Intégration normative: comparaison des expériences des immigrants francophones ivoiriens de Montréal et de Sudbury

Normative integration: a comparison of the experiences of Ivorian francophone immigrants in Montreal and Sudbury

KOUASSI Brou Gbalou David & SOUMAHORO Moustapha


Résumé: L’étude examine les processus d’intégration normative des immigrants dans les contextes urbains contrastés de Montréal et de Sudbury. Par le biais d’entretiens semi-structurés, elle met en lumière l’influence du contexte géographique sur l’adaptation culturelle et sociale des nouveaux arrivants. À Montréal, la diversité culturelle et la richesse des ressources facilitent une intégration dynamique mais complexe alors qu’à Sudbury, une intégration plus directe est favorisée par la proximité sociale et une forte communauté francophone. Elle met en lumière les processus d’intégration normative en tenant compte des spécificités, notamment les politiques linguistiques et les opportunités économiques propres à chaque ville et démontre comment ces particularités géographiques créent des conditions d’intégration variables qui peuvent tantôt faciliter ou tantôt compliquer l’adaptation aux normes sociales locales.

Mots clés: Intégration normative, adaptation culturelle, communauté, proximité sociale, immigrants francophones

Abstract: The study examines the normative integration processes of immigrants in the contrasting urban settings of Montreal and Sudbury. Through semi-structured interviews, it highlights the influence of geographic context on the cultural and social adaptation of newcomers. In Montreal, cultural diversity and abundant resources facilitate a dynamic yet complex integration, while in Sudbury, a more straightforward integration is supported by social proximity and a strong Francophone community. The study sheds light on the normative integration processes by considering regional specificities, notably linguistic policies and economic opportunities unique to each city, and demonstrates how these geographic particularities create varying conditions of integration that can either ease or complicate adaptation to local social norms.

Keywords: Normative integration, cultural adaptation, community, social proximity, Francophone immigrants
 

Plan


Introduction
Objectif de l’étude
Cadre conceptuel
Cadre théorique

Méthodologie
Résultats

Les préférences locales influencent de manière significative l’intégration des immigrants
La qualité de vie et les facteurs d’attraction constituent des éléments de différenciation majeure entre Sudbury et Montréal
Persistance des défis urbains dans l’intégration normative des immigrants francophones ivoiriens à Sudbury et à Montréal
Diversité des intentions de résidence à long terme des immigrants ivoiriens à Sudbury et à Montréal
Discussion
Conclusion

Texte intégral                                                                                Format PDF 


Introduction

L’intégration des immigrants dans les sociétés d’accueil est un processus complexe qui est influencé par des facteurs géographiques, sociaux et économiques spécifiques à chaque milieu. Montréal et Sudbury offrent des expériences d’intégration très différentes en raison de leur taille, de leur diversité culturelle et de leur cadre socio-économique respectif (Garcés-Mascareñas & Penninx, 2016). Alors que Montréal, grande métropole cosmopolite, attire une population multiculturelle avec une abondance de ressources d’intégration, Sudbury, plus petite et homogène, propose un cadre où les interactions sociales sont facilitées par la proximité des services et une cohésion communautaire forte. Cette opposition entre un contexte cosmopolite et un environnement plus restreint soulève des questions sur les processus d’intégration normative et les défis uniques que rencontrent les immigrants dans chaque ville (Han & Ni, 2023; Slack & Jensen, 2020).

Les différences urbaines créent des contextes distincts d’accès aux ressources et de besoins en adaptation culturelle. En effet, les grandes villes et les petites villes nécessitent des stratégies d’intégration adaptées qui reflètent leurs caractéristiques uniques. Les politiques d’intégration et les conditions socio-économiques de chaque ville influencent l’expérience d’intégration des immigrants, notamment au travers des réseaux sociaux disponibles, des opportunités économiques et des politiques linguistiques spécifiques à chaque contexte (Han & Ni, 2023).

Dans le cadre de cette étude, l’analyse des particularités se fera en s’appuyant d’abord sur trois sur trois dimensions principales : la dimension culturelle, la dimension socio-économique et la dimension juridico-politique. Ensuite, sur les dynamiques spécifiques d’intégration à Montréal et à Sudbury en explorant comment ces différences influencent les expériences d’intégration des immigrants. Enfin, l’accent sera mis sur les défis et les opportunités uniques à chaque ville qui permettent de renforcer l’intégration des immigrants, adaptées aux particularités locales. Cette approche comparative permettra de mieux comprendre comment le contexte géographique façonne les parcours d’intégration des nouveaux arrivants et d’éclairer les stratégies pouvant favoriser une intégration harmonieuse dans chaque type de milieu.

Objectif de l’étude

L’objectif de cet article est de comparer les approches d’intégration normative des immigrants francophones ivoiriens dans deux milieux urbains aux caractéristiques distinctes. L’étude analyse l’influence des contextes sociolinguistiques et socio-économiques de ces deux villes sur l’adaptation culturelle des immigrants et les différentes voies d’intégration qu’ils adoptent. Elle vise ainsi à identifier les avantages et les défis particuliers qu’offrent les grandes et les petites villes en matière d’intégration en tenant compte des barrières linguistiques, des réseaux sociaux et des opportunités économiques qui façonnent l’expérience des immigrants ivoiriens dans chaque contexte.

Cadre conceptuel

Dans la perspective de l’intégration normative, les normes se divisent en grandes catégories englobant les aspects sociaux, culturels, économiques, linguistiques, juridiques et éducatifs qui régissent la vie collective. Les normes sociales comprennent les règles de politesse, les comportements interpersonnels et les attentes en matière de solidarité communautaire tandis que les normes culturelles englobent l’adaptation aux traditions locales, aux pratiques culturelles et aux codes vestimentaires. Les normes linguistiques jouent un rôle crucial et exigent une maîtrise des langues officielles pour faciliter les interactions sociales et professionnelles. Les normes économiques, quant à elles, impliquent une participation active au marché du travail, le respect des codes professionnels et une contribution économique à travers l’emploi ou l’entrepreneuriat.

D’autres catégories complètent ce cadre normatif. Ainsi, les normes éducatives mettent l’accent sur l’adhésion au système éducatif local et la participation aux initiatives scolaires tandis que les normes juridiques et politiques concernent le respect des lois, des droits des autres et une implication civique active. Enfin, les normes environnementales encouragent des comportements responsables vis-à-vis de la gestion des ressources et de la protection de l’environnement. Ensemble, ces normes permettent de structurer la vie sociale et de favoriser une cohésion collective en établissant des valeurs partagées, facilitant ainsi l’intégration des individus dans leur société d’accueil. Cette synthèse met en lumière l’importance d’une adhésion équilibrée à ces normes pour créer un sentiment d’appartenance et promouvoir une coexistence harmonieuse. C’est d’ailleurs, dans cet esprit que Durkheim et Weber cités par Keith (2008) ont affirmé que tous les liens sociaux partagent une logique commune qui rend l’intégration de l’individu dans la société indissociable de l’intégration de la société dans son ensemble. Dans cette perspective, l’intégration normative met l’accent sur les normes et les valeurs partagées qui forment des modes de pensée collectifs. Une société intégrée normativement se compose de citoyens qui ne présentent pas suffisamment de différences pour compromettre leur cohésion. Ainsi, le premier déterminant de l’intégration normative réside dans la volonté d’organiser les nations, les peuples et les individus pour coexister harmonieusement. Dans cette optique, la loi devient un outil au service de cette organisation commune (Mialot & Ehongo, 2004).

L’intégration normative s’intéresse donc aux valeurs et aux normes que les individus adoptent et pratiquent dans leur quotidien. Les indicateurs permettant de mesurer cette intégration incluent les projets personnels et les motivations des individus, leurs aspirations en matière de vie professionnelle, familiale et communautaire ainsi que leurs conceptions des enjeux sociaux. Ce type d’intégration repose sur le sentiment d’appartenance à une communauté qui émerge de l’adhésion aux normes et valeurs que les individus choisissent de privilégier. C’est à travers cette analyse des normes et valeurs sociales que sera examinée l’intégration des immigrants ivoiriens à Montréal et à Sudbury.

Cadre théorique

Le cadre théorique qui soutient cette étude s’appuie sur trois approches centrales pour analyser l’intégration normative des immigrants : la solidarité mécanique de Durkheim, la théorie de l’assimilation de l’École de Chicago et la théorie de l’intégration pluraliste de Berry. Ces approches offrent une compréhension des processus par lesquels les individus s’adaptent aux normes et valeurs de leur société d’accueil, chacune mettant en lumière différentes dimensions de l’intégration.

La solidarité mécanique, développée par Durkheim (1917), représente un modèle d’intégration basé sur la similarité et la cohésion au sein d’une communauté. Selon Durkheim, dans une société où la solidarité mécanique prédomine, les individus partagent des valeurs, des croyances et des comportements communs, créant ainsi un fort sentiment d’appartenance et une stabilité sociale. Cette forme de solidarité est particulièrement présente dans les communautés homogènes où les interactions sont fréquentes et les différences culturelles peu prononcées. Dans le contexte de l’intégration, la solidarité mécanique favorise une intégration facilitée par des pratiques collectives et des réseaux de soutien où les nouveaux arrivants adoptent naturellement les normes et valeurs locales en raison de la similitude culturelle avec le groupe d’accueil. Ce modèle met en avant une forme d’intégration où la continuité et la cohésion sont renforcées par l’homogénéité des normes partagées. En plus de Durkheim, la notion de solidarité mécanique a été explorée et développée par d’autres chercheurs dans le cadre de l’intégration sociale et de la cohésion. Dans cette logique, Douglas (1970) qui a travaillé sur les types de solidarités sociales a classé les sociétés en fonction de leurs mécanismes de cohésion. Selon Douglas, les sociétés plus fermées et homogènes tendent à développer une solidarité forte et une intégration normative accrue, un cadre qui enrichit la compréhension des environnements communautaires et de leur influence sur l’intégration des immigrants. Quant à Wimmer & Schiller (2002), ils proposent une approche moderne de la solidarité en intégration, notamment en examinant comment les frontières sociales et culturelles influencent les processus d’intégration. Dans leur travail, ils suggèrent que les communautés qui partagent des valeurs communes créent des formes de solidarité qui favorisent l’intégration des nouveaux arrivants en réduisant les barrières culturelles. Leur travail est pertinent pour analyser comment des groupes homogènes peuvent accueillir des immigrants tout en maintenant une cohésion forte au sein de la communauté. Dans cette même perspective, Putnam (2007) a également exploré le concept de cohésion dans un cadre de diversité. Il argumente que la diversité peut, dans certains cas, réduire la cohésion sociale mais, que des communautés homogènes présentent souvent une intégration normative plus simple qui permet de favoriser ainsi la solidarité mécanique à travers des réseaux de soutien locaux. Sa recherche est utile pour comprendre comment des groupes d’immigrants peuvent s’intégrer dans des sociétés ayant de valeurs fortes partagées.

Quant à la théorie de l’assimilation, formulée par les chercheurs de l’École de Chicago tels que Park & Burgess (1921), elle postule que l’intégration des immigrants repose sur leur absorption progressive dans la culture dominante de la société d’accueil. Ce modèle unidirectionnel suppose que l’immigrant abandonne progressivement certains aspects de sa culture d’origine pour adopter ceux de la culture d’accueil. Selon cette approche, l’assimilation réussie est atteinte lorsque l’individu parvient à adopter pleinement les valeurs, les comportements et les normes du groupe majoritaire. Park et Burgess décrivent ce processus comme une succession de phases, allant du contact initial à l’assimilation complète, dans laquelle l’immigrant est supposé se fondre dans la société d’accueil pour minimiser les différences culturelles. Cette théorie est particulièrement pertinente dans des contextes où les attentes culturelles de la société dominante sont rigides, créant ainsi une pression sur l’immigrant pour qu’il s’adapte aux normes locales au détriment de sa propre identité culturelle. En outre, Alba et Nee (2003) ont actualisé la théorie de l’assimilation en introduisant le concept de « nouvel assimilationnisme » qui reconnaît la possibilité d’une assimilation partielle dans laquelle les immigrants peuvent adopter certains aspects de la culture d’accueil tout en maintenant certaines pratiques de leur culture d’origine. Il s’agit d’une perspective plus flexible que l’assimilation classique tandis que Portes Alejandro  & Rumbaut Rubén G. (2014) ont actualisé la théorie de l’assimilation en introduisant le concept d’assimilation segmentée. Selon eux, l’assimilation n’est pas uniforme. Elle dépend de plusieurs facteurs tels que le capital social, les politiques d’accueil et les réseaux de soutien communautaire. Cette approche permet de comprendre comment les immigrants peuvent s’adapter à la culture dominante tout en maintenant certains aspects de leur propre culture dans un processus d’assimilation non linéaire et flexible, particulièrement pertinent dans des villes aux structures sociales variées. Dans cette même logique, les travaux de  Zhou (1997) abordent aussi l’assimilation segmentée en examinant comment les immigrants peuvent s’intégrer dans différents sous-groupes de la société d’accueil. Il montre que l’assimilation est influencée par la structure de la société et les réseaux communautaires, suggérant que l’intégration ne signifie pas toujours une totale adoption des normes dominantes mais peut impliquer une adaptation à des sous-cultures locales. Ce modèle est particulièrement adapté aux environnements où les immigrants peuvent choisir de s’intégrer à des groupes sociaux spécifiques tout en maintenant des aspects de leur propre culture.

À l’opposé de cette perspective unidirectionnelle, la théorie de l’intégration pluraliste de Berry (1997) propose un modèle d’intégration bidirectionnel dans lequel les immigrants peuvent conserver leur identité culturelle tout en adoptant certains éléments de la culture de la société d’accueil. Berry identifie quatre stratégies d’acculturation : assimilation, séparation, marginalisation et intégration. Dans cette dernière stratégie, les immigrants maintiennent leur culture d’origine tout en s’impliquant dans la société d’accueil afin de créer ainsi un équilibre entre les deux identités culturelles. Berry souligne que ce modèle pluraliste valorise la diversité et promeut une société dans laquelle différentes cultures coexistent harmonieusement. Contrairement à l’assimilation, l’intégration pluraliste permet une reconnaissance et une célébration des identités multiples, enrichissant ainsi le tissu social de la société d’accueil. Berry affirme que cette approche est plus favorable pour le bien-être des immigrants car elle réduit le sentiment de perte identitaire tout en favorisant une intégration harmonieuse au sein de la société.

Berry, bien que fondateur de l’approche pluraliste, a été rejoint par d’autres chercheurs dans l’étude des processus d’intégration bidirectionnelle. Alba (1990) a étudié les processus d’intégration pluraliste, en particulier dans le contexte des sociétés où la diversité est valorisée. Il a analysé comment les identités culturelles peuvent coexister dans un environnement où les institutions promeuvent l’inclusion et le respect des différences culturelles. Ses travaux sur la « limite floue » de l’intégration enrichissent le modèle de Berry en reconnaissant la complexité des identités multiples et des espaces de coexistence dans les sociétés modernes. De plus, Dewitte (2002) a exploré l’intégration pluraliste dans le contexte européen en examinant comment les politiques d’intégration en France tentent de concilier diversité culturelle et unité nationale afin de permettre aux immigrants de s’intégrer sans abandonner leur identité culturelle. Ces travaux démontrent comment l’intégration pluraliste s’adapte aux contextes politiques et sociaux tout en soutenant l’idée que l’intégration peut être conçue comme une valeur ajoutée pour la société d’accueil.

Dans une perspective plus récente sur l’intégration pluraliste, Kymlicka (2012) analyse comment les sociétés multiculturelles valorisent la diversité sans exiger l’abandon des cultures d’origine. Kymlicka propose que les politiques de multiculturalisme contribuent à un modèle d’intégration où les immigrants peuvent conserver leur identité culturelle tout en participant activement à la société d’accueil. Son travail montre comment les politiques d’inclusion et l’assimilation segmentée favorisent l’intégration pluraliste et créent un environnement dans lequel la diversité est vue comme un atout. Dans le même sens, Bloemraad (2013) a exploré des processus similaires en examinant comment les politiques favorisant la diversité et les droits d’appartenance facilitent une intégration pluraliste en permettant aux immigrants de participer pleinement sans renoncer à leur culture d’origine. Elle soutient que les politiques inclusives créent un cadre où les immigrants peuvent se sentir intégrés et valorisés. Ces politiques permettre de renforcer ainsi la cohésion sociale sans que les immigrants sacrifient leur identité culturelle.

Ces trois théories offrent une grille d’analyse complémentaire pour étudier l’intégration normative des immigrants dans les contextes urbains de Montréal et de Sudbury. La solidarité mécanique de Durkheim est applicable dans des communautés homogènes où les valeurs partagées renforcent l’intégration. La théorie de l’assimilation de l’École de Chicago met en avant un modèle d’intégration fondé sur l’adoption des normes de la culture dominante, souvent au prix d’une perte de l’identité culturelle d’origine. En revanche, la théorie pluraliste de Berry propose un modèle où la préservation de la diversité culturelle est encouragée, permettant une intégration plus inclusive. En croisant ces perspectives avec les réalités de Montréal et de Sudbury, il est possible de comprendre comment les contextes géographiques et sociaux influencent les trajectoires d’intégration des immigrants et permettent de dégager les facteurs facilitant ou freinant leurs adaptations dans chaque milieu urbain.

Méthodologie

La méthodologie de cette recherche sur l’intégration des immigrants ivoiriens francophones à Sudbury et Montréal repose sur une approche qualitative. Le recrutement des participants a été fait par l’entremise des  groupes communautaires. La technique d’échantillonnage dite “boule de neige” a été utilisée. Cette technique, fondée sur l’effet de réseau, consiste à demander aux premiers participants de recommander d’autres individus éligibles afin de permettre d’élargir progressivement l’échantillon et de diversifier les profils. Elle s’est révélée particulièrement efficace pour atteindre une population cible spécifique et ce, malgré certaines réticences initiales liées à la confidentialité. Cette dernière a permis d’élargir progressivement le réseau de participants et de constituer un échantillon diversifié comprenant 30 individus répartis équitablement entre Sudbury et Montréal. Ensuite, des entretiens semi-structurés ont exploré les dimensions variées de l’intégration, notamment les motivations migratoires, la vie professionnelle et l’adaptation culturelle. Un guide méthodique a structuré les entretiens en combinant des questions ouvertes et fermées. La collecte des données a été adaptée aux préférences des participants afin de garantir des témoignages riches, variés et pertinents.

L’analyse qualitative a suivi une méthode de catégorisation systématique et s’est appuyée sur le principe de saturation théorique, introduit par Glaser et Strauss (1967) dans le cadre de la théorie ancrée, désignant le point où la collecte de données dans une recherche qualitative n’apporte plus d’informations nouvelles ou significatives pour enrichir l’analyse. Cette analyse qualitative a permis de garantir une exploration exhaustive des phénomènes étudiés. Les données ont été classées par thèmes et comparées entre les deux villes afin de mettre en lumière les différences liées au profil des participants, à leurs expériences et à leurs perceptions de l’intégration. Cette approche a permis d’explorer en profondeur les dynamiques sociales, les défis économiques et les interactions culturelles dans les deux contextes urbains. Ainsi, en combinant des aspects quantitatifs (profil démographique) et qualitatifs (expériences vécues), les résultats de l’étude offrent une compréhension nuancée et multidimensionnelle des réalités complexes de l’intégration des immigrants ivoiriens au Canada et particulièrement à Sudbury et à Montréal.

Résultats

Les résultats de cette étude se structurent autour de quatre axes principaux qui offrent une compréhension approfondie des dynamiques d’intégration des immigrants ivoiriens à Sudbury et Montréal. Tout d’abord, une analyse des préférences entre ces deux villes met en lumière les choix effectués par les participants dans le cadre de leur intégration normative. Ensuite, une évaluation de la qualité de vie et des facteurs d’attractivité de chaque ville permet de mieux comprendre ce qui motive les immigrants à s’y établir. Par ailleurs, l’étude examine les défis urbains rencontrés par les participants dans leur processus d’intégration normative et identifie ainsi les principaux obstacles auxquels ils sont confrontés. Enfin, l’analyse des intentions de résidence à long terme apporte un éclairage sur leurs perspectives d’avenir et leur attachement aux villes de Sudbury et Montréal.

Les préférences locales influencent de manière significative l’intégration des immigrants

Pour mieux comprendre les préférences des immigrants ivoiriens et leur perception de l’intégration dans les villes de Sudbury et de Montréal, il était nécessaire de chercher à identifier les aspects spécifiques qu’ils apprécient dans leur cadre de vie. Les réponses à la question suivante : « Quels aspects appréciez-vous particulièrement à Sudbury et à Montréal ? » a fait l’objet d’une synthèse dans le tableau 1 ci-dessous:

NB : Les totaux de 29 pour Sudbury et de 33 pour Montréal représentent des occurrences de réponses et non des individus distincts. Chaque occurrence est comptabilisée individuellement sans répétitions.
Tableau 1 : Les aspects spécifiquement appréciés à Sudbury et Montréal selon l’expérience des participants

Les préférences des répondants révèlent des différences notables dans leur perception des deux villes, mettant ainsi en évidence des priorités distinctes selon les aspects de la vie urbaine. Concernant la mobilité urbaine, Montréal se distingue avec 21,21 % des fréquences de réponses des répondants qui apprécient la facilité de transport et les infrastructures publiques efficaces contre seulement 10,34 % à Sudbury. Cela souligne l’avantage de la métropole avec un réseau de transport développé, essentiel pour la navigation urbaine, en particulier pour les travailleurs et les étudiants. Sudbury, bien que moins développée dans ce domaine, répond partiellement aux besoins de mobilité mais, sa dépendance accrue à l’automobile limite son attrait sur ce point.

La cohésion communautaire et les relations sociales occupent une place importante pour les immigrants dans les deux villes même si les dynamiques diffèrent. À Sudbury, la fréquence des réponses portant sur la cohésion communautaire atteint 13,8 % et les relations sociales 13,8 %. Ce qui reflète un environnement chaleureux et solidaire particulièrement apprécié dans les communautés locales comme celle des Ivoiriens. Par contre, Montréal enregistre une cohésion communautaire légèrement supérieure (18,18 %) mais des relations sociales moins importantes (9,09 %). Cela pourrait indiquer que, bien que la grande diversité culturelle de Montréal favorise une intégration communautaire, l’ampleur de la ville peut limiter les interactions sociales rapprochées, souvent plus présentes dans les milieux urbains de taille moyenne comme Sudbury.

Les possibilités éducatives et professionnelles représentent des critères distincts entre les deux villes. Sudbury est valorisée pour ses possibilités éducatives (10,34 % contre 6,06 % à Montréal), mettant en avant la qualité de ses institutions éducatives et sa forte offre pour les francophones. Toutefois, la ville est absente en termes de possibilités professionnelles (0 %). Il s’agit là d’un contraste frappant avec Montréal où 15,15 % des réponses soulignent les opportunités d’emploi. Cette disparité reflète le rôle de Montréal comme centre économique et professionnel qui attire les immigrants cherchant des perspectives de carrière tandis que Sudbury répond davantage aux besoins éducatifs mais reste limitée sur le plan économique.

Les conditions de vie, l’accessibilité au logement et les caractéristiques de l’environnement urbain constituent des points où Sudbury excelle. Les conditions de vie y sont appréciées par 20,68 % des réponses contre seulement 9,09 % à Montréal, indiquant une qualité de vie supérieure grâce à son environnement calme et ses activités récréatives. De même, l’accessibilité au logement (10,34 % à Sudbury contre 3,03 % à Montréal) reflète une différence importante. En effet, Sudbury offre des logements plus abordables. Enfin, les caractéristiques de l’environnement urbain sont appréciées à 17,24 % à Sudbury contre 12,12 % à Montréal. Cela montre que la taille et la structure de la ville de Sudbury créent un cadre favorable pour les résidents et ce, malgré la perception moindre de ses attributs environnementaux (3,44 % contre 6,06 % à Montréal).

En conclusion, l’analyse révèle que Sudbury est privilégiée pour son cadre de vie paisible, son accessibilité au logement et son environnement communautaire chaleureux tandis que Montréal se distingue par ses opportunités professionnelles, sa mobilité urbaine et sa cohésion communautaire dans un cadre multiculturel. Ces préférences montrent que Sudbury attire les immigrants en quête de stabilité et de qualité de vie tandis que Montréal séduit ceux qui cherchent des perspectives économiques et un accès facilité aux services urbains. Ces résultats mettent en lumière les forces et les faiblesses de chaque ville dans leur capacité à répondre aux besoins variés des immigrants ivoiriens.

La qualité de vie et les facteurs d’attraction constituent des éléments de différenciation majeure entre Sudbury et Montréal

Pour évaluer la qualité de vie à Sudbury et Montréal, la question suivante : « Appréciez-vous vivre dans votre ville ? Qu’est-ce qui vous plaît le plus ici ? » a été posée aux participants. Cette question visait à explorer leurs perceptions de leur cadre de vie qui est influencé par des aspects tels que les services publics, l’attractivité culturelle, la sécurité et d’autres facteurs qui façonnent leur expérience quotidienne. Le tableau 2 résume les fréquences des réponses des différentes personnes interrogées.

NB: Les totaux de 27 pour Sudbury et de 22 pour Montréal représentent des occurrences de réponses et non des individus distincts, où chaque occurrence est comptabilisée individuellement, sans répétitions
Tableau 2 : comparaison des facteurs d’attraction de Sudbury et Montréal

Le tableau 2 met en lumière les facteurs socioculturels, économiques et environnementaux qui influencent le choix résidentiel des immigrants ivoiriens à Sudbury et Montréal ainsi que leur impact sur l’intégration et la qualité de vie.

L’analyse des fréquences de réponses des participants révèle des différences marquées entre Sudbury et Montréal en matière de qualité de vie. Sudbury est fortement appréciée pour son cadre paisible et sécuritaire avec 18,51 % des réponses mentionnant la tranquillité comme un avantage majeur. En revanche, Montréal, bien qu’appréciée pour son cadre paisible à un degré moindre (9,09 %), se distingue par sa richesse multiculturelle (18,18 %) et ses espaces verts et loisirs (13,63 %). Ce qui traduit une offre plus diversifiée en termes d’activités sociales et culturelles. Ces différences reflètent les caractéristiques fondamentales des deux villes : Sudbury offre un environnement calme et homogène tandis que Montréal propose un cadre plus dynamique et diversifié.

Sur le plan des opportunités économiques et des services, Montréal domine clairement. Avec 22,72 % des réponses qui mentionnent les transports efficaces et les opportunités de carrière, la ville offre un environnement propice à la mobilité et à l’avancement professionnel. À Sudbury, les services de proximité (11,11 %) et le coût du logement abordable (3,70 %) sont reconnus même si les opportunités de travail (7,40 %) restent limitées. Cette disparité montre que Montréal attire principalement pour ses avantages socio-économiques tandis que Sudbury se concentre sur des besoins plus fondamentaux comme l’accessibilité locale et la stabilité résidentielle.

Enfin, Sudbury se distingue par son offre éducative et linguistique avec 18,51 % des réponses qui valorise cette dimension, en particulier l’enseignement en français (7,40 %). Cela contraste avec Montréal où le support éducatif familial est bien moins mentionné (4,54 %). En revanche, Montréal attire pour sa diversité gastronomique (9,09 %) et ses infrastructures culturelles, reflet d’un mode de vie plus urbain. Ainsi, les préférences des répondants varient selon leurs priorités : Sudbury convient mieux à ceux et celles qui recherchent  un cadre familial et éducatif stable tandis que Montréal séduit par son multiculturalisme et ses opportunités professionnelles. Ces résultats illustrent les forces distinctes des deux villes en matière d’attractivité pour les immigrants.

Persistance des défis urbains dans l’intégration normative des immigrants francophones ivoiriens à Sudbury et à Montréal

Pour analyser les obstacles à l’intégration normative, les aspects perçus comme moins favorables de la vie à Montréal et Sudbury et qui influencent directement l’intégration des résidents ont été étudiés. En mettant en lumière les défis culturels, environnementaux et économiques, cette analyse permet de mieux comprendre comment ces facteurs varient entre ces deux cadres urbains et leur impact sur le processus d’intégration des individus (cf. graphique 1).

NB: Les totaux de 26 pour Sudbury et de 26 pour Montréal représentent des occurrences de réponses et non des individus distincts, où chaque occurrence est comptabilisée individuellement, sans répétitions. Les fréquences de réponses ont été ramenées en pourcentage pour faciliter l’analyse
Graphique 1: Comparaison des obstacles à l’intégration des immigrants à Sudbury et à Montréal

Les fréquences des réponses données révèlent des différences significatives entre Sudbury et Montréal en ce qui concerne les obstacles à l’intégration normative des immigrants. Les barrières linguistiques sont plus fréquentes à Montréal (11,54 %) qu’à Sudbury (7,69 %). Ce constat reflète les défis que posent les exigences bilingues ou anglophones dans une métropole où les interactions quotidiennes nécessitent souvent une maîtrise des deux langues officielles. Par ailleurs, le manque d’accès aux ressources essentielles (les soins de santé, l’éducation, le logement, l’assistance sociale, etc.) est une préoccupation importante à Sudbury (15,38 %). Cette préoccupation est absente à Montréal (0 %). Cela souligne une différence marquée dans la disponibilité des services tels que les soins de santé, l’éducation ou le logement. À cet égard, Montréal bénéficie de meilleures infrastructures pour répondre à ces besoins fondamentaux. Cependant, l’insécurité et les tensions sociales (la sécurité personnelle, la criminalité, les conflits communautaires, etc.) représentent un obstacle identique et majeur dans les deux villes (46,15 %), ce qui indique que les préoccupations en matière de criminalité et de conflits communautaires transcendent les différences géographiques et urbaines.

D’autres facteurs varient également entre les deux villes. À Sudbury, les restrictions dans le marché du travail (la reconnaissance des qualifications étrangères, la discrimination à l’embauche, le manque d’opportunités professionnelles adaptées à leurs compétences, etc.) (23,08 %) sont tout aussi significatives qu’à Montréal (23,08 %). Aussi, les immigrants à Sudbury doivent également composer avec des adversités environnementales (conditions climatiques extrêmes, la pollution, etc.) (7,69 %) et une absence totale de discrimination sociale (basée sur la race, l’ethnie, la religion, etc.) perçue (0 %) tandis que Montréal affiche des adversités environnementales plus élevées (15,38 %) et une discrimination sociale modérée (3,84 %). Ces disparités mettent en évidence que Montréal, bien qu’offrant un environnement plus riche en opportunités et en ressources, présente des défis liés à sa densité urbaine, à son multiculturalisme et ses conditions environnementales. À l’inverse, Sudbury, avec ses limitations en termes de services et d’opportunités économiques, offre néanmoins un cadre plus homogène et moins discriminatoire pour les immigrants. Toutefois, les défis liés à l’isolement et aux tensions sociales demeurent. Ces résultats permettent de mieux comprendre les défis spécifiques à chaque ville et leur impact sur les processus d’intégration des immigrants.

Les obstacles à l’intégration des immigrants à Sudbury et Montréal, bien que façonnés par des contextes urbains distincts, partagent des similitudes telles que les tensions sociales et l’insécurité, tout en présentant des défis spécifiques à chaque ville. À Sudbury, les barrières linguistiques liées à la maîtrise de l’anglais et le manque d’accès aux ressources spécialisées, comme les soins de santé, représentent des contraintes majeures. À Montréal, les préoccupations environnementales et les exigences bilingues, parfois surprenantes dans un contexte francophone, complexifient le processus d’intégration. Ces éléments soulignent la nécessité de stratégies d’intégration différenciées, adaptées aux réalités locales pour mieux répondre aux besoins variés des immigrants et faciliter leur inclusion socio-économique.

Diversité des intentions de résidence à long terme des immigrants ivoiriens à Sudbury et à Montréal

L’analyse porte sur les intentions de résidence à long terme des participants afin de déterminer si Sudbury ou Montréal sont perçues comme des lieux de résidence permanents. Cette exploration repose sur l’évaluation de plusieurs facteurs tels que la qualité de vie, les opportunités professionnelles et l’environnement socio-culturel qui influencent ces décisions. Pour recueillir ces informations, une question a été posée aux participants : « Dans les circonstances actuelles, prévoyez-vous de vous installer dans la région pour plus longtemps ou de façon permanente ? » Cette question vise à obtenir des réponses directes et éclairées sur leurs projets de résidence tout en mettant en évidence les motivations et les hésitations qui orientent leurs choix.

NB: Les totaux de 21 pour Sudbury et de 15 pour Montréal représentent des occurrences de réponses et non des individus distincts, où chaque occurrence est comptabilisée individuellement, sans répétitions. Les fréquences de réponses ont été ramenées en pourcentage pour faciliter l’analyse
Graphique 2: Facteurs déterminant les décisions de résidence à long terme des immigrants à Sudbury et à Montréal

Le graphique 2 présente les principaux facteurs influençant la décision de rester ou de quitter Sudbury et Montréal. Il illustre les éléments communs ainsi que les spécificités propres à chaque ville. Ce qui permet de mieux comprendre ce qui attire ou dissuade les individus dans ces deux environnements urbains. Cette analyse offre une perspective nuancée sur les dynamiques résidentielles des immigrants dans les deux contextes étudiés.

Les intentions de résidence à long terme des participants révèlent des différences marquées entre Sudbury et Montréal en fonction des priorités personnelles et économiques. La stabilité de l’emploi, un facteur clé, est davantage citée à Sudbury (52,38 %) qu’à Montréal (33,33 %), ce qui reflète une perception plus positive de la sécurité professionnelle dans un environnement moins compétitif mais stable. Ce résultat peut être lié à un marché de l’emploi moins saturé et à des opportunités adaptées aux compétences des résidents. À Montréal, bien que la stabilité de l’emploi soit citée par un tiers des réponses, cela peut indiquer une concurrence accrue ou une perception de précarité professionnelle dans une grande métropole.

D’un autre côté, la réalisation de projets personnels et les conditions économiques générales influencent davantage les intentions de résidence à Montréal. La réalisation de projets personnels est citée 33,33 % dans les fréquences de réponses à Montréal contre 19,04 % à Sudbury. À ce titre, Montréal est perçue comme une ville offrant des opportunités plus variées pour atteindre des objectifs familiaux, éducatifs ou professionnels. De même, les conditions de vie favorables, incluant le logement, sont mentionnées par 33,33 % des réponses à Montréal contre 21,57 % à Sudbury. Ces réponses suggèrent que bien que Sudbury soit plus abordable, Montréal offre un cadre de vie jugé plus attrayant pour ceux en quête de confort et de qualité urbaine.

Les décisions de résidence à long terme des immigrants à Sudbury et Montréal sont influencées par une combinaison de facteurs économiques, personnels et culturels qui varient en fonction des caractéristiques spécifiques de chaque ville. À Sudbury, la stabilité de l’emploi et le coût de la vie avantageux sont des éléments déterminants, particulièrement pour ceux qui recherchent un cadre familial stable et des conditions économiques favorables. À Montréal, bien que les défis économiques et linguistiques soient notables, l’environnement culturel et social riche joue un rôle attractif majeur qui compense souvent ces obstacles. Les observations qui sont faites soulignent l’importance pour les décideurs locaux d’adopter des stratégies d’intégration adaptées aux réalités et priorités des immigrants dans chaque ville afin de maximiser leur attractivité et de faciliter leur inclusion à long terme. Les témoignages recueillis illustrent la diversité des parcours et des perceptions et offrent ainsi des pistes pour améliorer les politiques et les services destinés à cette tranche de la population.

Discussion

Les résultats mettent en évidence que le contexte urbain, qu’il s’agisse d’une petite ville comme Sudbury ou d’une grande métropole comme Montréal, joue un rôle déterminant dans les approches normatives d’intégration des immigrants. Bien que les études existantes abordent ce sujet de manière diverse, elles convergent sur le fait que les environnements urbains distincts influencent les politiques normatives et façonnent les expériences d’intégration. Ce constat est soutenu par les travaux de Boisclair (1993), Castro et Villeneuve (2019), Dion (2011), Dadashzadeh (2003), Parrot (2000), Siemiatycki (2018), Frideres (2006) et Guibert (1992) qui soulignent tous l’impact des variables urbaines sur les processus d’intégration normative. Ainsi, l’importance des spécificités locales dans l’élaboration de politiques normatives d’intégration efficaces est mise en évidence par l’étude sur l’accueil des réfugiés dans 14 régions du Québec menée par Arsenault (2021) et par les données recueillies dans le cadre de cette recherche. Ces travaux soulignent le rôle crucial des acteurs locaux et des réseaux communautaires dans la réussite de l’intégration normative. Une convergence apparaît qui montre qu’une approche flexible, adaptée aux particularités et contextes divers comme celui de Sudbury, Montréal ou d’autres régions du Québec est essentielle pour surmonter les défis d’intégration et maximiser les opportunités offertes par l’accueil et l’intégration des immigrants et des réfugiés.

Par contre, l’étude d’Adjizian et al. (2021) met en avant le rôle du loisir comme facteur d’intégration sociale pour les nouveaux arrivants à Montréal. Ces résultats complètent l’analyse en soulignant l’importance d’adapter les stratégies normatives aux réalités locales. Le loisir est présenté comme un levier essentiel pour favoriser l’intégration sociale et s’inscrit dans une perspective plus large de politiques normatives d’intégration. Enfin, l’étude de Furrey (2023) met en avant la valorisation de la diversité culturelle comme un élément central des politiques normatives d’intégration à Montréal. Cette approche reconnaît la pluralité culturelle comme une force en s’appuyant sur l’interactionnisme et l’interculturalisme. Ces éléments reflètent la perception de Montréal comme un espace dans lequel la diversité des approches normatives constitue un atout essentiel pour favoriser une intégration réussie.

La théorie de la solidarité mécanique de Durkheim, qui repose sur des liens communautaires basés sur des similitudes culturelles, trouve une application directe dans le contexte de Sudbury. Les résultats de l’étude montrent que la proximité sociale typique des petites villes facilite l’intégration normative des immigrants. Les structures communautaires francophones bien établies, telles que l’Association des Ivoiriens et des Ivoiriennes du Grand Sudbury (AIGS) et le Contact interculturel francophone de Sudbury (CIFS), jouent un rôle clé en fournissant un soutien social et culturel. Cependant, cette homogénéité sociale peut limiter les opportunités d’interactions interculturelles et réduire ainsi l’exposition à une diversité culturelle plus large qui est un élément pourtant crucial dans une société pluraliste.

Par contre, à Montréal, la théorie de l’assimilation, développée par l’École de Chicago, se reflète dans les défis rencontrés par les immigrants pour s’adapter aux normes dominantes. La métropole impose des exigences élevées en matière de bilinguisme et de compétitivité économique, ce qui rend l’intégration plus complexe. Bien que la richesse culturelle et les opportunités professionnelles soient des atouts majeurs, ces avantages sont contrebalancés par des obstacles structurels tels que le coût de la vie élevé et les attentes sociales liées à l’assimilation. Ces pressions, bien qu’elles favorisent une adaptation fonctionnelle, risquent de marginaliser les individus qui peinent à répondre à ces exigences.

La théorie pluraliste de Berry, qui valorise le maintien des identités culturelles tout en participant activement à la société d’accueil, est particulièrement pertinente pour Montréal. Les résultats révèlent que cette ville offre un environnement propice à la préservation des cultures d’origine grâce à sa diversité culturelle et à des initiatives soutenant le multiculturalisme. Toutefois, l’efficacité de cette approche dépend de l’intensification des programmes de soutien linguistique et des initiatives de sensibilisation culturelle. Ces mesures permettraient aux immigrants de mieux naviguer dans la complexité sociale et économique de la métropole tout en renforçant la cohésion sociale.

À Montréal, l’intégration normative des immigrants est marquée par la diversité culturelle et le bilinguisme requis qui crée un contexte d’adaptation complexe. Les immigrants doivent naviguer entre deux langues et de multiples cultures, ce qui exige une capacité constante à coexister avec les normes locales tout en préservant leurs identités culturelles. Ce contexte multiculturel met en évidence la nécessité d’un équilibre entre adaptation et préservation des particularités individuelles, reflétant la richesse et les défis d’une métropole cosmopolite. Par contre, à Sudbury, l’intégration normative des immigrants est facilitée par la proximité sociale caractéristique des petites villes et par la présence d’organisations francophones bien établies, telles que l’Association des Ivoiriens et le Contact interculturel francophone de Sudbury. Ces réseaux de soutien offrent une aide précieuse aux nouveaux arrivants qui permet d’adopter rapidement les normes locales et de s’intégrer pleinement dans la communauté. Cette dynamique crée un environnement propice à une intégration fluide et harmonieuse où les immigrants se sentent véritablement inclus. Ce qui permet de renforcer ainsi le tissu social de la ville.

Cependant, il faut retenir que les points communs dans l’intégration normative des immigrants à Montréal et Sudbury se manifestent principalement à travers deux axes majeurs : l’engagement communautaire et l’adaptation des politiques d’intégration. Les deux villes valorisent la participation active des immigrants dans leurs communautés, ce qui favorise un sentiment d’appartenance, facilite l’adaptation aux normes sociales et encourage une intégration active. Par ailleurs, Montréal et Sudbury reconnaissent l’importance d’adapter leurs politiques d’intégration aux spécificités locales en développant des programmes et services personnalisés pour répondre aux besoins variés des populations immigrantes.

Finalement, en liant les cadres théoriques aux résultats, il apparaît que les contextes urbains façonnent profondément les expériences d’intégration normative. Sudbury incarne un modèle basé sur la cohésion sociale homogène qui pourrait être enrichi par des programmes favorisant les interactions interculturelles. À Montréal, une approche pluraliste renforcée pourrait équilibrer les exigences économiques et linguistiques tout en valorisant la diversité culturelle. Ces analyses soulignent la nécessité de stratégies différenciées et adaptées aux particularités locales pour optimiser l’intégration normative des immigrants et renforcer leur participation sociale et économique.

Conclusion

Les approches normatives d’intégration des immigrants à Montréal et Sudbury reflètent des dynamiques urbaines distinctes, façonnées par les caractéristiques socioculturelles, économiques et linguistiques propres à chaque ville. À Montréal, la diversité culturelle et l’abondance des ressources offrent un cadre d’intégration dynamique mais complexe où le bilinguisme et la compétition économique imposent des défis considérables. Sudbury, en revanche, favorise une intégration plus directe grâce à la proximité sociale et à la cohésion communautaire même si des limitations comme la diversité culturelle restreinte et les barrières linguistiques freinent parfois l’inclusion complète.

L’étude met en évidence des facteurs spécifiques influençant les choix résidentiels et les expériences d’intégration des immigrants dans ces deux contextes. À Sudbury, la tranquillité et le faible coût de la vie jouent un rôle clé dans la stabilité résidentielle tandis qu’à Montréal, l’attractivité repose sur les opportunités économiques et l’enrichissement culturel et ce malgré les défis liés au coût élevé de la vie. Ces résultats illustrent l’importance de stratégies différenciées pour répondre aux besoins variés des immigrants selon leur contexte d’accueil.

Les obstacles communs, comme l’adaptation culturelle et le bilinguisme, rappellent que des politiques inclusives et des initiatives ciblées sont essentielles pour faciliter l’intégration normative. Les défis spécifiques, tels que le manque d’accès aux ressources à Sudbury ou la pression économique à Montréal, appellent à des interventions adaptées aux réalités locales qui favorisent ainsi une inclusion plus harmonieuse et équitable.

En somme, cette recherche souligne l’importance de valoriser les spécificités régionales dans l’élaboration de politiques d’intégration. En adoptant des stratégies flexibles et inclusives, Montréal et Sudbury peuvent non seulement répondre aux attentes des immigrants mais aussi renforcer leur attractivité et enrichir leur dynamique sociale et économique, tout en respectant la diversité culturelle qui fait la richesse du Canada. Cette étude souligne aussi l’importance d’étendre la recherche sur l’intégration normative à d’autres communautés immigrantes au Canada au-delà des Ivoiriens à Montréal et Sudbury. Des études futures pourraient vérifier la transférabilité des modèles observés à d’autres groupes et inclure des analyses longitudinales pour comprendre l’évolution de l’intégration au fil du temps. Une collaboration renforcée entre chercheurs, décideurs et communautés immigrantes sera déterminante pour concevoir des politiques d’intégration plus pertinentes, adaptées et efficaces au bénéfice des diverses populations concernées.

 

Références bibliographiques


Adjizian, J.-M., Roult, R., White, B., Auger, D. & Zheng, D. Q. (2021). Le loisir comme facteur d’intégration sociale pour les nouveaux arrivants : étude de cas centrée sur certains arrondissements de Montréal. Enjeux et société, 8(1), 220–248. https://doi.org/10.7202/1076542ar

Alba, Richard. (1990). Ethnic Identity: The Transformation of White America. Yale University Press. 390 p.

Alejandro Portes & Rubén G. Rumbaut (2014). Immigrant America: A Portrait. Edition: 4, University of California Press, 544 p. https://www.jstor.org/stable/10.1525/j.ctt7zw0nw

Arsenault, S. (2021). L’accueil des réfugiés pris en charge par l’État dans les régions du Québec. Canadian Ethnic Studies, 53(2), 1-21.

Barney G. Glaser & Anselm L. Strauss (1967). The discovery of grounded theory: Strategies for qualitative research. Aldine, 1967 – Social Science – 271 pages

Berry, JW (1997). Immigration, acculturation et adaptation. Psychologie appliquée : une revue internationale, 46(1), 5–34.

Bloemraad, Irene. (2013). Understanding ‘Canadian Exceptionalism’ in Immigration and Pluralism Policy. Migration Policy Institute. University of California, Berkeley, 23 p.

Boisclair, L. (1993). La régionalisation de l’immigration et les attentes des immigrants : Le cas du Saguenay [Masters, Université du Québec à Chicoutimi]. https://constellation.uqac.ca/1316/

Camille Mialot et Paul Dima Ehongo (2004). “De l’intégration normative à géométrie et à géographie variables” dans Critique de l’intégration normative (sous la direction de Mireille Delmas-Marty). Presses Universitaires de France, pp. 25-36.

Castro, C. & Villeneuve, P. (2019). Être femme et immigrante : l’intégration socioéconomique des femmes en région nordique au Québec. Service social, 65(1), 54–69. https://doi.org/10.7202/1064590ar

Dadashzadeh, Aghdas (2003). « L’intégration des iraniens de première génération : analyse comparée Montréal-Toronto » Mémoire. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Maîtrise en sociologie .http://archipel.uqam.ca/id/eprint/1191

Dewitte, Philippe (1999). Immigration et intégration. L’état des savoirs, 444 pages.

Dion, P. (2011). Migrations secondaires des nouveaux immigrants au cours de leurs quatre premières années au Canada : Motivations et trajectoires. Cahiers québécois de démographie, 39(2), 243‑273. https://doi.org/10.7202/1003587ar

Douglas M. (1970), Natural Symbols. Explorations in Cosmology, London, Barrie and Rockliff/Cresset Press. DOI : 10.4324/9780203426623

Durkheim,  É. (1917). De la division du travail social (3rd édition.). Presses Universitaires de France.

Frideres (2006). Nos diverses cités (2) 3 – 10. L’intégration des immigrants dans les villes : L’avenir des centres de deuxième et de troisièmes rangs.

Furrey, G. (2023). La métropole contre la nation? La politique montréalaise d’intégration des personnes immigrantes by David Carpentier. The French Review, 97(1), 219-220.

Garcés-Mascareñas, B., & Penninx, R. (Eds.). (2016). Integration Processes and Policies in Europe: Contexts, Levels and Actors. Springer International Publishing. https://doi.org/10.1007/978-3-319-21674-4

Guibert-Lantoine Catherine. Permanence et diversification l’immigration au Canada. In: Population, 47ᵉ année, n°1, 1992. pp. 47-83; doi : 10.2307/1533632 https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1992_num_47_1_3799

Han, Y., Deng, Y., & Ni, R. (2023). Pourquoi les petites villes rétrécissent : l’hétérogénéité spatiale du déclin des petites villes et son impact du point de vue de l’interaction entre les zones rurales et urbaines en Chine. PLoS ONE. https ://faire.o/10/journal .pone .0293889

Keith, K. (2008). Plaidoyer pour un leadership au service des autres. Terrace Press.

Kymlicka, Will. (2012). Multiculturalism: Success, Failure, and the Future. Migration Policy Institute. Queen’s University, 37 p.

Park, R. E. & Burgess, E. W. (1921). Introduction to the Science of Sociology. University of Chicago Press, 1040 pages

Parrot, C. (2000). La santé sexuelle des jeunes femmes afro-francophones de Toronto. Reflets, 6(2), 226–230. https://doi.org/10.7202/026326ar.

Putnam, R. D. (2007). E Pluribus Unum: Diversity and Community in the Twenty-first Century. Scandinavian Political Studies, Volume 30 (2), 137–174. https://doi.org/10.1111/j.1467-9477.2007.00176.x

Richard Alba & Victor Nee (2003). Remaking the American Mainstream: Assimilation and Contemporary Immigration. Harvard University Press, 384 pages.

Siemiatycki, M. (2018). Chapitre 5. Réponses urbaines à la diversité religieuse : Le cas de Toronto. In S. Lefebvre (Éd.), La religion dans la sphère publique (p. 115‑136). Presses de l’Université de Montréal. http://books.openedition.org/pum/10474.

Slack, T., Jensen, L. L’évolution démographique des zones rurales et des petites villes d’Amérique. Popul Res Policy Rev 39, 775–783 (2020). https://doi.org/10.1007/s11113-020-09608-5

Wimmer, Andreas & Schiller, Nina Glick (2002).Methodological Nationalism and Beyond: Nation-State Building, Migration and the Social Sciences. Volume 2 (4), 301-334. https://doi.org/10.1111/1471-0374.00043

Zhou, Min. (1997). Segmented Assimilation: Issues, Controversies, and Recent Research on the New Second Generation. The International Migration Review, Volume 31(4), 975–1008.

 

Pour citer cet article


Référence électronique

KOUASSI Brou Gbalou David & SOUMAHORO Moustapha (2024). « Intégration normative et adaptation culturelle : comparaison des expériences des immigrants francophones ivoiriens de Montréal et de Sudbury ». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (9) 2. En ligne le 25 décembre 2024, pp. 22-29, https://revuecangeotrop.ca

   

Auteurs


KOUASSI Brou Gbalou David
Doctorant
Sciences humaines et interdisciplinarité
Université Laurentienne
Sudbury, Ontario, Canada
E-mail: bkouassi@laurentian.ca

SOUMAHORO Moustapha
Professeur émérite de l’Université Laurentienne
Professeur associé à l’Université de Sudbury
Sudbury, Ontario, Canada
E-mail: msoumahoro@laurentian.ca