Intégration des motos-taxis dans le réseau de transport public: cas du département d’Oumé (Côte d’Ivoire)

Integration of motorcycles-taxis in the public transportation network: case of the department of Oumé (Côte d’Ivoire)

ALOKO-NGUESSAN Jérôme & GUELÉ GUE Pierre


Résumé: Les motos-taxis ont fait leur apparition dans le réseau de transport public en Côte d’Ivoire suite à la crise socio-politique des années 2000. Cette crise a particulièrement fragilisé le réseau de transport public traditionnel dans plusieurs régions du pays, notamment les régions Centre, Nord et Ouest, occupées par la rébellion en 2002. Les motos-taxis, considérées comme une alternative aux difficultés de déplacements des populations, ont connu une expansion rapide jusqu’atteindre le département d’Oumé en 2010. Le présent article essaie de dresser un portrait sociodémographique, économique et territorial de cette nouvelle forme de transport public. En fait, l’article s’intéresse aux causes de son apparition à Oumé, aux profils sociodémographiques des acteurs, à la nouvelle configuration spatiale et aux gains financiers qu’elle génère. L’étude relève que le mauvais état des routes et le sous-emploi des jeunes sont les principales causes de l’apparition des taxis-motos à Oumé. Elle note aussi que l’activité se concentre dans l’espace ethnoculturel Gagou contrairement à l’espace Gouro où elle ne s’impose pas. 

Mots clés : Côte d’Ivoire, Oumé, motos-taxis, réseau de transport, mobilité 

 

Abstract: The motorcycles-taxis have appeared in the public transportation network in Côte d’Ivoire following the sociopolitical crisis of 2000. This crisis has particularly weakened the traditional public transportation network in several regions, including Central, North and West regions, occupied by the rebellion in 2002. The motorcycle-taxis, considered as an alternative to population displacement problems, have grown rapidly until it reaches Oumé the department in 2010. The present article tries to draw a socio-demographic, economic and territorial portrait of this new form of public transportation. In fact, the article focuses on the causes of its appearance in Oumé, the socio-demographic profiles of the actors, the new spatial configuration and financial gains it generates. The study notes that the poor condition of roads and the youth underemployment are the main causes of the appearance of motorcycle taxis in Oumé. It also notes that the activity is concentrated in the Gagou ethnocultural space unlike Gouro space where it is not necessary. 

Keywords: Côte d’Ivoire, Oumé, motorcycles-taxis, transportation network, mobility 

 

Plan

Introduction

Méthodologie

Les causes de l’apparition et de l’expansion des motos-taxis dans le département d’Oumé

Opposition de deux systèmes de transport pour le contrôle du territoire

Les gares des motos-taxis et l’organisation de l’espace

Diversité des acteurs impliqués dans l’activité des motos-taxis : les syndicats, les conducteurs (jeunes), les propriétaires et les populations rurales (clientèle)

Les motos-taxis : une nouvelle perspective financière ?

Présence des motocyclettes et émergence des activités économiques annexes

Conclusion

 

Texte intégral                                                                                   Format PDF

INTRODUCTION

La mobilité quotidienne des populations en Afrique subsaharienne devient de plus en plus difficile. L’insuffisance des moyens de transport en commun est importante. Si certains milieux urbains se distinguent par une organisation des acteurs privés et publics, comme la Société de Transport Abidjanais (SOTRA), force est de constater que les espaces ruraux, pour la plupart, ne sont pas bénéficiaires d’une telle organisation. Dans plusieurs pays et régions, la desserte des différentes localités, surtout la liaison entre certains centres urbains et leurs zones périphériques rurales par les véhicules de transport en commun est limitée. Ce vide, associé au déficit des infrastructures et les crises multiformes que vivent certains pays africains ont favorisé l’éclosion des motos-taxis.

En Côte d’Ivoire, les motos-taxis ont fait leur apparition suite à la crise sociopolitique de 2002. Phénomène d’abord destiné à relier les différents quartiers des grandes villes du Centre du Nord et de l’Ouest devenues moins dynamiques du fait de la crise, les motos-taxis servent désormais de canaux pour relier les grands centres et leurs périphéries rurales et dans bien de cas, les zones rurales entre elles. Sa place dans la mobilité des personnes et des marchandises ainsi que son expansion dans toutes les régions du pays est indéniable.

Le département d’Oumé, situé en zone forestière de la Côte d’Ivoire, enregistre la présence de cette activité depuis la crise post-électorale de 2010. Avec ses acteurs, ses logiques et ses nœuds, les motos-taxis font partie intégrante du réseau de transport de personnes et de biens dans le département. Entre la fin du monopole du transport en commun traditionnel qui a du mal à desservir tout le territoire, et son acceptation par les ruraux qui s’affranchissent ainsi de l’isolement et les flux financiers importants qu’ils génèrent tout en occupant les jeunes, les motos-taxis s’imposent comme un recours plus ou moins important pour le déplacement de la population.

Notre objectif est de faire un portrait de cette nouvelle forme d’activité dans un département faiblement desservi par les véhicules de transport en commun. Nous analyserons respectivement les causes de son apparition sur le territoire d’Oumé, la typologie des différents acteurs en présence, l’aspect économique et ses différents nœuds dans l’espace.

MÉTHODOLOGIE

La méthodologie a consisté en une enquête semi-dirigée auprès des différents acteurs en présence. Sur les 500 motos en circulation dans le département, nous avons choisi le dixième des motos soit 50 motos dont les  propriétaires et conducteurs ont été identifiés. Ces acteurs ont été répartis sur les quatre grands centres de diffusion de cette activité (Diegonefla, Tonla, Doukouya et Guepahouo). Un questionnaire qui portait sur le profil sociodémographique, les raisons du choix de l’activité, les gains financiers, la clientèle, les conditions de l’exercice de l’activité et l’avenir de l’activité, a été adressé aux acteurs. Un entretien avec les syndicalistes qui organisent l’activité et la clientèle composée principalement de ruraux et de tout autre voyageur anonyme quant à leur niveau de satisfaction a été réalisé. Par la suite, les différentes informations recueillies ont fait l’objet d’une analyse et d’interprétation.

LES CAUSES DE L’APPARITION ET DE L’EXPANSION DES MOTOS-TAXIS DANS LE DÉPARTEMENT D’OUMÉ 

Au-delà de la crise post-électorale qui a favorisé l’apparition sur le territoire d’Oumé des motos-taxis, plusieurs autres facteurs expliquent son expansion en tant que moyens de transport de personnes et de marchandises. Ces facteurs sont les suivants : un réseau routier dominé par les pistes rurales et les routes en très mauvais états, la faible desserte du territoire par les véhicules de transport de personnes et la question de l’emploi des jeunes.

UN RÉSEAU ROUTIER DOMINÉ PAR LES PISTES RURALES ET LES ROUTES NON BITUMÉES

Le réseau routier du département est composé de voies bitumées, de routes non bitumées et de pistes (cf. carte 1). La longueur totale de voie bitumée dans la ville d’Oumé est de 19 kilomètres. A partir de cette capitale régionale, trois grands axes bitumés se dégagent pour relier les autres chefs-lieux de régions limitrophes. Ce sont l’axe Oumé–Gagnoa qui passe par la ville de Diégonefla et plus loin Ouicaho, l’axe Oumé-Toumodi passant par Zangué, le dernier village du département et l’axe bitumée Oumé-Hiré qui passe par Gabia et plus loin, les campements comme Gbabli et Carrière. Sur ces différentes voies bitumées, on trouve plusieurs campements et villages qui ont une facilité de connection avec les grands centres que sont Oumé et Diégonefla. En dehors de ces routes bitumées internes au département, qui sont d’ailleurs des voies de jonction de capitales régionales limitrophes (Gagnoa, Divo, Toumodi), les autres localités du département sont desservies par des routes non bitumées et des pistes rurales. Les principales routes non bitumées sont:1) la route Oumé – Guépahouo, 2) la route Zangué – Kouaméfla, 3) la route Gabia- Faitaikro, 4) la route Diégonéfla – Tonla – Doukouya dont une bretelle fait le tour des villages du canton N’da (Bléannianda, Bosoevoda, Dedi, Bokeda etc), 5) l’axe qui part de Diegonefla pour le tour des villages de Badié, Nieboda, Bidié, Gouidy, etc, 6) l’axe Doukouya-Goulikaho et enfin 7) l’axe Guepahouo-Messoukro.

En plus de ces voies, plusieurs pistes rurales relient certaines localités du département. Ces pistes ont été créées en partie grâce à l’exploitation forestière. En effet, à l’instar de toute la Côte d’Ivoire, le département d’Oumé a connu une forte exploitation forestière. Plusieurs entreprises de bois et des scieries, dont la scierie Jacob et la scierie du Bandama, y ont joué un rôle important. Ces entreprises sont à la base de l’ouverture des pistes rurales pour acheminer le bois dans divers endroits. Les routes non bitumées et les pistes couvrent une grande partie du département. Par endroit, elles connaissent une circulation journalière de véhicules de transport en commun pendant que sur d’autres axes, la fréquence est parfois hebdomadaire. Ce réseau de routes non bitumées et de pistes connait une forte dégradation pendant les saisons pluvieuses, rendant très difficile la circulation des véhicules (cf. Photo 1).

Carte 1Carte 1 : Réseau routier du département d’Oumé

Route 2

Cliché : Pierre Guelé, 2014. 

Photo 1 : Route rurale dans le canton N’Da

DÉPARTEMENT D’OUMÉ : UNE RÉGION AGRICOLE FAIBLEMENT DESSERVIE PAR LES VÉHICULES DE TRANSPORT DE PERSONNES

Le réseau routier constitué essentiellement de pistes rurales et de routes non bitumées est un frein au déploiement des véhicules de transport de personnes dans la majeure partie du département d’Oumé. Le réseau de transport en commun s’organise à partir de quatre localités que sont Oumé, Diegonefla et à un degré moindre Guepahouo et Doukouya. À partir de ces localités, plusieurs axes routiers sont utilisés par les transporteurs. Pour chaque axe routier, il est mis en place une seconde gare avec un chef qui coordonne les trajets des véhicules de transport durant la journée. Les routes bitumées sont les plus achalandées. Tous les villages et campements situés sur les voies bitumées sont quotidiennement reliés par les véhicules de transport de personnes. Ce sont les axes Oumé-Gabia avec environ quinze taxis-brousse par jour, l’axe Oumé-Diegonefla avec en moyenne sept véhicules de transport de dix-huit places appelés communément Massa et l’axe Oumé-Zangué. En plus de ces voies bitumées, une autre voie non bitumée est beaucoup fréquentée. Il s’agit de l’axe Oumé-Guepahouo passant par le gros bourg de Doukouya, avec en moyenne sept véhicules de transport de personnes de vingt-deux places appelés Badjan. Hormis ces localités  situées sur  ces voies de grande fréquentation, la liaison entre certains centres et leurs périphéries par les camions de transport est problématique.

À Diegonefla, il n’existe presque plus de gares routières pour relier certains villages et campements avec cette sous-préfecture. Les villages de Gnandi, Bomeneda, Goudi, Boboda, Bidihié, Badié, Dédi et plus de 140 campements, de par leurs positions excentrées par rapport à la voie bitumée, sont desservis par le transport en commun. La sous-préfecture de Tonla avec huit villages et cinquante-six campements ne dispose d’aucun moyen de transport de personnes. Seul un véhicule de dix-huit places, par jour, part de Diegonefla pour relier les villages du canton N’dah avant d’aller à Tonla, le chef-lieu de Sous-préfecture et continuer sur Doukouya. Dans la sous-préfecture de Guepahouo, les villages et campements situés sur les axes Guepahouo-Oumé et guépahouo-Sinfra sont accessibles grâce à un véhicule de transport. Les autres localités comme Douagbo, Bodiba, Donsohouo et plusieurs campements ne sont pas reliés au réseau routier. L’organisation du transport à partir de Doukouya sert à connecter les grands centres comme Oumé, Guepahouo et toutes les localités situées sur la voie reliant les deux centres. Les villages comme Benkro, Yohouda, Goulikaho et plusieurs autres campements environnants ne sont pas accessibles.

Dans le département, les différentes saisons influencent beaucoup la régularité des véhicules de transport en commun sur les routes non bitumées et les pistes rurales. La saison pluvieuse rend souvent impraticable les routes et leurs abandons. Cependant, la saison sèche, à cause de la vente des produits agricoles notamment le café-cacao, favorise une grande circulation des personnes et des biens sur tout le territoire. Les transporteurs augmentent le nombre de véhicules les trajets existants ou procèdent à l’ouverture de certaines routes restées longtemps fermées à cause de leur mauvais état. A ces différentes irrégularités, s’ajoute la vétusté des véhicules de transport en commun (cf. photo 2) et le long temps d’attente dans les lieux d’embarquement. Cette situation constitue une opportunité pour les motocyclettes d’occuper l’espace à cause de leur régularité, leur rapidité et de leur souplesse (Aloko, 2001).

Route2 2

 Cliché : Pierre Guelé, 2013.

Photo 2 : L’unique véhicule de transport du jour pour les villages du canton N’da

LE SOUS-EMPLOI DANS LE DÉPARTEMENT D’OUMÉ : CAUSE POTENTIELLE DE L’ÉMERGENCE DES TAXIS-MOTOS

Dans le département, les jeunes, pour la plupart déscolarisés, ont du mal à s’insérer dans le domaine agricole qui est la principale activité économique. Dans ce secteur, la présence de la population non autochtone et leur mainmise sur tous les secteurs économiques, notamment l’agriculture, limitent les actions des autochtones. En effet, 49,3% et 28,70% des ménages agricoles du département sont respectivement allochtones et non ivoiriens contre seulement 22% des ménages agricoles constitués d’autochtones (Recensement National de l’Agriculture, 2001). Pour l’insertion socio-économique des jeunes, l’avènement des motos-taxis est une opportunité à saisir. Cette activité est exercée par les autochtones Gagou et Gouro. Par contre, les Gouro sont majoritaires à l’exercer.

Aujourd’hui, toutes les communautés vivant dans le département sont impliquées. Ce qui a permis, un temps soit peu, d’atténuer les tensions qui opposaient les autochtones aux allogènes autour de l’arrivée de l’activité dans le département. La forte présence des Gagou s’explique par le fait que leur espace ethnoculturel est moins accessible par les véhicules même si cet espace est le plus vaste du département. Sur les quatre sous-préfectures du département, trois sont Gagou. Malheureusement, la liaison entre les chefs-lieux de l’administration et les périphéries n’est pas aisée pour les véhicules.

Au nombre des emplois générés, on a l’emploi de conducteurs, l’emploi de syndicaliste, les vendeurs d’essence et autres lubrifiants et les mécaniciens. La plupart des jeunes ne sont pas propriétaires des taxis-motos. Les jeunes de moins de trente ans sont à 95 % les principaux animateurs de l’activité dans le département. Certains jeunes sont propriétaires des motos qu’ils conduisent. Les conducteurs trouvent que cette activité est un tremplin qui leur permettra, à la longue, d’accéder à un emploi plus stable et beaucoup valorisant. Pour ceux qui aspirent à rester définitivement au village, l’agriculture est le principal rêve. Certains de ces jeunes ont pu acheter ou prendre en gage des plantations de cacao grâce à l’argent gagné. Les plus jeunes, au contraire, se détournent des travaux champêtres pour se consacrer aux motos-taxis qu’ils trouvent beaucoup plus rentables.

Toutefois, cette nouvelle réalité dans un milieu traditionnellement dominé par les véhicules de transport en commun, dont les principaux acteurs sont les Malinké, est une source potentielle de tension et d’opposition.

OPPOSITION DE DEUX SYSTÈMES DE TRANSPORT POUR LE CONTRÔLE DU TERRITOIRE

Les motos-taxis ont fait leur apparition sur fond de crise sur la légitimité et la légalité d’exercer une telle activité dans le département d’Oumé. En effet, les acteurs du système de transport collectif traditionnel ont vu en cette activité une concurrence déloyale susceptible de faire baisser leurs chiffres d’affaire. Plusieurs démarches auprès des autorités administratives pour y mettre fin ont été entreprises. Elles n’ont pu aboutir, car pour les responsables administratifs, c’est une activité économique autant que les autres secteurs qui font vivre des familles pourvu qu’elle se fasse dans un cadre légal respectant les lois en vigueur. Une rivalité s’est donc installée sur le terrain. Les destructions de biens, des cessations momentanées d’exercer les différentes activités, les interdictions de circuler dans certains espaces ont été enregistrées. La confiscation des véhicules voire leur destruction et la fermeture des voies d’accès aux localités Gagou, d’où provient la forte clientèle qui emprunte les véhicules, ont été beaucoup préjudiciables aux acteurs traditionnels. Aujourd’hui, les routes bitumées sont interdites de circulation aux motos-taxis. Cette rivalité se manifeste dans les tarifs que doit débourser un voyageur quand les deux types de transport sont présents sur un même trajet. Nous assistons dans ce cas à une baisse du tarif pour attirer la clientèle. Dans la majorité des cas, les voyageurs optent pour les motos pour éviter de longues périodes d’attente. Si l’activité semble être acceptée et se déroule normalement, il faut, cependant, relever la méfiance entre les différents acteurs en présence. Le contrôle du territoire reste un enjeu majeur pour chacun d’eux.

Les motos-taxis s’organisent à partir des gares disséminées un peu partout sur le territoire, donnant ainsi lieu à une interconnexion des différentes localités du département.

LES GARES DES MOTOS-TAXIS ET L’ORGANISATION DE L’ESPACE

Le pays Gagou est le lieu d’apparition de l’activité dans le département. Toutes les localités qui abritent les gares des motos-taxis sont situées dans le pays Gagou. A contrario, le pays Gouro ne connaît pas un réseau d’organisation de l’activité bien qu’il soit souvent relié par les motos-taxis. La ville de Diégonefla, principale grande localité du pays Gagou est le lieu d’où est partie la diffusion de l’activité. Pour une meilleure desserte de tout le territoire, des gares ont été créées dans de nombreux villages (Cf. figure 2). Les gares servent d’abri aux voyageurs et au chef de gare qui fait la programmation des motos selon les itinéraires. La mise en place d’une gare est fonction du nombre de motos disponibles dans le village et les possibilités de liaisons qu’il offre avec son arrière-pays et surtout sa capitale. Les principaux nœuds qui offrent plus d’opportunité de liaisons avec les autres localités sont ceux de Diégonefla, Doukouya et de  Guépahouo.

À partir de Diégonefla, les motos relient tous les villages et campements de la sous-préfecture et ceux du canton N’da. Dans ce canton, des gares relais existent dans les villages comme Bléanianda, Zaadi, Tonla, Booda et Bokeda. Mieux, de Diegonefla selon la demande, ils vont jusque dans les campements reculés (Gôdeh, N’guessankro, Antoinekro, Loukousankro) qui font  frontière avec les autres régions comme Divo, Lakota et Hiré. Dans ce rayon, autour de Diegonefla, nous trouvons les gares à Gnadi, Bidihé, Goueda, Tiegba, Lahouda, et Ouicaho. Avec la dynamique urbaine de Diégonefla, cette activité commence à s’insérer dans différents quartiers de la ville où elle porte le nom de taxis-ville.

À Doukouya, l’axe le plus fréquenté par les motos-taxis est celui qui le relie à Goulikaho en passant par Yohouda. La fréquence observée sur cet axe et les nombreux campements à desservir dans la zone ont fait naître une gare à Yohouda et à Goulikaho.

Dans la sous-préfecture de Guepahouo, la seule gare est celle de Guepahouo. Autour de cette localité, se trouvent plusieurs villages et campements que les motos-taxis relient de façon quotidienne.

La ville d’Oumé ne dispose pas de gare de motos-taxis. En effet, la ville regorge de plusieurs véhicules et autres taxis-brousse qui relient la ville aux zones rurales. Cette situation s’explique par le refus des propriétaires des véhicules de transport en commun de voir s’installer les motos-taxis. Toutefois, en cas de demande, les motos-taxis opèrent clandestinement. Avec la difficulté pour les motos-taxis de s’installer et s’organiser dans la ville d’Oumé, c’est tout le pays Gouro qui est privé d’un moyen de transport alternatif. Dans les différents points d’embarquement, le nombre de motos-taxis varie. Au total, cinq cents motos-taxis circulent dans tout le département transportant des personnes et des biens.

Carte 2

Figure 2 : Localisation des différentes gares de transport dans le département d’Oumé

La présence des motos-taxis, partout dans le département, est le fait de principaux acteurs dont les rôles sont différents les uns des autres mais qui s’inscrivent dans une complémentarité pour la survie de l’activité.

DIVERSITÉ DES ACTEURS IMPLIQUÉS DANS L’ACTIVITÉ DES MOTOS-TAXIS : LES SYNDICATS, LES CONDUCTEURS (JEUNES), LES PROPRIÉTAIRES ET LES POPULATIONS RURALES (CLIENTÈLE)

L’activité des motos-taxis dans le département est animée par plusieurs acteurs aux intérêts différents. Même si l’activité a commencé de façon inorganisée avec des initiatives personnelles, elle connaît, aujourd’hui, une certaine structuration avec des organisations syndicales. Au départ, l’union s’est faite autour d’une seule structure qu’est l’UTTM (Union des Transporteurs Motos-taxis). Ce syndicat a été mise en place par les jeunes Gagou ayant servi comme coxers et autres auxiliaires du transport dans les communes d’Abidjan. Par la suite, une division interne au sein du syndicat, pour des raisons financières et de gestion, va donner naissance à une autre structure dont la base se trouve à Tonla. C’est l’UPTT (Union des Propriétaires de Motos-Taxis de Tonla).Toutes ces structures organisent ce secteur. Toutefois, les propriétaires des motos-taxis sont à majorité des paysans.

Le meilleur prix d’achat des produits agricoles a permis à de nombreux paysans d’acheter des motos pour se déplacer. Par contre, ailleurs dans d’autres localités, l’utilisation des motos comme moyen de transport et le profit généré ont convaincu certains paysans de mettre à disposition des jeunes leurs motos. L’étude montre que 90 % des propriétaires-paysans ont mis à la disposition des jeunes leurs motos. La majorité de ces propriétaires-paysans est Gagou. Ils représentent 60 % des propriétaires, suivis des baoulés et les burkinabés avec respectivement 18% et 12%. Les autres propriétaires sont les responsables syndicaux, les parents vivant hors du département et les jeunes conducteurs qui après le contrat, s’achètent une moto.

Dans la très grande majorité, les motos-taxis sont conduits par les jeunes. L’enquête montre que 98 % des jeunes ont un âge compris entre dix-huit et trente-cinq ans. Dans cette frange, les moins de trente ans sont les plus nombreux. Ces jeunes sont pour la plupart, des conducteurs contractuels. Par contre, certains sont propriétaires grâce à l’appui parents. Ces jeunes sont pour la plupart déscolarisés (87%) qui ont aussi de la difficulté d’insertion dans le monde agricole à cause de la rareté des terres. Ils considèrent la conduite des motos-taxis comme de la débrouillardise. Toutefois, le nombre de jeunes, à la fois, agriculteurs et conducteurs est faible. Ces jeunes exercent les deux activités par alternance selon les périodes propices. Au départ, l’activité était réservée aux jeunes autochtones. Mais, aujourd’hui, elle s’élargit peu à peu aux autres communautés (Baoulé, Burkinabé, Senoufo). Par ordre de présence dominante, on a les Gagou, les Gouro, les Baoulé, les Burkinabé et les Senoufo. Les femmes sont totalement absentes dans le métier de conducteur de moto-taxi.

Par jour, une moto-taxi transporte en moyenne entre six et dix personnes. Ce nombre peut évoluer selon les périodes d’affluence que sont la traite agricole, la rentrée scolaire et les vacances scolaires ainsi que les festivités dans les villages. Dans les gares, avec une moyenne de trente motos, ce sont 180 à 300 personnes qui sont transportées par jour. Les populations se déplacent généralement les jours de marché ou pour des besoins administratifs.

LES MOTOS-TAXIS : UNE NOUVELLE PERSPECTIVE FINANCIÈRE ?

Les motos-taxis génèrent des flux financiers non négligeables. Le tarif varie selon les localités et les distances à parcourir. Les motos-taxis ont un tarif élevé comparé aux véhicules de transport en commun. À la gare de Diegonefla, pour relier les localités situées dans un rayon de quinze kilomètres, le passager doit débourser 1 000 FCFA. Au-delà de cette distance et selon l’état de la route, le client payera la somme de 2 000 FCFA voire 4 000 FCFA pour les campements frontaliers des autres départements. Pour les longues distances, les motos-taxis exigent deux passagers ou doublent le tarif pour un seul client.

À Doukouya, le trajet routier le plus fréquenté est celui qui mène à Goulikaho. Pour toutes les localités situées sur cette voie, le tarif est fixé à 750 FCFA. Ce tarif est encore plus dispendieux que la somme de 500 FCFA proposée par le seul véhicule de transport en commun sur ce trajet. Par contre, à Guepahouo, le tarif se négocie à partir de 200 FCFA pour les localités situées à moins de deux kilomètres. Les motos-taxis préfèrent les clients qui vont au-delà de cinq kilomètres avec un tarif qui commence à partir de 500 FCFA. Mais pendant les périodes d’intenses activités agricoles, peu propices aux déplacements des usagers, les tarifs se négocient à la baisse.

L’engouement des populations pour les motos-taxis bénéficie financièrement aux propriétaires, aux conducteurs et aux syndicats. Les propriétaires de motos reçoivent entre 2 000 FCFA et 3 000 FCFA par jour selon la localité où l’activité s’exerce. La recette du conducteur oscille entre 5 000 FCFA (période creuse) et 20 000 FCFA (période de forte affluence). Quant au syndicat, il fait des prélèvements sur chaque moto. Le syndicat fabrique des plaques d’immatriculation qu’il vend à 15 000 FCFA. Au tout début de cette activité dans le département, les plaques étaient vendues à 30 000 FCFA et ensuite à 20 000 FCFA. Les plaques qui ne sont pas officielles, car non délivrées par l’administration, ont permis d’identifier non seulement les conducteurs mais aussi les motos-taxis. Il y a environ 500 motos-taxis dans le département d’Oumé. Sur une base journalière, le syndicat prélève la somme de 500 FCFA par moto. De cette somme prélevée, 300 FCFA vont dans la caisse du syndicat et 200 FCFA servent de taxe journalière. Cette somme de 200 FCFA permet d’acheter un ticket journalier de couleur jaune qui donne ainsi l’autorisation aux conducteurs de circuler toute la journée. Les sommes prélevées par le syndicat permettent d’entretenir des relations cordiales avec les autorités de la ville et de s’occuper des cas d’accidents. Régulièrement, le syndicat propose des gadgets (tee-shirts, chasubles, badges, cache-nez) aux conducteurs des motos-taxis.

Les motocyclettes en circulation dans le département proviennent des pays asiatiques et transitent par la sous-région (cf photo 2). Les nouvelles motos, arrivent en pièces détachées avant d’être montées avec les soins des propriétaires. La longue période de crise, qu’a connu le pays, a été profitable à ce commerce et un l’accès aux motos suivant des circuits non officiels. Aujourd’hui, avec la normalisation, les acteurs tentent tant bien que mal de se mettre en règle vis-à-vis de la loi. Les motos sont de plus en plus dédouanées et assurées. Une nouvelle moto coûte entre 300 000 et 500 000 FCFA selon le lieu d’achat. Les motos achetées à l’extérieur du département sont moins chers. Les motocyclettes sont très peu assurées et plus de 90 % des conducteurs n’ont pas de permis de conduire. Les conducteurs imprudents ont été, généralement, à la base des accidents graves avec souvent des décès.

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Cliché : Pierre Guelé, 2014.

Photo 2 : Quelques motocyclettes en circulation dans le département

PRÉSENCE DES MOTOCYCLETTES ET ÉMERGENCE DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES ANNEXES

L’apparition des motos-taxis dans le département a favorisé l’émergence d’autres activités économiques comme la vente de carburant au détail. Avec un nombre important de motos en circulation dans le département, plusieurs villages situés sur les axes routiers disposent de points de vente du carburant. L’essence est achetée dans les stations-services des deux principales villes que sont Oumé et Diégonefla. Dans un village, l’essence est vendue dans des bouteilles d’un litre ou de demi-litre. Les prix oscillent entre 900 FCFA et 1 000 FCFA un litre et la moitié prix pour le demi-litre.

La seconde activité économique de soutien est la vente des lubrifiants. Les points de vente sont localisés le long des axes routiers utilisés par les motos-taxis.

La troisième activité générée est le garage pour moto. On observe la création, souvent de manière occasionnelle, des garages pour les motos dans certains villages tandis que la ville de Diégonefla et les autres nœuds importants comme Guépahouo et Doukouya ont plusieurs garages permanents. Ces garages sont aussi les lieux de commerce des différentes pièces de rechange. Il existe, cependant, des magasins spécialisés dans la vente de pièces détachées. Le métier de réparateur de motos et de colleur de roues occupe aujourd’hui plusieurs jeunes.

CONCLUSION

Les principaux déterminants de l’intégration des motos-taxis à l’offre de transport collectif dans le département d’Oumé sont le mauvais état des routes qui limite les liaisons entre les centres et leur arrière-pays et la question de l’emploi des jeunes. Présentée au début comme un palliatif temporaire qui ne tiendrait que jusqu’à la fin de la crise, l’activité se positionne aujourd’hui comme une panacée au problème de la mobilité dans une zone de forte production agricole et démographiquement dense. Plusieurs acteurs aux intérêts divergents contribuent à son dynamisme dans l’occupation de l’espace. Elle mobilise un important flux financier, lui donnant ainsi une place de choix parmi les activités économiques qui font vivre plusieurs personnes.

L’activité des motos-taxis s’enracine progressivement dans le département d’Oumé et dans plusieurs localités du pays. L’étude de ce phénomène afin d’en évaluer les pertinences et conséquences n’est qu’à ces débuts. Le portrait actuel de la situation à Oumé nécessite d’être approfondir dans les futures recherches afin de fournir les déterminants significatifs qui sous-tendent sa manifestation.

 

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jérôme Aloko N’guessan et Pierre Guelé Gue, 2016. «Intégration des motos-taxis dans le réseau de transport public: cas du département d’Oumé (Côte d’Ivoire)». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (3) 1. Mis en ligne le 05 mai 2016, pp. 49-57. URL: http://laurentienne.ca/rcgt

 

Auteurs

Jérôme ALOKO N’GUESSAN
Directeur de recherches,
Institut de géographie tropicale,
Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, Abidjan, Côte d’Ivoire
Courriel : alokojerome@yahoo.fr

 

Pierre GUELE GUE
Doctorant,
Institut de géographie tropicale,
Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, Abidjan, Côte d’Ivoire
Courriel : Peterguele@yahoo.fr