Economic prospects of the sea in Gabon
BIGNOUMBA Guy-Serge
Résumé: À la faveur du « Gabon bleu », la mer est appelée à renforcer sa contribution à l’économie nationale, par la diversification de ses activités, dans un contexte marqué par une économie pétrolière dominante. À partir de la documentation disponible, des entretiens avec des responsables institutionnels et opérateurs du monde maritime, ainsi que des observations faites sur le terrain, il apparaît que malgré quelques obstacles, l’économie maritime du Gabon bénéficie de perspectives favorables en raison de ses multiples atouts, et à la condition de s’approprier véritablement le milieu marin, de se doter d’une expertise nationale dans les sciences de la mer et de veiller à la préservation de l’environnement dans l’exploitation des ressources marines.
Mots clés: « Gabon bleu » ; économie maritime; appropriation de la mer ; ressources marines ; environnement
Abstract: Thanks to “Blue Gabon”, the sea is destined to reinforce its contribution in the national economy, through the diversification of its activities, in a context marked by a dominating oil economy. From the available documentation, interviews with institutional officials ant maritime world operators, as well the observations made in the field, it appears that in spite of some obstacles, the sea economy in Gabon benefits from outlooks for recovery because its multiple assets and under the condition to appropriate a national expertise in the sciences of sea and to take care of the preservation of the environment in the exploitation of marine resources.
Keywords: “Blue Gabon”; sea economy; appropriation of sea; marine resources; environment
Plan
Introduction
Les atouts du « Gabon bleu » : un vaste domaine maritime, une diversité de ressources naturelles et une forte densité démographique sur le littoral
L’étendue du domaine maritime
Une diversité de ressources marines : des activités inégalement développées
Une répartition démographique en faveur du littoral
Les contraintes à la maritimisation du Gabon : une faible culture maritime et une économie de rente dominante
Une société dépourvue de culture maritime
Le rôle excessif de l’économie de rente
Les conditions d’une maritimisation de l’économie gabonaise
L’appropriation mentale de l’espace maritime
La constitution d’une expertise maritime nationale
La durabilité des systèmes d’exploitation des ressources
Conclusion
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INTRODUCTION
Les océans recouvrent 71 % de la surface totale du globe. Cette masse aquatique omniprésente constitue un capital socio-économique majeur, qui justifie l’intérêt que lui accordent tous les États côtiers. La planète océane (Louchet, 2009) intéresse aussi bien par ses activités scientifiques et sportives que par celles économiques à cause de ses ressources naturelles.
Au Gabon, la mer constitue désormais le quatrième pilier stratégique pour atteindre l’émergence à l’horizon 2025. Le « Plan stratégique Gabon Émergent », initialement fondé sur le « Gabon vert », le « Gabon des services » et le « Gabon industriel » s’est enrichi d’un nouveau pilier dénommé « Gabon Bleu », pour renforcer la contribution du milieu marin à l’économie nationale, quand bien même l’on peut s’interroger sur la capacité des gabonais à y parvenir au regard de leur faible culture maritime.
La présente contribution analyse les perspectives économiques de la mer au Gabon, sous l’angle de ses atouts et de ses contraintes. Elle repose sur l’exploitation des données documentaires, des entretiens avec des acteurs institutionnels et opérationnels du monde maritime ainsi que sur des observations empiriques sur le terrain.
La première partie est consacrée aux atouts du « Gabon bleu », qui reposent sur l’étendue du domaine maritime et la diversité des ressources naturelles tandis que la deuxième traite des obstacles à la maritimisation du Gabon dont l’absence d’une culture maritime constitue l’une des principales contraintes. Quant à la troisième partie, elle évoque les conditions pouvant favoriser le rapprochement des Gabonais avec la mer en vue d’une meilleure valorisation du domaine maritime.
LES ATOUTS DU « GABON BLEU » : UN VASTE DOMAINE MARITIME, UNE DIVERSITÉ DE RESSOURCES NATURELLES ET UNE FORTE DENSITÉ DÉMOGRAPHIQUE SUR LE LITTORAL
Parler d’économie maritime au Gabon revient à évoquer au préalable les atouts qui fondent une telle perspective. Ces atouts sont patrimoniaux et humains et sont le fait de l’étendue du domaine maritime national, de la diversité des ressources naturelles et de la forte densité démographique du littoral.
L’ÉTENDUE DU DOMAINE MARITIME
Le Gabon est situé en Afrique Centrale, sur la côte ouest-africaine. Il fait frontière avec le Cameroun et la Guinée Équatoriale au nord ainsi que la République du Congo au sud et à l’est du pays (cf. carte 1).
Carte 1. Le Gabon en Afrique Centrale
Le pays s’ouvre sur l’océan atlantique et possède 800 km de côtes qui sont parmi les plus longues des pays du golfe de Guinée. Grâce à sa Zone Économique Exclusive (ZEE), d’une superficie de 265 000 km2, le domaine maritime est quasi équivalent à ses possessions terrestres de 267 667 km2. Le plateau continental s’étend sur 40 600 km2. Ce vaste patrimoine marin recèle une diversité de ressources qui alimentent quatre secteurs d’activités majeurs, à savoir l’industrie pétrolière, l’activité portuaire, la pêche et le tourisme.
UNE DIVERSITÉ DE RESSOURCES MARINES : DES ACTIVITÉS INÉGALEMENT DÉVELOPPÉES
Le Gabon dispose d’un riche patrimoine marin au regard de la diversité des ressources naturelles que recèle sa mer. Celles-ci alimentent quatre secteurs d’activités majeurs au vu de leur poids dans l’économie nationale ou de leur rôle social. Il s’agit des secteurs pétrolier, portuaire, halieutique et touristique.
En ce qui concerne les hydrocarbures, le Gabon dispose d’importants gisements de pétrole et de gaz marins. En 2014, il occupe le cinquième rang des producteurs pétroliers en Afrique Sub-Saharienne après le Nigeria, l’Angola, la Guinée Équatoriale et la République du Congo. Sa production s’élève à 10,01 millions de tonnes en 2015 contre 10,91 en 2014, soit une baisse de 9 %. Ses réserves sont évaluées à 2 milliards de barils, soit les plus importantes de la sous-région, qui correspondent à 23 années d’exploitation. Le pétrole constitue le poumon de l’économie gabonaise. En 2014, il représentait 39 % du PIB, 85 % des recettes d’exportation et 49 % des recettes budgétaires.
Aujourd’hui, le secteur est confronté à la baisse des cours mondiaux depuis le troisième trimestre 2014. Cette situation impacte considérablement la santé économique du pays et relance plus que jamais le débat sur la diversification de l’économie nationale, laquelle doit se libérer de l’impérialisme pétrolier. En effet, « Le Gabon est en phase de passer d’un modèle de développement socio-économique basé sur les rentes à un modèle porté par une économie diversifiée et plus inclusive. Le processus est incontestablement en cours et il n’est plus possible de faire marche arrière » (Ben Mohamed, 2015 : 56). L’industrie portuaire s’organise autour des ports d’Owendo et de Port-Gentil, deux ensembles polyfonctionnels situés respectivement à Libreville et à Port-Gentil. Au total, 90 % des échanges commerciaux du Gabon empruntent la voie maritime. Le port d’Owendo en constitue la principale porte d’entrée. Depuis 2009, son trafic évolue de 7 à 10 % par an, et représente aujourd’hui 6 millions de tonnes par an. Quant à Port-Gentil, il s’illustre davantage comme un terminal pétrolier.
L’activité halieutique repose sur un potentiel biologique estimé, d’après la DGPA (2015), à 720 000 tonnes, constitués de petits pélagiques pour 153 000 tonnes, de grands pélagiques à hauteur de 250 000 tonnes et d’espèces démersales pour 312 480 tonnes. D’après la même source, il a été capturé 25103 tonnes en 2014, ce qui correspond à 3,48% du potentiel biologique : la pêche industrielle a débarqué 7026 tonnes contre 18076 tonnes pour celle artisanale. Si la pêche industrielle est en mal d’infrastructures, celle artisanale, essentiellement piroguière, souffre également des mêmes maux auxquels s’ajoute un faible niveau technologique. Il faut tenir compte également, pour les deux secteurs d’activités, de l’insuffisance quantitative et qualitative en ressources humaines. La pêche industrielle compte 24 bateaux et 360 marins pêcheurs à raison de 15 pêcheurs en moyenne par bateau, tous non nationaux (DGPA, 2015). Pour la pêche artisanale, on dénombre 763 pirogues dont 80% sont équipées de moteurs hors-bords. On compte 1772 pêcheurs dont 13,04% de femmes (DGPA, 2015). En dépit des moyens financiers et logistiques mobilisés par l’État depuis des années, la pêche maritime demeure une activité sous développée et pour laquelle les populations locales manifestent fort peu d’intérêt (Bignoumba, 1995) au point que l’activité se trouve monopolisée par les pêcheurs migrants ouest-africains. En 2006, la pêche ne contribue qu’à hauteur de 1,5 % au PIB avec une production annuelle de 41674 tonnes selon la Banque Africaine de Développement (2008). Le Gabon dispose également d’un large potentiel aquacole par l’étendue de son domaine maritime. Mais l’aquaculture marine demeure pour l’heure inexistante faute d’expertise locale et d’une véritable stratégie nationale.
Le domaine littoral présente de nombreux atouts touristiques par la diversité de ses paysages faits de forêts et de savanes. Outre la baignade, sujette à un fort engouement populaire à Libreville (Bignoumba, 2005), ces paysages peuvent s’accommoder également d’une activité écotouristique viable. Mais, les rares initiatives lancées en faveur du tourisme ne résistent guère à la cherté des services, notamment de l’hébergement et du transport, aux difficultés d’accès à certains sites ainsi qu’aux blocages culturels qui apparentent encore le tourisme à un loisir de riches.
UNE RÉPARTITION DÉMOGRAPHIQUE EN FAVEUR DU LITTORAL
La population gabonaise est inégalement répartie sur l’ensemble du territoire national. D’après le RGPL-2013, sur les neuf provinces que compte le Gabon, l’Estuaire concentre à elle seule près de la moitié de la population nationale. Par ailleurs, si la densité démographique du pays est de 6,8 habitants au km2, Libreville et Port-Gentil, deux villes littorales, comptent respectivement 3700 et 2480 habitants au km2. Capitales politico-administrative et économique du pays, ces deux villes attirent un plus grand nombre de population, ce qui constitue un atout économique non négligeable grâce à la concentration d’un plus grand nombre de consommateurs et d’une main-d’œuvre plus abondante.
Mais tous ces atouts naturels et humains ne peuvent masquer les nombreux obstacles à la maritimisation du pays dont ceux à caractère culturel et économique.
LES CONTRAINTES À LA MARITIMISATION DU GABON : UNE FAIBLE CULTURE MARITIME ET UNE ÉCONOMIE DE RENTE DOMINANTE
La maritimisation accrue de l’économie nationale, portée par le pilier « Gabon bleu », appelle une mutation du Gabon qui le ferait passer du stade d’un État côtier à celui d’une nation maritime. Il s’agit d’une révolution culturelle amenant les populations gabonaises à considérer le milieu marin comme un espace de production de richesses autant que peut l’être le milieu continental. Mais, l’absence d’une culture maritime ainsi que la prééminence de l’économie de rente constituent des obstacles au renforcement du rôle de la mer dans l’économie nationale.
UNE SOCIÉTÉ DÉPOURVUE DE CULTURE MARITIME
Si le Gabon bénéficie d’une large ouverture sur la mer, ses populations en revanche sont culturellement tournées vers la terre. Les rapports qu’entretiennent les Gabonais avec leur mer tiennent davantage du déterminisme géographique que de la tradition, c’est-à-dire de l’inclination coutumière des populations aux activités maritimes (Bignoumba, 1995). C’est dire que la société gabonaise manque de culture maritime. L’on se trouve en présence d’un peuple de forêt, où la sylve constitue, à la fois, le grenier, le lieu de culte, l’officine, l’espace de jeu (Bignoumba, 2011).
Pour Martin (2002 :19), la culture maritime est un « ensemble de pratiques et de savoirs, d’habitudes et d’usages, de faits accumulés, de perceptions, de liens tramés entre les hommes et le milieu marin. Parmi ces liens, certains appartiennent aux images, aux horizons mentaux, aux contacts visuels que nous nous efforçons de maintenir-le plus souvent hélas de façon symbolique-avec l’élément liquide : vue sur le lac, vue sur le fleuve, fenêtre sur le port…D’autres liens apparaissent mieux ancrés parce qu’attachés à des valeurs d’usage : pêche, navigation, transport maritime et, de plus en plus, loisirs et nautisme ».
Ambouroué-Avaro (1981) et Chauveau (1991) soutiennent l’idée selon laquelle le Gabon a connu une certaine tradition maritime entre les XIVème XVème siècles. Le premier rappelle les expéditions maritimes qu’effectuaient les Orungu entre le Cap-Lopez et l’estuaire du Gabon à bord de Kokongos, immenses pirogues marines destinées au transport de marchandises. Le second fait état de ce que les Vili de Mayumba, groupe ethnique vivant dans le sud-ouest du Gabon, s’affirmaient comme d’habiles marins pêcheurs dans la même période. Mais cette tradition maritime, matérialisée par l’activité halieutique, a fini par s’étioler au fil du temps, sans qu’aucune source connue n’en donne les raisons. Cependant, on peut émettre l’hypothèse de la concurrence exercée par l’économie de rente, notamment aux heures glorieuses de l’exploitation forestière puis pétrolière sur le littoral pour expliquer son étiolement.
LE RÔLE EXCESSIF DE L’ÉCONOMIE DE RENTE
Dès l’époque coloniale, l’économie gabonaise s’est fondée sur l’exploitation des matières premières que l’on exportait à l’état brut vers les marchés occidentaux. Ce fut tout d’abord le bois, qui a donné ses lettres de noblesse à l’économie forestière dominée par Aucoumea klaineana ou okoumé. Vint ensuite le cycle minier, avec le manganèse et l’uranium, avant l’avènement du pétrole, de la fin des années 1950 à nos jours. Ces différents cycles ont permis au Gabon de connaître une certaine opulence financière qui l’a détourné des secteurs économiques productifs comme l’agriculture ou la pêche : c’est le phénomène bien connu du « mal hollandais »
(Mérenne-Schoumaker, 2015) qui a amoindri toute velléité de diversification de l’économie nationale car le pays parvenait à vivre sans mal avec l’exportation de ses matières premières. Mais, l’épuisement constaté ou à venir des ressources naturelles appelle plus que jamais à la diversification de l’économie gabonaise dans le sens du renforcement de la maritimisation du pays et dans le respect de certaines conditions aux effets structurants.
LES CONDITIONS D’UNE MARITIMISATION DE L’ÉCONOMIE GABONAISE
Les objectifs du « Gabon bleu » auront d’autant plus de chances d’être atteints que le Gabon pourra remplir trois conditions majeures : promouvoir une conscience maritime par une appropriation mentale de la mer, s’atteler à la formation dans les différents domaines maritimes et œuvrer à une exploitation durable des ressources marines.
L’APPROPRIATION MENTALE DE L’ESPACE MARITIME
L’appropriation mentale de la mer vise à intégrer l’espace maritime dans les us et coutumes des populations, non seulement comme réalité physique et spatiale mais aussi comme source de richesse et de vie. Pour les Gabonais, la mer doit devenir un milieu où « l’habitant permanent ou occasionnel, dans la pratique d’un contact durable avec la mer … crée une attitude intellectuelle et mentale, une aptitude psychologique à percevoir ce qu’est cet élément marin, à concevoir ce qu’exige sa pratique, à comprendre ce que sont ses apports (…) [Vigarié, 1998 : 18-19]. Cette appropriation relève tout d’abord du politique ; là où s’élabore la stratégie économique du pays. Avec l’adoption du «Gabon bleu », on peut considérer que l’engagement politique est acquis. On considère d’ailleurs que « l’ouverture d’un pays sur la mer est … un choix. Il est assujetti à des impératifs techniques mais encore faut-il qu’une autorité décide d’aller sur les mers » (Paulet, 2007 : 9). C’est pourquoi, aussi longtemps que la mer bénéficiera d’un intérêt explicite au niveau gouvernemental, elle pourra disposer de meilleures conditions pour jouer un rôle économique majeur dans le système socio-économique du pays. Il reste cependant à mieux coordonner l’action des multiples structures institutionnelles ayant compétence sur la mer et dont la dissémination dans plusieurs départements ministériels constitue une source potentielle de conflits de compétence et un facteur de dilution et d’affaiblissement de la place de la mer au sein des différentes composantes de la société gabonaise.
Le second niveau d’appropriation est sociétal. Il est seul à même de faire basculer effectivement le pays dans la maritimité (Rieucau, 1996) tant il est vrai que dans le cas du Gabon, les populations sont culturellement ancrées à terre. Vidal de la Blache constate d’ailleurs que « l’homme est d’abord un terrien » et l’homme gabonais n’y échappe pas. Au Gabon, la mer est perçue comme un territoire outre continental, qui marque une rupture dans la continuité territoriale du pays. Elle apparaît comme une césure dans l’horizon territorial mental. C’est un territoire de l’ailleurs, résultat d’un compartimentage territorial. C’est là où il ne faut surtout pas prendre pieds à cause de son immensité inconnue et mystérieuse, voire dangereuse. Une appropriation sociétale de la mer implique de prendre goût à la mer, d’avoir une vision holistique du territoire national, où l’espace maritime constitue une continuité naturelle du territoire national qu’il convient de connaître et d’apprivoiser. Il s’agit en quelque sorte de créer les conditions d’un état d’esprit ouvert à la mer, et qui pose les bases de construction d’une culture maritime durable. Le succès de l’activité balnéaire constatée chaque week-end sur les plages de Libreville constitue un bel exemple de culture maritime en progrès (Bignoumba). Le déferlement sur la Pointe Denis, à 30 minutes de bateau de Libreville à partir de la base nautique de Michel Marine, participe également de ce phénomène de maritimisation croissante de la société gabonaise.
Le principal défi du Gabon est donc de passer d’un État côtier à une nation maritime. Cette perspective appelle une révolution mentale qui banalise la mer en tant que territoire et favorise l’entrée massive de Gabonais dans les secteurs d’activités liées à la mer et dont la pêche en constitue le meilleur symbole. C’est lorsque les Gabonais y seront majoritaires que l’on pourra valablement évoquer une maritimisation de la société. Certes 90 % du commerce extérieur du Gabon transite par la mer, que l’exploitation pétrolière off-shore date de plus d’un demi-siècle. Pour autant, ces activités emblématiques du monde maritime traduisent davantage des impératifs géoéconomiques à partir de dynamiques industrielles extérieures plutôt que l’expression d’une volonté sociétale de conquête de l’espace maritime national, notamment par l’expertise nationale.
LA CONSTITUTION D’UNE EXPERTISE MARITIME NATIONALE
Une expertise maritime au Gabon ne peut se constituer qu’à partir d’une vulgarisation des sciences de la mer dans le système éducatif. L’objectif visé ici est de former des ressources humaines dotées des compétences nécessaires à la maîtrise des enjeux que représente l’espace maritime et des stratégies de valorisation des ressources qu’il recèle. Comprendre la mer renvoie à disposer d’une force de conception, de lecture et d’analyse de l’environnement marin ; appréhender les dynamiques qui en président au fonctionnement, connaître ses vertus particulières ainsi que les ressources disponibles, leur volume, leur répartition ; cerner les enjeux qui en sous-tendent l’existence et l’exploitation. Quant à la valorisation, elle doit viser une exploitation optimale des ressources disponibles. Il faut faire en sorte d’utiliser durablement ces ressources pour que les générations futures puissent en profiter dans des proportions au moins égales que celles présentes, tout en sacrifiant aux exigences de rentabilité économique et d’équité sociale dans la distribution des richesses.
Cette expertise de haut niveau est à ce jour extrêmement limitée au Gabon. Elle devrait être fournie par les universités et les instituts de recherche nationaux, ou bénéficier de formation à l’étranger. Au plan national, l’Université Omar Bongo propose actuellement un master professionnel en « Activités littorales et maritimes » aux côtés d’un Master recherche en « Géosciences Politiques du Monde Contemporain » qui dispose d’un parcours spécialisé sur la mer pour préparer aux études doctorales. Au niveau des instituts de recherche, l’IRSH (Institut de Recherches en Sciences Humaines) du CENAREST (Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique) dispose d’un Centre National de Données et de l’Information Océanographique (CNDIO), mis en place avec le concours du Ministère en charge des Affaires Étrangères, pour la production et la diffusion de l’information scientifique sur la mer.
Grâce à ces structures de formation et de recherche, il est désormais possible de se spécialiser localement sur certains aspects de l’exploitation de la mer. Ces dernières années, de nombreux étudiants s’y sont ainsi formés et occupent divers postes dans l’administration publique, parapublique ou privée. Mais, leur nombre reste encore insuffisant, notamment dans des domaines pointus comme la biologie marine ou l’océanographie.
À cette expertise de conception, doit s’ajouter une capacité technique d’exécution. Le Gabon doit se doter d’un corps de métiers de la mer dans des domaines aussi variés que la pêche, la réparation navale, le pilotage des navires, la gestion de l’environnement marin. Ceci est d’autant plus nécessaire que ces dernières années, le secteur halieutique est confronté au problème du renouvellement des effectifs. Les filières « d’importation » de marins pêcheurs, qui permettaient de pallier la pénurie d’une main-d’œuvre locale se heurtent désormais aux restrictions administratives sur l’immigration de cette catégorie de travailleurs. De fait, la formation des jeunes pêcheurs locaux et leur insertion professionnelle se trouve être au cœur des enjeux qui déterminent le devenir des pêches maritimes au Gabon, qu’il convient d’organiser conformément aux principes d’exploitation durable des ressources.
LA DURABILITÉ DES SYSTÈMES D’EXPLOITATION DES RESSOURCES
Si l’exploitation des ressources marines constitue une filière économique potentiellement prometteuse, il reste à dire qu’elle doit s’inscrire dans la durée. Les ressources halieutiques doivent donner lieu à une exploitation durable fondée sur les bonnes pratiques de pêche, à même de garantir leur pérennité. Les impératifs de rentabilité économique ne doivent en aucune manière prévaloir sur la nécessaire préservation des ressources dont on doit s’interdire toute exploitation minière. Cela suppose une bonne connaissance des ressources par l’évaluation des stocks, l’élaboration de plans d’aménagement des pêcheries et la surveillance des pêcheries (Bignoumba, 2010). Ces dispositions se heurtent cependant à de multiples contraintes. Pour ce qui est de l’évaluation des stocks, le pays ne dispose ni de l’expertise appropriée ni des moyens techniques nécessaires, d’où sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur, notamment des organismes internationaux comme la FAO. Or l’ancienneté, voire l’absence de données fiables sur les stocks disponibles constitue une contrainte de taille à une bonne gestion des ressources halieutiques. La surveillance des pêcheries apparaît tout aussi problématique à cause de l’insuffisance des équipements et des ressources humaines ainsi que des budgets nécessaires au financement des opérations de police maritime.
Le principe de durabilité concerne également les ressources non renouvelables. Les bénéfices de leur exploitation doivent être réinvestis dans des activités pérennes et financièrement viables. Ainsi, les revenus tirés de l’exploitation pétrolière devraient être optimisés par une diversification des bases économiques du pays, grâce à l’investissement dans les secteurs productifs que sont, entre autres, la pêche, l’aquaculture, le tourisme et l’agriculture.
CONCLUSION
Grâce à la mondialisation, la mer revêt un intérêt croissant dans l’économie des États côtiers. Il s’agit d’un mouvement planétaire face auquel le Gabon ne saurait rester en marge. Au contraire, il lui faudra imaginer les stratégies idoines à la valorisation de son riche potentiel maritime. Une telle perspective bénéficie d’un contexte favorable, notamment des ressources naturelles diversifiées auxquels s’attachent des secteurs d’activités à fort potentiel de développement comme la pêche, le tourisme, ou l’industrie portuaire.
Mais, l’économie maritime hors pétrole ne prendra véritablement sa pleine mesure que lorsque les Gabonais auront su définir la fonction qu’ils entendent assigner à leur espace maritime. Dans le même temps, le Gabon doit rompre avec une approche « continento-centrée » de son territoire national, pour une vision intégrée de la terre et de la mer. C’est donc de la volonté de la société gabonaise que naîtra une civilisation de la mer dans le pays. Le « Gabon bleu » s’inscrit dans cette dynamique, ce qui permet d’envisager des perspectives favorables quant aux rapports des Gabonais à la mer et donc à l’économie maritime, d’autant que le pays vient de se doter d’un Conseil National de la Mer et d’une stratégie maritime intégrée qui posent les bases d’une doctrine nationale de la mer au Gabon.
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Pour citer cet article
Référence électronique
BIGNOUMBA Guy-Serge (2018). «Perspectives économiques de la mer au Gabon». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (5) 1. En ligne le 15 mai 2018, pp. 39-43. URL: http://laurentian.ca/cjtg
Auteur
BIGNOUMBA Guy-Serge
Enseignant-chercheur
Département de Géographie
Université Omar Bongo
Libreville, Gabon
Email: gsbignoumba@yahoo.fr