Enjeux de la certification du cacao produit en côte d’ivoire

Issues of certification of cocoa produced in Ivory Coast

OUATTARA Seydou


RésuméDurant ces dernières années, la filière cacao a connu une multiplication des systèmes de certification consécutive aux impératifs des pays importateurs. Contrairement au système conventionnel, les méthodes qu’ils utilisent conduisent à la production de cacao certifié considéré comme durable. L’absence de statistique nationale sur la filière de ce type de cacao qui présente la distribution des quantités entre les acteurs impliqués, les régions d’origines, les circuits, les destinations, est un handicap pour une étude géographique plus intéressante. Malgré ce défaut, l’étude a pu être menée. Son objectif est d’analyser les enjeux de la certification du cacao ivoirien contrairement aux autres études qui se sont exclusivement appesanties sur ses impacts sur la filière conventionnelle. Elle admet en hypothèse que le cacao certifié contribue au développement durable de la filière cacao. La collecte des données s’est effectuée par la consultation de la littérature, par des entretiens avec des responsables administratifs et par des questions adressées aux producteurs de cacao. À l’issue de leur traitement manuel, les analyses se sont fondées sur des variables liées aux piliers du développement durable. Les résultats montrent que la détérioration des paramètres sociaux, économiques, environnementaux et sanitaires met la filière cacao face à de multiples défis auxquels la certification peut apporter une réponse.

Mots clés :  Côte d’Ivoire, Production, Cacao, Certification, Développement durable  

 

Abstract:  In recent years, the cocoa industry has seen a proliferation of certification systems consecutive to the requirements of importing countries. Unlike the conventional system, the methods they use lead to the production of certified cocoa considered as sustainable. The lack of national statistics on the sector for this type of cocoa, which presents the distribution of amounts between the actors involved, the regions of origin, tours, destinations, is a handicap for more interesting geographical study. Despite this flaw, the study could be conducted. Its objective is to analyze the issues of certification of Ivorian cocoa unlike other studies that have weighed down on its effects on the conventional sector. The assumption is that the certified cocoa contributes to sustainable development of the cocoa sector. Data collection was carried out by consulting the literature, interviews with administrators and a questionnaire submitted to some cocoa producers. After manual processing, the analysis is based on variables related to the pillars of sustainable development. The results show that the deterioration of social, economic, environmental and health parameters present the cocoa sector with multiple challenges, and certification can provide an answer.   

KeywordsIvory Coast, Production, Cocoa, Certification, Sustainable Development

 

Plan

Introduction

Méthodologie

Deux systèmes de certification développés par les acteurs

Le système étatique exploite les canaux législatifs et médiatiques

Exploitation du système des agences privées par les exportateurs et les coopératives

De multiples contraintes qui justifient la certification du cacao

La diminution du couvert forestier

Des injustices sociales en milieu rural et le non-respect de l’éthique sociale

Amenuisement des capacités productives des plantations de cacao 

La détérioration de l’état sanitaire du cacao

Conclusion

 

Texte intégral                                                                                 Format PDF

INTRODUCTION

La demande mondiale de cacao s’est accompagnée au cours des dernières années d’une évolution des exigences des consommateurs. Les Organisations Non Gouvernementales (ONG) ont alors édicté des normes regroupées sous le vocable de «cacao certifié» à l’effet de les satisfaire. Ce cacao est le résultat d’un ensemble de règles de production qui doit respecter les exigences du développement durable. Dans cette optique, l’usage de la certification est devenu une nouvelle approche de durabilité dans la filière cacao qui permet un accès privilégié des exportations au marché international. «La certification était limitée à un marché de niche de type commerce équitable ou agriculture biologique. Mais, à la fin des années 2000, la certification de masse dans la filière cacao gagne de l’intérêt et de l’ampleur» (Ruf et al, 2013). Les groupes agro-industriels et les grands négociants des pays développés ont réagi à ces nouvelles préoccupations, sous la pression de la demande de leur clientèle, en élaborant des stratégies commerciales et d’approvisionnement en cacao certifié. Ce qui posera le problème d’accès à ces marchés si les productions de cacao ne sont pas en conformité avec les normes prescrites étant donné qu’ils visent la totalité de leurs importations en cacao certifié vers 2020 pour certains et 2025 pour d’autres.      

Toutefois, pour l’heure, le marché mondial du cacao certifié est encore embryonnaire. Les estimations récentes avancent le taux d’environ 5%, sa proportion dans le volume total commercialisé. En Côte d’Ivoire, le cacao certifié  représente 300000 tonnes, soit environ 21% de la production annuelle qui est de 1400000 tonnes (Mbougueng, 2012). Quoique encore timide, la certification est brandie comme la solution qui garantit une qualité du produit, des méthodes de production éthiques et durables (Ivi, 2013).

Les récentes études (Evi, 2013 ; Ruf et al, 2013 ; N’dao, 2012) sur le cacao certifié en Côte d’Ivoire ont évalué les impacts des standards durables sur les producteurs et la chaîne d’approvisionnement des exportateurs. Si Ruf et al. (2013) estiment que les résultats escomptés sont loin d’être atteints, N’dao (2012) et Evi (2013) montrent que sa survenue a introduit des recompositions dans les pratiques courantes de la production, dans la gouvernance des coopératives et dans le commerce du cacao ordinaire. Mais, au fond, quels sont les enjeux de la production de cacao certifié pour la Côte d’Ivoire ? La situation de la filière cacao en Côte d’Ivoire a-t-elle besoin de certification de durabilité ?   Toutes ces interrogations ont été regroupées en deux thèmes: les contraintes de développement de la filière cacao et l’importance de la certification pour l’économie cacaoyère.  Le traitement manuel des informations recueillies a donné lieu à une analyse fondée sur les dimensions du développement durable.

MÉTHODOLOGIE

L’effort méthodologique s’ouvre avec  la consultation de documents écrits sur le développement durable et la certification. La participation à la conférence internationale tenue le 18 septembre 2014 en Côte d’Ivoire sur le thème «Agriculture durable : les enjeux de la certification et de la durabilité» a permis de mieux cerner les enjeux de la certification du cacao. Une enquête a alors été organisée dans le but de déterminer les perceptions et les problèmes auxquels les principaux acteurs de la filière cacao font face en Côte d’Ivoire. La technique des quotas a été retenue et son application a permis de s’entretenir avec 12 acteurs (Tableau 1).

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Tableau 1 : Répartition des enquêtés par secteur d’activité. Source : enquête de terrain, 2015    

DEUX SYSTÈMES DE CERTIFICATION DÉVELOPPÉS PAR LES ACTEURS

Les initiatives de certification de la filière cacao se présentent sous deux formes. L’action gouvernementale consiste à adopter des mesures réglementaires et à initier des campagnes de sensibilisation. Par contre, celle des exportateurs, plus pratique, se réalise avec les groupements de planteurs (coopératives). Elle consiste à mettre en œuvre des programmes de certification privée et volontaire dans les plantations de cacao.

LE SYSTÈME ÉTATIQUE EXPLOITE LES CANAUX LÉGISLATIFS ET MÉDIATIQUES

La mise en place de mesures législatives illustre l’implication étatique dans la lutte contre le phénomène du travail des enfants dans la cacaoculture. Les canaux législatifs exploités par les autorités ivoiriennes pour contrecarrer le phénomène du travail des enfants se situent à différentes échelles spatiales. Outre des mesures réglementaires locales, des accords de coopération sous-régionaux sont signés et des conventions internationales sont ratifiées (tableau 2).

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Tableau 2 : Textes réglementaires contre la traite des enfants. Source : documents divers  

Toutefois, hormis ces textes réglementaires hiérarchisés, des messages dans les médias ou sur des affiches et des pancartes qui sensibilisent les populations sont diffusés (photo 1).

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Photo 1 : Pancarte implantée dans la ville d’Abidjan (commune de Cocody près de l’école nationale de police)  sensibilisant sur l’interdiction du travail des enfants dans la cacaoculture. Cliché : Ouattara Seydou, 2015.     

EXPLOITATION DU SYSTÈME DES AGENCES PRIVÉES PAR LES EXPORTATEURS ET LES COOPÉRATIVES   

Les certifications privées et volontaires les plus populaires sont UTZ Certified, Rain Forest Alliance, Commerce équitable et Organic qui présentent chacune leurs spécificités (tableau 3).

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Tableau 3 : Les objectifs des certifications. Source : documents divers

À travers le tableau 3, nous constatons que les quatre objectifs définis par les agences de certification visent le développement durable. Or, l’agriculture durable est l’application de ces principes durables aux systèmes de production. Ce sont ces règles fondamentales du développement durable que les organismes de certification développent dans la filière cacao. Elles doivent assurer les ressources nécessaires aux populations, tout en respectant les contraintes écologiques, économiques et sociales qui assurent la pérennité de cette production agricole. Pour ce faire, elles fournissent des indicateurs permettant d’intégrer simultanément les questions environnementales, économiques et sociales tout au long de la filière d’approvisionnement. À l’aide du tableau 4, nous présentons ceux d’UTZ Certified et de Rain Forest Alliance parce que la Côte d’Ivoire est première en production de cacao certifié Rainforest Alliance et UTZ Certified avec respectivement 23,8% et 78% du volume mondial total (Potts et ali, (2010) in N’dao, 2012).

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Source : Sustainable Agriculture Network (SAN), 2010 ; code de conduite UTZ Certified, version 1.0, 2009
Tableau 4 : Indicateurs de durabilité d’UTZ Certified et Rain Forest Alliance.

Dix indicateurs, pour chaque standard, permettent d’attester que le cacao produit est certifié. Mais de façon détaillée, 100 critères composent la certification RA et 182 pour UTZ. Ce sont ces critères qui forment le cahier des charges que les coopératives doivent respecter. Toutefois, par rapport aux standards Commerce équitable, UTZ Certified et Agriculture biologique, Rain Forest Alliance est le standard le plus complet en matière du respect des normes environnementales et sociales. Cependant exception faite de UTZ Certified et de Rain Forest Alliance, qui respectent à la fois ces deux normes, chacun des autres standards met souvent l’accent soit le respect des normes environnementales, soit sur le respect des normes sociales. Les premières applications des programmes de certification de durabilité du cacao sont introduites pendant la campagne 2004/2005 pour le Commerce équitable, 2005/2006 pour Rain Forest Alliance et UTZ Certified. Leur nombre a connu une évolution significative car d’une coopérative certifiée Commerce équitable en 2004/2005 nous passons à 531 coopératives en 2013, dont 267 coopératives certifiées UTZ Certified, 206 coopératives certifiées Rain Forest Alliance et 58 coopératives certifiées Commerce équitable (selon nos entretiens). Toutefois, le problème de disponibilité de statistique en matière de cacao certifié et durable se pose avec acuité. Les chiffres disponibles sont ceux fournis par les exportateurs qui sont disparates et parcellaires. Les structures étatiques (douane, guichet unique café-cacao, ministère du commerce) qui établissent les statistiques du commerce extérieur ne font pas la distinction entre le cacao certifié et le cacao conventionnel. Du coup, en matière de cacao certifié, l’État est encore à la traîne. Cette situation s’explique par le fait que les besoins en cacao certifié exprimés par les clients des pays développés sont satisfaits directement par les exportateurs qui établissent des relations commerciales avec les coopératives chargées de le produire en appliquant les principes contenus dans les programmes des organismes de certification étrangers. En l’absence d’une norme nationale qui impose les canons du cacao certifié, les exportateurs essaient tant bien que mal de satisfaire les besoins du marché mondial. Le cacao issu d’une plantation certifiée est conditionné dans un emballage sur lequel sont marqués les signes qui attestent de son origine.

Au terme de la première partie de ce travail, il ressort que les actions de l’État et celles des exportateurs pour la certification du cacao n’ont pas les mêmes implications sur le terrain. Le combat étatique s’apparente beaucoup plus à une offensive communicationnelle et législative pour prouver, aux yeux de la communauté internationale, que le pays n’est pas passif face au problème du travail des enfants dans les champs de cacao. S’il est vrai qu’avec le projet Quantité, Qualité et Croissance (2QC), l’État tente d’ancrer le développement durable dans les champs de cacao, son action est limitée dans ce domaine. Ce sont les programmes développés par les exportateurs qui sont visibles sur le terrain eu égard aux nombreux magasins qui portent les logos des agences de certification, aux exportateurs qui consacrent des départements spécialisés à la certification et aux champs-écoles créés.

Après avoir montré comment les acteurs s’y prennent pour que le cacao “made in Côte d’Ivoire” soit qualifié de certifié, les lignes suivantes mettent en relief les facteurs qui rendent opportune la certification.

DE MULTIPLES CONTRAINTES QUI JUSTIFIENT LA CERTIFICATION DU CACAO                  

La diminution du couvert forestier, les injustices sociales en milieu rural, l’amenuisement des capacités productives des plantations et la détérioration de l’état sanitaire du cacao sont les principales raisons qui sont à la base de la certification.

LA DIMINUTION DU COUVERT FORESTIER    

Le couvert forestier ivoirien a connu une régression fulgurante. En 1900, la forêt dense était estimée à un peu plus de 15000000 d’hectares. Mais de 1900 à 1990, elle a fortement reculé pour s’établir à 2000000 d’hectares (tableau 5).

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Tableau 5 : Évolution de la forêt dense (en millier d’hectares)

Débutée de façon modérée pendant la période coloniale, la déforestation s’est accélérée avec l’indépendance puisque dans le modèle économique de la Côte d’Ivoire, les forêts et les terres arables ont servi de fer de lance pour l’agriculture. Elle a été favorisée par une absence de réglementation foncière formelle. Dans ce processus, les forêts classées ont été infiltrées partiellement mais souvent entièrement détruites. De même, les aires protégées, surtout les parcs nationaux, n’ont pas été épargnées. L’essentiel du couvert forestier ivoirien est désormais localisé dans les seules parties Ouest montagneuse et Sud-Ouest du pays. Mais des tensions intercommunautaires récurrentes ces dernières années sont induites par la forte pression sur ces terres. L’activité agricole, plus précisément les cultures commerciales (café, cacao, hévéa, palmier à huile, etc.) et vivrières, basée sur un système de culture extensif, constitue le nœud de la problématique de la dégradation de l’écosystème forestier. En effet, avec la culture itinérante sur brûlis, la croissance démographique rapide devient source de pression et facteur de défrichement accéléré des forêts. Les modes de cultures extensifs et les stratégies pionnières de l’occupation de l’espace contribuent à une dégradation plus poussée des forêts. À cette première cause, s’ajoute l’exploitation en milieu forestier, la consommation croissante de bois et de charbon de bois et les feux de forêt. Ainsi, la croissance de la production agricole et les performances économiques ont été soutenues par un déboisement rapide.

L’importance des terres occupées par la cacaoculture fait qu’elle est fortement indexée dans le processus de déforestation (tableau 6).

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Tableau 6 : Impact des superficies des types de culture. Source : Recensement National de l’Agriculture (RNA), 2001

Le tableau 6 montre que les cacaoyères couvrent 1777550 hectares soit près de 41% de la superficie totale occupée par les différentes cultures. Leur mode de développement caractérisé par l’utilisation de méthodes culturales inappropriées fait que de nombreux spécialistes considèrent la culture du cacao comme une des activités en première ligne de la perte de la biodiversité et de la destruction des écosystèmes aquatiques et terrestres. Dans la genèse du développement durable, l’environnement est sans doute le premier domaine où la nécessité d’agir et d’inventer des réponses techniques, des systèmes de management, des outils s’est fait ressentir. Alors, le premier défi auquel l’économie cacaoyère doit faire face est la préservation des forêts.

DES INJUSTICES SOCIALES EN MILIEU RURAL ET LE NON RESPECT DE L’ÉTHIQUE SOCIALE  

Le milieu rural ivoirien, zone de production du cacao, se caractérise par des insuffisances sociales. Selon la Banque Mondiale (2006) le nombre de pauvres a augmenté en Côte d’Ivoire entre 1995 et 2006, passant de 33,5% à 43,2%. Toutefois, la majorité des pauvres se constitue de ruraux qui tirent l’essentiel de leurs revenus de l’agriculture ; néanmoins les données sur la pauvreté ne permettent pas d’appréhender la situation particulière des producteurs de cacao par rapport à l’ensemble des producteurs de culture de rente. L’importance de la pauvreté parmi les producteurs en général peut amener à considérer que près de la moitié des producteurs de cacao se trouvent en situation précaire. Le taux de pauvreté plus accentué dans le milieu rural, particulièrement chez les producteurs de cacao, s’accompagne d’autres problématiques tout autant préoccupantes sur les conditions de vie. En effet, une proportion importante des zones de production est en butte à l’accès limité des adultes à l’éducation et à l’insuffisance d’accès aux écoles pour les enfants. Les données du Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 1998 indiquent un taux d’alphabétisation de 43,1% pour les Ivoiriens et de 21,1% pour les non-Ivoiriens. Mais en milieu rural ces taux sont respectivement de 26,4% et 11,5% contre 64% et 30,6% en milieu urbain. Si on considère la fréquentation scolaire des enfants, on remarque qu’en milieu rural ce sont seulement deux garçons sur cinq qui sont scolarisés (43,5%) contre une fille sur trois (34,1%). En milieu urbain, près de cinq garçons sur sept (69,2%) sont scolarisés contre près de trois filles sur cinq (59,4%). Souvent, même si le cadre d’apprentissage existe en milieu rural, ce sont les commodités qui font défaut (photo 2). De plus, la situation sanitaire de la population vulnérable que constituent les enfants est caractérisée par sa précarité. Cependant, elle est plus visible en milieu rural qu’en milieu urbain. En effet, en milieu rural, deux enfants sur trois vivent dans des ménages qui n’ont pas accès à l’eau potable, trois enfants sur cinq vivent dans des ménages ne disposant pas de sanitaires et 97% des enfants sont dans des ménages où  le ramassage d’ordures ménagères est inexistant.

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Photo 2: Une salle de classe dans un village de Soubré pourtant grand producteur de cacao. La qualité des matériaux utilisés témoigne des conditions précaires dans lesquelles ces enfants apprennent. Crédit photo, Conseil du Café-Cacao, 2014.  

Dès lors, les risques d’exposition aux maladies parasitaires et infectieuses pourraient être assez élevés pour ces populations. De surcroît, hormis les agents des sociétés exportatrices mieux structurées et de quelques coopératives basées dans les villes, les autres travailleurs ruraux de la filière sont contraints à une faible sécurité sociale (accès limité aux infrastructures sanitaires et des services d’assainissement, non protection des droits). En effet, Kouaméla et alii (2008) rapportent que le taux d’accès aux soins de santé est de 92% en zone urbaine et 45% en zone rurale. Le taux de couverture sanitaire est de 11% en zone rurale contre 61% en zone urbaine. Lezou (2006) ajoute que le système classique de protection sociale laisse en marge la population agricole. Or, elle regroupe plus de 2/3 de la population active. Son exclusion de la couverture maladie offerte sous le système de protection sociale est interprétée comme une injustice. C’est pourquoi, pour atténuer ces lacunes sociales dans les zones de production de cacao qui participent pourtant à la richesse nationale, les programmes de certification s’attèlent à offrir aux producteurs des prix et des primes acceptables pour réduire la pauvreté, à encourager l’investissement à caractère social pour améliorer les conditions de vie qui garantiront leur bien-être et à la signature de contrat de travail en bonne et due forme. Toutefois, le défi majeur de la filière est de parvenir à mettre fin au recours à la main-d’œuvre infantile. C’est ce problème éthique qui heurte les sensibilités des consommateurs de cacao. Il est donc étroitement lié à la survie de la filière, eu égard au risque de boycott du cacao par les pays développés. Ainsi, le travail des enfants est-il l’un des phénomènes sociaux que les autorités politiques et administratives du pays tentent d’éradiquer. Il est difficile d’établir avec exactitude le nombre d’enfants concernés, car bien de cas restent discrets et inconnus. Cependant, des études réalisées sur le phénomène donnent un aperçu de la situation. L’enquête réalisée en 2002 et publiée en 2003 par le Bureau International du Travail (BIT) a permis d’établir que dans le secteur de la cacaoculture plus de 600 000 enfants de 6 à 17 ans sont impliqués dans la production et parmi eux plus de 98% travaillaient dans des plantations familiales et environ 127000 enfants exercent des tâches jugées dangereuses dans les plantations de cacao (épandage d’engrais, pulvérisation, port de charges lourdes, nettoyage à la machette). Cette enquête a également établi qu’un nombre relativement faible d’enfants parmi ceux qui étaient exploités dans le secteur étaient victimes de traite. Une autre étude d’envergure nationale centrée sur l’analyse de la situation du travail des enfants, réalisée en 2003 par le Ministère en charge des Affaires Sociales, en collaboration avec l’Organisation des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF), établit qu’il existe des enfants qui travaillent dans des unités de production de type familial. Mais, même si le travail s’effectue dans un cadre familial, le placement de l’enfant hors du cercle de la famille restreinte (travail avec le père et/ou la mère) l’expose quasiment aux mêmes risques que les enfants qui travaillent dans un cadre extra familial. Le placement de l’enfant dans une relation de « travail salarié » présente plus de risques pour l’enfant et que le secteur de l’agriculture et celui de l’informel en milieu urbain constituent des domaines dans lesquels le travail des enfants est accentué. La dernière étude d’envergure nationale est l’Enquête Nationale sur le Travail des Enfants (ENTE) de 2005. Cette enquête réalisée par l’Institut National de la Statistique (INS) en collaboration avec le BIT a permis de savoir que 395990 des enfants économiquement actifs exercent dans le secteur de l’agriculture, et 160103 exercent dans le secteur des commerces. En plus, environ 115694 enfants travailleurs exercent des travaux dangereux interdits aux enfants par la réglementation en vigueur en Côte d’Ivoire. Outre ces études, l’Enquête Nationale sur le Niveau de Vie des Ménages (ENVM) en 2008 a établi que 1570103 enfants économiquement actifs exercent dans le secteur de l’agriculture et 517520 exercent dans le secteur des services. Cette enquête établit également que 1202404 enfants sont impliqués dans un travail dangereux et 3364 sont victimes de traite. En sus, elle révèle qu’il s’agit principalement d’une traite interne, c’est-à-dire d’un transfert des enfants d’une région à une autre du pays aux fins d’exploitation économique.

AMENUISEMENT DES CAPACITÉS PRODUCTIVES DES PLANTATIONS DE CACAO 

Le cacao procure environ 30% des recettes d’exportation. Il représente entre 15% et 20% du Produit Intérieur Brut (PIB). Il occupe près de 600000 planteurs et fait vivre près du quart de la population, soit environ 6000000 de personnes (Conseil du Café-Cacao, 2015). À ce titre, il est le principal pilier de l’économie ivoirienne. Cependant, la production cacaoyère semble avoir atteint ses limites comme en témoigne l’évolution de certains indicateurs au cours des dernières années. Les croissances moyennes de la production, du rendement et de la surface cultivée de 1987 à 2011 sont respectivement de 3,6%, 0,6% et 3,0%. Estimés entre 1997 à 2011, ces chiffres décroissent et se situent respectivement à 2,4%, 0,1% et 2,3%. Le rendement de cacao en Côte d’Ivoire serait parmi les plus faibles actuellement au monde, avec environ 500 kg par hectare contre 2 tonnes en Indonésie et 1,5 tonne au Ghana, selon une analyse de Agritrade publiée en juillet 2011. La petite taille des exploitations, qui sont en majorité de type familial et le manque de formation des agriculteurs entravent le développement des plantations et l’amélioration des rendements. En effet, l’usage de méthodes agricoles archaïques, notamment une culture extensive avec une sous-utilisation de produits phytosanitaires appropriés accentue la détérioration de la qualité des sols et affecte la productivité des plantations ainsi que leur rendement. Cette situation s’accompagne du vieillissement des plantations, d’attaques parasitaires (le swollen shoot et la pourriture brune) et de crises successives qui ont affecté sévèrement la filière. Selon des études effectuées dans le secteur du cacao, l’âge moyen des vergers était de 20 ans au début de la décennie 2000, contrairement au Ghana où des efforts d’investissement ont été consentis pour renouveler les plants de cacaoyer. Celui des planteurs se situait à 49 ans.

LA DÉTÉRIORATION DE L’ÉTAT SANITAIRE DU CACAO

La présence de contaminants, de résidus de pesticide, d’éléments traces-métalliques (ETM) ou métaux lourds, de mycotoxines (OTA, AFLA) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) a été signalée dans certaines exportations par les services d’inspection sanitaire des pays importateurs. Ils constituent pourtant un groupe de substances toxiques présentant notamment des activités mutagènes, cancérogènes, tératogènes, immunotoxinogènes et estrogènes. Pour protéger leurs consommateurs, l’Union Européenne (UE) et l’Amérique ont décidé de la mise en œuvre de législation imposant des limites plus strictes sur la contamination de ces substances dans les produits alimentaires, dont le cacao et les produits dérivés. Ces mesures obligent la Côte d’Ivoire à s’adapter à la donne par l’entremise du cacao certifié qui bénéficie d’une meilleure renommée sur le marché mondial. Elle intègre aussi un projet panafricain dénommé «projet SPS Cacao Africain» initié par l’Organisation Internationale du Cacao (ICCO) dans les pays producteurs tels que la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Ghana, le Nigéria et le Togo qui renforce les capacités des principaux acteurs et les aide à proposer un cacao de bonne qualité, exempt des résidus de pesticides et autres substances nocives. La seconde partie de ce travail a montré que l’économie cacaoyère connaît une détérioration de certains de ces paramètres fondamentaux. Ces mutations la mettent face à des enjeux nouveaux dont la durabilité environnementale, la durabilité économique, la durabilité sociale et la durabilité sanitaire.

CONCLUSION     

Cette étude fait ressortir que deux types d’actions sont effectués dans la filière cacao ayant comme objectif la certification du cacao. Celui de l’État tente d’éliminer la question éthique du travail des enfants dans la cacaoculture par la sensibilisation et des directives réglementaires. Celui des exportateurs est au contraire une mise en pratique, dans les plantations de cacao, des normes développées par les standards durables et respectées dans le commerce international. Mais, la certification peut être considérée comme un facteur de développement durable eu égard aux problèmes environnementaux, sociaux, économiques et sanitaires que les systèmes de certification cherchent à résoudre. Si la tendance haussière de la demande mondiale en cacao certifié perdure et que les quantités ivoiriennes continuent de fléchir à cause des difficultés de mise en œuvre, il serait urgent d’élaborer des règles transparentes, discutées et négociées par tous impliquant les pays importateurs et les structures de gestion ivoiriennes de la filière, et non imposées par quelques groupes cautionnant directement ou indirectement toutes les dérives possibles.

 

Références bibliographiques

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Pour citer cet article

Référence électronique

Seydou Ouattara. «Enjeux de la certification du cacao produit en côte d’ivoire». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (2) 2. Mis en ligne le 15 novembre 2015, pp. 37-42. URL: http://laurentienne.ca/rcgt

 

Auteur

Dr. OUATTARA Seydou
Institut de Géographie Tropicale (IGT)
UFR des Sciences de l’Homme et de la Société
Université FHB, Abidjan, Côte d’Ivoire
Courriel : oseydou39@yahoo.com