Strategies of access to the drinking water in a disadvantaged neighbourhood: case of Gobelet in the municipality of Cocody (Abidjan-Côte d’Ivoire)
KOUKOUGNON Wilfried Gautier
Résumé: Abidjan connait une urbanisation accélérée et déséquilibrée. Ce phénomène est à l’origine des difficultés d’accès à l’eau potable à Gobelet, un quartier précaire de la commune de Cocody. L’eau est pourtant un déterminant essentiel du bien-être familial inscrit aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Dans ce contexte, comment les populations arrivent-elles à satisfaire leurs besoins en eau potable ? Cet article analyse les mécanismes d’approvisionnement en eau mis en place par les habitants du quartier défavorisé de Gobelet. Pour atteindre cet objectif, une méthodologie s’appuyant sur une recherche documentaire et complétée par des enquêtes de terrain a été adoptée. Il ressort de cette étude que les populations de Gobelet ont accès à l’eau potable par un système de distribution informel raccordé au réseau public d’eau. Toutefois, les caractéristiques socio-économiques des ménages demeurent un facteur discriminant dans les niveaux d’accès à l’eau.
Mots clés : Côte d’Ivoire, Gobelet, quartier défavorisé, accès à l’eau, stratégies
Abstract: Abidjan knows an accelerated and unbalanced urbanization. This phenomenon is at the origin of the difficulties of access in the drinking water to Gobelet, a precarious district accommodated in the municipality of Cocody. The water is nevertheless an essential determiner of the family well-being registers on Millennium development goals. In this context, how do the populations manage to satisfy their drinking water requirements? This article analyzes the mechanisms of water supply set up by residents of neighbourhood disadvantaged by Gobelet. To reach this goal, a methodology leaning on document retrieval and completed by inquiries of ground was adopted. It emerges from this study that the populations of Gobelet have access to the drinking water by an informal system of distribution linked with the public network of water. However, the socioeconomic characteristics of the households remain a factor discriminating in the levels of access to the water.
Keywords: Ivory Coast, Gobelet, disadvantaged neighbourhood, access to the water, the strategies
Plan
Introduction
Outils et méthodes
Résultats
Caractéristiques spatiales et socio-économiques de la précarité
Réseau d’eau informel, une alternative au service public d’eau courante à gobelet
Des conditions variées d’accès à l’eau
Discussion
Texte intégral Format PDF
INTRODUCTION
L’eau potable est un déterminant essentiel du bien-être des familles. Conscientes de cet enjeu, les Nations Unies se sont engagées, à travers l’un des objectifs du millénaire, à réduire de moitié le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’eau avant 2015 et également à reconnaitre l’accès à l’eau comme un droit fondamental de la personne humaine depuis juillet 2010.
En Afrique, la Côte d’Ivoire a été l’un des premiers pays d’Afrique subsaharienne à inscrire la question de l’approvisionnement en eau comme l’un des axes de ses plans d’actions de développement. Les pouvoirs publics ont mis en place dès 1973 un programme national d’hydraulique humaine destiné aussi bien au milieu urbain que rural. Les investissements consentis par l’État ont permis en 1998 à 43,5% des citadins d’avoir accès à l’eau potable (RGPH, 1998) avec un taux de desserte urbain de 73% (ONEP, 2009).
Malgré ces efforts, l’universalisation de l’accès à l’eau potable reste un défi persistant dans l’espace urbain. L’indice de couverture du réseau d’eau décroit des quartiers officiels aux quartiers illégaux. Toutes les communes du district d’Abidjan restent confrontées à ce contraste spatial en termes de desserte en eau. Cocody, l’un des quartiers résidentiels du district d’Abidjan connait aussi cette inégalité. L’une des vallées de cette cité, en occurrence celle de Gobelet, a été transformée en lieu d’habitation
Cet espace ne bénéficie pas du réseau de distribution public d’eau. Paradoxalement, les populations de Gobelet utilisent uniquement l’eau potable pour leurs besoins domestiques. Dès lors, comment les ménages accèdent-ils à cette ressource dans cet espace défavorisé?
OUTILS ET MÉTHODES
Notre étude vise à analyser les mécanismes d’approvisionnement en eau mis en place par les ménages pour satisfaire leurs besoins hydriques. Pour atteindre l’objectif fixé, notre démarche méthodologique s’est appuyée sur une exploitation de la littérature en rapport avec la thématique. Celle-ci a été complétée par une observation directe et une enquête de terrain réalisées au cours du mois de janvier 2014 à Gobelet (Figure 1).
Un questionnaire a été administré à 240 ménages choisis de façon aléatoire et dont les caractéristiques socio-économiques ainsi que les modalités d’accès à l’eau ont été notées. Les données recueillies ont été traitées au niveau statistique avec le logiciel Microsoft Excel 2003.
Figure 1 : Gobelet dans la commune de Cocody
RÉSULTATS
CARACTÉRISTIQUES SPATIALES ET SOCIO-ÉCONOMIQUES DE LA PRÉCARITÉ
La qualité d’une vie meilleure dans un espace urbain s’apprécie aussi bien par le cadre que par les conditions de vie des populations. D’où, l’utilité de l’étude de l’organisation socio-économique afin d’appréhender les comportements des ménages en matière d’approvisionnement en eau potable.
SITE VULNÉRABLE AUX RISQUES NATURELS ET MODES D’OCCUPATION ET D’ORGANISATION IRREGULIERS DE L’ESPACE
Situé entre la Riviera Attoban et les II Plateaux-Vallon, tous des quartiers résidentiels de haut standing, Gobelet est un quartier précaire de 39 ha bâti sur une topographie accidentée et marquée par une vallée en V aux versants rectilignes, abruptes. Avec une ampleur d’environ 110 m et un commandement compris entre 30 à 40 cm, cette vallée dispose d’une profondeur estimée à 12 m. Les eaux pluviales et usées domestiques en provenance des canalisations des quartiers riverains huppés sont drainées de façon naturelle dans le talweg. De plus, le drainage de ces eaux insalubres y crée des mares constituant des biotopes de vecteurs de pathologies diverses dont le paludisme (OMS, 1985). Par ailleurs, l’escarpement des deux versants de la vallée constitue des risques de décès en saison pluvieuse liés aux inondations, aux éboulements de terrain et aux érosions. D’où, la vulnérabilité réelle de cet espace aux risques naturels.
À cette vulnérabilité du milieu physique, s’ajoute l’urbanisation rapide et non maitrisée de la ville d’Abidjan qui a accru les besoins en logements des citadins (Ouattara, 1997). La satisfaction de ce besoin vital passe par l’occupation à un rythme effréné des espaces non aedificandi de la part de certaines populations défavorisées à la recherche d’une meilleure qualité de vie (Casez et Domingo, 1991 cité par Loba, 2013). Le quartier Gobelet, occupé depuis 1965, en est une parfaite illustration. Sa morphologie se caractérise par un développement anarchique et dense de l’habitat sur des zones de pentes et dans les fonds de vallée sans trame urbaine véritable.
Source: Koukougnon, 2014
Photo 1: Habitat précaire
Source: Koukougnon, 2014
Photo 2: Habitat évolutif sur cour
Le paysage urbain, fait de matériaux rudimentaires (planches, vieilles tôles, pneus, bâches noires, morceaux de briques pour fondation, terre battue…), y connait une mutation par le passage d’un habitat précaire (15,5 %) à l’habitat évolutif (72,5%). Ce dernier renferme un logement qui est construit avec des matériaux adéquats (neufs). Les maisons, faites en dur avec des murs couverts de ciment, bénéficient quelquefois d’une couche de peinture. Que ce soit le type précaire ou le type évolutif, l’habitat est un modèle sur cour communément appelé “cour commune”. Les logements ont une taille d’une à deux pièces pour les habitats précaire contre deux à trois pièces pour les habitats évolutifs.
Les quartiers précaires représentent le lieu de réalisation idéal pour les sans-emplois et les économiquement faibles. Les enquêtes de terrain révèlent que 40 % des chefs de ménages interrogés affirment être les propriétaires du logement qu’ils occupent tandis que 60 % disent être des locataires. Le coût du loyer est relativement faible et dépend du nombre de pièces de l’habitat (Tableau 1).
Source: Koukougnon, 2014
Tableau 1: Distribution des ménages locataires selon le coût du loyer et la taille du logement
Le coût moyen du logement est d’environ 14 480 FCFA et 56,3 % des locataires paient chaque fin de mois un loyer compris entre 10 000 et 15 000 FCFA. Par contre, 40 % dépensent en loyer une somme supérieure à 15 000 FCFA dont 20 % pour 15 000 à 20 000 FCFA et 20 % pour 20 000 à 25 000 FCFA. Parmi la taille des logements, le studio demeurent le plus habité par les locataires (60,42 %) contre 39,58 % pour les 2 pièces. L’importance des ménages locataires, de l’occupation des studios et du coût de loyer de 10 000 à 15 000 FCFA, témoigne de la précarité financière de la plupart des habitants. Par ailleurs, le poids des ménages locataires met en évidence le loyer comme une source de revenus pour les propriétaires généralement retraités ou sans emploi.
La plupart des actifs étrangers de ce bidonville sont des employés de maison dans les quartiers résidentiels riverains. Ils y logent afin de minimiser le coût de leur déplacement et faire des économies en rentrant au pays. A cet effet, un des enquêtés affirme: « les patrons ne nous payent pas bien, et puis les maisons sont chères, alors on préfère vivre ici même si on sait que c’est dangereux. Chaque année quand la saison des pluies arrive on a peur parce qu’il y a toujours des morts, mais on ne peut pas partir. Quand une femme veut accoucher, les hommes la transportent pour remonter l’escalier. Quand on ne peut pas, elle accouche ici même ». Un autre; ivoirien renchérit en ces termes: « je suis aide-maçon et je travaille sur les chantiers non loin d’ici. Avec le peu que je gagne j’ai préféré rester ici pour éviter les aller et retour sur Yopougon ». La durée de l’implantation de la plupart des populations interrogées est plus récente (Tableau 2).
Tableau 2: Répartition des ménages selon l’ancienneté dans le quartier
FAIBLE NIVEAU D’INSTRUCTION ET DOMINATION DU SECTEUR INFORMEL
Surpeuplé en majorité par des immigrés de la sous-région ouest-africaine, Gobelet a vu sa population croître depuis la crise militaro-politique du 19 septembre 2002. Des ivoiriens déflatés et déplacés de guerre sont venus grossir le nombre déjà considérable des habitants, l’amenant à plus de 50 000 personnes dont 4 000 ménages (INS, 2009). Les ménages enquêtés ont une taille moyenne de 4,7 personnes, source révélatrice de la qualité des charges démographiques des espaces précaires (Loba, 2013). Toutefois, leur niveau d’instruction reste faible (Figure 2).
Source: Koukougnon, 2014
Figure 2 : Répartition des chefs de ménage selon le niveau d’instruction
La moitié de la population ne sait ni lire ni écrire. En outre, plus des 3/4 des chefs de familles n’ont pas dépassé le cycle primaire (78 %) contre 17 % ayant atteint le niveau secondaire et 5 % le niveau supérieur. Cet analphabétisme constituerait un handicap pour une amélioration de la qualité de vie car l’instruction modèle les comportements des populations vis-à-vis de la salubrité (Iford, 2009). Plus un individu est instruit, mieux l’hygiène de son cadre de vie connaît une amélioration.
La vulnérabilité sociale des ménages de Gobelet se remarque aussi par le profil socioprofessionnel de ses habitants. Le secteur informel est le principal pourvoyeur d’emploi des chefs de ménages (Figure 3).
Source: Koukougnon, 2014
Figure 3: Répartition des chefs de ménage selon leur statut professionnel
Les chefs de ménages du secteur informel représentent 75 % des enquêtés à Gobelet. Ils se concentrent plus dans les activités de commerce (commerçants, gérants de kiosque…), les activités de production (maçons, tapissiers, menuisiers, soudeurs métalliques, couturiers…) et les prestations de service (infirmier privé, instituteur, vigile, chauffeurs, magasiniers, agents d’entretiens, plombiers, électriciens…). On note également une présence d’employés de la fonction publique (3 %) au titre des chefs de ménages en activité. Par ailleurs, les chefs de ménages sans activités rémunérés représentent 15 % des enquêtés dont 6 % de ménagères, 7 % de retraités, 6 % de sans emplois et 3 % pour les étudiants.
Provenant de sources diverses (salaire, rémunération liée aux prestations, pensions, aide familiale,…), le niveau de revenu des chefs de ménage de Gobelet demeure faible et constitue une contrainte pour garantir des conditions de vie meilleure à ces populations. Il varie de moins de 25 000 FCFA et à plus de 150 000 FCFA. Plus de la moitié des chefs de ménage ont un niveau de revenu mensuel en dessous de 50 000 FCFA. Il n’y a que 7,5 % des enquêtés qui ont un revenu au-delà de 100 000 FCFA.
Les caractéristiques spatiales et socio-économiques de Gobelet sont l’illustration de la ségrégation socio-spatiale que vivent les habitants. Au-delà de la conscience de la vulnérabilité de leur cadre de vie, les populations y sont installées par contraintes socio-économiques. Dès lors, comment ces populations marginalisées s’assurent-elle d’une qualité de vie meilleure par l’accès à l’eau potable?
RÉSEAU INFORMEL D’ADDUCTION D’EAU : ALTERNATIVE AU SERVICE PUBLIC D’EAU COURANTE À GOBELET
ABSENCE DE RÉSEAU PUBLIC D’ADDUCTION D’EAU ET LES CARACTERISTIQUES DU SYSTÈME INFORMEL DE DESSERTE EN EAU
Bâti dans une vallée aux versants rectilignes et abrupts, le quartier Gobelet est un espace non aedificandi. Cette précarité foncière ne permet pas au planificateur urbain d’y effectuer des aménagements eu égard aux normes d’urbanisme. En effet, le réseau d’eau suit les grands axes secondaires généralement. Or, ce quartier à habitat spontané dense non structuré ne dispose que de ruelles d’ailleurs sinueuses. Ainsi, ce territoire reste dépourvu de tout service de base fiable comme le réseau public d’eau potable.
L’eau potable étant une ressource garantissant des conditions de vie meilleures, la satisfaction de ce besoin essentiel à Gobelet passe par la mise en place d’un réseau informel de distribution d’eau. Illégal, ce système est accepté dans les faits par les acteurs de l’hydraulique urbaine (ONEP, SODECI…) à cause de la dimension sociale et de la nature structurelle du phénomène (Cusinato, 2007). Cet arrangement d’approvisionnement en eau crée une économie informelle d’eau conduite par des acteurs d’origine étrangère (Burkinabè, Nigérians, Togolais…) opérant en toute clandestinité. Ces derniers partagent leurs factures de consommation d’eau avec certains clients et réalisent des bénéfices substantiels.
Le dispositif informel d’alimentation en eau part du réseau public via des branchements légaux des quartiers planifiés riverains afin de desservir Gobelet. Les ménages sont desservis en eau potable à partir de tuyaux d’eau de faible diamètre (15 mm) connectés à la canalisation provenant du branchement officiel (Photo 3). Ces tuyaux traînent à fleur de sol sur de longues distances et sont disposés en désordre avec des risques de rupture du circuit voire de fuites d’eau (N’dahouley, 2009). Ils passent aussi dans des zones insalubres (Photo 4).
Source : Koukougnon, 2014
Photo 3: Conduite d’eau desservant le quartier
Source: Koukougnon, 2014
Photo 4: Conduite d’eau installée dans un caniveau
Cette pratique crée de fait, un réseau informel qui se pérennise dans cet espace précaire. La qualité des services d’eau offerts par ce dispositif informel se traduit par des baisses de pressions d’eau allant jusqu’aux coupures récurrentes. Cet arrangement demeure l’unique moyen d’alimentation en eau des ménages de Gobelet car la profondeur de la nappe phréatique d’Abidjan (variant de 80 à plus de 100 m) ne permet aucune réalisation d’éventuels puits traditionnels.
DEUX CONDITIONS MAJEURES D’ACCÈS À L’EAU : CONNEXION AU RÉSEAU INFORMEL D’ADDUCTION D’EAU ET ACHAT AUPRÈS DES REVENDEURS
LA CONNEXION AU RÉSEAU INFORMEL D’ADDUCTION D’EAU: UNE PRATIQUE DOMINANTE
Les résultats des enquêtes montrent qu’à Gobelet, la grande majorité des chefs de ménage (90 %) s’alimente en eau potable grâce au réseau clandestin desservant le quartier. L’accès à cette ressource y est conditionné préalablement par une connexion à ce réseau, suivi du paiement des factures de consommation.
Des coûts d’accès variés
La connexion des ménages au réseau informel d’eau potable est assujettie à des coûts (Tableau 3).
Tableau 3: Distribution des ménages selon le coût de la connexion au réseau informel d’eau
Le coût moyen de la connexion au réseau informel d’eau à Gobelet se chiffre à 10 454 FCFA. Il est largement inférieur à celui d’un raccordement officiel (167 130 F CFA) et demeure faible par rapport au coût d’un branchement subventionné (19 500 F CFA) destiné aux populations démunies. Les 3/4 des ménages raccordés ont déboursé plus de coût moyen pour se brancher à ce réseau informel.
Par ailleurs, les coûts pratiqués varient en fonction de l’ancienneté et de la position géographique du ménage par rapport au réseau informel.
Une faible part des foyers concernés (5,6 %) ont joui d’une gratuité de la connexion liée à leur ancienneté importante (plus de 40 ans). Ainsi, 19,4 % des chefs de ménages ont payé moins de 10 000 FCFA. Ceux-ci sont localisés pour certains, à moins de 200 m du réseau et ont pour d’autres une ancienneté de plus de 30 ans sur ce site. En outre, plus de la moitié des usagers de ce réseau (68,1 %) se sont acquittés de sommes comprises entre 10 000 et 15 000 FCFA pour s’y connecter. Ces ménages sont tous situés à 200 m d’une des canalisations du dispositif informel. Par contre, les ménages dont l’habitation est à 300 m (19,4 %) ont payé entre 15 000 et 20 000 FCFA pendant que les coûts de connexion de ceux localisés au-delà de cette distance (1,4 %) s’élèvent à plus de 20 000 FCFA.
Les ménages connectés disposent tous d’un unique point d’eau dans le logement. Celui-ci est partagé par 32 % des usagers. Ceux-ci vivent dans des habitats sur cour communément appelé “cour commune”.
La disponibilité de l’eau potable dans le foyer ne se limite pas à une simple connexion au réseau informel. Les habitants se doivent impérativement d’honorer chaque fin de mois des frais de consommation d’eau. Ces coûts fixes ne sont point liés au volume d’eau utilisé, difficilement quantifiable, mais sont plutôt fonction de la taille du ménage et du logement (Tableau 4).
A Gobelet, les ménages de 1 à 4 personnes dépensent moins pour leur consommation d’eau potable. Ils s’acquittent mensuellement d’une charge inférieure à 3 500 FCFA dont 50 % paient 1 500 à 2 500 FCFA et 46,9 % déboursent 2 500 à 3 500 FCFA. Les foyers de 5 à 7 personnes déboursent à 63,3 % plus 3 500 FCFA dont 13,3 % paient plus 5 000 FCFA. Quant aux ménages de 8 à 10 personnes tout comme ceux de plus de 10 habitants, ils déboursent chaque mois plus 5 000 FCFA respectivement pour 66,7 % et 75 %. A défaut, l’approvisionnement en eau est interrompu.
Tableau 4: Distribution des dépenses mensuelles de consommation en eau selon la taille du ménage
Ces coûts de consommation mensuels sont jugés élevés par plus de la moitié des usagers (56,9 %). Cette perception est plus marquée dans les ménages de 1 à 4 personnes ayant une ancienneté de moins de 5 ans dans le quartier et partageant les mêmes installations. Leurs réprobations se fondent sur la mensualité des coûts de consommation d’eau imposée par les opérateurs clandestins contrairement au distributeur officiel qui pratique une périodicité trimestrielle pour un montant similaire.
Ces coûts sont diversement supportés par les usagers selon leur niveau de revenu d’ailleurs faible (≤ 100 000 FCFA). Les ménages ayant un niveau de revenu supérieur à 75 000 FCFA ont tous accès à l’eau du réseau informel car pouvant faire face aux factures, contrairement à ceux qui ont un revenu inférieur. Près de 67,3 % des chefs de ménages ayant moins de 50 000 FCFA sont alimentés sur la base de cette modalité. Alors, plus la taille du ménage s’accroît, plus grande est la charge financière relative à la consommation d’eau dont les chefs de ménages font face de manière différente.
-Stratégies mises en place par les ménages pour pallier l’irrégularité de la distribution d’eau
La discontinuité du service d’eau conduit les usagers à stocker l’eau. La topographie du site demeure un facteur discriminant car les ménages vivant dans la vallée jouissent de plus de garantie d’avoir la ressource que ceux résidant sur les flancs. Cette pratique de stockage est un facteur de dégradation de la qualité de l’eau potable et de développement des affections liées à l’eau (Sackou et al, 2012).
Aussi, la durée de stockage et l’hygiène des récipients sont-elles des facteurs de détérioration de la qualité de l’eau. Le rythme d’entretien est lié au niveau d’instruction des usagers (Tableau 5). On constate à travers le tableau 5, que 23,6 % des usagers raccordés au réseau informel ne lavent pas leurs ustensiles de stockage. Toute chose qui accentue la dégradation de la qualité de l’eau. Cela est en partie lié à une prédominance de l’analphabétisme dans cette catégorie de ménages.
Source: Koukougnon, 2014
Tableau 5: Distribution des chefs de ménages raccordés selon la fréquence d’entretien et le niveau d’instruction
Par contre, 76,4 % de ménages de niveaux d’instruction variable entretiennent les récipients. Parmi eux, ceux dont le chef ou la conjointe a un niveau d’instruction supérieure entretiennent les ustensiles de stockage au quotidien. Tous ces constats renforcent l’idée déjà émise par Kouassi et al. (2009) selon laquelle l’instruction façonne les comportements des usagers vis-à-vis de l’hygiène des récipients de stockage.
L’ACHAT D’EAU AU DETAIL AUPRES DES REVENDEURS : UNE PRATIQUE MARGINALE
A Gobelet, moins de 10 % des ménages accèdent à l’eau potable grâce aux revendeurs fixes.
-Les déterminants de l’achat au détail
Le niveau de revenu, l’ancienneté dans le quartier et la présence dans le ménage sont des déterminants clés de l’achat d’eau au détail. En effet, ces ménages ont tous un revenu mensuel en dessous de 50 000 FCFA dont 62,5 % gagnent moins de 25 000 FCFA. Ils ont tous une ancienneté de moins de 5 ans dans le quartier. Ce sont pour la plupart des déguerpis d’autres quartiers illégaux et/ou des déflatés économiques de la crise post-électorale de 2010.
Ils habitent tous dans des studios de 10 000 à 15 000 FCFA avec une taille de ménage de 3 personnes. Cette faiblesse de leur niveau de revenu actuel est une contrainte à une éventuelle connexion au réseau informel d’adduction en eau. A ce coût s’ajoute également la charge fixe mensuelle de consommation d’eau. L’occupation professionnelle (vigile, chauffeur…) de certains d’entre eux ne leur permettant pas d’être fréquent à domicile, ils préfèrent, par conséquent, se contenter d’acheter l’eau au détail.
-Des prestations aux coûts onéreux
Les tarifs de l’eau au détail restent uniformes dans le quartier et varient selon la taille des ustensiles (Tableau 6).
Tableau 6: Comparaison des prix de vente d’eau selon la capacité du récipient
L’analyse comparative des coûts de l’eau révèle que les usagers au détail paient en moyenne 1,46 F CFA le litre par séance de collecte contre 0,013 F CFA le litre par trimestre pour un ménage raccordé. Par ailleurs, plus grande est le volume du récipient moins élevé est le prix du litre d’eau collectée. Le paiement se fait directement au moment de la prise de l’eau. Par contre, 8,3 % des ménages recourant à cette modalité d’accès à l’eau pratiquent un paiement mensuel auprès du revendeur. L’eau vendue au détail revient plus couteuse au citadin non raccordé au réseau informel. En effet, les usagers d’eau au détail déboursent 1,46 F CFA par litre d’eau contre 0,40 FCFA le litre pour ceux qui sont connectés au réseau informel d’eau. Ces coûts d’accès élevés réduisent la quantité tout comme la qualité de l’eau disponible pour les usages domestiques (Dos Santos, 2006). Ces faits exposent les usagers de l’eau au détail à des conditions de vie vulnérables. Par ailleurs, les prix de vente témoignent de l’accès à l’eau comme indicateur de la distribution de la richesse (PNUD, 2006) d’autant plus que les habitants de ce foyer de précarité engagent plus de dépenses que les riches (Zérah, 1999; PNUD, 2006).
-Une proximité géographique des points de vente
La facilité d’accès à une source d’eau potable s’apprécie par rapport à la distance séparant l’habitation du point d’approvisionnement et du temps à mettre pour obtenir l’eau (Seke Kouassi et al. 2009). Les revendeurs d’eau au détail sont installés dans divers endroits du quartier. Ils se localisent aussi bien dans la vallée qu’à la limite du réseau officiel (Photo 5).
La revente de l’eau se pratique à l’aide d’un bec de cygne en PVC haut de plus de 2 m. Cette hauteur permet à chaque usager de bien remplir le récipient qu’il porte sur sa tête (Saint-Vil, 1985). La collecte d’eau est une “corvée ” assurée surtout par les femmes et les enfants ou à défaut par l’homme célibataire. Cette “corvée ” se fait chaque jour à des fréquences liées à la taille du ménage.
Source: Koukougnon, 2014
Photo 5: Exemple de point de vente d’eau
La distance parcourue par les usagers, du logement au point d’eau ainsi que le temps de remplissage des ustensiles varient (Tableau 7).
Tableau 7: Répartition des ménages pratiquant l’achat de l’eau au détail selon la distance parcourue et le temps mis
Les usagers de l’eau au détail de Gobelet ont une proximité avec les points de vente. Ainsi, 87,5 % de ceux-ci accèdent à l’eau sur place ou à une distance de moins de 500 m. Ils mettent d’ailleurs entre 20 et 30 min afin de disposer l’eau à la maison. Ce temps mis est plutôt lié à la qualité de la distribution d’eau dans la zone. Par contre, 12,5 % de ces usagers parcourent des distances importantes pour l’acquérir.
L’eau recueillie est stockée pendant 4 h par les usagers, excepté 8,3 % des ménages qui le font durant 72 h. Ces eaux sont gérées rigoureusement afin d’éviter tout gaspillage. Les récipients de conservation se résument à des seaux de 15 L, des bidons de 20 L, des bassines de 30-40 L et des fûts de 200 L. Ils sont simplement rincés dès qu’ils sont vident.
Le réseau d’eau informel demeure l’unique moyen d’approvisionnement en eau potable à Gobelet. Le raccordement des habitations au réseau d’eau informel et l’achat au détail sont les deux modalités pratiquées par les habitants de Gobelet pour avoir continuellement accès à l’eau potable.
DISCUSSION
La présente étude a permis de mettre en exergue la marginalisation des espaces informels dans le service de distribution de l’eau potable à Abidjan. Des stratégies locales pour palier l’absence du service formel sont développées au profit des résidents de ces espaces d’habitations précaires afin de répondre à leurs besoins journaliers. Il semble après examen de la situation que Gobelet en tant que bidonville est la parfaite illustration de ce qui a cours dans ce type d’habitations à Abidjan. Pour plus de certitude, nous préconisons au plan méthodologique, un élargissement de l’échantillon sur d’autres sites d’habitations de ce type, ce qui pourrait révéler une facette de la problématique de l’eau en milieu défavorisé.
Pour l’heure, les résultats obtenus dans cette étude font état de l’occupation de Gobelet par des populations à revenus modestes. Coulibaly et al (2004) justifient cela par le coût élevé de la vie dans les grandes métropoles africaines contraignant cette catégorie de la population à se refugier dans des sites non viabilisés, établis sur des pentes ou dans des zones de dépressions. Par ailleurs, l’absence de lotissement et de plan cadastral y rend difficile tout aménagement conforme aux normes de planification et d’urbanisme. En effet, cet espace de vie sans infrastructures et équipements socio-économiques mettent ses habitants en marge de toute qualité de vie sécurisée. Aussi, la précarité du niveau de revenu des populations (entre moins de 25 000 FCFA à 150 000 FCFA) ne leur permet pas de pouvoir prétendre à un branchement au réseau d’adduction d’eau potable officiel. Au regard de l’absence du service public urbain d’eau potable à Gobelet, de la précarité financière des habitants et de l’absence de puits traditionnels comme de bornes fontaines, un mécanisme, que Moretto (2010) qualifie d’arrangement et de stratégies informelles, s’y développe afin de permettre aux populations de bénéficier de l’eau potable. Celui-ci est basé sur le développement d’un réseau informel d’approvisionnement en eau par les petits opérateurs privés afin de rendre cette ressource vitale accessible aux ménages de cet espace précaire. Ces réseaux informels restent le point de départ pour la construction du service d’eau à Gobelet. Le raccordement des habitations audit réseau et l’achat au détail de l’eau du réseaux sont les modalités uniques d’accès à l’eau potable pour les habitants de cet espace à risque. Cette stratégie de survie est exercée sans l’accord des autorités en charge de l’hydraulique. Cette pratique diffère des modalités observées par Kombasseré (2007) dans les quartiers irréguliers des secteurs 29 et 30 de Ouagadougou. Dans ces quartiers, les populations ont accès à l’eau potable grâce à des bornes fontaines et des postes d’eau autonomes gérés par des individus des quartiers en contrat d’affermage avec l’ONEA (Office National de l’Eau et de l’Assainissement). De plus, dans les quartiers défavorisés de Port au Prince (Haïti), des arrangements institutionnels permettent aux habitants d’accéder à l’eau grâce à un programme de distribution par bornes-fontaines publiques payantes (Barrau, 2007).
Si l’accès aux alternatifs du service d’eau conventionnel reste moins cher dans les bidonvilles de Mumbai (De Bercegol et Desfeux, 2011), le coût d’accès demeure cependant élevé pour les populations de Gobelet. En effet, les usagers connectés au réseau informel d’eau déboursent en moyenne par mois 0,40 FCFA par litre et 1,46 FCFA pour ceux qui l’achètent au détail contre 0,14 FCFA le litre vendu par le service public d’eau. Ce coût d’accès élevé de l’eau du réseau public par des intermédiaires confirme le constat de Dos Santos (2005). Elle estime que le coût d’un litre d’eau à Ouagadougou peut être jusqu’à dix fois moins élevé pour un ménage disposant d’un robinet d’eau courante à domicile que pour un ménage faisant appel à un revendeur.
Ainsi, cette résilience des populations pourrait être intégrée dans les mécanismes d’accès à l’eau en complément de celui de l’opérateur officiel ivoirien.
CONCLUSION
Les difficultés d’accès aux logements et la paupérisation croissante conduisent les populations à occuper des espaces non aedificandi. Ces espaces vulnérables ne bénéficient d’aucun aménagement pouvant garantir des conditions de vie saines aux populations. L’accès à l’eau potable à Gobelet repose sur des pratiques et des arrangements informels assurés par des opérateurs clandestins. Du fait de l’absence de puits traditionnels, les populations accèdent à l’eau potable soit par connexion au réseau informel soit par achat au détail auprès de revendeurs. Par ailleurs, si l’accès aux alternatifs du service d’eau conventionnel reste moins cher dans les bidonvilles de Mumbai (De Bercegol et Desfeux, 2011), le coût d’accès à ces palliatifs demeure élevé pour les populations de Gobelet.
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Pour citer cet article
Référence électronique
Wilfried Gautier Koukougnon. «Stratégies d’accès à l’eau potable dans un quartier défavorisé: cas de Gobelet dans la commune de Cocody (Abidjan-Côte d’Ivoire)». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (2) 2. Mis en ligne le 15 novembre 2015, pp. 60-72. URL: http://laurentienne.ca/rcgt
Auteur
KOUKOUGNON Wilfried Gautier
Institut de Géographie Tropicale
Université Félix Houphouët-Boigny
Cocody, Abidjan, Côte d’Ivoire
Courriel: koukougnon74@yahoo.fr