche. Les chefs mettant un temps de marche compris entre 6 minutes et 15 minutes sont au nombre de 64 chefs, ce qui donne 23,53% des enquêtés. Dans les trois sous-quartiers étudiés à savoir Clouetcha (73,91%), Forêt-sacrée (77,55%) et Mission Catholique (70,37%), plus de la moitié des ménages met moins de 15 minutes pour accéder à l’eau.

Stockage de l’eau : une réponse aux coupures intempestives d’eau dans les ménages

Le stockage de l’eau à domicile est une pratique de plus en plus récurrente adoptée par les populations (cf. figure 7). Les populations conservent l’eau pendant une certaine durée (cf. figure 8).

Figures_7 & 8

Source : Enquête de terrain, février 2019

Figure 7 : La part des ménages stockant de l’eau à domicile & Figure 8 : Durée de stockage de l’eau dans les ménages conservant l’eau

Les chefs de ménages qui stocke de l’eau à domicile sont au nombre de 260 sur les 272 chefs de ménages enquêtés. Ils représentent 96% de l’échantillon total. La durée de stockage varie d’un jour à trois jours et plus. La majorité des ménages stocke l’eau pendant trois jours (30,77%) et plus de trois jours (32,31%). Deux jours de conservation d’eau correspondent à la durée de stockage de 27,69% des enquêtés.

Divers récipients utilisés pour le stockage d’eau à domicile

Pour ne pas manquer d’eau pour les besoins domestiques, les populations ont recours à plusieurs récipients pour le stockage d’eau (cf. figure 9).

Figure_9

Source : Enquête de terrain, février 2019

Figure 9 : Les récipients utilisés pour la conservation de l’eau

Les barriques sont utilisées par 209 chefs de ménages pour la conservation de l’eau, ce qui correspond à 80,38% des enquêtés (cf. photo 4). Les chefs de ménages qui ont recours aux bidons pour stocker leur eau sont au nombre de 165 chefs, ce qui donne 63,46% de l’ensemble (cf. photo 5). Les bassines constituent les récipients de stockage d’eau pour 20,77% de l’échantillon (cf. photo 6). Les barriques sont principaux matériels de stockage d’eau au sous-quartier Forêt-Sacrée (82,22%), à Mission Catholique (81,55%) et à Clouetcha (78,57%).

Photos 4 & 5

Cliché : Diomandé S., mars 2019

Photo 4 : Des barriques servant de matériels de stockage à Mission Catholique & Photo 5 : Des bassines remplies d’eaux à Forêt-sacrée

 Photo 6

Cliché : Coulibaly M., mars 2019

Photo 6 : Des bidons d’eaux conservés pour divers usage à Clouetcha

Achat d’eau : une des dépenses à ne pas négliger

Les populations qui ne sont pas abonnées au réseau d’adduction en eau potable de la Société de Distribution d’eau de Côte d’Ivoire (SODECI) ont recours aux revendeurs d’eaux. Le prix de l’eau est fixé en fonction de capacité du récipient de transport. Les dépenses journalières en matière d’eau sont mises en relief par la figure 10.

Figure_10

Source : Enquête de terrain, février 2019

Figure 10 : Dépenses en matière d’achat d’eau auprès des revendeurs

Sur les 61 chefs de ménages qui achètent l’eau, 24 chefs, soit 39,34% de l’ensemble dépensent par jour une somme comprise entre 400 et 500 FCFA. Ces derniers sont plus représentés dans les sous-quartiers Clouetcha (66,67%) et Mission Catholique (31,58%). Les chefs de ménages dépensant une somme entre 200 et 400 FCFA sont au nombre de 20, ce qui donne 32,79%. La majorité de ces ménages sont à Mission Catholique (36,84%) et à Forêt-sacrée (36,36%).

Accès à l’eau et risques sanitaires

Perception des ménages de la qualité

L’usage de l’eau dans les ménages dépend de la perception qu’ont les chefs de ménages de la qualité de l’eau (cf. figure 11).

Figure_11

Source : Enquête de terrain, février 2019

Figure 11 : Perception des chefs de ménages de la qualité de l’eau

L’analyse de la figure 11 montre que 138 chefs de ménages, soit 50,74% des enquêtés estiment que l’eau utilisée pour les besoins est moyennement bonne. La qualité de l’eau destinée à la consommation est jugée par 73 chefs de ménages, ce qui correspond à 26,83% de l’ensemble tandis 22,43% des enquêtés trouvent que l’eau n’est pas de bonne qualité. Dans les sous-quartiers Clouetcha (66,96%) et forêt-sacrée (53,06%), la qualité de l’eau est considérée moyenne bonne. À Mission Catholique, 35,19% des chefs de ménages n’apprécient pas la qualité de l’eau.

Les principales maladies déclarées par les chefs de ménages

Lors de nos enquêtes de terrain, il y a eu 180 ménages qui ont enregistré des cas de maladies pendant les 30 jours qui ont précédé le jour de l’enquête (cf. figure 12). Les principales maladies par les ménages sont mises en évidence par la figure 13.

Figure_12 & 13

Source : Enquête de terrain, février 2019

Figure 12 : La part des ménages ayant enregistré des cas de maladies & Figure 13 : Les maladies déclarées par les chefs de ménages dans les trois sous-quartiers étudiés

Sur les 272 ménages visités, 180 ménages ont noté 258 cas de maladies. Le sous-quartier Clouetcha a enregistré le plus fort taux de diarrhée (39,52% des cas). Quant au paludisme, les plus grandes proportions ont été constatées à forêt-sacrée (49,06%) et à Mission Catholique (37,61%). Ces mêmes tendances ont été observées dans le district sanitaire Est d’Abobo au cours de l’année 2016 (cf. figure14). Au cours de cette période pour le quartier Kennedy, le nombre de cas de paludisme était de 2428 cas, soit 63,13% des cas et la fièvre typhoïde a enregistré 562 cas, ce qui donne 14,61% des cas de consultations. Le nombre de cas de consultation pour cause de pneumonie est de 479 cas, ce qui correspond à 12,45% des consultations. Les maladies diarrhéiques sont les pathologies qui ont poussé 9,80% des patients à fréquenter un centre de santé au quartier Kennedy.

Figure_14

Source : District Sanitaire Abobo-Est, 2016

Figure 14 : Les pathologies les plus fréquentes en 2016 à Kennedy

Mode d’approvisionnement en eau et risques sanitaires

Le lien entre les divers modes d’approvisionnement et les maladies dont souffrent les populations de Kennedy est mis en relief par la figure 15.

Figure_15

Source : Enquête de terrain, février 2019

Figure 15 : Répartition des pathologies déclarées en fonction du mode d’approvisionnement

Il ressort de l’analyse de la figure 15 que les ménages qui s’approvisionnent en eau potable auprès des revendeurs ont enregistré plus de cas de maladies (122 cas), soit 47,29% des cas de maladies déclarées. Ceux qui ont recours aux installations de robinets communément appelées « Anago » ont noté 82 cas, ce qui donne 32,8% des cas de maladies. Les ménages abonnés directement au réseau d’adduction d’eau potable ont eu très peu de cas de maladies (54 cas), ce qui correspond à 20,93%.

Durée de stockage de l’eau et les risques de maladies à Kennedy-Clouetcha

La durée de stockage de l’eau à domicile est un déterminant dans la survenue des maladies (cf. figure 16).

Figure_16

Source : Enquête de terrain, février 2019

Figure 15 : Relation entre la durée de stockage et la santé des populations

Dans cette corrélation linéaire, la variable explicative est la durée de conservation de l’eau à domicile. Le nombre de malades est la variable expliquée. L’intervalle de confiance est de 95%. Une courbe de tendance linéaire a été ajoutée au nuage de points obtenu (cf. figure 16). Cette courbe croît, cela sous-entend que les deux variables évoluent dans le même sens. Ce qui veut dire qu’au fur et à mesure que le nombre de jours de stockage croît, le nombre de malades augmente.

DISCUSSION

Confrontées à un problème crucial d’eau, les populations de Kennedy-Clouetcha ont recours à divers modes d’approvisionnement. Certains ménages sont abonnés à la SODECI. Un autre groupe bénéficie des installations des robinets par des tierces personnes moyennant une somme comprise entre 2000 à 3000 FCFA par mois. Ce système est communément appelé “installation anago”. C’est une installation faite par des distributeurs clandestins d’eau de la SODECI. Le choix des revendeurs d’eaux est adopté par 22,43% des enquêtés. Le recours aux installations anago et aux revendeurs d’eau est motivé par le coût élevé des abonnements et du faible niveau de vie des populations. Ces résultats diffèrent de ceux obtenus par A. Coulibaly (2009, p. 34) à Bankoni et à Djélibougou dans la commune I du District de Bamako. A. Coulibaly (2009, p. 34) a montré que les puits constituent la principale source d’approvisionnement en eau à l’intérieur des concessions avec un pourcentage de 56,13%. L’approvisionnement des ménages uniquement en eau de robinet reste faible avec seulement une moyenne de 12,86%, bien qu’elle soit élevée dans les quartiers viabilisés.

Au quartier Kennedy-Clouetcha dans la commune d’Abobo, l’approvisionnement en eau est généralement assuré par les femmes et les enfants. Pour accéder à l’eau, ils doivent parcourir de longues distances pour certains. Plus de la moitié des personnes enquêtées (76,47%) a accès à l’eau à une distance comprise entre 0 et 100 mètres. Les distances à parcourir sont fonction de la source d’approvisionnement utilisée par les ménages. Les ménages de Kennedy ont pour la plupart des sources d’eau dans le logement ou dans la cour. Ces résultats sont similaires à ceux obtenus par P. Tuo et al., (2017, p. 24) dans les quartiers précaires Jean-Folly et Gonzagueville dans la commune de Port-Bouët. Ils ont montré que 58,1% des ménages enquêtés ont accès à l’eau à une distance inférieure à 100 mètres.

Les baisses de pression jusqu’à la rupture de la fourniture de l’eau par la SODECI étant fréquentes et la distance à parcourir pour avoir de l’eau étant grande, les populations stockent de l’eau dès que possible à domicile. À Kennedy-Clouetcha, 96% des chefs de ménages interrogés stockent de l’eau. La durée de stockage varie d’une journée à plus de trois jours. Ces temps de conservation d’eau sont conditionnés par la taille du ménage, du coût d’achat de l’eau et de la distance à parcourir. A. D. F. Awomon et al, (2018, p. 97) ont montré que dans les quartiers Orly 1, Orly 2, Orly 3 et Orly 4 dans la ville de Daloa, 90,5% des ménages stockent l’eau. Dans ces quartiers, le stockage de l’eau à domicile est une pratique courante. Il permet de prévenir le manque d’eau dans le ménage et d’éviter de parcourir de longues distances tous les jours. Divers récipients sont utilisés pour la conservation de l’eau. Dans la zone d’étude, les barriques (80,38%) et les bidons (63,46%) constituent les principaux moyens de conservation de l’eau. Les ménages ont recours aux bidons parce qu’ils sont faciles à transporter sur la tête ou dans des brouettes. L’usage des barriques s’explique par sa capacité de recevoir de grandes quantités d’eaux. Ces récipients diffèrent de ceux qui sont principalement utilisés par les ménages des quartiers Orly de Daloa. Dans ces quartiers, les ménages ont plus recours aux barriques (32,42%), aux seaux (25,38%) et aux bidons (18,75%) (A. D. F. Awomon et al, (2018, p. 97).

L’eau avant d’être stockée à domicile subit des manipulations au cours du transvasement et du transport. Ces pratiques participent à la détérioration de la qualité des eaux utilisées pour les besoins domestiques. Les principales maladies déclarées par les ménages enquêtés sont le paludisme, les dermatoses et la diarrhée. Les ménages qui s’approvisionnent en eaux potables auprès des revendeurs d’eau ont enregistré les plus forts taux de maladies avec 47,29% des cas de maladies. Ces résultats sont similaires à ceux obtenus par A. D. F. Awomon et al., 2018, p. 543) dans les quartiers précaires Mondon, Ayakro et Judé dans la commune de Yopougon. Dans ces trois sous-quartiers étudiés, les ménages qui ont recours à l’achat d’eau en détail sont les plus vulnérables aux maladies hydriques. L’hygiène de l’eau dans les ménages est un déterminant très important qui peut influencer la qualité de l’eau de boisson. Certains facteurs comportementaux (le transport et la manipulation de l’eau), environnementaux (le cadre des lieux d’achat d’eau en détail et le lieu de conservation dans les ménages) sont d’une importance capitale pour le maintien de la qualité de l’eau de boisson. Cet état de fait peut s’expliquer par le fait que le transport et l’hygiène de l’eau dans les ménages influencent la qualité de l’eau de boisson.

Pour cette corrélation linéaire, le coefficient de détermination r2 = 0,99986 et le r = 0,99993. Pour un nombre de degrés de liberté de 2, le r lu dans la table de PEARSON est de 0,95. Le r calculé (0,99993) est supérieur au r lu (0,95). On conclut alors qu’il existe une corrélation linéaire significative entre ces deux variables. Cela veut dire que le paramètre environnemental qu’est la durée de stockage d’eau explique mieux l’émergence et la répartition spatiale des malades. Cela se voit clairement avec les ménages stockant l’eau pendant plusieurs jours enregistrent les plus grands nombres de malades. Le coefficient de détermination (r² = 0,99986) traduit l’existence d’une corrélation d’intensité très forte entre la durée de stockage et le nombre de cas de maladies. Ce coefficient de détermination montre que dans les ménages stockant l’eau au quartier Kennedy, 99,08% des maladies environnementales seraient liés à la durée de stockage de l’eau à domicile.

CONCLUSION

L’accès à l’eau en quantité et de qualité est une préoccupation pour les pouvoirs publics et aussi pour les populations. Confrontées au problème d’eaux, les populations de Kennedy ont recours à divers modes d’approvisionnement en eau (abonné SODECI, abonné « Eau anago » et achat d’eau auprès des revendeurs). Pour remédier aux coupures intempestives d’eau par la SODECI et éviter les longues distances de marches pour accéder à l’eau, les populations stockent l’eau à domiciles dans plusieurs types de récipients. La durée de conservation de l’eau dans les ménages dépend de la taille du ménage et des besoins du ménage en matière d’eau.

Dans la zone d’étude, les ménages qui achètent de l’eau auprès des revendeurs d’eau enregistrent les plus grands nombres de cas de maladies telles que la fièvre typhoïde, les dermatoses et les maladies diarrhéiques. Le temps de stockage de l’eau à domicile a une influence sur le nombre de cas de maladies.

 

Références bibliographiques

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Pour citer cet article

Référence électronique

COULIBALY Moussa, COULIBALY Mamoutou & DIOMANDE Soumaïla (2021). « Analyse du mode d’accès, de conservation de l’eau et risques de maladies hydriques dans un quartier populaire : Cas de Kennedy Clouetcha dans la commune d’Abobo (Côte d’Ivoire) ». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (8) 1. En ligne le 15 août 2021, pp. 63-69. URL: http://laurentian.ca/cjtg

 

Auteurs

COULIBALY Moussa
Assistant
Département de Géographie
Université Peleforo Gon Coulibaly
Korhogo, Côte d’Ivoire
E-mail: coulsiby2015@gmail.com

 

COULIBALY Mamoutou
Docteur
Institut de Géographie Tropicale
Université Félix Houphouët-Boigny
Abidjan, Côte d’Ivoire
E-mail: coulibalymamoutou19@gmail.com

 

DIOMANDE Soumaïla
Doctorant
Institut de Géographie Tropicale
Université Félix Houphouët-Boigny
Abidjan, Côte d’Ivoire
E-mail: diomandesoum@gmail.com