Capital social, pouvoir d’agir et bien-être chez les femmes à Conakry (République de Guinée)

Social capital, empowerment and well-being among women in Conakry (Guinea)

TRAORÉ Fatoumata & SOUMAHORO Moustapha


Résumé En Guinée, le faible niveau de vie pose de sérieux problèmes à l’amélioration du bien-être individuel et familial. La satisfaction des besoins des familles est souvent prise en charge par les femmes, en particulier lorsqu’elles s’impliquent dans diverses associations. L’objectif principal de cet article est d’examiner le lien entre le capital social, le pouvoir d’agir et le bien-être individuel et familial de la femme à Conakry. L’hypothèse est que l’augmentation du capital social à travers la participation active des femmes permet de développer leur pouvoir d’agir tout en améliorant leur bien-être individuel et familial. Au niveau méthodologique, la collecte des données visait principalement à obtenir des informations auprès des femmes et groupes de femmes à travers un questionnaire, le focus group par des discussions et des entrevues semi-dirigées. Les discussions et entrevus ont été enregistrés sur support audio et transcrites. Avec SPSS, les analyses et interprétations ont été faites. Les résultats obtenus ont permis de constater que le capital social a contribué au développement du pouvoir d’agir des femmes et à l’amélioration de leur bien-être individuel et familial à Conakry.

Mots clés : Guinée, Conakry, Capital social, Pouvoir d’agir, Bien-être.

 

Abstract: In Guinea, the low level of life poses serious problems to improve the individual and family well-being. Satisfying the needs of families is often borne by women, particularly when they are involved in various associations. The main objective of this article is to examine the relationship between social capital, the empowerment, and individual and family well-being of women in Conakry. The hypothesis is that the increase in social capital through the active participation of women can develop their empowerment to act while improving their individual and family well-being. In terms of methodology, data collection was to obtain information from women and women’s groups through a survey, focus-group with discussions and semi-structured interviews. Discussions were recorded on audio and transcribed support. With SPSS, analyzes and interpretations have been made. The results have shown that the social capital contributed to the development of the empowerment of women and improving their individual and family well-being in Conakry.  

KeywordsGuinea, Conakry, social capital, empowerment, Well-being  

 

Plan

Introduction

Objectif et hypothèses de la recherche

Cadre théorique et conceptuel

Méthodologie de la recherche

Résultats

Discussion

Conclusion

 

Texte intégral                                                                                 Format PDF

INTRODUCTION

Le développement est à la fois économique, environnemental et social. La dimension sociale couvre plusieurs aspects humains. Elle privilégie l’individu pris seul ou en communauté dans le but de la satisfaction de ses besoins de base (Nations Unies, 1995). Dans cette optique, les communautés doivent permettre, d’une part, à chaque individu de développer pleinement son potentiel, de pouvoir participer activement à la vie sociale et de pouvoir tirer sa juste part dans l’enrichissement collectif et, d’autre part, à la collectivité de progresser, socialement, culturellement et économiquement (Conseil canadien de la santé et du bien-être, 1997).

C’est pourquoi, dans le but de valoriser les potentialités humaines, depuis le début des années 1970, le PNUD (1992) prend en compte les liens entre la croissance économique (PNB) et le développement humain qui est considéré comme un processus d’élargissement des choix (PNUD, 1993).

Avec son indicateur du développement humain (IDH), le PNUD (1990) essaie de mesurer l’amélioration des conditions de vie des individus considérés comme le centre du processus de développement. Chaque individu doit jouir d’un environnement lui permettant de vivre longtemps en bonne santé et de manière créative. À l’instar de l’approche individuelle du PNUD, le CRDI (1997) entend par développement, la satisfaction des besoins essentiels de l’individu à l’égard de la société dans l’utilisation des ressources collectives.

Ainsi, notre approche de développement prend en compte aussi bien l’individu que son groupe d’appartenance, notamment la famille, les associations et la collectivité (son quartier de résidence). C’est une approche adaptée à l’étude du rôle du capital social dans la répartition des richesses socio-économiques. Elle permet de comprendre les conditions dans lesquelles le bien-être de la femme et celui du groupe peuvent être améliorés.

Si le potentiel de la femme guinéenne (et particulièrement celle de Conakry) lui est reconnu, elle peut jouer un rôle important dans le développement de sa communauté tout en assurant la satisfaction des besoins essentiels des membres de sa famille. Ce rôle lui permettra d’avoir des liens de solidarité et d’entretenir des relations avec les autres individus de sa communauté. C’est cela que nous appelons le capital social.

L’ambition de cette étude est d’apporter une contribution à la compréhension du rôle des dimensions sociales dans le développement local. La notion de capital social a été choisie comme fil directeur de cette étude. Elle permet de comprendre en quoi les liens sociaux pourraient constituer un avantage sur le plan économique et contribuer ainsi à l’amélioration du bien-être matériel, social et moral, et ce, en dépit des difficultés conceptuelles qui appellent des précautions importantes. La notion du capital social est utile dans toute étude visant à intégrer les caractéristiques sociologiques dans les raisonnements sur le développement économique et sur le bien-être.

Cet article se propose précisément de faire une analyse des liens et en déduire si possible leurs pertinences entre capital social, pouvoir d’agir et bien-être des femmes à Conakry. Cela permettra de comprendre éventuellement s’il existe un capital social au niveau des femmes à Conakry ? Et si oui celui-ci peut-il permettre à la femme de développer son pouvoir d’agir ? Dans quelle mesure le pouvoir d’agir de la femme peut-elle contribuer à l’amélioration de son bien-être et celui de sa famille ?

Afin de faciliter la compréhension des faits au lecteur, l’article s’articule autour de cinq parties. La première partie du travail porte sur l’objectif général et les hypothèses de recherche. La deuxième partie s’intéresse aux concepts de capital social et du pouvoir d’agir. Dans la troisième section, l’approche méthodique est exposée en décrivant les données et les outils utilisés. La quatrième partie se consacre à l’analyse des résultats. La cinquième et dernière partie porte sur la discussion des résultats.

OBJECTIF ET HYPOTHÈSES DE LA RECHERCHE

La réflexion axée sur les possibles liens entre le capital social, le pouvoir d’agir et le bien-être suscite une série de questions qui constituent les axes principaux de cette recherche. Premièrement, il s’agit de savoir s’il existe un capital social à Conakry ? Et si oui celui-ci peut-il permettre à la femme de développer son pouvoir d’agir? Deuxièmement, en quoi ce capital social peut-il être un facteur déterminant dans l’amélioration des conditions de vie des populations? Et finalement, dans quelle mesure l’augmentation du pouvoir d’agir de la femme peut-elle contribuer à l’amélioration de son bien-être et celui de sa famille ?

Pour tenter de répondre en tout ou en partie à certaines de ces questions, l’objectif général est de montrer l’existence d’un lien significatif pertinent de causalité entre le capital social, le pouvoir d’agir et le bien-être de la femme. Nous formulons comme hypothèse que : l’augmentation du capital social, identifié dans cette recherche comme étant la participation active des individus mus par la volonté d’atteindre des objectifs communs au sein d’associations formelles ou informelles, permet d’augmenter le pouvoir d’agir et d’améliorer le bien-être individuel et familial. De manière plus significative, cette hypothèse générale se décline en trois hypothèses spécifiques à savoir : 1) le capital social permet à la femme de développer son pouvoir d’agir, 2) le capital social est un facteur déterminant de l’amélioration du bien-être des femmes à Conakry et enfin 3) l’augmentation du pouvoir d’agir de la femme contribue à l’amélioration de son bien-être matériel, social et moral.

Pour tenter de répondre aux différentes questions et tester les hypothèses de recherche, la connaissance des concepts de capital social et du pouvoir d’agir est indispensable.

CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL

L’étude du capital social est récente. Hanifan (1916) est le premier à en avoir parlé[1]. Weber (1922) s’est intéressé à cette notion et sa contribution se situe au niveau du lien entre le capital social et l’action économique en soutenant que l’appartenance à une communauté, à un groupe, constitue un atout économique fiable pour les individus (OCDE, 2001). Mais, c’est à la suite des travaux de Coleman (1988) et de Putnam (1993) que le concept de capital social a été popularisé. Les travaux qui se réfèrent à Coleman (1988) touchent au capital social dans le cadre familial (McLanahan et Sandefur, 1994), aux liens entre capital social et mobilité géographique (Schiff, 1992) et à l’influence du capital social dans l’engagement de la société civile. Cette société essaie de revendiquer son droit et de militer dans le but d’accéder à certains statuts. En effet, le capital social présente de nombreux avantages aux individus qui en bénéficient. Coleman (1988) identifie différentes formes de structures sociales susceptibles de constituer des éléments du capital social. Il attribue trois composantes au capital social. La première touche le respect des obligations et les droits que peuvent avoir les individus au sein d’une unité sociale donnée. Cette première composante du capital social indiquée par Coleman (1988), ne semble pas exposer clairement les facteurs qui contribuent à la motivation des personnes. Les individus sont contraints au respect des obligations. La deuxième composante du capital social selon Coleman (1988) réfère à la valeur potentielle de l’information véhiculée par les relations sociales entre les individus. Coleman (1988) trouve que l’information est un aspect important dans les relations entre les individus parce qu’elle fournit la base sur laquelle l’action peut s’appuyer et être mise en œuvre. L’accès à l’information présente ici une valeur et une utilité pour les individus. La troisième composante du capital social décrite par l’auteur est la présence de normes et de sanctions dans les communautés. Cette dernière composante du capital social se distingue de la première par le fait qu’elle s’appuie sur les normes qui facilitent le contrôle social, réduisent le recours à des outils de contrôle conçus par l’État, tel que le système judiciaire. Ces éléments se retrouvent ensemble dans la définition postérieure et raffinée par l’auteur en 1990. Coleman (1990) mentionne que le capital social se rapporte aux relations que les individus d’une même communauté peuvent tisser entre eux. Aussi, la présence des normes que Coleman appelle « normes affectives » permet de réduire le taux de criminalité et de favoriser la réussite scolaire, etc. (Coleman, 1987, 1988 et 1990 cités par White et Lévesque, 1999). En définissant le capital social par sa fonction, Coleman évoque qu’il peut y avoir une variation relative de celle-ci selon les objectifs qu’on se fixe. À l’instar de Bourdieu (1979), l’approche du capital social de Coleman est aussi centrée sur l’individu. Rappelons que Bourdieu (1980) avait identifié trois types de ressources provenant du capital économique, du capital culturel et du capital social et permettant à l’individu d’accroître ou de conserver sa position sociale.

Malgré ces multiples travaux, c’est surtout avec ceux de Putnam (1993, 1995 et 2000) que l’utilisation de ce concept a connu un véritable essor. L’analyse de Putnam (1993) sur le capital social en Italie montre que la qualité et l’efficacité des collectivités locales, des gouvernements, le niveau d’éducation de la population et le système des partis politiques sont des facteurs entre autres qui permettent de cerner le concept de capital social. Putnam étudie le capital social à partir des rapports de réciprocité que les individus établissent entre eux, soit par le voisinage, soit par des structures organisationnelles (les chorales, les clubs de Soccer, de « Rotary », de cercles de lecteurs, de randonnée pédestre). Pour lui, le capital social réside aussi dans la motivation des individus envers le processus électoral ainsi que la confiance qu’ils ont en l’efficacité des institutions. C’est ainsi que Putnam définit le capital social comme étant « les aspects de la vie collective qui rendent la communauté plus productive, soit par la participation, la confiance et la réciprocité » (2000 : 14). Chaque  individu doit être doté d’un certain pouvoir d’agir afin de mieux servir sa communauté. La maximisation de la productivité ne peut se faire en dehors du groupe au sein duquel les individus peuvent développer leur potentiel. Cette manière de définir le capital social touche à la fois les relations entre l’individu, sa famille et son groupe d’appartenance.

Selon les travaux de Putnam (1999) réalisés aux États-Unis, la confiance que les individus ont en la capacité du gouvernement de prendre des décisions, la participation à la vie collective, au suffrage, aux réunions de parents d’élèves et ainsi qu’aux réunions municipales pour débattre des affaires publiques et municipales, sont des composantes du capital social. Putnam évoque également d’autres composantes du capital social, telles que : la communication entre les individus et les collectivités ; les relations entre les membres des mêmes groupes religieux ; le bénévolat ; la fréquentation de l’église ; l’augmentation du nombre des fidèles par confession religieuse ; l’appartenance à un syndicat et la participation à des réunions syndicales ; l’appartenance à des organismes communautaires de femmes et d’hommes.

En plus de ces énumérations, il faut ajouter la participation aux ligues de quilles dont les membres discutent par exemple des obligations d’épargne et du ramassage des ordures dans les écoles. Pour Putnam, les conversations entre les voisins sur des questions courantes, tant dans les contacts formels et informels, constituent aussi une composante du capital social. Parmi les facteurs qui conditionnent le capital social, Putnam cite le bon voisinage, le niveau de scolarité élevé, la situation de la femme au foyer[2], la consolidation des foyers conjugaux, les dons faits à la communauté, l’adaptation de l’architecture des maisons[3], l’augmentation du nombre de parents qui prennent part à l’instruction de leurs enfants et la création d’un filet de sécurité par des relations sociales (santé, longévité, micro crédit). Mais il est important, d’après Putnam (1999), d’inventer des institutions adaptées à notre manière de vivre tout en créant de véritables liens collectifs.

Une avancée théorique dans le domaine du capital social a permis à la Banque Mondiale (2000) de distinguer trois formes de capital social dans lesquelles nous pouvons retrouver les différentes dimensions précédemment abordées par les auteurs. Le capital social affectif (Bonding) qui est la première forme, renvoie aux rapports au sein des groupes homogènes. Ces groupes formels peuvent être basés sur la famille, la religion, les classes d’âges ou l’appartenance à une entité géographique telle que le village. Pour Narayan (1999a), les liens sociaux ou les groupes homogènes denses agissent comme une « colle sociologique ». Ils offrent le soutien social et psychologique dont les membres ont besoin pour se débrouiller dans leurs activités quotidiennes. Le capital social affectif se traduit donc par une profonde loyauté au sein du groupe.

La deuxième forme de capital social est celle du capital relationnel (bridging) qui est plus hétérogène que le capital affectif. Il transcende les divisions sociales. Selon cette institution, le capital social relationnel est utile pour se brancher sur des ressources externes ou pour diffuser de l’information. Cependant, le capital social affectif et le capital social relationnel ne doivent pas être pris comme des catégories mutuellement exclusives, mais bien comme des dimensions relatives permettant de comparer des réseaux qui se déploient à des niveaux géographiques différents.

La troisième forme de capital social est le capital social instrumental (Linking). Il renvoie aux relations entre les différentes couches de richesse et de statut social. Il s’agit par exemple de la relation entre les institutions financières et l’obligation des individus de se regrouper en vue de bénéficier d’un prêt pour renforcer leurs activités. Cette forme de capital social renferme une dimension verticale contrairement au capital social relationnel qui est souvent considéré comme une catégorie horizontale d’interrelations (Woolcock cité par Jeff, 2003). Notons que ces types de capital social ne sont pas aussi différents que nous pouvons le croire. Toutefois, ils permettent d’identifier les associations par catégories d’intérêts des femmes de Conakry, la capitale guinéenne.

Bourdieu (1980) s’est aussi servi du concept du capital social pour faire référence à certains types de ressources provenant du capital économique, du capital culturel et du capital social. Les trois types de capitaux contribuent à développer les individus ou les groupes sociaux. Ils permettent d’accroître ou de conserver la position à l’intérieur de la hiérarchie sociale. Il est d’une importance pour nous de mentionner que le peu d’intérêt accordé au capital social en Afrique ne signifie pas l’inexistence d’études sur ce concept. Nous avons pu repérer quelques contributions qui ont porté sur les pays d’Afrique anglophone (Narayan, 1995 et 1996; Narayan et Pritchett, 1997; Widner et Mundt, 1998; Jones, 2002).  Par exemple, Narayan (1997) a effectué des travaux sur le capital social en Afrique subsaharienne où elle a observé le phénomène de complémentarité entre la société civile et le gouvernement. Narayan révèle que cette complémentarité ne peut avoir d’effet avec un gouvernement qui est relativement «disponible» pour sa population. Même si les différents groupes de la société civile sont reliés entre eux et créent une cohésion sociale avec les institutions gouvernementales, le groupe le plus puissant s’accapare les structures étatiques pour aboutir à l’exclusion et à la domination des autres individus. L’exclusion des moins favorisés occasionne des conflits latents qui peuvent se traduire en révolte contre les élites au pouvoir. Ainsi, le capital social civil doit se substituer au capital social gouvernemental lorsque l’appareil étatique ne fonctionne pas bien. Les groupes sociaux consolident leurs relations entre eux. C’est pour cette raison que dans la plupart des pays africains au sud du Sahara, naissent des réseaux informels à l’intérieur desquels les stratégies de survie se développent. Ces réseaux peuvent se traduire par des tontines, du commerce ainsi que par la réalisation d’infrastructures collectives. Narayan (1998) recommande que pour mener une recherche sur le capital social dans le contexte africain, l’on doit mettre l’accent sur la nature des relations qui lient les acteurs de la société civile.

Quant à  la notion pouvoir d’agir, désignée par le terme anglais empowerment, l’intérêt de son étude réside dans le fait que c’est un concept qui permet de lier la notion de capital social à celle de bien-être. Tout comme les notions du développement, du bien-être et du capital social, celle du pouvoir d’agir est de plus en plus reconnue tant en milieux académiques (Le Bossé, 1993, 2000 et 2002 et Ninacs, 1995 et 2001) que dans l’univers d’intervention des ONG, de la Banque Mondiale et des organismes onusiens (UNIFEM, 2000). Elle désigne à la fois un état et un processus basés sur le fait que l’individu et la collectivité possèdent les capacités (ou peuvent les développer) pour effectuer les transformations nécessaires, pour assurer leur accès aux ressources et en même temps les contrôler (La Clé et Ninacs 2001)[4].

La notion d’empowerment s’inscrit dans l’approche «genre et développement » et remplace celle « d’intégration des femmes dans le développement »[5]. Sa popularité est particulièrement mise en avant dans le contexte de la réduction de la pauvreté. Dans cette perspective, l’empowerment devrait permettre aux personnes vivant dans des conditions de pauvreté de sortir de cette condition en réduisant leur vulnérabilité sur les plans social, économique, politique et psychologique. En effet, les inégalités entre hommes et femmes représentent un facteur transversal par rapport à l’ensemble des facteurs déterminants de la pauvreté. Or, la femme est potentiellement vulnérable dans la société dans l’accès équitable aux ressources. De la même façon, elle présente en elle des potentialités qui peuvent lui permettre d’agir efficacement au sein de cette société.

C’est pour cette raison qu’il a été décidé d’étudier le développement du pouvoir d’agir chez les femmes à Conakry. Car, cette notion est fondamentale à la compréhension du rôle des femmes dans les décisions concernant l’accès et le partage équitable des ressources avec les autres catégories sociales. À Conakry, la femme ne peut agir que si elle développe une compétence lui permettant d’être utile à sa famille et à son groupe. Il revient à chaque acteur de reconnaître les capacités de la femme en lui offrant la latitude d’agir en fonction de ses propres choix pour améliorer sa qualité de vie. De plus, l’intégration de la femme dans les mouvements associatifs lui permet de mettre en évidence ses compétences et favorise sa participation active dans les affaires collectives. Cette vision qui s’inscrit dans un cadre théorique et conceptuel, exige une approche méthodologique cohérente afin d’en saisir la pertinence.

MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

La démarche méthodologique portant sur le rôle du capital social dans le bien-être des femmes privilégie une approche indirecte pour mesurer son incidence. La non n’existence d’indicateurs permettant une mesure directe du capital social, a nécessité la construction des proxys (UNICEF, 2000). Un ensemble d’informations permettant de calculer ces proxys a été recueillir auprès d’un échantillon de femmes. Les variables d’étude sont des variables qualitatives ou catégorielles qui ont nécessité l’utilisation de plusieurs techniques d’investigation sur le terrain dont : la recherche documentaire, l’entretien semi-dirigé, l’observation de terrain, les groupes de discussion, le questionnaire individuel et l’expérience du milieu. L’avantage d’une telle approche par le croisement des instruments différents de collecte des données permet de recueillir des informations en provenance de plusieurs sources et d’enrichir la compréhension du phénomène étudié.

La collecte des données, deuxième étape des travaux de terrain, a été faite auprès des responsables chargées des affaires féminines de la capitale, ceux des trois quartiers et des différentes associations. En tenant compte des mêmes critères de sélection des participantes aux groupes de discussion, un échantillonnage à choix raisonné de 210 femmes réparties entre les trois quartiers de Manquepas, Carrière et Dixinn-centre 2 pour les soumettre à un questionnaire individuel a été réalisé. Dans chaque quartier, 35 femmes sans aucune implication dans les associations et 35 autres membres d’association ont été respectivement interrogées.

Le traitement des données du questionnaire a été fait à l’aide du logiciel SPSS qui a permis de calculer la somme des scores des catégories et sous-catégories obtenus par chaque femme. En s’appuyant sur les travaux de Andersen (1990) dans The Statistical Analysis of Categorical Data, le choix de diviser de manière égale les résultats pour chaque variable, en trois niveaux : faible, moyenne et élevée, a été fait. Cette subdivision a permis la mise en évidence du degré de participation de la femme aux mouvements associatifs, du développement de son pouvoir d’agir et de l’amélioration de son bien-être.

RÉSULTATS

CAPITAL SOCIAL ET POUVOIR D’AGIR : L’EXISTENCE D’UN LIEN SIGNIFICATIF ?

Globalement, l’analyse statistique effectuée révèle qu’il y a un lien significatif entre le capital social et le pouvoir d’agir des femmes (Khi-deux : 15,906. P = 0,014 Significatif) (cf. figure1 & tableau 1 en annexe). Les Conakrika[6] participent à toutes les rencontres de leur collectivité et essaient de maintenir un climat de collaboration avec les autres acteurs de la société. Cependant, elles se sentent influencées par la présence des hommes. Celles qui ont la volonté de s’exprimer devant les hommes occupent dans la plupart des cas une position de gestion dans leur association. Bien qu’elles soient impliquées dans les mouvements associatifs, les Conakrika n’accordent pas une plus grande importance à l’alphabétisation au sein de ces structures. Par contre, elles sont favorablement ouvertes à l’apprentissage de métier et de commerce dans un groupe d’adultes. Le plus souvent, avant d’adhérer à une association, les individus s’informent d’abord sur les avantages que celle-ci peut leur procurer. Par exemple, au sein de certaines associations de quartier, il existe des activités pouvant profiter à tous les membres. Les femmes qui n’ont pas appris de métiers sont les bienvenues dans ces types de structures. C’est ainsi que le groupe a constitué un lieu d’apprentissage des activités de commerce autre que l’industrie alimentaire pour de nombreuses femmes impliquées dans une association.

Figure_1

Figure 1 : Les relations significatives entre le capital social et le pouvoir d’agir de la femme 

Quant aux Conakrika n’appartenant à aucune association, elles disposent tout de même d’un pouvoir d’agir moyen (70) et intense (31) (cf. tableau 2 en annexe). Elles sont animées d’un sentiment d’appartenance et d’une confiance en soi qui leur permettent d’agir seules devant une situation donnée et de demander de l’assistance aux autres personnes. Ces femmes préfèrent compter sur les individus qui sont dans leur collectivité et en retour, elles offrent gratuitement leur service à ceux-ci. Pour ces Conakrika, l’école constitue le principal lieu de leur alphabétisation. Pour l’apprentissage du métier ou du commerce, elles ont généralement recours aux structures institutionnelles qui organisent occasionnellement des séances de formation à l’intention de toutes les femmes. Par exemple, pour tenir des séances de formation sur la saponification, les autorités régionales et communales passent par l’intermédiaire des responsables du quartier afin de mobiliser les femmes à y participer en grand nombre[7].

Une analyse statistique détaillée des deux variables (capital social et pouvoir d’agir) a permis de déceler qu’il existe également un lien entre l’appartenance à une ou plusieurs associations et la capacité de la femme à résoudre ses problèmes familiaux. Cette situation peut s’expliquer par le fait que l’interaction entre la Conakrika et son groupe lui offre une opportunité d’autonomie grâce à l’expérience qu’elle acquiert avec les autres femmes. C’est la preuve qu’elles rapportent leurs problèmes de famille au sein de leur association afin que chaque membre puisse apporter son point de vue et faire des propositions de solution.

Il y a également une relation significative entre le nombre d’associations fréquentées par les Conakrika et la connaissance de leurs droits. Plus la femme s’implique dans plusieurs associations, mieux elle est informée de l’existence de ses droits grâce aux échanges d’expériences avec les autres membres. En revanche, les Conakrika qui ne fréquentent qu’une seule association ont, pour la plupart, une moindre connaissance de leurs droits (8%). Les associations représentent de meilleures sources d’informations pour les membres. Car c’est au cours des réunions que les Conakrika peuvent aborder des sujets considérés comme tabous dans les sociétés africaines. En effet, les femmes qui ne fréquentent qu’une seule association ont plus rarement l’occasion de s’informer sur leurs droits[8].

CAPITAL SOCIAL AFFECTIF : QUELS LIENS AVEC LA PARTICIPATION, LA COMPÉTENCE, L’ESTIME DE SOI ET LA CONSCIENCE CRITIQUE ?

La comparaison entre le capital social affectif et la participation de la femme aux activités sociales et collectives montre qu’il existe une corrélation statistiquement significative entre les deux (Khi-deux : 14,308. P = 0,026 Significatif). Mais la tendance n’est pas celle à laquelle nous nous attendions. Les femmes qui jouent un rôle actif dans leurs associations de capital social affectif ne participent pas aux activités collectives autres que celles de leurs amies d’âges ou des ressortissants de leur village par exemple. Les Conakrika qui n’appartiennent à aucune association participent aussi aux activités sociales.

La compétence a été évaluée sur la base du mode d’alphabétisation, du lieu d’apprentissage de commerce ou de métier. L’analyse statistique montre qu’il n’y a pas de lien entre la participation aux associations de capital social affectif et le mode d’acquisition de compétences chez les Conakrika. La tendance n’est pas aussi forte que nous pouvions le penser. Ainsi, nous constatons que de nombreuses femmes ont développé leur compétence en dehors des associations religieuses, de familles, du village ou de classe d’âges. Elles sont 32% sur l’effectif total des répondantes à fréquenter un cadre institutionnel d’alphabétisation grâce aux campagnes de sensibilisation faites par les autorités[9]. En réalité, 97 sur 210 femmes interrogées ont des compétences moyennes bien qu’elles ne participent à aucune association de type affectif. Cette situation peut s’expliquer par le fait que les associations de classe d’âges ou celles de village se distinguent plus par l’assistance matérielle dont les membres bénéficient tour à tour.

Le capital social affectif n’a pas non plus de lien statistiquement significatif avec le développement de l’estime de soi chez les Conakrika. Cette estime de soi est reliée à la capacité de résoudre les problèmes, de demander de l’aide et de parler librement devant les autres individus. Selon les résultats de nos interviews, la très grande majorité des femmes (140 sur 210) est susceptible d’avoir une estime de soi d’intensité moyenne. D’après les groupes de discussion, lorsque les Conakrika sont confrontées à une situation particulièrement difficile, elles cherchent toujours à trouver une solution dans la mesure du possible. Ces femmes comptent sur les relations qu’elles entretiennent avec les autres individus. Par exemple, certaines Conakrika peuvent s’adresser à un inconnu à cause de sa position politique ou économique pour pouvoir résoudre une situation difficile, comme un cas de maladie grave.

Il y a un lien significatif entre le capital social affectif et la conscience critique des Conakrika. Les répondantes qui fréquentent les associations de religion, de classe d’âges, de ressortissants d’un village sont plus nombreuses à avoir une conscience critique de moyenne ou forte intensité (cf. tableau 3 en annexe). Ces femmes connaissent des lois établies en leur faveur. Elles savent qu’elles peuvent réclamer leur droit surtout en ce qui concerne les conflits familiaux. Par exemple, elles savent gérer les problèmes de divorce ou du partage des biens d’héritage avec la belle-famille. Ces Conakrika, dans la plupart des cas entretiennent de bonnes relations avec les autorités politiques et administratives. Les femmes qui n’appartiennent aussi à aucune association de capital social sont impliquées dans l’élaboration des stratégies visant au développement social et économique de leur quartier.

CAPITAL SOCIAL RELATIONNEL : QUELS LIENS AVEC LA PARTICIPATION, LA COMPÉTENCE, L’ESTIME DE SOI ET LA CONSCIENCE CRITIQUE ?

Le capital social relationnel n’a pas de lien statistiquement significatif avec la participation sociale et collective de la Conakrika (Khi -deux : 12,221. P= 0, 142 Non significatif). Les femmes qui ne fréquentent pas les associations de ce type de capital social et celles qui ne sont membres d’aucune association ont une plus grande participation aux activités collectives. Cela signifie qu’elles participent à des réunions qui concernent leur collectivité (cf. tableau 4 en annexe). Elles tiennent à la cohésion sociale, notamment par la disponibilité à s’intéresser aux problèmes collectifs. Lorsqu’elles se rencontrent avec les autres femmes de la collectivité, les Conakrika essaient de donner leur point de vue sur les sujets à débattre afin d’aboutir à des actions concrètes, telles que l’entretien des rues en dégradation dans leur quartier ou l’installation d’un petit marché d’alimentation.

L’analyse statistique des données ne révèle pas de lien significatif entre le capital social relationnel et la compétence. Mais, il y a une tendance selon laquelle le capital social des Conakrika favoriserait le développement de leur compétence. Cela suppose que les associations regroupées dans ce type de capital social sont susceptibles d’aider les membres à développer leur autonomie. Cette aide peut aller dans le sens d’apprentissage d’un métier, d’une activité de commerce ou de l’alphabétisation. Cependant, les femmes qui ne sont pas engagées dans une association de capital social relationnel possèdent également des compétences. Près de la moitié d’entre elles ont une compétence moyenne.

Même si le test statistique se révèle non significatif entre le capital social relationnel et l’estime de soi (Khi -deux : 11,299. P= 0,185 Non significatif), la tendance indique que toutes les répondantes fréquentant une association de quartier par exemple peuvent avoir une estime de soi moyenne ou élevée (cf. tableau 5 en annexe). Ces femmes peuvent mettre en valeur leur capacité à résoudre facilement les problèmes familiaux et en même temps demander toujours de l’aide aux autres personnes quand elles en expriment le besoin. Elles ont aussi une ouverture d’esprit et essaient d’exprimer leur pensée aux autres femmes.

Quant au capital social relationnel, il a une influence significative sur la conscience critique des Conakrika (Khi -deux : 19, 134. P= 0,014 Significatif) (tableau 6 en annexe). Ces Conakrika ont une connaissance de leurs droits et des responsables politiques du quartier. Elles pensent aux solutions et aux actions collectives pour l’amélioration des conditions de vie des habitants de leur quartier. Par exemple, elles ont eu des initiatives pour l’approvisionnement des habitants de leur quartier en eau potable[10].

CAPITAL SOCIAL INSTRUMENTAL : QUELS LIENS AVEC LA PARTICIPATION, LA COMPÉTENCE, L’ESTIME DE SOI ET LA CONSCIENCE CRITIQUE ?

Il n’y a pas de lien statistiquement significatif entre l’appartenance de la Conakrika à une association de tontine ou des vendeuses et sa participation civique au sein de la collectivité (Khi -deux : 6,579. P= 0,362 Non significatif) (cf. tableau 7 en annexe). Bien que ce type d’association génère des revenus à ses membres, il ne semble pas offrir l’opportunité à la Conakrika de s’intéresser aux problèmes collectifs. Selon notre enquête de terrain, cette situation est due au fait que les membres de l’association des vendeuses par exemple manquent de temps pour assister à des réunions ou pour se mettre gratuitement au service de la collectivité. Ces femmes n’ont d’autres disponibilités que celles de leur groupe d’appartenance et de la famille. Cela ne remet-il pas en doute la valeur du capital social instrumental ? Déjà, les conditions d’adhésion à la structure de tontine ne sont pas encourageantes pour certaines femmes.

Nous constatons également que l’analyse statistique des données n’a pas de lien significatif entre le fait d’appartenir à une association de type instrumental et l’acquisition de la compétence par les Conakrika. Toutefois, il y a une tendance selon laquelle, plus le capital social de la Conakrika augmente en intensité, plus les indicateurs de son degré de compétence sont élevés. Mais, il peut arriver aussi que ces femmes aient acquis une compétence avant de devenir membres d’une association de ce type de capital social.

Statistiquement, le capital social instrumental n’a pas d’influence sur l’estime de soi de la Conakrika. Indépendamment de son groupe d’appartenance, la femme de Conakry s’estime capable de pouvoir résoudre la plupart des problèmes familiaux et de demander de l’aide aux autres personnes. Par exemple, certaines femmes, bien qu’analphabètes, ne ménagent aucun effort pour faire le suivi de leurs enfants à l’école. Elles discutent du comportement de leurs enfants avec les enseignants. Lorsqu’il s’agit de payer certains frais liés à la scolarité (c’est le cas de l’achat d’une table-banc), les femmes dont les enfants fréquentent la même école, passent par les responsables de cette institution d’enseignement pour se connaître et partager les frais à payer pour les enfants.

Le capital social instrumental a un rôle significatif dans le développement de la conscience critique de la Conakrika (Khi -deux : 14,659. P= 0,023 Significatif). Les femmes ayant ce capital social se répartissent entre les niveaux moyen et élevé de conscience critique (cf. tableau 8 en annexe). Malgré leur calendrier chargé par les associations de tontine ou des vendeuses, ces Conakrika connaissent leurs droits et les responsables locaux. Elles sont régulièrement informées de ce qui se passe dans le quartier et essaient aussi de réfléchir sur les projets qui peuvent être bénéfiques à tous les individus de la collectivité. Par exemple, ces femmes ont souhaité que les autorités politiques les aident à implanter une caisse de crédit dans le quartier afin de permettre d’augmenter leur capital financier. Mais elles ont manqué l’opportunité pour transmettre ce message aux décideurs.

CAPITAL SOCIAL ET BIEN-ÊTRE : L’EXISTENCE D’UN LIEN SIGNIFICATIF ?

L’analyse statistique des données globales révèle que le capital social de la femme n’a pas de lien significatif avec l’amélioration du bien-être individuel et familial à Conakry (Khi-deux : 11,914. P= 0,064 non significatif) (cf. tableau 9 en annexe et figure 2).

Figure_2

Figure 2 : Les relations entre le capital social et le bien-être

Cette situation peut être due à deux phénomènes. D’une part, il y a l’accentuation de la pauvreté vécue par les habitants de la capitale guinéenne. L’amélioration de certains aspects de cette pauvreté, tels que l’approvisionnement en eau potable et l’accès aux soins de santé adéquats, ne peut être assurée que par l’État guinéen. C’est aux autorités gouvernementales d’assurer les salaires des professionnels de la santé pour que les individus puissent bénéficier des soins de qualité. Le contrôle de la distribution d’eau potable revient aussi aux autorités gouvernementales.

D’autre part, les cotisations des membres dans les différents types d’associations ne sont pas suffisantes pour couvrir tous leurs besoins. En effet, l’aide apportée par le groupe en cas de maladie ne couvre ni les frais de consultation d’un professionnel de la santé, ni les dépenses reliées à l’achat de médicaments. En de pareilles circonstances, les femmes avec ou sans capital social se réfèrent à leurs réseaux de parenté ou de connaissances afin de pouvoir satisfaire certains de ces besoins, faute de quoi elles essaient d’avoir recours à la médecine traditionnelle.

Par ailleurs, une analyse approfondie des données a permis de déceler que la participation de la femme à une association lui a permis de trouver suffisamment de nourriture pour elle-même et pour l’ensemble des membres de sa famille.

Les Conakrika, mues par la volonté d’assumer leurs responsabilités familiales, utilisent une partie de la cotisation donnée par les membres de leur association pour acheter des sacs de riz pour le ménage. Comme nous l’avons mentionné ailleurs, le riz demeure l’alimentation de base en Guinée et principalement dans la capitale. Dans de nombreuses familles, le riz ne peut remplacer ni le pain ni les tubercules. C’est pourquoi, bien que le prix d’un sac de riz de 50 kilogrammes[11] soit très élevé sur le marché, les femmes utilisent tous les moyens pour ne pas que cette nourriture manque à la famille.

Par ailleurs, le capital social de la femme n’a pas de lien statistiquement significatif avec son accès à une alimentation variée. Cela s’explique par le fait que les ingrédients du plat d’accompagnement du riz sont facilement accessibles. Par exemple, l’existence d’une zone portuaire à Conakry et la pratique de la pêche artisanale permettent à la Conakrika une grande possibilité d’accès aux produits de mer (dont le poisson) et à faible coût. Aussi, le soumbara est une épice appréciée à cause de sa saveur, de son prix et de sa cuisson rapide et facile. Cela fait que les femmes ne se réfèrent pas nécessairement à leur groupe d’appartenance pour faire manger le poisson ou le soumbara par les membres de la famille. Quant à la viande de bœuf, son prix[12] est tel que les Conakrika ne la consomment que de manière occasionnelle.

POUVOIR D’AGIR ET BIEN-ÊTRE : L’EXISTENCE D’UN LIEN SIGNIFICATIF ?

Le pouvoir d’agir des femmes contribue de manière importante à l’amélioration de leur bien-être et de celui de leurs dépendants. Nous constatons que les Conakrika qui ont su développer fortement leur pouvoir d’agir se retrouvent avec un bien-être moyennement et fortement amélioré (Khi-deux : 14,088. P= 0,007 significatif) (cf. tableau 10 en annexe et figure 3). Ce pouvoir d’agir repose fondamentalement sur l’estime de soi qu’a la Conakrika dans la résolution des problèmes familiaux. C’est grâce à cette estime de soi qu’elle a su acquérir son autonomie financière. Elle exerce des activités génératrices de revenu, telles que la saponification, le fumage de poisson et la teinte de linge. L’apprentissage de ces métiers est perçu comme un moyen permettant à la femme de satisfaire à ses besoins matériels, de maintenir les liens de solidarité avec sa famille et ses proches, et de faire accepter sa décision dans la famille. Aussi, la Conakrika ne voit pas de contrainte lorsqu’elle sent le besoin de demander de l’aide aux parents et amis pour faire face aux problèmes de santé et d’éducation des enfants. Elle accorde également la même importance à l’éducation des garçons et celle des filles en épargnant de l’argent à cet effet.

INITIATIVE DE PARTICIPATION ET BIEN-ÊTRE MATÉRIEL, BIEN-ÊTRE SOCIAL ET BIEN-ÊTRE MORAL : EXISTENCE D’UN LIEN PERTINENT ?

Selon les résultats de l’analyse statistique des données, il n’y a pas de lien significatif entre la participation de la Conakrika à des activités sociales et l’amélioration de son bien-être matériel et de celui de sa famille (cf. tableau 11 en annexe). D’après l’expérience acquise sur le terrain, cette participation basée sur le bénévolat, ne peut permettre aux femmes de subvenir ni aux besoins de subsistance des dépendants ni de couvrir les frais de consultation d’un professionnel de la santé et d’achat de médicaments. Aussi, les coûts du travail bénévole de ces femmes ne sont supportés que par elles-mêmes. À titre indicatif, dans les travaux d’assainissement des lieux publics, les autorités locales ne fournissent pas d’outils de nettoyage aux femmes. Également, la quantité de nourriture distribuée occasionnellement par l’État en compensation des actions bénévoles n’est pas suffisante pour combler les besoins de nombreuses personnes.

La participation de la Conakrika aux rencontres collectives, à la résolution des problèmes sociaux et au bénévolat n’a pas d’influence statistiquement significative sur la relation qu’elle peut avoir avec sa famille, ses amies ou ses voisins. Se mettre volontairement au service de ces différents acteurs sociaux fait déjà partie des pratiques quotidiennes des Conakrika. Par exemple, elle peut gratuitement garder l’enfant de son voisin et aussi préparer à manger pour une amie qui en exprime le besoin.

Figure_3

Figure 3 : Les relations significatives entre le pouvoir d’agir et le bien-être de la femme

Également, la participation de la Conakrika à des activités sociales n’a pas une influence statistiquement significative sur son bien-être moral. L’engagement social est considéré comme un sentiment d’amour et d’appartenance que manifeste la femme envers son entourage. La tendance indique que les femmes qui participent aux activités collectives sont plus aptes à renforcer les liens d’amour avec les membres de la famille, leurs amies et leurs voisins. Au sein de la famille, ces Conakrika peuvent faire considérer leur avis par les hommes lorsqu’il s’agit de prendre une décision. Elles ont aussi un jugement critique en ce qui concerne le traitement équitable des filles et des garçons sur le plan de la scolarisation.

COMPÉTENCE ET BIEN-ÊTRE MATÉRIEL, BIEN-ÊTRE SOCIAL ET BIEN-ÊTRE MORAL : EXISTENCE D’UN LIEN PERTINENT ?

Nous observons qu’il y a une absence de lien statistiquement significatif entre la compétence de la femme et son bien-être matériel. Nous constatons tout de même une tendance que les Conakrika qui ont développé leurs compétences sont plus nombreuses à se retrouver avec un bien-être matériel moyennement et fortement élevé (Khi -deux : 0,217. P = 0 ,897) (cf. tableau 12 en annexe). Ces Conakrika qui ont une compétence moyenne ont pour préoccupations majeures d’assurer l’alimentation suffisante pour la famille et d’acheter les biens qu’équipement pour leur logement.

Selon les statistiques, la compétence qu’ont les Conakrika n’a pas de lien significatif avec l’amélioration de leur bien-être social. Toutefois, la tendance indique que cette compétence permettrait aux femmes d’augmenter leur autonomie envers les parents, les amis et les voisins. Bien qu’elles ne reçoivent pas de geste matériel de la part de ces individus, les Conakrika se sentent tout de même en sécurité sociale avec ces acteurs. Le développement de leur compétence serait aussi un facteur de motivation pour ces femmes dans la résolution des problèmes familiaux et dans l’organisation des cérémonies sociales avec les proches.

Nous constatons une absence de relation statistiquement significative entre la compétence des Conakrika et la satisfaction de leur bien-être moral. Pourtant, nous avons appris des groupes de discussion que les changements effectués dans leur famille en matière d’égalité de genre sont en partie dus au développement de leur savoir-faire qui permet de plus en plus la reconnaissance des rôles. De ce fait, les femmes se sentent en liberté et peuvent agir en fonction de leurs propres choix.

ESTIME DE SOI ET BIEN-ÊTRE MATÉRIEL, BIEN-ÊTRE SOCIAL ET BIEN-ÊTRE MORAL : EXISTENCE D’UN LIEN PERTINENT ?

Nous observons une absence de lien statistiquement significatif entre l’estime de soi chez les Conakrika et la satisfaction de leur bien-être matériel et celui de leurs familles (cf. tableau 13 en annexe). Toutefois, la tendance montre que les femmes ayant une estime de soi élevée se donnent plus de responsabilité dans leur famille. Elles utilisent des solutions alternatives pour combler les besoins alimentaires, de logement, de santé et de sécurité pour les individus qui composent leur ménage.

L’analyse statistique des données révèle qu’il n’y a pas de lien entre l’estime de soi et le bien-être social. Mais, il existe une tendance que, lorsque la femme se sent toujours capable de résoudre la plupart des problèmes familiaux, de s’exprimer librement devant les autres personnes en leur demandant de l’aide au besoin, elle a plus de chance d’améliorer moyennement et intensément son bien-être social.

Nous observons que l’estime de soi étudiée chez les femmes à Conakry n’a pas de relation significative avec la satisfaction de leur bien-être moral. Nous observons toutefois qu’il existe une tendance selon laquelle l’amélioration du bien-être moral est plus prononcée chez les Conakrika ayant une estime de soi fortement développée.

CONSCIENCE CRITIQUE ET BIEN-ÊTRE MATÉRIEL, BIEN-ÊTRE SOCIAL ET BIEN-ÊTRE MORAL : EXISTENCE D’UN LIEN PERTINENT ?

L’analyse statistique des données révèle un lien statistiquement significatif entre la conscience critique de la femme de Conakrika et la satisfaction de son bien-être matériel (Khi -deux : 9, 899. P= 0, 042 significatif) (cf. tableau 14 en annexe). La connaissance des responsables locaux et l’initiative prise par les femmes pour s’approvisionner en eau potable sont des facteurs essentiels dans cette relation. Les femmes qui sont confrontées à un problème lié à l’héritage du bien matériel du mari défunt, se dirigent souvent vers les responsables locaux pour trouver une solution à leur convenance.

Nous constatons qu’il n’y a pas de lien statistiquement significatif entre la conscience critique de la Conakrika et son bien-être social. Mais, la tendance indique que la connaissance de ses droits, de ses responsables du quartier et le fait d’avoir ses idées sur la manière de développer le quartier peuvent contribuer à l’amélioration des relations de la femme de Conakry avec la famille, les amies et les voisins. Déjà, les Conakrika qui ont une conscience critique développée entretiennent des relations relativement améliorées avec les autres acteurs du quartier. Dans certains cas, elles peuvent compter sur un responsable du quartier. Par exemple, lors d’un conflit domanial, la femme aura recours à une personnalité de son quartier même si celle-ci ne donne pas une suite satisfaisante à sa requête.

L’analyse des données statistiques révèle qu’il n’y a pas de lien statistiquement significatif entre la conscience critique de la Conakrika et l’amélioration de son bien-être moral. Nous constatons que les femmes ayant une conscience critique moyenne ou forte tendent de plus en plus vers l’amélioration de leurs conditions morales. Cette relation a une plus grande influence sur la promotion d’équité du genre dans la sphère familiale. Lorsque les membres de la famille reconnaissent à la Conakrika une conscience critique développée, ils se voient dans l’obligation de respecter et d’accepter ses jugements sur une situation donnée.

DISCUSSION

L’hypothèse émise au départ est que le capital social de la femme lui permet de développer son pouvoir d’agir et celui de sa famille. Les tests statistiques globaux et spécifiques entre ces deux variables se sont révélés peu significatifs. Toutefois, les tendances et les résultats des observations de terrain permettent de croire que les Conakrika, quelle que soit leur implication sociale, ont les mêmes préoccupations pour s’affirmer dans la société. Les femmes développent leur pouvoir d’agir de diverses manières. Par exemple, l’engagement dans les affaires collectives en participant à des rencontres autres que celles de leurs associations. Grâce à ces associations, les femmes ont l’opportunité de résoudre certains problèmes comme un conflit conjugal par exemple en essayant d’échanger avec les autres membres du groupe.

Le capital social affectif que les Conakrika pensent développer à travers leur participation aux associations de classe d’âges ou du village contribue peu au développement de leur compétence et de leur estime de soi. Avant de devenir membre d’une association de classe d’âges ou de village, la femme avait déjà appris un métier. Par contre, c’est au sein de ces associations que certaines d’entre elles ont appris à lire et à écrire en français. Aussi, l’absence d’un lien significatif entre le capital social affectif et l’estime de soi des femmes résulte du fait que celles-ci s’adressent aussi à des personnes sans lien de parenté ou d’amitié pour résoudre un problème de santé.

Les femmes qui participent à des associations de capital social affectif ont une conscience critique plus développée. Ces femmes ont une vision plus large en ce qui concerne la gestion des principaux problèmes qu’elles peuvent rencontrer dans la vie quotidienne.

Le capital social relationnel n’est pas un facteur d’amélioration de la participation des femmes à des activités sociales et collectives. Les femmes avec ou sans capital social ont la même motivation au renforcement de la cohésion sociale. Dans cette perspective, plusieurs Conakrika sont susceptibles d’offrir gratuitement leurs services à la collectivité dans la mesure où elles sont assurées de la reconnaissance des efforts qu’elles déploient dans une rencontre avec les hommes. Même s’il n’y a pas de lien entre le capital social relationnel et le développement de la compétence, la tendance montre qu’il aiderait les femmes à se doter de savoir et à apprendre un métier en groupe pour satisfaire leurs besoins de base et ceux des membres de la famille. Ce capital social relationnel peut offrir l’opportunité aux Conakrika de résoudre leurs problèmes quotidiens. Les associations de quartier ont aidé les femmes de Conakry à développer leur conscience critique. Certaines de ces Conakrika ont pu prendre des initiatives pour résoudre le problème l’approvisionnement en eau potable leur quartier.

Quant au capital social instrumental, les associations ne semblent pas remplir tous les critères définis. Les activités exercées au sein des associations des vendeuses par exemple occupent une partie appréciable du temps des membres. Et celles-ci ne participent pas à d’autres rencontres en dehors de celles de leurs associations. Les conditions pour devenir membre d’une association de tontine par exemple constituent des obstacles majeurs pour les femmes qui n’ont aucune garantie financière. Comme il existe déjà des tendances que le capital social instrumental pourrait améliorer le développement de la compétence et de l’estime de soi de la Conakrika, une réorganisation des associations de tontine pourrait se révéler avantageuse à cet effet. C’est-à-dire, au lieu d’accepter les membres qui ont déjà acquis leur compétence, il vaudrait mieux tenir compte aussi de celles qui ont besoin du groupe pour acquérir une expérience pratique. Ce capital social a tout de même un lien avec le développement de la conscience critique de la Conakrika. Les femmes qui participent à ces associations connaissent les responsables de leur quartier vu qu’elles sont à la recherche d’appui pour augmenter leur capital financier.

Notre seconde hypothèse était que le capital social est un facteur déterminant de l’amélioration du bien-être des femmes dans les quartiers de Conakry. D’une manière générale, les liens entre le capital social et le bien-être des femmes se sont révélés peu significatifs. Et nous n’avons pu identifier de réelles tendances. Cela est probablement dû à l’accentuation des problèmes sociaux et économiques qui ne peuvent être entièrement résolus par les groupes d’individus. L’analyse détaillée des composantes des deux variables a permis de déceler une corrélation entre le capital social affectif et les conditions du bien-être à Conakry. Mais, cette relation n’est pas aussi prononcée que nous l’avons pensé au départ. Même si les membres d’une association de classe d’âges ou de village sont animés d’une volonté d’entraide mutuelle, les moyens mis à leur disposition ne peuvent contribuer que partiellement à la satisfaction des besoins alimentaires, de logement, de santé et de sécurité des femmes ainsi qu’à ceux de leur famille. En guise de compléments de ce que leur offre leur groupe d’appartenance, les Conakrika se trouvent dans l’obligation de lier contact avec les autres individus de leur milieu et de consacrer une grande partie de leur temps aux activités de commerce par exemple.

De même, l’absence de lien entre le capital social affectif et le bien-être moral peut être expliquée par l’influence remarquable qu’a la famille sur la Conakrika par rapport à son association. Par contre, la signification des liens entre le capital social relationnel et le bien-être matériel s’explique par le fait que les Conakrika satisfont leurs besoins matériels surtout grâce au revenu généré par les activités de saponification, de teinte de linge et du fumage de poisson. Bien qu’il y ait de plus en plus un progrès dans le domaine, l’excision des filles et la pratique de contraception ne sont pas toujours débattues par les membres d’associations de capital social relationnel. Tout le monde ne s’entend pas sur ces sujets tabous. C’est ce qui peut expliquer le manque de lien entre ce capital social avec les liens sociaux et les conditions morales de la femme de Conakry.

Par ailleurs, les associations de capital social instrumental ne peuvent répondre à toutes les attentes matérielles de la Conakrika, c’est parce que les règlements instaurés dans ces structures sont difficiles à respecter pour la plupart des membres. D’une part, lorsque la femme perçoit son tour de rotation d’argent, elle est obligée de travailler plus fort pour rembourser les autres membres. D’autre part, elle a besoin aussi de se nourrir et en même temps assurer les besoins alimentaires de ses dépendants. Au sein des associations, de tels règlements méritent d’être révisés pour que chaque membre puisse être en mesure d’en tirer profit. Aussi, l’absence de lien significatif entre capital social et bien-être moral explique l’emploi du temps chargé des femmes à gérer les problèmes familiaux. Par ailleurs, si le capital social instrumental a contribué à l’amélioration du bien-être social, c’est grâce aux revenus des activités commerciales que gagnent les femmes pour maintenir l’élan de solidarité avec leurs parents, amies et voisins.

Avec la troisième hypothèse qui stipule que l’augmentation du pouvoir d’agir de la femme contribue à l’amélioration de son bien-être et à celui de sa famille, nous avons abouti aux résultats selon lesquels, d’une manière générale, il existe une relation entre ces deux paramètres. L’analyse détaillée des composantes du pouvoir d’agir et celles du bien-être a permis également de révéler des tendances. L’autonomie financière obtenue grâce à la compétence de la femme lui permet de subvenir à certains de ses besoins, tel l’achat de nourriture.

Même s’il n’y a pas de lien statistiquement significatif entre la participation de la femme à des activités collectives et l’amélioration de son bien-être social, nous avons constaté que les femmes rendent d’énormes services aux autres personnes. Par exemple, elles peuvent assurer la garde d’enfant d’un voisin ou préparer gratuitement de la nourriture pour une amie. En effet, si la compétence n’influence pas statistiquement le bien-être matériel des femmes, la tendance a permis de constater que c’est grâce au savoir-faire des femmes qu’elles sont parvenues à améliorer la qualité de leur logement en achetant par exemple des mobiliers de première nécessité. Cette compétence peut leur permettre de développer davantage leur autonomie envers les parents, les amis et les voisins. Si la femme agit au sein de la famille sans contrainte majeure à sa décision, cela est lié à son pouvoir financier acquis à travers les activités lucratives qu’elles exercent. La tendance a montré aussi que l’estime de soi peut jouer un rôle important dans l’amélioration du bien-être matériel et moral. Il est de même que la conscience critique de la femme contribuerait à l’amélioration du bien-être matériel et social. Ainsi, la connaissance d’un responsable du quartier peut permettre à la femme de lui confier quelques-uns de ces problèmes.

CONCLUSION  

Notre base d’analyse comportait les résultats du questionnaire individuel compilés avec les données recueillies à l’aide des autres méthodes et techniques utilisées dans cette recherche. Ce qui a permis de vérifier nos hypothèses de recherche en établissant le rapport entre les trois variables de la recherche, à savoir le capital social, le pouvoir d’agir et le bien-être (figure 4).

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Figure 4 : La relation entre capital social, pouvoir d’agir et bien-être

Le capital social est un facteur déterminant dans le bien-être individuel et familial à Conakry. Même si les résultats permettent de dire que, de manière générale, il n’y a pas de lien statistiquement fort entre le capital social et le bien-être des femmes à Conakry. La notion de capital social utilisée et vécue par les femmes renvoie à la vision large de la notion du capital social de Putnam qui prend aussi en compte les relations que les individus entretiennent entre eux, les activités bénévoles exercées au sein de la communauté ainsi que la connaissance mutuelle des habitants d’une même localité. Certains de ces indicateurs retrouvés dans l’approche du capital social de Putnam réfèrent aussi à la notion de l’empowerment telle qu’abordée à Conakry dans cette étude.

La notion du pouvoir d’agir occupe de plus en plus de place dans l’approche genre et développement. Les résultats cette recherche suggèrent qu’une façon de favoriser l’équité de genre est d’encourager la participation des femmes aux activités collectives. C’est ce qui leur permet de développer leur empowerment et par la suite, de favoriser leur promotion au sein de la famille et de la société toute entière. Il résulte aussi que le pouvoir d’agir de la femme contribue à l’amélioration de son bien-être et de celui de sa famille. Les femmes dotées d’une certaine compétence sont plus aptes à satisfaire leurs besoins matériels et disposent des avantages comparatifs sur le plan moral. À titre d’exemple, les femmes ayant un métier ont la possibilité de satisfaire aux besoins alimentaires de toute la famille et de garantir une bonne qualité de logement. De plus, la compétence confère aux femmes un degré de jugement élevé sur les questions essentielles concernant la famille, surtout quand il s’agit de prendre une décision.

Le capital social indique une meilleure capacité d’agir des individus leur permettant de mieux prendre en charge les divers éléments matériel, social et éthique du bien-être. Cette constatation fournit ample matière à la poursuite de ce type de recherche. Il semble indiqué qu’il faille élargir éventuellement la recherche sur le capital social aux relations interpersonnelles, par exemple en étudiant la participation volontaire aux activités sociales. L’approche communautaire du capital social est mieux adaptée à la compréhension de la mobilisation des forces productives organisées en groupes associatifs. Les principales caractéristiques de ces groupes sont l’émulation, le bénévolat, l’esprit de sacrifice, le sentiment patriotique, la conscience d’un développement endogène impliquant toutes les composantes sociales notamment les femmes qui restent des ressources essentielles.

L’apport à l’étude du capital social est d’avoir montré à travers cette étude de cas que cette notion est mesurable en Guinée et particulièrement à Conakry à l’instar des travaux effectués dans d’autres pays ayant des cultures différentes comme les travaux de Putnam réalisés en Italie et aux États-Unis d’Amérique et de montrer que l’augmentation du capital social permet d’augmenter le pouvoir d’agir et d’améliorer le bien-être individuel et familial.

 

 


[1] Pour Hanifan (1916), le capital social renvoie aux substances intangibles, c’est-à-dire la bonne volonté, l’amitié, la sympathie et les relations sociales entre les individus et les familles qui forment une unité sociale (OCDE, 2001).

[2] Il s’agit par exemple de la femme qui ne travaille pas hors de son foyer et qui est membre d’une association de parents d’élèves.

[3] Il s’agit de construire des maisons d’habitation avec des plans permettant par exemple aux occupants d’être en contact avec les voisins.

[4] Pour plus de détails, lire Le Bossé (1993), Lavallée (1993) et Ninacs (1995).

[5] C’est un concept qui est né dans les pays du Sud, plus précisément en Inde au sein du réseau DAWN (UNIFEM, 2000).

[6] Ce gentilé désigne les habitants de Conakry en langue Malinké. Dans cette étude, il est utilisé pour désigner les femmes de Conakry qui ont été interviewées.

 [7] Enquêtes de  terrain, 2004.

[8] Enquêtes de terrain, 2004.

[9] Enquêtes de terrain, 2004.

[10] Enquête terrain, 2004

[11] Un sac de riz de 50 kilogrammes coûte 150 000 francs guinéens, soit environ 40 dollars canadiens.

[12] Un kilogramme de viande coûte 8500 francs guinéens, soit 2,30 dollars canadiens.

 

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Pour citer cet article

Référence électronique

Fatoumata Traoré et Moustapha Soumahoro, 2016. «Capital social, pouvoir d’agir et bien-être chez les femmes à Conakry (République de Guinée)». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (3) 1. Mis en ligne le 05 mai 2016, pp. 58-79. URL: http://laurentienne.ca/rcgt

 

Auteurs

TRAORÉ Fatoumata
Enseignante-chercheure,
Université GLC-Sonfonia, Conakry, Guinée,
Courriel: fatraore@hotmail.com

 

SOUMAHORO Moustapha
Professeur agrégé-Géographie
Université Laurentienne, Sudbury, Ontario, Canada,
Courriel: msoumahoro@laurentian.ca

 

Annexes

Tableau 1Tableau 2Tableau 3Tableau 4Tableau 5