Pauvreté urbaine et émergence d’initiatives économiques informelles de survie à Abobo, une commune de l’espace périphérique nord d’Abidjan en côte d’ivoire

Urban poverty and underground economic activities emerging in Abobo, a city in the northern rime of Abidjan

DIBY K. Martin


Résumé: L’accélération du processus d’urbanisation dans la ville d’Abidjan engendre une plus grande concentration de personnes et de la pauvreté en milieu urbain métropolitain. Les nombreux quartiers populaires des communes périphériques telles que Yopougon, Port-Bouët, Koumassi, Attécoubé, Abobo, etc. en sont l’inscription dans l’espace urbain abidjanais. Les interventions pour faire face à la pauvreté urbaine se sont multipliées dans le monde. Certaines ont mis l’accent sur l’augmentation des revenus, d’autres sur la satisfaction des besoins de base sans pour autant réussir à enrayer la pauvreté en milieu urbain. Face à cette pauvreté urbaine, les populations de la commune d’Abobo, une commune de l’espace périphérique nord de la ville d’Abidjan ont développé des initiatives économiques informelles de survie. En fait, quelles sont les initiatives économiques informelles de survie développées par les populations d’Abobo pour faire face à la pauvreté urbaine ? Cette étude se propose d’identifier et d’analyser les stratégies économiques de survie développées par les populations d’Abobo. La démarche méthodologique utilisée a combiné la recherche documentaire et les enquêtes de terrain qui a permis de collecter les informations nécessaires à la compréhension du sujet. Comme résultats, l’étude révèle que, face à la pauvreté urbaine, des initiatives informelles de survie ont été développées. Des stratégies individuelles ou collectives mises en place par certains chefs de ménage des quartiers populaires, précaires visent à combler des déficits qui sont le fait d’une gestion inadéquate. Elles visent toutes, à un niveau ou à un autre, à l’amélioration de leurs conditions de vie et de leur insertion dans le tissu urbain.  

Mots clés: Abobo, crise économique, pauvreté, initiatives informelles, survie  

 

Abstract: The acceleration of the process of urbanization in the town of Abidjan generates a greater concentration of people and poverty in metropolitan urban environment. The many popular districts of common the peripherals such as Yopougon, Port-Bouët, Koumassi, Attécoubé, Abobo, etc. are the inscription in Abidjan’s urban space. The interventions to face urban poverty multiplied in the world. Some stressed the increase in the incomes, others on the satisfaction of the basic needs without succeeding in stopping poverty in urban environment. To be opposite this urban poverty, the populations of the commune of Abobo, a commune of the northern peripheral space of the town of Abidjan developed abstract economic initiatives of survival. In fact, which are the abstract economic initiatives of survival developed by the populations of Abobo to face urban poverty? This study proposes to identify and analyze the economic strategies of survival developed by the populations of Abobo. The methodological step used combined the information retrieval and the investigations of ground which made it possible to collect information necessary to the comprehension of the subject. Like results, the study reveals that, to be opposite this urban poverty, the abstract’s initiatives of survival were developed. Individual strategies or collective installations by certain heads of household of the popular, precarious districts aim at making up deficits which are the fact of an inadequate management. They aim all, on a level or another, the improvement of their insertion and living conditions in urban fabric.  

Keywords: Abobo, economic crisis, poverty, underground initiatives, survival  

 

Plan

Introduction
Présentation de la zone d’étude
Matériels et méthodes
La recherche documentaire
Méthode de collecte et de traitement des données
Résultats
Une approche de la notion de pauvreté urbaine
La pauvreté urbaine, un frein au développement local à Abobo
Naissance des initiatives informelles de survie des populations pauvres
Le poids de l’économie informelle dans la commune d’Abobo
Les stratégies de lutte des femmes face à la pauvreté grandissante
Discussion
Conclusion

 

Texte intégral                                                                                 Format PDF

INTRODUCTION

La Côte d’Ivoire connaît une urbanisation extrêmement rapide. Pays le moins urbanisé de l’Afrique de l’Ouest en 1960, la Côte d’Ivoire se présente, aujourd’hui, dans le peloton de tête des pays les plus urbanisés de la sous-région. De 12 % en 1960, le taux d’urbanisation est passé successivement à 32 % en 1975, 39 % en 1988, 43 % en 1998 et 51 % en 2014 (INS, 1975, 1988, 1998 et 2014). C’est-à-dire qu’en moins de 60 ans, le taux d’urbanisation de la Côte d’Ivoire a plus que quatriplé.

Le District d’Abidjan est non seulement le plus urbanisé de la Côte d’Ivoire, mais aussi celui où les problèmes liés à la pauvreté urbaine sont des plus aigus et constituent un défi majeur pour l’État ivoirien en général et pour les acteurs au développement en particulier. Les causes de cette pauvreté sont multiples et multidimensionnelles. Les quartiers populaires et populeux des communes d’Abidjan sont l’inscription dans l’espace urbain métropolitain de la précarité, de la vulnérabilité et de l’exclusion de larges couches de la population des différentes communes de la ville d’Abidjan. Ces quartiers précaires ou ces espaces marginaux sont aussi l’expression de formes nouvelles de construction de la ville.

Dans ce contexte de pauvreté urbaine, quelles sont les stratégies économiques informelles développées par les populations de la commune d’Abobo, l’une des communes de l’espace périphérique Nord d’Abidjan pour satisfaire leurs besoins en services ? Ces populations arrivent-elles à s’intégrer dans le tissu urbain métropolitain ? Cette étude se propose d’identifier et d’analyser les stratégies économiques informelles de lutte des populations des quartiers périphériques d’Abobo face à la pauvreté grandissante dans leur milieu de vie.

PRÉSENTATION DE LA ZONE D’ÉTUDE

Abobo est l’une des communes de l’espace périphérique nord d’Abidjan. Elle est limitée au Nord par la commune d’Anyama, à l’Est par les communes de Bingerville et de Cocody. Au Sud, nous rencontrons la forêt du Banco, qui est la limite naturelle avec les communes d’Attécoubé et d’Adjamé. A l’Ouest, il existe les limites de la Sous-préfectures de Songon (carte 1).

Carte 11

Source : ALLA Della, 1984, Mémoire de maîtrise de Géographie, p.3
Conception et réalisation : DIBY K. Martin, UCocody, UFR-SHS, IGT, 2009
Carte 1 : Présentation de la zone d’étude

La commune d’Abobo est un vaste territoire subdivisé en 28 secteurs et 72 quartiers (carte 2) (DCGTx, 1995). Elle a connu, depuis une quarantaine d’années, une croissance démographique importante. La population est passée de 134 000 habitants en 1975 (INS, 1975) à 1 030 658 habitants en 2014 (INS, 2014), soit 23,4 % du poids démographique d’Abidjan.

En termes de superficie, Abobo s’étend sur 11 320 hectares (Diby, 2009 : 137). Spatialement, Abobo se décompose en trois parties. À l’ouest, il existe une zone d’habitat récente avec le développement de nouveaux quartiers tels que N’Dotré, PK 18 extension, Abbebroukoi sur la route d’Anyama avec quelques activités. Au centre, s’étend la zone urbaine constituée, en grande partie, d’habitat, d’équipements et de zones d’activités. À l’est, s’étend le nouveau front d’urbanisation de la commune. La disparition de plus de 50% du couvert végétal (6167,35 hectares) en 50 ans sous la pression de la population et des activités économiques au profit de la ville est un élément important pour caractériser la croissance urbaine à Abobo (Diby, 2009). L’habitat est également l’élément dominant de cette croissance. Il s’étend sur 3603,73 hectares, soit 58,30 % du tissu urbain (Diby, 2009 : 149). Cela est dû à la forte croissance démographique favorisée d’une part, par le croît naturel oscillant entre 3 et 4,8 % par an par rapport au croît naturel national 2,7 % et d’autre part, par des mouvements migratoires importants avec un accroissement de la population de 12 à 15 % (INS, 1998). La distribution spatiale de l’habitat donne 23 % d’habitat individuel de standing, 7 % des opérations groupées des sociétés, 66 % d’habitat sur cour et 4 % d’habitat précaire (Diby, 2009). Les équipements s’étendent sur 10 % du territoire communal. Ce sont principalement des équipements éducatifs (45 %) avec les écoles et les lycées, les équipements pour les réseaux et les cimetières (15,5 %), des infrastructures de transport avec la zone de la Sitarail, la gare routière privée (7 %), les marchés formels et spontanés (15 %), les centres de santé (10 %) (Diby, 2009).

Les activités, en termes de superficie, ne constituent que 7 % du territoire communal. Ce sont des activités commerciales et artisanales précaires (83 %) disséminées dans la commune et des activités modernes à dominante industrielle (17 %) dans la zone AGRIPAC (Diby, 2009). À Abobo, 53 quartiers sous équipés occupent plus de 70 % du territoire communal (carte 2) et offrent des conditions de vie précaires à la population résidente (Diby, 2009).

MATÉRIELS ET MÉTHODES

Deux méthodes ont été utilisées dans cette étude sur la pauvreté urbaine et l’émergence d’initiatives économiques informelles de survie à Abobo. La démarche utilisée a combiné la recherche documentaire et l’enquête de terrain.

La recherche documentaire

La recherche documentaire fait allusion aux ouvrages, aux documents statistiques et cartographiques susceptibles de nous fournir les informations et les données nécessaires à la compréhension du sujet. La recherche documentaire a eu pour objet de fixer les concepts et de cadrer l’orientation de la recherche. Cette étape nous a conduit dans les bibliothèques et instituts de recherches notamment l’Institut de Géographie Tropicale (IGT), l’Institut de Recherche et de Développement (IRD), le Centre de Documentation et d’Information du CERAP (ex-INADES) et la bibliothèque de l’Unité de Formation et de Recherche des Sciences de l’Homme et de la Société (UFR-SHS) de l’Université Félix Houphouët Boigny de Cocody. Les données démographiques ont été recueillies auprès de l’Institut National de la Statistique (INS), à travers les documents statistiques des différents recensements de la population et de l’habitation de 1975, 1988, 1998 et 2014. Ces documents nous renseignent sur les effectifs de population, de ménages des quartiers, la distribution de la population par âge et par sexe, les niveaux d’instruction des populations, le statut socioprofessionnel, etc. Le document, « Les communes d’Abidjan : découpage par secteurs et par quartiers » nous a permis de savoir que la commune d’Abobo est subdivisée en 28 secteurs et en 72 quartiers. Cette carte nous a permis non seulement de connaitre les limites des différents secteurs et quartiers de la commune, mais aussi de mener à bien nos enquêtes de terrain auprès des ménages.

Méthode de collecte et de traitement des données

Détermination de la taille de l’échantillon

Pour mener à bien l’enquête de terrain, un choix d’échantillon a été déterminé. Cet échantillon doit être représentatif de la population-mère. Cela suppose que tout individu de la population-mère a une probabilité égale d’être figuré dans l’échantillon. En considérant tous ces aspects dans la détermination d’un échantillon, l’échantillonnage systématique au 1/400e des chefs de ménage issu du Recensement Général de la Population et de l’Habitation de 2014 (RGPH-2014) a été choisi. Avec cette méthode, chaque chef de ménage a une chance égale aux taux de sondage d’être tiré. L’enquête de terrain à Abobo s’est déroulée sur une période de 3 mois (Juin, Juillet et Août 2015). Elle a porté sur un échantillon de 420 chefs de ménages, à raison de 15 chefs de ménages par secteurs. L’enquête a permis de recueillir des informations primaires à caractère qualitatif et quantitatif sur l’espace et les populations résidentes. L’approche sous-tend que la commune en tant qu’espace social et cadre de vie participe à la reproduction de la pauvreté dans la mesure où la portée des stratégies informelles individuelles et des stratégies informelles collectives est limitée.

Enquête de terrain

L’enquête de terrain a été possible grâce à l’application de la méthode de l’observation directe et de l’interview. La méthode de l’observation directe a consisté d’observer l’assainissement des points d’eaux usées, des points d’eaux de ruissellement, l’état de la voirie, de l’habitat, surtout le cadre de vie de la population. Cette méthode a permis de relever dans quelle mesure les pratiques de gestion des déchets, des eaux usées et de ruissellement impactent le cadre de vie de la population. Pour la collecte des données par la méthode de l’interview, nous avons parfois pris des rendez-vous auprès de certains chefs de ménage. Au moment de l’enquête, nous proposons aux enquêtés notre questionnaire. Lorsque certaines réponses appellent des questions auxquelles nous n’avons pas pensé, nous engageons une causerie avec les enquêtés qui nous livrent parfois des informations intéressantes pour la conduite de l’étude.

Traitement des données

Les données recueillies pendant l’enquête sont de deux ordres. Il s’agit des données quantitatives et des données qualitatives. Différentes méthodes et techniques ont permis de les traiter, entre autres le dépouillement manuel, la technique de traitement cartographique, statistique, graphique et analytique.

RÉSULTATS

Une approche de la notion de pauvreté urbaine

Selon David, (1994 :41) la notion de pauvreté a toujours donné lieu à une multiplicité de définitions. A cette multiplicité de concepts correspond une diversité des approches. Avant 1750 quatre approches de la pauvreté circulaient dans les courants de pensées en Europe. Il s’agissait de la résignation, la charité, le sauvetage précaire ou le vol.

Avec l’urbanisation et la monétarisation de la société, les pauvres ont été définis par « le manque de ce que les riches possédaient » (David, 1994 :41). Sur le plan institutionnel, la déclaration de l’Organisation International du Travail comparait la pauvreté à la gangrène dans la mesure où, selon elle, « l’existence de la pauvreté en un point de la planète est une menace pour la prospérité partout ». De spéculation en spéculation, le concept de pauvreté globale fit alors son apparition avec l’expansion et l’application des critères économiques à travers les divers niveaux de la vie et à l’intégration des sociétés traditionnelles dans l’économie mondiale. L’analyse de cette notion de « pauvreté globale » pousse certains spécialistes a inventé le concept de pauvreté absolue définie comme le niveau de vie inférieur à une certaine norme minimum. Cette définition est plus utilisée pour caractériser et désigner les populations dans les pays du Tiers monde contrairement à la pauvreté relative plus appliquée dans les pays riches du Nord. Cette manière d’appréhender la pauvreté pousse en 1973 monsieur Marc Namara, Président de la Banque mondiale, à déclarer « nous devons tenter de supprimer la pauvreté absolue d’ici la fin du siècle ». Ce discours a eu un écho favorable auprès des bailleurs de fonds et des Institutions de Brettons Woods, surtout la Banque Mondiale qui va mettre en place un vaste programme de lutte contre la pauvreté urbaine dans le monde.

La diversité et la complexité de la pauvreté urbaine rendent compte de l’hétérogénéité de l’espace urbain et de la nécessité de se pencher, pour une analyse fine du phénomène, sur les spécificités de certaines catégories spatiales ou sociales (Wratten, 1995: 21). Les études et les approches récentes de la question montrent l’importance de ces désagrégations dans la compréhension de la pauvreté urbaine: la satisfaction des besoins de base et l’augmentation des revenus n’ont pas su stopper les désagréments causés par l’expansion de la pauvreté.

La pauvreté urbaine, un frein au développement local à Abobo

La crise des finances publiques déséquilibre l’action communale

Les difficultés des communes se sont accrues tout simplement à cause de la grave crise économique des finances publiques des années 90. Durant cette période, l’État utilisait le peu de réserve financière à son seul profit et il délaissait les collectivités locales à leur triste sort. Pourquoi une telle situation a-t-elle existé? De l’analyse de nos investigations, il ressort que plus des trois quarts des recettes des communes du District d’Abidjan proviennent de l’État (fiscalité 77,5% ; dotation globale de fonctionnement 1% ; etc.).

Ainsi, ces chiffres montrent que l’État contrôle et concentre le pouvoir économique national au travers de la fiscalité nationale et locale. Le contrôle de l’État sur la fiscalité locale s’organise en quatre étapes. Tout d’abord, il est le seul à pouvoir déterminer le caractère national ou local des impôts. Il se réserve ainsi toutes les taxes fructueuses. Ensuite, il établit la part des impôts locaux qui seront collectés par l’administration centrale avant d’être rétrocédée aux collectivités locales (Diby, 2009 :379).

À ce niveau, il existe deux pratiques qui sont très défavorables aux collectivités locales que nous pouvons résumer succinctement :

– dans la première, le pourcentage à rétrocéder aux collectivités locales varie en fonction de la situation qui rend le plus souvent incertaines les prévisions de recettes locales ;

– la seconde est le partage de la fiscalité d’État sur une base équivoque qui rend floue la destination de l’impôt pour les contributions locales.

Par conséquent, on voit que le partage des impôts fonciers et de la fiscalité professionnels est très inégalitaire entre l’État et les collectivités locales du District d’Abidjan d’une part et le reste des collectivités de l’intérieur d’autre part. Ainsi, l’État gère seul l’assiette fiscale. Il établit seul la liste des exemptions et des régimes préférentiels. De tels régimes préférentiels sont très nombreux sur le foncier urbain, surtout sur le sol de façon générale.

Toutes ces pratiques rendent très rigide la fiscalité locale. De telles attitudes sont le plus souvent à la base du large écart qu’on observe entre le rythme de transformation de la ville et le rythme d’adaptation de la fiscalité à la réalité locale. Une telle politique contribue à accentuer la situation de pauvreté de la population locale par manque d’activités économiques appropriées, d’une meilleure organisation du cadre de vie, d’apport en soins de santé et d’une qualité de vie appropriée, etc.

Une ville pauvre pratiquée par les pauvres

Selon la DCGTx (1995), Abobo compte 28 secteurs et 72 quartiers parmi lesquels l’on dénombre 53 quartiers sous équipés en services urbains (carte 2).

Carte 2

Carte 2 : Distribution spatiale des quartiers sous équipés à Abobo

Ce qui veut dire que 6 quartiers sur 10 sont sous équipés dans la commune d’Abobo. La population concernée est de 824 526 habitants, soit 80 % du volume démographique recensé par l’INS en 2014. Les conditions de vie des populations de ces quartiers sous équipés sont difficiles. Les 53 quartiers abritent des cours communes tramées (carte 3).

Carte 3

Carte 3 : Typologie et distribution spatiale de l’habitat à Abobo

Hormis les zones d’habitat individuel densifié, habitat individuel groupé et habitat individuel groupé densifié, tout le territoire d’Abobo offre des conditions de vie très insalubres et difficiles aux populations résidentes. Les rues sont en terre fortement dégradées et dépourvues de tout réseau de ruissellement des eaux pluviales et des eaux usées issues des activités économiques et des ménages. On se rend compte aisément que la commune d’Abobo est très pauvre. Cette pauvreté a un caractère multidimensionnel, du fait qu’elle touche presque tous les domaines de la vie économique de la ville, même sa population n’est pas épargnée. En ce qui concerne la population vivant à Abobo, nous constatons que 57,59 % a l’âge de se prendre en charge en exerçant un métier quelconque, et capable d’apporter des améliorations substantielles à sa condition de vie. La distribution statistique nous donne 51,71 % d’hommes contre 48,29 % de femmes. Parmi ces personnes actives regroupées dans les différents quartiers de la commune, 32,85 % des individus sont effectivement occupés. Les 67,15 % autres individus sont plus ou moins sans métier. Ceux-ci représentent un taux de chômage de l’ordre de 24,74 % dans l’ensemble. Ce taux est très alarmant chez les hommes. Il est de l’ordre de 15,32 % par rapport à celui des femmes qui est de l’ordre de 09,42 %. La pauvreté urbaine à Abobo est matérielle, financière, économique, sociale, culturelle voire organisationnelle, spatiale et environnementale.

La pauvreté matérielle se manifeste à travers le manque d’école, de route ou de rues bien viabilisées, de services urbains adéquats pour satisfaire aux besoins de la population. L’habitat, quant à lui, est et reste toujours insalubre. Quant à la pauvreté financière, elle tient au manque d’argent aussi bien au niveau des autorités compétentes qui ont la charge de gérer la ville que les populations qui la pratiquent. Ce manque d’argent est dû à la situation conjoncturelle que traverse le pays. Ainsi, la commune d’Abobo est incapable de produire des activités économiques formelles. La ville vit au rythme des activités informelles de subsistance.

Aujourd’hui, la pauvreté existe sous ses multiples formes, multiples facettes dans les grandes agglomérations de l’Afrique subsaharienne. Selon De Leener (2005) (schéma 1), les conditions de vie sont devenues très difficiles et très dramatiques.

Schéma_1

Source : De Leener, Lukunga (Malueka), 2005
Schéma 1 : Modèle schématisé de la pauvreté selon De Leener 2005

De la pauvreté sociale à la pauvreté symbolique ou culturelle, les réalités urbaines montrent que les citadins africains en général et ceux d’Abobo en particulier vivent dangereusement malgré eux-mêmes en côtoyant chaque jour l’insécurité sous toutes ses formes. Les pauvres en milieu urbain comme en milieu rural n’arrivent plus à donner du sens à tout ce qui se passe autour d’eux. Ils sont tous déconnectés de cette vive réalité qui laisse patois tous les acteurs. Ils n’arrivent pas non plus à s’expliquer ce qui leur arrive dans la mesure où ils sont incapables d’analyser en profondeur leur situation et d’y apporter une solution adéquate et définitive.

Ainsi, les femmes, les jeunes et les vieillards sont les premières victimes de cette nouvelle pauvreté. Ils sont plus sensibles au risque de basculer dans la misère.

Tableau_1

Source: Enquête Abobo, aout 2015
Tableau 1 : Les  catégories socio-professionnelles des chefs de ménages à Abobo

À peu près 70 % de ces ménages touchent moins de 100 000 FCFA environ 200$ US comme salaire mensuel pour faire face aux nombreuses obligations économiques, sociales, matérielles, etc. de leur ménage respectif (Tableau 2).

Tableau_2

Source : Enquête Abobo, août 2015
Tableau 2 : Revenu des chefs de ménages enquêtés et ayant déclaré leur revenu

La plupart des ouvriers et employés des services publics et privés habitent les quartiers précaires. Dans les zones précaires, les revenus mensuels des populations occupées des secteurs publics et privés sont compris, en moyenne, entre 40 500 FCFA (81 $ US) et 64 500 FCFA (129 $ US). Beaucoup de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. C’est-à-dire, elles vivent avec moins de 164 000 FCFA (328 $ US) par an. Les enquêtes sur les conditions de vie des ménages (ECVM) réalisées par l’INS, ont permis d’établir la base du seuil de pauvreté respectivement à 75 000 FCFA par an et par tête en 1985, 101 340 FCFA en 1993, 144 800 FCFA en 1995 et 162 800 FCFA en 1998. Aujourd’hui, ce seuil est plafonné à 164 000 FCFA soit 328 $ US par an et par tête. Ce plafond touche 32 % des chefs de ménages (58 941 ménages) à Abobo dans la mesure où ils vivent avec moins de 50 000 FCA par mois (Diby, 2009 : 298).

À Abobo comme dans la plupart des villes du Sud de la Côte d’Ivoire, la pauvreté urbaine est omniprésente. Elle rend très problématique les conditions de vie des populations urbaines. Ces dernières vivent dans des conditions dramatiques. Ces différentes formes de pauvreté ont pour conséquence la dégradation de l’espace et de l’environnement. Nous sommes, alors, confrontés à une pauvreté spatiale et environnementale.

Un pauvre qui vit dans un cadre de vie mal sain est plus vulnérable. Il est plus exposé aux différentes tentations (vices) sociales et aux différentes maladies liées à un mal développement. Rappelons qu’entre 1983 et 1993, plus de 15 000 emplois ont été perdus dans le secteur industriel à Abidjan compte tenu de la crise et de la politique d’ajustement structurel. Si l’on ajoute l’effectif du personnel journalier déflaté (secteurs public et privé confondus) de 1993 à 1994, environ 11 000 emplois perdus, c’est environ 26 000 emplois qui ont été supprimés. La crise post-électorale et la guerre civile vont gonfler ces chiffres (environ 48 000 emplois) compte tenu de l’arrivée massive des populations des zones Centre – Nord – Ouest (CNO) fuyant les atrocités du conflit armé dans ces zones sous contrôle des Forces Nouvelles1 . Après la cessation des hostilités entre les belligérants, certains chefs de famille ont préféré rester à Abidjan, malgré la relative normalisation de la situation sécuritaire du pays. La majorité des chefs de ménage déflatés sont concentrés avec leur famille dans les secteurs périphériques d’Abidjan, surtout à Abobo où les conditions de vie précaires permettent une intégration facile à l’environnement socio-économique.

La localisation des groupes à risques

Certains ménages sont plus vulnérables que d’autres et ils se trouvent en insécurité alimentaire. Il s’agit notamment :

-des néo-urbains issus des grands mouvements migratoires venus des campagnes proches ou lointaines des zones urbaines et qui ont de véritables problèmes d’intégration dans leur nouveau milieu de vie,

-les femmes seules avec des enfants à charge,

-les ménages qui vivent de petites activités issues de l’informelle de production,

-les handicapés, les malades et les vielles personnes sans soutien familial,

-les nombreux jeunes déscolarisés, sans qualifications et sans emploi

-les chômeurs et les déflatés des secteurs publics et privés compte tenu des difficultés de trésorerie rencontrées par les différentes structures d’embauche.

Ces populations à risque se concentrent dans les zones périurbaines de la commune d’Abobo sur des sols à statut foncier illégal. Les autorités compétentes locales ne reconnaissent pas les différents types d’occupation du sol dans la mesure où ils ne sont pas conformes aux normes urbanistiques prescrites par la loi. Les infrastructures font défaut dans ces zones à forte concentration de populations dans des habitations précaires.

Naissance des initiatives informelles de survie des populations pauvres

Nature et statut de l’économie informelle

Secteur informel ou informel de production, économie parallèle, secteur d’économie clandestin, non structuré, marginal, illégal, de survie, invisible, etc. sont les divers noms attribués par les pouvoirs publics aux diverses activités développées et gérées par des artisans. Ces activités économiques artisanales se diluent dans l’économie spatiale et sociale en pleine mutation dans le Nord du District d’Abidjan en général et dans la commune d’Abobo en particulier.

Cette forme d’économie urbaine qui semble échappée aux normes économiques classiques parce que nous n’arrivons pas à l’intégrer dans nos systèmes économiques n’a pas de limite spatiale ou économique bien définie. Le secteur informel ou l’informel de production existe autant dans les centres urbains qu’en milieu rural en transition ou en devenir de centre urbain.

L’économie informelle est constituée d’activités de services et de production exercées au sein d’unités marchandes ou non marchandes de petites tailles où le système salarial permanent est très réduit. Ce secteur est perçu négativement par l’administration centrale du District d’Abidjan et de celle de la commune d’Abobo car il est non seulement insaisissable par les normes et règles statistiques de la comptabilité générale, mais aussi il échappe, la plupart du temps, à toutes les réglementations fiscales.

Aujourd’hui, les positions politiques ont changé vis-à-vis de ces diverses activités artisanales. On remarque une évolution institutionnelle. On passe de son rejet à son acceptation relative. Elle est tantôt tolérée, tantôt réprimée. Les attitudes des pouvoirs publics varient en fonction des intérêts du moment à préserver et du discours dominant : paix sociale, marché de l’emploi, préservation de monopoles privés ou étatiques, pressions diverses, solutions au chômage des jeunes et des adultes.

L’attitude des autorités vis-à-vis du secteur informel est marquée par le mimétisme technologique et organisationnel du « secteur moderne » considéré par ces dernières comme seul porteur de modernité et de développement. Plusieurs raisons fondent l’essor et le développement des activités informelles sur un territoire rural ou urbain.

Les principales causes de développement du secteur informel

Les principales causes de développement du secteur informel sont :

-la croissance urbaine non maîtrisée par les pouvoirs publics,

-l’incapacité du secteur moderne à répondre à :

• une demande solvable spécifique qui ne correspond pas toujours aux produits fabriqués ou importés par celui-ci,

• une demande d’emploi de plus en plus croissante,

-l’inadéquation des systèmes éducatifs qui se traduit par une marginalisation d’une masse de jeunes sans emplois.

Les exclus du système moderne sont incités à rechercher les moyens de survie, quitte à échapper aux réglementations en vigueur. L’inefficacité de l’intervention de l’État sur les marchés des changes et des biens et services offrant ainsi des opportunités d’échanges frontaliers et de contrebande. Il est intéressant de noter aussi que l’existence d’un écart important entre le marché officiel et parallèle de la monnaie a toujours induit le développement d’une série d’activités informelles à l’intérieur des frontières nationales.

Le poids de l’économie informelle dans la commune d’Abobo

Malgré son rejet par les comptes nationaux et son omission par les politiques nationales de développement, l’économie informelle est génératrice d’une valeur ajoutée importante et de revenus substantiels et offre un potentiel d’emplois non négligeable. Générateur de revenus et d’emplois, le secteur informel joue un rôle de régulation socio-spatiale et économique dans la commune d’Abobo.

Des revenus importants

En général, l’artisanat représentait à Abidjan dans les années 1980 plus de 25 % de la valeur ajoutée nationale (Miras, étude IEDES, 1982). Ce chiffre est passé à plus de 47 % aujourd’hui. Par exemple, plus de 70 % des activités économiques sont issues du secteur artisanal dans les communes d’Abobo, d’Attécoubé, d’Anyama et de Bingerville.

Le secteur informel permet la distribution de revenus substantiels mais les niveaux de revenu sont très variables et dépendent de plusieurs critères : nature et niveau de l’activité (commerce de détail, de gros ou de micro détail, transport mécanisé ou non mécanisé, transformation alimentaire, réparation mécanique, construction), position dans l’unité de production (apprentis, patron, ouvriers, etc.), résultats d’exploitation.

À Abobo, les revenus des conducteurs des taxis communaux avoisinent le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) pour ceux qui sont payés au rendement. Ils arrivent à survenir à leurs charges familiales en rusant avec les propriétaires de véhicule. Par contre, les constructeurs-conducteurs des véhicules (charrettes à bras ou des brouettes) ont des revenus plus élevés pouvant atteindre 70 à 80 000 FCFA, tout en ayant d’autres activités2 par ailleurs.

Au niveau de la commune d’Abobo, le niveau de revenu des entrepreneurs du secteur informel est en moyenne 4 fois supérieur au salaire de base minimum des ouvriers et employés du secteur industriel et des activités du tertiaire telles que les transports, 246 000 FCFA en moyenne contre 82 000 FCFA. Cependant, nous notons qu’il existe d’importantes fluctuations entre les secteurs d’une part et les catégories d’activités d’autre part. Selon les résultats de nos enquêtes, les revenus des activités commerciales (pas le gros commerce) sont moins élevés que ceux des activités de production. Pour ces dernières, les revenus qui sont supérieurs à la moyenne proviennent des secteurs du bâtiment, de la menuiserie, de la mécanique auto, de la vente des pièces détachées auto, la vente des matériaux de construction (sable, ciment, brique, quincaillerie, etc.). La rémunération de la main d’œuvre, c’est-à-dire les ouvriers qualifiés et non qualifiés, est directement liée aux performances de l’entreprise artisanale, fait d’autant mieux accepté que l’embauche soit très souvent fonction des critères familiaux.

Le secteur informel, un potentiel d’emplois non négligeable

La croissance démographique à Abobo est très importante. Le taux de croissance évolue entre 3 et 5 % par an (INS, 1998 et 2014) du fait de l’exode rural. Pendant que le secteur moderne ne peut pas absorber le surplus de main d’œuvre, le niveau du chômage ne semble pas progresser très rapidement dans la mesure où le secteur informel permet à ceux rejetés par le système scolaire ou bien non absorbés par le secteur officiel de l’emploi d’accéder à une activité rémunératrice.

Dans la commune d’Abobo, le volume d’emplois offert par le secteur informel est très considérable. Plus de 75 % des emplois que compte le territoire communal sont créés par le secteur informel. Dans ce secteur, le commerce est l’activité la plus répandue, avec 85 % des entreprises. En nous référant à nos données, quatorze activités apparaissent majoritaires en temps d’emplois absolus et relatifs : les bars, les restaurants, les maquis, le commerce général, le commerce du vivrier, etc. sur les marchés totalisent à elles seules plus de 60 % de ce secteur et plus de 40 % de l’emploi total du secteur informel. Concernant les services, l’activité prépondérante est la mécanique auto avec 35 à 45 % de l’emploi relatif à ce secteur. Rappelons également que près des deux tiers (2/3) de l’emploi inhérent au secteur informel proviennent des branches de l’habillement, menuiserie, mécanique auto, bars – maquis – restaurants, commerce général et vivrier.

Les statuts, dans ce secteur, sont très variables et vont du patron à l’apprenti en passant par les marchands ambulants3. Les rapports patrons-employés ou apprentis ou encore aide apprentis ne sont pas du type salarial, mais basés la plupart du temps sur des rapports familiaux, ethniques, lignagers, sociaux. Mais, cela n’empêche pas à ces derniers de rentrer chaque soir à la maison avec quelques billets de FCFA pour contribuer à la popote de chaque jour. La stratégie consiste à économiser pour la famille en sacrifiant soit son petit déjeuner, soit son déjeuner. Les jeunes garçons et les jeunes filles sont les grands acteurs de cette pratique. Ils soutiennent leurs mères à pourvoir aux besoins alimentaires des tout-petits ou de toute la famille. Le secteur informel représente à peu près la quasi-totalité de l’emploi à Abobo. Dans cette commune, trois ménages sur cinq ont un revenu issu d’une activité informelle. Il occupe plus de 70 % de la population active. C’est un secteur constitué essentiellement de travailleurs indépendants. Cette dynamique des activités du secteur informel est la conséquence évidente de la tendance ascendante du taux d’urbanisation, des perspectives très mauvaises voire médiocres des entreprises modernes, surtout de leur incapacité à répondre aux demandes d’emplois.

Les stratégies de lutte des femmes face à la pauvreté grandissante

Il existe des différences culturelles et de divers traits caractéristiques entre les peuples d’un même espace. Mais, l’économie doit être articulée au social pour lutter contre la grande marginalité d’une frange de la population très vulnérables (femmes, enfants et vieillards). Les femmes de la commune d’Abobo s’organisent face à leur marginalisation et aux nouveaux défis du développement. Les femmes des groupements coopératifs (vendeuses, commerçantes, tenancières de maquis, de bars, etc.) sont non seulement aidées par les ONGs locales mais également par la communauté internationale avec le soutien de celle-ci en moyens financiers, moral et technique dans le montage des projets de développement afin qu’elles arrivent à s’insérer dans le tissu économique local en particulier et national en général. La logique de sécurité économique pour lutter contre la pauvreté est très affirmée du côté des femmes que du côté des hommes. Cela se justifie par la différence du taux de chômage (9,42 % chez les femmes contre 15,32 % chez les hommes).

La faiblesse du taux chez la femme s’explique par le nombre impressionnant de petites activités économiques tenues par les femmes à travers les quartiers ou sur les places de marchés formels ou informels. Pendant que les hommes attendent tout ou presque tout de l’État en ce qui concerne la création d’emplois modernes dans les secteurs secondaire et tertiaire, l’esprit de créativité amène les femmes à embrasser les activités économiques du secteur informel en forte propension dans la commune.  Plus de 80 % des places d’étalage des marchandises que disposent les marchés formels et spontanés de la commune sont occupées par les femmes. Elles sont le plus souvent dans le petit commerce : vente de bois de chauffe, de charbon de bois, d’attiéké, de poissons fumés et frais, de légumes, de fruits, d’ouvrages scolaires4, voire des matériaux de construction5. Ce qui donne plus de 66 % des femmes actives occupées contre 48,56 % de l’effectif masculin. Quant aux hommes, ils attendent le plus souvent des emplois modernes plus rémunérateurs mensuellement de la part de l’État et du secteur privé. Toujours est-il que chez les hommes, le taux le plus élevé des personnes sans profession se trouve dans la catégorie des jeunes. La plupart de ces jeunes habitent les quartiers sous équipés des zones périphériques de la commune. Les femmes les plus dynamiques, lorsqu’elles réussissent à se regrouper en association, elles apportent à chacune à tour de rôle par le système de tontine le fonds de commerce nécessaire à la pratique de l’activité souhaitée.

Dans ces conditions, la logique de sécurité économique et de prêt n’est pas très différente de la logique de remboursement qui ne respecte que le réseau ethnique, culturel, religieux, etc. Cependant, cette logique n’est pas le seul mode en vigueur dans la mesure où il existe une pluralité de logique. La pluralité de logique engendre la socialité de réseaux autour de laquelle d’autres logiques d’acteurs se greffent pour rendre plus complexe la logique d’acteurs dans la pratique et l’organisation de l’espace dans la périphérie Nord d’Abidjan.

Dans le processus d’approvisionnement des marchés en produits viviers ruraux pour la consommation des urbains, les femmes gardent une partie de leur production qu’elles vendent aux autres femmes, acteurs économiques intermédiaires ou à leurs meilleures clientes7. Tout ne va pas aux grossistes qui sous-évaluent souvent la valeur de la marchandise afin qu’elles puissent maximiser au détriment des femmes qui vont chercher les marchandises en brousse. Le grossiste accorde difficilement un crédit ou vient en aide difficilement à la femme lorsqu’elle a besoin d’elle. Alors que l’intermédiaire joue un rôle important dans les difficultés de la femme à un moment précis de la vie de celle-ci. Le processus auquel sont soumises les deux actrices (vendeuses et acheteuses intermédiaires) ne respecte qu’une construction sociale à double signification. La première est simple tandis que la seconde est purement intéressée. La rationalité de cette logique d’acteurs est comprise lorsqu’elle est inscrite dans la culture globale des acteurs. La logique des pratiques économiques des femmes poursuit deux objectifs principaux. Le premier objectif est articulé autour de la logique productrice et préservatrice du lien social entre les différents acteurs. Quant au second, il recherche la maximisation du profit. C’est cette logique d’acteurs qui guide les femmes grossistes qui livrent les marchandises, aussi bien sur les places des marchés spontanés que sur les marchés formels des quartiers des communes périphériques du District d’Abidjan en général.

DISCUSSION

Cette recherche a permis d’identifier et d’analyser les stratégies économiques informelles de survie développées par les populations de la commune d’Abobo, surtout par les populations les plus défavorisées de l’espace périphérique nord de la ville d’Abidjan.

L’adoption de la démarche des techniques quantitatives de collecte de données a permis également de mettre face à face l’enquêteur et l’enquêté. Elle est considérée comme la meilleure des techniques dans la mesure où son mode opératoire génère moins de refus et permet d’avoir une meilleure garantie de la qualité des réponses. Les consignes sont respectées et les réponses oubliées sont rares. La méthode de sondage présente aussi un avantage, celui d’être constituée selon la même structure que celle de la population-mère. Ainsi, notre échantillon présente les mêmes caractéristiques que la population-mère.

Les résultats des enquêtes montrent que la pauvreté urbaine existe dans la commune d’Abobo. La pauvreté est matérielle, financière, économique, sociale, culturelle voire organisationnelle, spatiale et environnementale. Face à ce phénomène, les populations les plus vulnérables ont développé des stratégies économiques informelles de survie. La pauvreté urbaine est non seulement la conséquence directe des crises économiques mondiales qui ont secoué le monde pendant les années 1980 et 1990, mais également la conséquence des différents programmes d’ajustement structurel imposés par les institutions de Brettons Wood aux pays du tiers monde. En 1994, selon la Commission Européenne, « lutter contre la pauvreté apparait comme une priorité pour assurer la stabilité et le développement sur les plans économique, politique et social, et comme un des plus importants défis actuels au niveau mondial ». Ainsi, les pays en développement ont été contraints à mettre en place des programmes de lutte contre la pauvreté sous toutes ses formes. Toujours, selon la Commission Européenne (1994 :60) « la lutte contre la pauvreté s’inscrit dans une perspective à long terme qui vise à influer sur les bases structurelles de la pauvreté, en particulier celles liées à l’accès aux ressources productives, à la valorisation des ressources humaines, à l’organisation sociale et aux liens de solidarité ». Une telle politique offre une porte de sortie aux populations pauvres des pays qui ont subi les conséquences néfastes des crises économiques successives des années 1980 et 1990. La Côte d’Ivoire, avec l’appui de ses partenaires au développement met en place le Programme d’Appui au Secteur Informel (PASI) au profit des pauvres des milieux urbains ivoiriens. C’est une façon pour les acteurs d’apporter une aide substantielle aux populations pauvres de la Côte d’Ivoire, afin de pouvoir améliorer leurs conditions de vie. Cependant, le programme PASI n’a pu accorder, au 31 décembre 1999, que 3005 prêts pour un montant total de 2,706 milliards de FCFA, soit 5,412 millions de $ US au titre de la seconde phase au travers de ses huit antennes, soit un montant moyen par prêt de 900 000 FCFA (1 800 $ US). Ces prêts ont bénéficié à 68 % des promoteurs féminins et en majorité pour des activités commerciales. Une évaluation réalisée sur 1209 promoteurs financés a mis en évidence que les prêts accordés ont permis de soutenir 1523 emplois existants et de créer 734 nouveaux emplois dont 43 % à Abidjan et dans son agglomération (PASI Côte d’Ivoire, 2000 : 6). L’effectif de 3005 promoteurs représente moins de 1 % (0,49 %) de l’effectif de l’Institut National de la Statistique (INS) en 2005. L’étude de l’INS (2005 : 4) révèle que l’agglomération d’Abidjan comptait 610 000 unités de productions informelles employant 950 000 personnes dans les branches marchandes non agricoles. Ce chiffre montre l’importance économique des activités informelles pour la population de la capitale économique, puisqu’en moyenne près de neuf ménages sur dix tirent l’ensemble ou une partie de leurs revenus d’une unité de production informelle. Le secteur de l’informel de production se caractérise à Abidjan en général et à Abobo en particulier par une très grande précarité des conditions d’activité. Plus de 60 % des activités informelles sont abritées par des installations de fortune. Exclus du système bancaire classique, c’est l’épargne individuelle qui finance le capital pour plus de 67 % à Abobo. Le programme d’appui au secteur informel (PASI) mise en place par l’État de Côte d’Ivoire et ses partenaires n’a pas su répondre aux attentes, en matière de financement des activités économiques, des populations vulnérables. Les conditionnalités d’accès aux crédits du PASI constituaient le facteur de blocage principal. Les conditions d’accès au crédit s’apparentent à celles des banques classiques et elles empêchaient le PASI d’atteindre les couches les plus vulnérables et vivant en dessous du seuil de pauvreté.

CONCLUSION

Au total, la pauvreté urbaine est une réalité dans l’univers urbain d’Abobo. Selon l’INS (2014), 23,4 % de la population abidjanaise vit dans la commune d’Abobo et 38 % des citadins à Abobo vit en dessous du seuil de pauvreté. La pauvreté urbaine à Abobo est à la fois matérielle, financière, économique, sociale, culturelle, organisationnelle, spatiale et environnementale. Les nombreux quartiers populaires en sont l’inscription dans l’espace urbain. Face à sa persistance, des initiatives de survie ont été développées par les populations vulnérables. Les 2/3 de ces initiatives sont offertes par l’informel de production dominé par des activités économiques inspirées et mises en place par les femmes et les jeunes. La pluralité de logiques et stratégies des femmes engendrent une socialité de réseaux d’entraide et de soutien autour de laquelle d’autres stratégies d’acteurs s’y greffent pour soulager les personnes les plus vulnérables de la ville d’Abobo. Mais, il existe un réel manque de savoir-faire en matière de lutte contre la pauvreté urbaine. L’État doit accompagner ces initiatives en développant de véritables politiques de lutte et en se faisant assister par les bailleurs de fonds par un appui financier et technique. Le programme d’appui au secteur informel (PASI) a connu des limites dans son exécution. Il n’a pas touché les populations vulnérables compte tenu des conditions d’accès qui s’apparentent aux conditions des banques classiques.

 

Notes de bas de page

1 Forces nouvelles, c’est la nouvelle appellation ou le nouveau nom des forces et groupements militaires impliqués dans la rébellion armée qui a débuté le 19 septembre 2002 en Côte d’Ivoire. Il s’agissait du Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), du Mouvement Populaire Ivoirien du Grand Ouest (MPIGO) et du Mouvement pour la Justice et la Paix (MJP), opposés aux Forces de Défense et de Sécurité de l’armée régulière.

2 Veilleurs de nuit auprès des grands magasins ou chez des particuliers

3 Parmi les marchands ambulants, il y a une forte représentativité de jeunes filles déscolarisées et non scolarisées. Elles sont spécialistes de la vente d’arachides grillés, préparés ; de banane douce et d’eau glacée en sachet. Elles exercent cette activité pour le compte de leurs employeurs.

4 Cette activité peut être classée parmi les activités saisonnières. La vente des articles scolaires hors des grands magasins connaît un grand essor pendant la période de la rentrée scolaire. Elle peut occuper les vendeurs pendant une période de quatre mois répartie de la manière suivante : un mois précédant la date officielle de la rentrée et trois mois après la rentrée. Au-delà de cette période, c’est la reconversion à d’autres activités plus porteuses de devises.

5 Ce type de commerce est tenu pour la plupart du temps par les femmes nigérianes.

6 C’est une sorte de caisse populaire d’entraide informelle des femmes par groupements associatifs ou inter associatifs.

7 Celui ou celle qui peut me rendre service en cas de difficulté majeure (décès d’un parent, accès à un crédit substantiel, etc.).

 

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Pour citer cet article

Référence électronique

DIBY K. Martin (2018). « Pauvreté urbaine et émergence d’initiatives économiques informelles de survie à Abobo, une commune de l’espace périphérique nord d’Abidjan en Côte d’Ivoire ». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (5) 1. En ligne le 15 mai 2018, pp. 30-38. URL: http://laurentian.ca/cjtg

 

Auteur

DIBY Kouakou Martin
Maître-assistant
Institut de Géographie Tropicale
Université Félix Houphouët Boigny de Cocody – Abidjan
Email : dibi_martin@yahoo.fr