Incidences des facteurs bioclimatiques sur la distribution et la conservation de Dioscorea praehensilis Benth dans la zone subhumide du Togo

Incidences of bioclimatic factors on the distribution and the conservation of Dioscorea praehensilis Benth in subhumid area of Togo

WEMBOU Esso-Nan Pitalounani, ATAKPAMA Wouyo, FANDOHAN Belarmain, TOZO Koffi, AKPAGANA Koffi


RésuméLa préservation in situ et l’utilisation des ignames sauvages d’intérêt pourraient être compromises par les facteurs climatiques. Cette étude se propose d’analyser l’impact potentiel des facteurs climatiques sur la répartition géographique des habitats favorables à Dioscorea praehensilis une espèce sauvage à fort potentiel économique et agronomique mais sous-utilisée. Pour modéliser les habitats favorables à l’espèce, sous les conditions climatiques actuelles, le principe d’entropie maximale couplé au SIG a été utilisé. Ses données de présence ont été collectées et combinées avec des données bioclimatiques dérivées de la base de données Worldclim et des données pédologiques. Sous les conditions actuelles, la culture et la conservation D. praehensilis sont possibles sur toute l’étendue de la zone subhumide du Togo. 29,09% de ce territoire et 25% des aires protégées seraient très favorables respectivement à la culture et à sa conservation. Ces résultats devront être complétés par des modèles climatiques sous les conditions climatiques futures.

Mots clésDioscorea praehensilis, modèle de distribution, habitat favorable, Togo

  

AbstractClimate factors may limit integration of underutilized wild species into formal cropping systems as a strategy to increase rural household income in Africa. The present study analyzed the potential impact of climate factors on the geographical distribution of suitable areas for Dioscorea praehensilis, an economically agronomic important species. Presence records of the species were collected and combined with bioclimatic data derived from the Worldclim data base and from soil type data. The Maximum Entropy Modeling principle was used in combination with a Geographic Information System to forecast current suitable habitats for the cultivation and conservation of the species. Under current conditions, cultivation and conservation of tamarind could become possible all over subhumid zone. 29.09% of this zone and 25% of their protected area were found to be highly suitable for the cultivation and conservation of D. praehensilis, respectively. This result should be completed by climate model under future conditions.

KeywordsDioscorea praehensilis, distribution model, suitable habitat, Togo

 

Plan

Introduction
La zone d’étude
Méthodologie
Collecte des données
Sélection des variables climatiques, modélisation de la niche écologique et validation du modèle
Cartographie et analyse spatiale
Résultats
Sélection des variables climatiques et validation du modèle
Distribution et étendue actuelles des habitats favorables à D. praehensilis
Distribution actuelle des aires protégées dans les zones favorables à D. praehensilis
Discussion
Analyse de la contribution des variables environnementales
Connaissance de l’écologie de D. praehensilis
Implication de l’étude pour la conservation de D. praehensilis
Conclusion

 

Texte intégral                                                                                  Format PDF 

INTRODUCTION

La plupart des espèces d’ignames cultivées sont présentes dans une grande variété de conditions environnementales (Hamon et al., 1995 : 56 ; Dounias, 2001 : 136 ; Gnankoulamba et al., 2002 :50 ; Vernier et al, 2003 : 37; Dumont et al., 2010 : 255 Dansi et al., 2013 :1). Au sein de chacune de ces espèces, la sélection naturelle a conduit à la différenciation d’une diversité d’écotypes permettant l’adaptation à une gamme plus ou moins large de conditions environnementales (Hamon et al., 1995 : 56). C’est dans cette diversité spontanée qu’a été puisé le matériel génétique à l’origine des formes cultivées aujourd’hui (Dumont et Marti, 1997 :17). Cette diversité spontanée a contribué de façon récurrente à enrichir la diversité des ignames cultivées (Dumont et Marti, 1997 :17).

Face à l’augmentation rapide de la population mondiale et à l’accélération du changement climatique, ces espèces sauvages apparentées aux formes cultivées seraient un énorme réservoir de variabilité génétique utilisable dans les programmes de sélection végétale et indispensable à la fois pour améliorer la sécurité alimentaire, stimuler la production agricole et maintenir la productivité (Maxted et al., 2008 : 128; Ortiz et al., 2009 : 2064; Chatzav et al., 2010 : 1213). C’est le cas de Dioscorea praehensilis Benth. (Figure 1) qui constitue actuellement une des voies de renouvellement du portefeuille variétal des ignames cultivées Dioscorea cayenensis Lam et Dioscorea rotundata Poir. (Scarcelli et al., 2006 : 121 ; Dumont et al., 2010 : 255).

Au Togo, D. praehensilis est présente seulement dans la zone subhumide où elle est prélevée à des fins de domestication et de consommation. Cependant après des décennies de forte emprise agro-sylvo-pastorale, les vastes étendues de forêts de cette zone, habitats naturels de D. praehensilis, ont fait place à des fragments forestiers, des agroforêts, des plantations, des champs et des savanes (Wembou et al., 2014 :44). Dans ces conditions, cette espèce alimentaire est localement menacée. Il est alors indispensable d’assurer sa conservation in situ tant que la diversité génétique qu’elle représente est encore disponible. Pour ce faire, il est impératif d’acquérir les données sur l’écologie de cette espèce à la fois sauvage et cultivée sans lesquelles aucune action de gestion, de conservation et d’utilisation durable n’est possible.

Des études antérieures ont montré que D. praehensilis est plus fréquente dans les îlots de forêts riveraines, les îlots de forêts humides semi-décidues où elle subit encore d’importantes pressions d’origine humaine (Wembou et al, 2014 : 1). L’étude des caractéristiques écologiques et des caractéristiques démographiques des populations de D. praehensilis des aires protégées de la zone subhumide ont montré que trois aires protégées (celles des deux Bèna, de Missahoé et d’Agou) ont de véritables potentialités et des aptitudes à la conservation in situ de cette espèce (Wembou et al, 2015 : 391).

En revanche, la question de la détermination des conditions environnementales favorables à la présence spontanée de cette espèce n’a pas encore été réellement prise en considération. Or l’impact de ces facteurs sur la distribution des espèces dans l’espace demeure un enjeu important, notamment en matière des stratégies d’adaptation, de gestion et de domestication (Heller et al., 2009 : 15). Du coup, la conservation de cette igname sauvage d’intérêt devient un défi du fait des incertitudes et des questionnements qui lui sont associés. Où peut-on conserver ? Comment conserver ? En somme quelles sont les potentialités écologiques de la zone subhumide en général et de ses aires protégées en particulier en matière de conservation in situ d’ignames sauvages ? C’est pour contribuer à lever ces incertitudes et à combler les lacunes liées au déficit de données scientifiques que cette étude a été initiée. Elle a pour objectif général de contribuer à l’identification des habitats propices à la conservation in situ des populations naturelles et de la diversité génétique de D. praehensilis au Togo. Plus spécifiquement il s’agit : 1) d’identifier les facteurs bioclimatiques les plus pertinents expliquant la distribution des habitats de D. praehensilis dans la zone subhumide du Togo et de 2) de déterminer la localisation et l’étendue des aires favorables à la conservation de D. praehensilis dans la zone forestière et subhumide du Togo.

Figure_1

Source : Wembou, aout 2013
Figure 1 : Dioscorea praehensilis  (a) : inflorescence mâle et feuilles ; (b) : tige épineuse ; (c) : fruits ; (d) : couronnes épineuses ; (e) : tubercule

LA ZONE D’ÉTUDE

L’étude a été conduite dans la zone subhumide située du Togo (Figure 2). Cette zone jouit d’un climat subéquatorial de transition caractérisé par une grande saison pluvieuse de 8 mois (mars à octobre), interrompue par une diminution de la pluviosité en août ou en septembre. Avec des moyennes de précipitations annuelles comprises entre 1250 mm et 1500 mm, elle est la zone la plus arrosée du Togo et est subdivisée en deux régions climatiques située de part et d’autre de l’axe passant par Kougnohou et au-dessus d’Amlamé. La première située au sud est marquée par un à deux mois écologiquement secs (P<50 mm) et une pluviométrie annuelle variant entre 1350 mm et 1500 mm du fait de l’exposition des pentes par rapport à la mousson génératrice de pluies et d’humidité. La seconde région est située au nord de cet axe et est caractérisée par un climat intermédiaire tendant vers le soudanien imposé par l’harmattan, la proximité avec la savane soudanienne et l’effet Foehn (Wembou et al., 2014 : 44). Les précipitations y varient entre 1250 mm et 1350 mm de pluies avec 3 à 4 mois écologiquement secs consécutifs. La végétation se compose aujourd’hui d’une mosaïque de lambeaux forestiers, d’agroforêts, de savanes, de jachères et de plantations (Tchamiè, 2000 : 3). La population locale a pour principale activité l’agriculture, d’où la forte pression exercée sur les formations végétales de la zone. Bien qu’elle soit la plus petite zone écologique du Togo, la zone subhumide est la plus riche en Dioscorea spp dont certains sont localement importantes. Il s’agit de Dioscorea dumetorum (Knuth.) Pax, Dioscorea preussii Pax, Dioscorea sansibarensis Pax, Dioscorea bulbifera L., Dioscorea liebrechstiana De Wild. et T. Durand, Dioscorea smilacifolia De Wild., Dioscorea togoensis Knuth., Dioscorea praehensilis Benth., Dioscorea abissynica Hochst ex Knuth, Dioscorea mangenotiana Miège, Dioscorea minutiflora Engel., Dioscorea sagittifolia Pax, Dioscorea schimperana Hochst, Dioscorea hirtiflora (Knuth.) Pax et Dioscorea burkilliana Miège (Padakale, 1999 : 3 ; Adjossou, 2009 : 224 ; Akpagana 1989 : 170). Cette zone compte huit aires protégées. Il s’agit de forêt classée (FC) des Deux Bèna, la FC d’Atilakoutsè, la FC de Missahoé, la FC d’Agou, la FC de Wouto, la FC de Assimé, la FC d’Assoukoko et la FC d’Amétui) dont certaines présentent des potentialités pour la conservation in situ de cette espèce (Wembou et al, 2015 : 391).

Figure_2

Figure 2: Situation géographique de la zone subhumide du Togo

MÉTHODOLOGIE

COLLECTE DES DONNÉES

Les coordonnées géographiques (longitude et latitude) de présence de D. praehensilis ont été enregistrées à partir de travaux de terrain à l’aide d’un récepteur GPS (Global Positioning System). Afin de maximiser la précision des résultats de la modélisation, les coordonnées de présence de l’espèce hors du milieu d’étude, mais dans les mêmes zones climatiques couvertes, ont été collectées à travers son aire de distribution en Afrique de l’Ouest. Ces données additionnelles ont été obtenues en explorant des bases de données de biodiversité en ligne telles que le GBIF (Global Biodiversity Information Facility : // www.gbif.org) et des travaux antérieurs sur l’espèce (Hamon et al., 1995 : 52 ; Dansi et al., 2013 : 1). Au total pour la modélisation, 101 points d’observations ont été utilisés dont 60 au Togo. Les données bioclimatiques actuelles et celles d’altitude ont été dérivées des données climatiques de 1950-2000, téléchargées de la base de données Worldclim version 1.4 (Hijmans et al., 2005 : 1970 ; Hijmans et al., 2006) et les données des sols de la Harmonized World Soil Database version 1.2. Ces variables bioclimatiques (Tableau 1) générées à partir des données climatiques brutes (précipitations et températures) ont été préparées et mises sous formats compatibles avec le programme MaxEnt Model v3.3.3 à l’aide du logiciel DIVA-GIS 7.5.

SÉLECTION DES VARIABLES CLIMATIQUES, MODÉLISATION DE LA NICHE ÉCOLOGIQUE ET VALIDATION DU MODÈLE

Au total 21 variables écologiques (19 bioclimatiques, l’altitude et les sols) ont été soumises à un test de corrélation pour sélectionner les moins corrélées (r < 0,85) compte tenu des biais que les corrélations ont sur les prédictions (Elith et al., 2006 : 136 ; Gbesso et al., 2013 : 2010 ; Fandohan et al., 2013 :453). Un test de Jackknife a été ensuite effectué sur les variables bioclimatiques considérées pour déterminer celles qui contribuent le plus à la modélisation. L’apport de chaque variable au modèle a été estimé. Cet apport a été défini par la proportion de déviance expliquée par la variable étudiée lorsqu’elle est ajoutée au modèle. Seules les variable les plus explicatives (c’est-à-dire celle dont l’ajout dans le modèle engendre la plus forte baisse de déviance résiduelle), statistiquement significative (p > 0,001), dont l’action sur l’espèce est cohérente, clairement interprétable et différentiable des précédentes, ont été sélectionnées (Piédallu et al., 2009 : 6 ; Kumar et Stohlgren, 2009: 95). Pour évaluer le modèle, 25% des points d’observation de l’espèce ont été utilisés pour tester le modèle et 75% pour le calibrer. La validation croisée du modèle a été répétée dix fois pour produire des estimations robustes des performances du modèle.

Tableau_1

Tableau 1 : Variables bioclimatiques utilisées pour la modélisation de la niche

Un seuil de probabilité optimal au-dessus duquel on prédit la présence de l’espèce et en dessous duquel on prédit son absence a été défini par la méthode de la courbe ROC (Receiver Operating Curve). Cette méthode permet de transformer une probabilité continue en une variable binaire (présence ou absence), et ainsi de cartographier les secteurs où les conditions de milieu sont favorables à l’espèce. La courbe ROC a permis aussi de calculer l’AUC (Area Under the Curve), un indice évaluant la qualité globale du modèle indépendamment du seuil de probabilité choisi pour prédire les présences et les absences de l’espèce (Phillips et al., 2006 : 243). Des valeurs d’AUC comprises entre 0,5 et 0,7 correspondent à des modèles mauvais à médiocre, entre 0,7 et 0,8 à des modèles corrects, et respectivement entre 0,8 et 0,9 puis 0,9 et 1 à de bons puis très bons modèles (Piedallu et al., 2009 : 573). La qualité des cartes produites a été évaluée en comparant les présences/absences prédites avec les présences/absences observées sur le terrain.

CARTOGRAPHIE ET ANALYSE SPATIALE

Les résultats de modélisation produits par MaxEnt ont été importés dans ArcGIS 10 pour cartographier les habitats favorables à l’espèce pour les conditions climatiques actuelles. Avec l’outil d’analyse spatiale de DivaGis 7.5, l’étendue de chaque type d’habitat sous les conditions climatiques présentes a été estimée à partir du nombre de pixels occupés par chaque type d’habitat.

RÉSULTATS

SÉLECTION DES VARIABLES CLIMATIQUES ET VALIDATION DU MODÈLE

Sur 21 variables écologiques (19 bioclimatiques, l’altitude et les sols) testées par l’analyse des corrélations et le test de Jackknife, cinq se sont révélées les moins corrélées (r < 0,85) et ont été retenues pour la modélisation (Figure 3). Il s’agit de : BIO_03  (Isothermalité), BIO_04  (Saisonnalité de la température), BIO_14 (Précipitations de la période la plus sèche), BIO_17  (Précipitations du trimestre le plus sec), BIO_07 (Ecart annuel de température).

Figure_3

Figure 3 : Résultat du test de Jackknife sur la contribution des modèles

La contribution des cinq variables sélectionnées est présentée dans le tableau 2. La variable BIO_03 a plus contribuée à l’édification du modèle suivi des variables BIO_14 et BIO_04.

La valeur de l’AUC pour la mise en œuvre du modèle MaxEnt est de 0,968 et celle pour la mise en œuvre de son test est de 0,983. Ces valeurs suggèrent une bonne performance de l’algorithme MaxEnt à capturer les variations des données environnementales donc une bonne capacité du modèle à prédire les habitats favorables à l’espèce.

Tableau_2

Tableau 2: Variables bioclimatiques efficaces et leurs contributions au modèle

DISTRIBUTION ET ÉTENDUE ACTUELLES DES HABITATS FAVORABLES À D. PRAEHENSILIS

Les habitats favorables à D. praehensilis occupent globalement toute l’étendue de la zone subhumide du Togo. Les résultats de la modélisation montrent qu’il existe trois sortes de zones (Figure 4) :

– la zone des habitats peu favorables (<0,6) située dans la partie sud précisément la partie sud du plateau Kloto et ses environs. Cette zone couvre 16,14% de la zone d’étude (745,66 km2) avec des altitudes inférieures à 300 m. (Figure 4). Le climat y est marquée par une pluviométrie annuelle comprise entre 1350 mm et 1500 mm du fait de l’exposition des pentes à la mousson génératrice de pluies et d’humidité et un à deux mois écologiquement secs (P<50mm).

– la zone des habitats relativement favorables à D. praehensilis (0,6-0,8) situés au niveau du plateau adélé, du plateau danyi, dans la partie nord du plateau de Kloto et le Litimé. Elle s’étend sur une superficie de 2529,91 km2, soit 54,76% de la zone d’étude à des altitudes comprise entre 300 et 500m. En raison de sa situation dans la région climatique nord, cette zone est caractérisée par un climat intermédiaire tendant vers le soudanien avec des précipitations variant entre 1250 mm et 1350 mm de pluies, trois à quatre mois écologiquement secs (Wembou et al., 2014 : 44).

– la zone des habitats très favorables à D. praehensilis (>0,8) est principalement localisée dans la partie centrale notamment sur le plateau akposso et le plateau akébou. Elle couvre 1343,95 km2 soit 29,09% de la zone d’étude. Les altitudes y sont comprises entre 500 et 700 m. Cette zone est à cheval sur la région climatique nord et la région climatique sud.

Les fréquences des probabilités de présence actuelle de D. praehensilis dans les trois zones sont illustrées par la figure 5.

Figure_44

Figure 4 : Carte de la probabilité de présence actuelle de D. praehensilis dans la zone subhumide du Togo         

Figure_55

Figure 5 : Classes et fréquences des probabilités de présence actuelle de D. praehensilis

DISTRIBUTION ACTUELLE DES AIRES PROTEGÉES DANS LES ZONES FAVORABLES À D. PRAEHENSILIS

Les huit forêts classées de la zone subhumide sont réparties de la façon suivante :1) deux forêts classées : la FC des deux Bèna, la FC d’Atilakoutsè, sont situées dans la zone très favorable à la conservation, 2) trois forêts classées : la FC de Missahoé, la FC d’Assimé et la FC d’Assoukoko sont situées dans la zone favorable à la conservation de D. praehensilis et enfin 3) trois forêts classées : la FC d’Agou, la FC de Wouto et la FC d’Amétui sont situées dans la zone peu favorable à la conservation de D. praehensilis.

DISCUSSION

ANALYSE DE LA CONTRIBUTION DES VARIABLES ENVIRONNEMENTALES

Les résultats révèlent que seules les variables climatiques prédisent les distributions de l’espèce contrairement aux variables biophysiques qui ont une contribution nulle. Ce travail met ainsi en évidence l’effet de l’isothermalité, des précipitations de la période la plus sèche et de la saisonnalité de la température. Il met également en évidence la faible importance des variables édaphiques et d’altitudes testées. On en déduit que la distribution de D. praehensilis est principalement influencée par les facteurs climatiques.

CONNAISSANCE DE L’ÉCOLOGIE DE D. PRAEHENSILIS

Le modèle réalisé permet de préciser l’écologie de D. praehensilis en étudiant son comportement vis à vis de variables difficiles à relever sur le terrain. Les résultats obtenus sont cohérents avec les connaissances concernant le comportement de cette espèce. Les ignames sont des plantes qui exigent des températures variant entre 25°C et 30°C et une pluviométrie optimale d’environ 900 mm bien répartis pendant toute l’année (Dumont et Marti, 1997 : 98 ). Dans la zone subhumide du Togo, D. praehensilis se développe à presque toute latitude et toute altitude dans une diversité de conditions de pluviosité et de température. Cette présence est conforme à l’aire de répartition géographique de l’espèce définis par plusieurs auteurs (Hamon et al., 1995 : 52; Van der Burg, 2004 :1). L’ampleur du gradient altitudinal (inférieur à 1600 m) et du gradient climatique prouve qu’en dépit du recul de la forêt habitat originel de l’espèce, des pressions climatiques et anthropiques, les seuils en deçà et au-delà des quels l’espèce ne se développe pas n’ont donc pas été atteints. En revanche l’avancée de la savane limiterait certainement l’extension de l’espèce. D’après ces résultats, la culture D. praehensilis serait actuellement possible sur toute l’étendue de la zone subhumide.

Les aires de distribution prédites sont logiquement plus importantes que celles réellement occupées car les conditions peuvent être favorables à la présence d’une espèce, mais celle-ci peut ne pas y être, du fait de la concurrence avec d’autres espèces, de son absence de dissémination, ou de l’action anthropique. La validité de ces prédictions devra être confirmée sur le terrain, en couplant ces nouveaux outils aux méthodes traditionnelles d’inventaires stationnels par exemple.

IMPLICATION DE L’ÉTUDE POUR LA CONSERVATION DE D. PRAEHENSILIS

Cette étude a montré que la zone subhumide du Togo est globalement favorable à D. praehensilis avec 29,09% de la zone très favorable, 54,76% de la zone favorable. Sur les 8 forêts classées de la zone subhumide deux à savoir la FC des deux Bèna et la FC d’Atilakoutsè soient 25% sont situées dans la zone très favorable à la conservation, trois (37,5%) sont situées dans la zone favorable à la conservation de D. praehensilis, trois (37,5%) sont situées dans la zone peu favorable à la conservation de D. praehensilis. Dans une étude antérieure axée sur l’état de conservation de ces FC, les densités, les taux de régénération des populations de D. praehensilis, Wembou et al. (2015) ont montré que la FC des Deux Bèna, la FC d’Agou et la FC de Missahoé ont les potentialités écologiques les plus élevés. De ce qui précède, on déduit la FC des Deux Bèna qui présente les meilleurs atouts pour une conservation in situ de D. praehensilis. Cependant ces formations végétales déjà réduites à l’état de reliques sont soumises à d’importantes pressions anthropiques qui menacent à long terme la survie de l’espèce. Les reliques de forêts riveraines présentent néanmoins des densités et des taux de régénérations relativement élevés (Wembou et al., 2014). Elles devraient être l’une des priorités en matière de conservation in situ de D. praehensilis.

Toute fois d’autres facteurs susceptibles d’influencer la distribution de l’espèce tels que les interactions biotiques, l’adaptation génétique et les capacités de dispersion de l’espèce et surtout l’action anthropique doivent être prises en compte afin de tirer des conclusions pertinentes devant permettre de mieux orienter les prises de décision en matière de conservation. L’aggravation des changements climatiques, la dégradation des habitats, facteur majeur d’extinction, déjà fortement atteints par la déforestation, les feux et les invasions biologiques et l’absence des mesures de protections adaptées, peuvent accélérer la disparition de ce patrimoine d’intérêt scientifique, écologique, agronomique et cette richesse économique potentielle. Face à ces menaces considérables, aussi bien en terme écologique, que socio-économique, un suivi précis des effets des changements climatiques sur la répartition et la phénologie de cette espèce végétale s’avère nécessaire afin de pouvoir définir les mesures de gestion permettant d’adapter au mieux la gestion aux changements environnementaux en cours. Pour cela des méthodes de modélisation de la distribution spatio-temporelle des potentiels habitats favorables aux espèces sous les conditions actuelles et futures comme le modèle EC-EARTH de la Royal Netherlands Meteorological Institute, (Pays Bas), le modèle HadGEM2-ES du Met Office Hadley Centre (Royaume Uni), le modèle CNRM-CM5 du Centre National de Recherches Météorologiques, le modèle IPSL-CM5A-LR de Institute Pierre-Simon Laplace (France), le modèle MPI-ESM-LR du Max Planck Institute for Meteorology (Allemagne), les modèles MIROC-H et SCIRO mk3.0 du Center for Climate Research (Japon) devront être utilisées. (Russell, 2015; Yan et al., 2015: 233).

Les résultats seront utilisés pour la surveillance et la restauration des populations naturelles en déclin dans les habitats naturels, pour la réintroduction ou la sélection des sites de conservation et la conservation et la gestion des habitats naturels pour cette espèce spontanée d’intérêt agronomique disposant localement d’un compartiment de diversité naturelle.

CONCLUSION

Les facteurs climatiques constituent les principaux facteurs contribuant à la distribution spatiale des habitats D. praehensilis. Trois variables climatiques à savoir l’Isothermalité (BIO_03), les précipitations de la période la plus sèche (BIO_14) et les précipitations de la période la plus sèche (BIO_04) ont plus contribuée à l’édification du modèle suivi des variables. Sous les conditions climatiques actuelles associées aux agrosystèmes et aux aires protégées, la zone subhumide du Togo continuera à assurer la culture et la conservation in situ de D. praehensilis. Les résultats de la modélisation montrent qu’il existe une zone des habitats très favorables à D. couvrant 29,09% de la zone d’étude, une zone relativement favorable s’étendant sur 54,76% et une zone des habitats peu favorables. Seules les forêts classées des deux Bèna et d’Atilakoutsè sont situées dans la zone très favorable à la conservation de D. praehensilis.

 

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Remerciements

Les auteurs expriment leurs remerciements à la Fondation Internationale pour la Science (IFS) pour son appui financier à la réalisation de ce travail. Ils tiennent à remercier les relecteurs anonymes de cet article pour leurs recommandations qui ont permis d’améliorer significativement sa qualité.

 

Pour citer cet article

Référence électronique

Esso-Nan Pitalounani Wembou, Wouyo Atakpama,  Belarmain Fandohan, Koffi Tozo & Koffi Akpagana (2017). «Incidences des facteurs bioclimatiques sur la distribution et la conservation de Dioscorea praehensilis Benth dans la zone subhumide du Togo». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (4) 1. En ligne le 15 avril 2017, pp. 59-68. URL: http://laurentienne.ca/rcgt

 

Auteurs

WEMBOU Esso-Nan Pitalounani
Laboratoire de Botanique et Écologie Végétale
Département de Botanique – Faculté des Sciences
Université de Lomé, Togo
Courriel : wemboue@yahoo.fr

 

Wouyo ATAKPAMA
Laboratoire de Botanique et Ecologie végétale
Faculté des Sciences
Université de Lomé, Togo
Courriel : wouyoatakpama@gmail.com

 

Belarmain FANDOHAN
Université d’Abomey-Calavi, Bénin
École Nationale Supérieure des Sciences et Techniques Agronomiques
Laboratoire d’Écologie Appliquée
Courriel : bfandohan@gmail.com

 

Koffi TOZO
Laboratoire de Physiologie et Biotechnologies Végétales
Faculté des Sciences
Université de Lomé, Togo
Courriel : koffitozo@gmail.com

 

Koffi AKPAGANA
Laboratoire de Botanique et Ecologie végétale
Faculté des Sciences
Université de Lomé, Togo
Courriel : koffi2100@gmail.com