Dynamiques et entraves au développement du marché de bétail Ticket-Foumban dans l’Ouest du Cameroun

Dynamics and Constraints of Ticket-Foumban livestock market development in the West of Cameroon

MFEWOU Abdoulay, BOUTRAIS Jean & POUTOUGNIGNI Youchahou 


Résumé : Cet article analyse le rôle des pouvoirs publics dans le fonctionnement du marché Ticket-Foumban, les types d’acteurs économiques impliqués dans les échanges commerciaux, les origines et les différentes races bovines commercialisées, les variations saisonnières des flux et des prix du bétail sur ce marché grâce à une enquête auprès des différents acteurs. Il ressort de l’analyse des données recueillies que la levée de la barrière sanitaire établie anciennement entre le Grand Nord et le Grand Sud Cameroun contre les maladies de la peste, la trypanosomiase et la fièvre aphteuse bovine joue un rôle essentiel dans l’essor du marché Ticket- Foumban. Ce dernier a pris une importance économique régionale puisqu’il accueille non seulement les animaux du Nord-Cameroun mais aussi ceux de la République Centrafricaine. Non d’après leur race ou leur origine géographique la valeur commerciale des animaux est d’ailleurs appréciée selon leur embonpoint, leur morphologie ou leur engraissement. Bien que le marché soit devenu un pôle d’approvisionnement des grandes villes du Cameroun (Yaoundé et Douala) et de la sous-région d’Afrique centrale (Libreville et Malabo), il souffre de difficultés structurelles et d’un manque de transfert de compétence à travers la décentralisation.  

Mots clés : Dynamique, commerce de bétail, Ticket-Foumban, Ouest du Cameroun

 

Abstract: This article analyzes the role of government in the operation of the Foumban cattle market, the types of economic actors involved in the trade, origin and various breeds implicated and seasonal undulations in prices of livestock in this market. This was done through the random-draw investigation of the various actors and the pace of transition in this market allowed us to record the data and analyze. It follows that the opening of the sanitary barrier set up between the North and the Southern Cameroon against diseases such as plague, trypanosomiasis and bovine foot and mouth disease has fostered economic importance to this market and now plays a trans-border role with North Cameroon and the Central African Republic, following the repeated political crises of 2003-2015 in that country. Breeders usually flee such conflict areas with their herds to Cameroon. Although the market has become a supply hub for major cities of Cameroon such as Yaoundé and Douala as well as other major cities in different neighbouring countries such as Gabon (Libreville) and Equatorial Guinea (Malabo), it suffers from structural problems and lack of transfer skills through decentralization. The commercial value of the animals is assessed according to their overweight, morphology or fattening and not on breed or geographic origin.  

Keywords: Dynamics, livestock trade, Ticket-Foumban, West of Cameroon 

 

Plan

Introduction

Bref contexte géographique et historique

Méthodologie de recherche

Résultats et discussions

Les origines du marché à bétail

Chaîne d’approvisionnement et formes de transactions : une diversité des acteurs

Variations saisonnières des transactions et prix du bétail : une instabilité des ventes et des prix

Approvisionnement du marché Ticket-Foumban : une grande diversité d’animaux, d’origines, de races et d’espèces

L’environnement institutionnel : faible intervention des ministères et services impliqués dans le commerce

Financement des activités commerciales de bétail sur le marché Ticket-Foumban : problème récurrent non résolu

Conclusion

 

Texte intégral                                                                                 Format PDF

INTRODUCTION

L’activité économique liée au commerce du bétail a connu un développement important à Foumban au cours des dix dernières années avec une moyenne de 1000 à 2000 bovins le jour du marché (Mfewou A., et al., 2016 ; Boutrais J., 2001). Le marché de bétail, communément appelé « Ticket-Foumban » est situé entre Foumban et Koutaba. Il s’agit d’un marché important qui reçoit les animaux des élevages locaux, mais aussi ceux en provenance du Nord-Cameroun, du Nord-Ouest Cameroun et de la République Centrafricaine.

Plusieurs raisons expliquent l’essor du commerce de bétail près de cette ville camerounaise. La première raison est le fait que l’acheminement du bétail de commerce est devenu plus facile à partir des régions limitrophes, tant du Nord-Ouest Cameroun que du Nord-Cameroun ou encore de la République Centrafricaine, pays fragilisé par de nombreuses guerres civiles dont celles de 1993 et de 2015.

Des éleveurs, Peul M’bororo, fuient avec leurs troupeaux des zones conflictuelles pour se rapprocher des aires urbanisées mieux sécurisées au sein de la Communauté Monétaire d’Afrique Centrale (Douala, Yaoundé, Libreville, Brazzaville, Bata). La seconde raison est la densité de la population. Les aires urbaines densément peuplées (de 50 à 145 hab. /km²) représentent un marché important de consommateurs de viande bovine (Moriconi-Ebrard 1994 ; Giraut, 1994). La troisième raison est l’évolution des politiques commerciales qui ont aussi facilité l’ouverture des zones d’élevage aux principales zones de consommation de viande. En effet, plusieurs auteurs (Boutrais et al. 1992 ; Awa et al. 2004) ont montré qu’au cours des années 1980, le cheptel du Nord-Cameroun disposait de peu de débouchés commerciaux en raison de la barrière sanitaire de Mbé qui interdisait le passage des animaux du Nord vers le Sud pour lutter contre la peste bovine. Cette barrière sanitaire fut supprimée en 2001. À ces raisons s’ajoutent la situation géographique de Foumban sur un grand axe de commercialisation de bétail vers les villes du sud du Cameroun, ainsi que son environnement propice à l’élevage bovin. De même, l’essor du marché tient au dynamisme des acteurs (Gallais, 1979 ; Njoya et al., 1997 ; Awa et al., 2004 ; Labonne et al., 2006 ; Dogmo, 2009).

L’environnement général et régional favorable au développement de l’activité commerciale de vente de bétail au marché de Foumban induit explicitement un questionnement : est-ce que le développement de ce marché est possible sans l’accompagnement et sans l’encadrement des acteurs de la filière ? Le présent article a pour objectif de répondre à cette question en faisant une analyse globale qui s’articule autour de quatre points. Premièrement, l’article s’intéresse aux origines du marché. Le second point s’intéresse à la chaîne d’approvisionnement et les formes possibles de transactions à travers l’identification des types d’acteurs économiques impliqués dans les échanges commerciaux et leurs fonctions. Le troisième point est la compréhension des variations saisonnières des flux et des prix du bétail sur le marché de Foumban. Le quatrième point sur l’analyse de l’approvisionnement du marché Ticket-Foumban en mettant en exergue la diversité des races et origines des bovins. Le cinquième point s’intéresse à la compréhension de l’environnement institutionnel dans lequel le commerce de bétail fonctionne sur le marché Ticket-Foumban. Finalement, le dernier point porte sur l’analyse du financement de l’activité commerciale sur le marché par les institutions financières.

BREF CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE

Le marché Ticket-Foumban est localisé dans la savane arborée et dans un espace de faible densité démographique. Il se situe dans l’espace périurbain de Foumban dans la région de l’Ouest-Cameroun (cf. carte 1). Le climat dans cette zone est de type tropical et caractérisé par une pluviométrie moyenne de 1913 mm par an et une température annuelle moyenne de 22°C. La végétation est favorable aux productions agricoles et animales. Le marché à bétail accueille en moyenne 150 vendeurs d’animaux tous les mardis, jour du marché. À leur arrivée, les animaux pâturent les parcours à proximité du marché, ce qui leur permet de rester en bon état.

carte_1_b

Carte 1 : Localisation du marché Ticket-Foumban et sens du flux commercial de bétail vers les grandes métropoles du Cameroun et d’Afrique Centrale

Dans une perspective historique, les travaux de Boutrais Jean (1974) sur l’élevage dans la région Bamoun (Foumban), permet de conclure que le marché de Foumban est une création récente. En effet, le marché s’est développé après 2000. Toutefois, l’étude menée par Boutrais Jean ressort les prémices d’un développement d’un marché tel que connu aujourd’hui. À cette époque, il avait enquêté auprès des ardo, chefs d’éleveurs M’bororo, en particulier à propos des relations entre éleveurs et villageois. Cette enquête, certes, antérieure permet de rappeler le contexte historique de la création du marché. Suite à cette enquête, il est apparu que les transactions de bétail constituent l’un des principaux éléments de ces relations entre éleveurs et villageois.

MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE

La méthodologie, de recherche d’information et de données nécessaires, a été axée sur le terrain. En 2015, et ce, pendant sept mois, une enquête économique et zootechnique (origine et races) a été menée, orientée spécifiquement sur le marché de Ticket. La première étape de l’étude a consisté à s’appuyer sur des données des services techniques vétérinaires de la localité concernant le contrôle des animaux à leur arrivée, la certification animale et le nombre d’animaux présentés ou vendus. En une deuxième étape, des données ont été collectées aléatoirement à l’aide d’un questionnaire adressé à 111 vendeurs pasteurs et commerçants, 30 grossisses, cinq membres des comités de gestion (commune urbaine et agents de l’impôt) et trois agents vétérinaires. Parmi les variables analysées, les origines animales, les races et le prix de l’animal sur pied ont fait l’objet d’un intérêt particulier. Toutes les informations recueillies ont fait l’objet de compilation, d’analyse et d’interprétation.

RÉSULTATS ET DISCUSSIONS
LES ORIGINES DU MARCHÉ À BÉTAIL

Le dynamisme du marché à bétail de Foumban tient à la conjugaison de deux faits géographiques liés à l’élevage : l’existence d’un axe ancien de commercialisation de bétail et le développement d’un élevage local de bovin.

Dès le début de l’époque coloniale, l’essor démographique des villes dans les régions du centre et du littorale du Cameroun a suscité une demande en viande que des régions d’élevage, en particulier l’Adamaoua, ont pu satisfaire par l’acheminement de bétail à pied sur de longues distances et dans un contexte pacifique. À cela s’ajoute la demande provenant des villes de la sous-région d’Afrique centrale. La piste à bétail, dite de l’Ouest, passait toujours aux environs de Foumban. Après avoir traversé des plaines insalubres (plaines de Tikar et de Magba), les convois d’animaux montent sur le plateau Bamoun qui, avec une altitude générale de 1 100 à 1 200 mètres, est salubre pour les bovins. Sur le plateau, des aires de repos et des pâturages jalonnent le tracé de la piste à bétail et les animaux y reprennent de la force. Les troupeaux de commerce étaient ainsi convoyés à pied jusqu’à Nkongsamba où ils étaient chargés sur le train, puis de plus en plus fréquemment par camion, et transportés jusqu’aux marchés de consommation (Yaoundé, Douala, Libreville, Malabo).

À ce transit régulier de bétail de commerce s’est greffée, avec l’arrivée dans la région des éleveurs M’bororo, la création d’un élevage sur le plateau Bamoun, aux alentours de Foumban. Les premiers éleveurs à s’y installer furent des M’bororo du groupe Djafoun, et ce à partir des années 1920 (Boutrais 1995 : 75). Détenteurs de zébus rouges, sensibles à la trypanosomose bovine, ils se stationnèrent sur les pâturages les plus élevés et les plus salubres. À partir des années 1960, arrivèrent les M’bororo du groupe Akou avec des zébus blancs. Ces animaux, réputés plus rustiques, leur permirent de s’installer à des altitudes moindres. Dans les années 1970, tous les pâturages du plateau étaient alors exploités et occupés.

L’augmentation des effectifs de cheptel sur place au cours du siècle dernier offrait des conditions favorables au commerce de bétail. Il était également favorisé, dans la région, par la faiblesse des trocs de lait contre des produits vivriers. Soit les femmes d’éleveurs répugnaient à aller vendre du lait chez les Bamoun (cas des M’bororo Djafoun) pour obtenir de l’argent, soit les Bamoun consommaient, alors, peu de lait ou de produits laitiers. Comme les éleveurs entreprenaient rarement eux-mêmes des cultures, ils étaient contraints d’acheter les céréales pour leur alimentation. Pour couvrir ces dépenses alimentaires et d’autres, ils vendaient régulièrement des animaux.

Dans les années 1970, les commerçants de bétail étaient surtout des bouchers locaux, mais aussi des maquignons. Pour toute la région de Foumban, il n’existait que deux petits marchés à bétail (cours d’apparat et le marché d’abattoir), de type informel où les transactions n’y étaient pas contrôlées ni enregistrées. En fait, les bouchers effectuaient le plus souvent leurs achats directement chez les éleveurs. Pour cela, ils allaient de campement en campement, à la recherche d’animaux à acheter. Ce mode de transactions était propice à des vols de bétail, qui sévissaient alors spécialement dans la région de Foumban. Les vols provenaient de complicités entre bergers (ou anciens bergers) et bouchers mais aussi quelques chefs d’éleveurs. Les animaux volés étaient abattus par les bouchers et la viande écoulée clandestinement. Les vols de bétail constituaient un obstacle au développement de l’élevage dans la région. Pour les contrer, les éleveurs réclamaient la création de véritables marchés à bétail, selon le modèle de ceux qui existaient déjà dans l’Adamaoua.

Le convoyage du bétail de commerce jusqu’à Nkongsamba devenait de plus en plus difficile, à travers des régions densément peuplées (régions bamiléké) où la circulation automobile était en nette croissance. Il était devenu indispensable de transférer le lieu de rupture de l’acheminement des animaux plus en amont sur l’axe commercial. L’espace environnant Foumban a été choisi pour établir ce relais.

En même temps, l’administration et le Ministère de l’élevage ont encouragé la création d’organisations professionnelles de producteurs afin de disposer d’interlocuteurs. La création à l’échelon départemental d’une dénommée Association des éleveurs et commerçants à bétail du Noun (AECBN) s’est inscrite dans cette politique. L’association a permis de dépasser les ambitions individuelles des chefs locaux pour que tous les éleveurs acceptent d’envoyer leurs animaux à vendre au marché de Ticket-Foumban. L’appellation même de ce marché marque sa différence avec les petits marchés antérieurs. En effet, « ticket » désigne le récépissé remis aux vendeurs et acheteur après chaque transaction de bétail. C’est donc un marché officiel.

CHAÎNE D’APPROVISIONNEMENT ET FORMES DE TRANSACTIONS : UNE DIVERSITÉ DES ACTEURS

Le marché Ticket-Foumban est périodique et se tient chaque mardi entre 8 H 00 et 15 H 00 de l’après-midi. Le marché est structuré autour d’une chaine d’approvisionnement basée sur trois différents acteurs. Les premiers acteurs sont les bouchers locaux qui achètent des bœufs (50 à 100 têtes par jour) et des petits ruminants destinés à la consommation locale de viande et aux cérémonies religieuses (mariage, sacrifices, fête de ramadan, fête de tabaski). Les seconds acteurs sont les emboucheurs qui achètent de jeunes animaux (10 à 50 têtes) qu’ils vont engraisser pour les revendre plus tard. Finalement, la dernière catégorie est celle des gros commerçants, venus d’horizons divers (les grossistes venus des pays du Sud de la Communauté Économique et Monétaire des États de l’Afrique Centrale) qui achètent des animaux (1 000 à 2000 têtes) pour les expédier vers de grandes villes.

À ces trois acteurs clés, il faut ajouter deux autres. Il s’agit des intermédiaires locaux qui jouent un rôle important de facilitation et de commercialisation. Le dernier acteur est centrafricain. En effet, il faut souligner que les crises politiques à répétition (1993-2015) que connait la République Centrafricaine ont poussé certains éleveurs de ce pays à se rapprocher des grandes villes du Cameroun via la région de l’Adamaoua (Kadékoy-Tigagué, 2001). Certains de ces éleveurs vendent directement leurs animaux aux maquignons de la région de l’Adamaoua qui les expédient ensuite vers le Sud par train de marchandises. D’autres, en quête de gain, acheminent des convois à pied en direction des villes du Sud (Yaoundé, Douala…) via le marché de Ticket-Foumban.

Les vendeurs proposent librement les prix de leurs animaux en fonction de l’état physique, surtout de l’embonpoint de l’animal sur pied, et non d’après leur race ou de leur origine géographique. Le prix est négocié d’après l’offre et la demande. Des agents-intermédiaires jouent un rôle important dans les transactions avant, pendant et après la vente. Ils se placent à l’entrée du marché pour proposer des animaux aux différents acheteurs. Ces derniers sont en contact avec de gros commerçants venus des métropoles. Si l’intermédiaire réussit à vendre l’animal à un prix jugé satisfaisant, le propriétaire de l’animal lui remet une commission dont le montant est variable (de 2.000­ à 10.000 FCFA). En cas de refus de verser la commission de courtage à l’intermédiaire, des conflits peuvent survenir après la vente.

À leur arrivée et à la veille du jour du marché, les animaux paissent sur des parcours libres où sont installés des abreuvoirs et des mangeoires, un quai d’embarquement pour les gros et petits ruminants, un poste vétérinaire construit en bois pour le contrôle des certificats sanitaires. À travers l’Association des Eleveurs et Commerçants à Bétail du Noun, le marché de Ticket est géré par un comité de gestion qui facilite les contacts entre les différents acteurs. La veille du marché, ce comité avise par téléphone de l’offre observée sur le marché en fonction des périodes. Il assure la sécurité et empêche désormais le vol d’animaux. Chaque éleveur est membre de l’association et verse une somme de 5 000 FCFA pour la surveillance des animaux aux abords du marché.

De façon à l’identifier, chaque animal acheté est marqué au dos par de la peinture ou à l’oreille grâce à des boucles. Cette technique de marquage facilite la reconnaissance des animaux achetés qui sont par la suite parqués dans un enclos en bois avant d’être transportés par camion vers les grands centres urbains.

La mairie de Foumban prélève des taxes communales, à raison de 400 FCFA par tête pour le gros bétail et 150 FCFA par tête par ovin. Quant au service vétérinaire, il prélève 200 FCFA par tête puis établit un carnet sanitaire qui témoigne du bon état de santé de l’animal, ce qui sécurise le transfert des animaux vers les bassins de consommation. Les transactions sur le marché entraînent aussi le développement d’activités de gardiennage (200 FCFA par tête) et de convoyage (1 500 FCFA par tête) de bétail dans les camions en direction des villes capitales.

Le prix moyen d’un gros bovin, taxes et frais annexes inclus, est de 152 300 FCFA (cf. tableau 1). Cependant, c’est le vendeur qui règle la taxe communale (400 FCFA) tandis que l’acheteur paie la taxe finance à la sortie (200 FCFA).

tableau_1_bb

Source : Enquête menée au marché de Ticket-Foumban ; 2015
Tableau 1 : Prix moyen d’un bovin et taxes liés aux transactions de bétail sur le marché Ticket-Foumban

VARIATIONS SAISONNIÈRES DES TRANSACTIONS ET PRIX DU BÉTAIL : UNE INSTABILITÉ DES VENTES ET DES PRIX

Les mois de décembre à mars (saison sèche) sont des mois de forte demande en viande, en raison des fêtes de fin d’année et des funérailles en pays Bamiléké (région de l’Ouest-Cameroun). C’est alors que les contingents d’animaux les plus importants sont présentés, soit 1 000 à 2 000 bêtes le jour de marché. En saison sèche, l’acheminement des convois à pied est facile. Pendant ces mois secs, la part des zébus M’bororo et des zébus Foulbé est relativement importante. En saison sèche, l’insalubrité due aux mouches tsé-tsé est nettement moindre qu’en saison des pluies. Cette situation facilite la traversée des plaines entre l’Adamaoua et Foumban par les zébus qui sont sensibles à la trypanosomiase bovine.

Par contre, le mois de septembre qui enregistre une très forte précipitation (cf. tableau 2) enregistre une faible vente. Cette baisse des ventes s’explique, à cette période de l’année, par le mauvais état des couloirs de passage, par les inondations sur les trajets et par les mouches tsé-tsé qui piquent les animaux. D’ailleurs, la part des zébus M’bororo et des zébus Foulbé baisse dans les arrivées dès que les pluies deviennent abondantes entre les mois de mai et juin (cf. figure 1).

tableau_2_b

 Source : Enquête menée au marché de Ticket-Foumban 2015
Tableau 2 : Pourcentages de ventes enregistrées pendant la période étudiée

figure_1_b

Source : Enquête menée au marché de Ticket-Foumban 2015
Figure 1 : Variations des ventes pendant la période étudiée

L’enquête terrain a montré qu’il est pratiquement difficile voire impossible de connaitre le prix de vente exact d’un animal sur pied. Le prix de vente reste, la plupart du temps, secret entre le vendeur et l’acheteur. Néanmoins, d’après les intermédiaires, le prix varie entre 150 000 FCFA et 350 000 FCFA pour un gros bovin et entre 50 000 FCFA et 100 000 FCFA en moyenne pour un mouton en période de fête (cf. figure 2). Ces prix varient selon les saisons et les mois au cours de l’année. C’est ainsi qu’ils sont très élevés en saison sèche, de décembre à mars. C’est la période de transhumance et donc de dispersion des troupeaux. En même temps, elle correspond à la période des fêtes de fin d’année donc de forte demande.

figure_2_b

Source : Enquête menée au marché de Ticket-Foumban 2015
Figure 2 : Fréquences des transactions enregistrées pendant la période étudiée

APPROVISIONNEMENT DU MARCHÉ TICKET-FOUMBAN : UNE GRANDE DIVERSITÉ D’ANIMAUX, D’ORIGINES, DE RACES ET D’ESPÈCES

Les animaux du marché de Ticket-Foumban sont d’origines géographiques diverses. Il s’agit, entre autre, des zébus (foulbé, M’bororo) mais aussi des animaux métissés issus du croisement avec des races importées d’Europe (Montbéliarde, Salers, Brahman, Taurin). Ces métissages, introduits depuis les années 1980 dans la région de l’Adamaoua, entraînent une large variabilité phénotypique des animaux présentés au marché Ticket de Foumban (Lhoste 1984 ; Soufflet 1983). On note que 50 % des animaux enregistrés sur le marché sont surtout d’origines diverses. Les zébus les plus nombreux sont des M’bororo (20%) à robe blanche (White Fulani ou Akou) et à robe rouge (Red Fulani ou Djafoun ou Rahadji). Les zébus dits foulbé comportent des Goudali (10%), des Massa (10%), Arabe Choa (2%) et des sangs mélangés. Les taurins sont représentés par des Namchi (3%), des Kapsiki (2%) et Kouri (2%), des Ketekou (1%) et quelques Baoulés.

D’un point de vue zootechnique, la variété des bovins présentés peut être regroupée en catégorie, rendue possible grâce aux travaux de certains zootechniciens (Hoste 1992 ; Njoya et al. 1997 ; Labonne et al. 2003). Cette possibilité de catégorisation, a permis, dans le cas du marché de Ticket-Foumban, de déterminer trois groupes: des zébus (Bos indicus) aux taurins (Bos taurus) en passant par les divers produits issus de métissages (races importées) (cf. tableau 3).

tableau_3_b

Source : Enquête menée au marché de Ticket-Foumban 2015
Tableau 3 : Pourcentages des bovins vendus au marché de Ticket-Foumban pendant l’enquête

Le large éventail de races bovines représentées sur le marché de Foumban est la conséquence de la levée de la barrière sanitaire de Mbé qui a permis l’arrivée de bétail en provenance du Nord-Cameroun.

D’un point de vue commercial, l’embonpoint, le format et l’état sanitaire de l’animal sur pied sont les paramètres les plus appréciés par les acheteurs car ils déterminent les rendements en viande et non la race de l’animal. À cela, s’ajoute l’aspect sanitaire. En effet, les animaux présentés au marché bénéficient d’un bon format corporel sur pieds et sont plus ou moins rustiques et adaptés aux longs déplacements à pied. Par contre, leur conformation chevillarde, variable suivant les saisons, est parfois médiocre après de longues marches (Gallais 1979).

Certains vendeurs se rendent au marché avec leurs bovins accompagnés de petits ruminants, surtout des ovins de race Oudah (30%) et des moutons Djallonké (70%), très appréciés pour les sacrifices des fêtes musulmanes à Foumban. Les animaux qui ne seront pas vendus en fin de journée prennent la direction des grandes villes du pays, et leur vente continue tout au long du trajet.

L’ENVIRONNEMENT INSTITUTIONNEL : FAIBLE INTERVENTION DES MINISTÈRES ET SERVICES IMPLIQUÉS DANS LE COMMERCE

Au marché de Ticket-Foumban, le rôle des divers ministères en charge du commerce est faible, bien que le cadre institutionnel (agent communal, agent de finance et agent vétérinaire) existe (cf. figure 3). Absent, le service de la statistique pourrait pourtant contribuer au processus de développement à travers des travaux de recherche (Messine 1995). En plus de l’absence de représentation de différents ministères, aucun service de police n’assure le maintien de la sécurité des personnes et des biens sur le marché. Le faible transfert de compétences de l’État vers les collectivités locales, à travers l’exemple du marché, tient à une décentralisation encore embryonnaire au Cameroun et qui reste d’ordre politique.

figure_4_b

Source : MFEWOU Abdoulay, 2015
Figure 3 : Schéma interrelationnel entre ministères, mairie, pasteurs et commerçant au marché Ticket-Foumban

La figure 3 montre que le rôle et la contribution des pasteurs-vendeurs de bétail, organisés dans l’Association des Eleveurs et Commerçants à Bétail du Noun, est un élément central dans le dispositif de ravitaillement des consommateurs en produits d’origine animale. Cependant, l’implication du Ministère de l’économie dans ce grand marché de bétail reste faible ou presqu’inexistante. La vitalité de cette activité est le fait des pasteurs et commerçants qui se déplacent parfois sur de longues distances à pied avec les animaux jusqu’au marché. Dans une relation de contrôle, la Commune urbaine de Foumban joue un rôle important pour officialiser les transactions. Par contre, l’absence d’expert en accompagnement commercial et bancaire montre que le pôle commercial de Foumban fonctionne en dehors des établissements économiques modernes.

L’Association des Éleveurs et Commerçants de Bétail du Noun exerce à travers ses délégués au marché une collaboration avec les receveurs municipaux et des finances qui sont responsables de la gestion des recettes fiscales. Par contre, le service de la statistique est absent du marché. Aucun expert du ministère de commerce n’est sur place, ce qui se traduit par l’absence d’un bulletin commercial hebdomadaire ou mensuel. De même, un expert de la chambre d’agriculture pourrait défendre les intérêts des vendeurs, surtout des éleveurs, et assurer l’interface entre ces derniers et leurs partenaires pour le développement.

En conclusion, les collectivités territoriales et les entités déconcentrées sont, certes, présentes sur le marché mais leurs actions restent encore très limitées et ne permettent pas une structuration rationnelle du commerce de bétail sur le marché Ticket-Foumban.

FINANCEMENT DES ACTIVITÉS COMMERCIALES DE BÉTAIL SUR LE MARCHÉ TICKET-FOUMBAN : PROBLÈME RÉCURRENT NON RÉSOLU

L’étude montre que le financement de l’activité commerciale de bétail est un défi permanent pour les différents acteurs de la filière. La question de financement préoccupe aussi bien les vendeurs, les acheteurs que les institutions financières intéressées par la filière. Les raisons qui justifient cette faiblesse de financement sont nombreuses. Entre autres raisons, la mobilité saisonnière du cheptel, l’éloignement des grands centres urbains, l’insécurité routière, etc., font que les pasteurs et commerçants ont des difficultés à accéder au crédit conventionnel des banques (Boutrais, J. 1974;1995;2001). Les acteurs de la filière comptent sur leurs propres ressources ou sur l’aide familiale. Parfois, un proche apporte une aide pour acheter des compléments alimentaires et des vaccins, pour assurer l’entretien des animaux ou les frais de transport. Seuls, les acheteurs (30%) bénéficient parfois de crédits en microfinance pour renforcer leurs capitaux commerciaux à un taux d’intérêt de 12% par an. Toutefois, ce crédit n’excède pas souvent un montant de 10 millions de FCFA à cause de l’inquiétude manifeste du créancier qui redoute des maladies bovines qui peuvent décimer le cheptel acheté. Ce taux d’intérêt très élevé et des échéanciers de remboursement inadaptés au commerce de bétail maintiennent les acteurs de cette filière dans une précarité constante.

CONCLUSION

L’afflux actuel de bétail au marché de Foumban est lié à deux changements qui sont survenus loin du marché : l’ouverture de l’ancienne barrière sanitaire qui s’interposait entre le Nord et le Sud-Cameroun et l’adjonction de bétail centrafricain dont les éleveurs fuient les crises politiques récurrentes dans ce pays. Dès lors, le marché Ticket-Foumban est devenu un pôle d’accueil et de transactions des animaux sur pied, en direction des grands bassins de consommation au Sud de l’Afrique Centrale : Cameroun (Douala et Yaoundé), Gabon (Libreville) et Guinée Equatoriale (Malabo).

Le marché est aujourd’hui fréquenté par différents types d’acteurs : les éleveurs-vendeurs, les commerçants, les chevillards et les intermédiaires, ces derniers se plaçant au centre des transactions. Lieu important de transferts monétaires, le marché offre des possibilités d’emplois à une main-d’œuvre salariée : convoyeurs, aides et manœuvres. Il est difficile de connaître le volume et la valeur exacts des animaux qui font l’objet de transactions à Foumban, entre les circuits en amont et ceux orientés vers les grandes villes du Sud.

Une meilleure implication de l’État serait souhaitable dans le but d’améliorer le site commercial de Foumban par la construction d’infrastructures et l’amélioration de l’accueil des acteurs. À l’avenir, une augmentation prévisible des transactions en bétail et des recettes fiscales générées par le marché pourrait-elle être entièrement prise en charge dans le cadre d’une gestion décentralisée du marché ou nécessitera-t-elle une présence parallèle de l’État.

 

Références bibliographiques

AWA, D. N., NJOYA, A., MOPATE, Y. L., NDOMADJI, J. A., ONANA, J., AWA, A. A., … & MAHO, A. (2004). Contraintes, opportunités et évolution des systèmes d’élevage en zone semi‐aride des savanes d’Afrique centrale. Cahiers Agricultures, 13 (4), 331-340.

BOUTRAIS, J. (1995) Hautes terres d’élevage au Cameroun. Paris, ORSTOM, 678 p.

BOUTRAIS, J. (2001). Du pasteur au boucher: le commerce du bétail en Afrique de l’Ouest et du Centre. Autrepart, (3), 49-70.

BOUTRAIS, J., HERRERA, J., BOPDA, A. (1992) Bétail, naira et franc CFA, un flux transfrontalier entre Nigeria et Cameroun. 12 p.

DONGMO, A. L. (2009). Territoires, troupeaux et biomasses: enjeux de gestion pour un usage durable des ressources au Nord-Cameroun. Paris, AgroParisTech, PhD.

GALLAIS, J. (1979). La situation de l’élevage bovin et le problème des éleveurs en Afrique occidentale et centrale. Cahiers d’Outre-Mer Talence, 32(126), 113-138.

GIRAUT, F., 1994. La petite ville, un milieu adapté aux paradoxes de l’Afrique de l’Ouest (Doctoral dissertation).

HOSTE, C. (1992). Contribution du bétail trypanotolérant au développement des zones affectées par la trypanosomiase animale africaine. Sierra, 1026(100), 915.

HOSTE, C. (1992). Contribution du bétail trypanotolérant au développement des zones affectées par la trypanosomiase animale africaine. Sierra, 1026(100), 915.

KADEKOY-TIGAGUE, D. (2001). Diagnostic de la filière bovine sur pied en République centrafricaine. Document de travail. ICRA/PRASAC, 50.

LABONNE, M., MAGRONG, P., et OUSTALET, Y. (2003). Le secteur de l’élevage au Cameroun et dans les provinces du grand Nord: situation actuelle, contraintes, enjeux et défis. In Savanes africaines: des espaces en mutation, des acteurs face à de nouveaux défis. Actes du colloque, Garoua, Cameroun.

LHOSTE, P. (1984). Le diagnostic sur le système d’élevage. Les cahiers de la recherche développement, (3-4), 84-88.

MESSINE, O., TANYA, V. N., MBAH, D. A., & TAWAH, C. L. (1995). Ressources génétiques animales du Cameroun. Passe, présent et avenir: le cas des ruminants. Animal Genetic Resources Information.

MFEWOU A., NJOYA A. et OYEP ENGOLA J. (2016). Mondialisation, variabilité du commerce de bétail et de la viande bovine en Afrique Centrale. Editions-UE. 192p.

MINEPIA, (2010). Rapport d’élevage et pêche du Cameroun. Annuaire de la statistique.

MINGOAS, K. J. P., GAMBO, H., OTTOU, J. F. B., EBANGI, A. L., & DOMWA, M. (2006). Structure des troupeaux et conduite de l’Elevage bovin périurbain de Ngaoundere au Cameroun Structure of herds and peri-urban cattle management in Ngaoundere, Cameroon. Bulletin of Animal Health and Production in Africa, 54(1), 53-65.

MORICONI-EBRARD, F. (1994). Geopolis: pour comparer les villes du monde. Anthropos.

NJOYA, A., AWA, D. N., & BOUCHEL, D. (1997). Influence de la complémentation et de la prophylaxie sur la viabilité des ovins Foulbé au Nord-Cameroun. Revue Elev. Méd. vét. Pays trop, 50(2), 227-233.

NJOYA, A., BOUCHEL, D., TAMA, A. N., MOUSSA, C., MARTRENCHAR, A., & LETENNEUR, L. (1997). Systèmes d’élevage et productivité des bovins en milieu paysan. World Animal Review, 89(2), 12-23.

SOUFFLET, J. F. (1983). La filière viande bovine, dans ses rapports avec l’élevage: types d’entreprises, concurrence, évolution à long terme. Economie rurale, 158(1), 51-60.

 

Pour citer cet article

Référence électronique

Mfewou Abdoulay, Boutrais Jean et Poutougnigni Youchahou (2016). «Dynamiques et entraves au développement du marché de bétail Ticket-Foumban dans l’Ouest du Cameroun». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (3) 2. Mis en ligne le 25 décembre 2016, pp. 43-25. URL: http://laurentienne.ca/rcgt

 

Auteurs

Abdoulay MFEWOU
Enseignant-Chercheur
Université de Dschang-Cameroun
Courriel: abdoulaymfewou@yahoo.fr

Jean BOUTRAIS
Chercheur IRD
UMR Paloc (IRD-MNHN)
Courriel: boutrais.jean-baptiste@orange.fr

Youchahou POUTOUGNIGNI
Agronome zootechnicien
Ministère de l’Agriculture-Cameroun
Courriel: poutougnigni2005@yahoo.fr