Typology and land conflicts management methods in the Boucle of Mouhoun region of Burkina Faso
Joachim BONKOUNGOU, Jérôme COMPAORÉ, Farid TRAORÉ, Olivier BEUCHER & Issa BIKIENGA
Résumé : Les conflits de gestion des ressources naturelles s’exacerbent avec les changements climatiques. L’objectif principal de l’article était d’analyser les types et modes de gestion de conflits fonciers dans la région de la Boucle du Mouhoun (RBM) au Burkina Faso. Les outils méthodologiques utilisés sont une revue documentaire, des ateliers de collecte et de validation de données et des entretiens de groupes-cibles. L’étude a été menée dans 17 sites représentatifs couvrant tous les systèmes agraires de la RBM. Les conflits règles locales-lois nationales, autochtones-autochtones, autochtones-allochtones, humains-animaux et populations locales-agents forestiers ont été enregistrés. Les modes de gestion utilisaient les savoir-faire locaux et quelques rares fois les juridictions modernes. Les droits modernes, largement hérités de la colonisation, méritent d’intégrer davantage les savoir-faire endogènes pour espérer une plus grande adhésion de la population. Le développement local en dépend.
Mots clés : Conflits, droit traditionnel, droit positif, vulnérabilité, Burkina Faso
Abstract : Natural resources management conflicts are exacerbated by climate change. The main objective of this article was to analyze land conflicts types and management methods in the Boucle du Mouhoun region (BMR) in Burkina Faso. Methodological tools used are a document review, workshops for data collection and validation and interviews with target groups. The study was carried out in 17 representative sites covering all the agrarian systems of the RBM. Conflicts of local rules-national laws, aboriginal-aboriginal, aboriginal-non-native, human-animal, and local population-forest agents have been recorded. Management methods used local practices and, on rare occasions, modern jurisdictions. Modern rights, largely inherited from colonization, deserve to integrate more endogenous knowledge to hope for greater popular support. Local development depends on it.
Keywords : Conflicts, Endogenous law, modern law, vulnerability, Burkina Faso
Plan
Introduction
Matériels et méthodes
Outils méthodologiques utilisés
Sites d’étude des conflits fonciers
Résultats
Conflits entre les règles locales et les lois nationales
Conflits entre les autochtones ou entre les villages
Conflits entre les autochtones et les allochtones
Conflits entre les animaux et les hommes
Conflits entre les populations et les agents forestiers
Discussion
Conclusion
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INTRODUCTION
L’économie ouest-africaine est caractérisée par une régression des secteurs primaires de production, notamment l’agriculture et l’élevage. Le secteur des services prend de plus en plus d’ampleur au détriment du secteur de l’industrie et de l’industrie manufacturière. Les transformations des produits agricoles restent le maillon le plus faible (BAD, 2018). C’est dire que la quasi-totalité des produits agricoles est encore exportée comme matières premières. Malgré la diversification de l’économie des pays africains, l’agriculture tient le rôle de premier plan (BAD, 2018).
Malgré les efforts de développements des gouvernements, les rendements agricoles augmentent très peu à cause du caractère extensif de l’agriculture (Camilla Toulmin, 2003; Jost et al. 2008; Sultan 2011). Il en est de même des revenus tirés des activités agricoles surtout pratiquées par les ruraux. Ces derniers comptent parmi les plus pauvres du pays. Une pauvreté qui se conjugue au féminin (El Rhomri, 2015). Les jeunes, surtout les filles, ne sont pas suffisamment intégrés dans les programmes et projets de développement (Bonkoungou et al. 2017).
Les politiques de développement mises de l’avant par les gouvernements africains ne sont pas en harmonie avec les pesanteurs sociales. Nombreuses sont les sociétés africaines où la femme ne dispose pas de droit foncier. Lorsqu’elle y accède, sa tenure foncière est très instable. Elle peut se voir retirer son lopin de terre, surtout lorsqu’elle y réalise des investissements pour la rendre plus fertile (Bonkoungou, 2007; CEDRES, 2011). Au Burkina Faso, les politiques tentent tant bien que mal de remédier à cette situation (MEF, 2011; MPF, 2009; N’Djafa Ouaga et al. 2010). Toutefois, dans un espace géographique très sensible aux lourdes contraintes biophysiques qui viennent compliquer les conflits fonciers, le droit foncier repose sur des règles traditionnelles. C’est le cas de la région de la Boucle du Mouhoun où la présente étude a été conduite entre janvier et juillet 2017. Quels sont les types de conflits fonciers dans cette région du Burkina Faso ?
MATÉRIELS ET MÉTHODES
L’étude a utilisé la réflexion, la cartographie participative, les entretiens de villages à l’aide d’une analyse des risques de vulnérabilité dans des sites représentatifs de la région d’étude.
OUTILS MÉTHODOLOGIQUES UTILISÉS
Une équipe pluridisciplinaire forte de quatre membres a été mise en place pour conduire l’étude. Elle a utilisé plusieurs outils méthodologiques pour la collecte des données et leur analyse. Il s’agit d’une réflexion utilisée afin de répertorier tous les services techniques, les ONG, les OIG, les projets, les programmes, les organisations de la société civile, les organisations paysannes et les structures privées à visiter. Cette liste a été présentée et complétée lors de rencontres d’appropriation qui ont réuni l’équipe et les membres d’un comité multisectoriel de suivi de l’étude mis en place. Il s’est agi aussi d’une rencontre d’harmonisation de la méthodologie où une cartographie participative a permis de lister les localités qui avaient déjà connu des conflits.
L’équipe s’est scindée en deux afin de couvrir le maximum de services listés. Un guide d’entretien de groupes-cibles a été utilisé pour la collecte des documents numériques et/ou analogiques disponibles ainsi que des données pertinentes qui seront utiles pour l’analyse. Un répertoire a été ouvert sur Dropbox et accessible aux membres de l’équipe. Y étaient postés et consultés les documents numériques et les rapports d’entretiens réalisés.
Les équipes ont enfin mené des entretiens dans les villages, conduits grâce à un outil développé d’évaluation du risque de vulnérabilité. Des entretiens de sous-groupes de femmes et de jeunes ont été aussi réalisés afin de permettre de collecter des données désagrégées par groupe.
Une première mise au point sur les données a été faite sur place. Elle a permis de s’assurer que l’équipe dispose des données qu’elle a planifié de collecter avant de quitter une localité. Ces données ont par la suite été saisies à l’aide du logiciel Excel à des fins de traitements statistiques. Les résultats obtenus ont été présentés en atelier multi acteurs pour leur validation.
SITES D’ÉTUDE DES CONFLITS FONCIERS
Les villages répertoriés et connus pour les conflits ont été visités lors des sorties sur le terrain (cf. carte 1). D’autres critères comme la représentativité des systèmes agraires Sud-Sahélien, du Sourou, Nord-soudanien et Sud-soudanien dans lesquels ils sont situés, et leur accessibilité ont contribué à leur choix (Bonkoungou et al. 2019).
Carte 1 : Sites d’étude
RÉSULTATS
L’étude a été menée dans 17 sites des milieux ruraux de la RBM. Plusieurs conflits y ont été enregistrés. Ils peuvent être classés en conflits entre les règles locales et nationales, entre autochtones et/ou entre villages, entre autochtones et allochtones, entre les animaux et les hommes et entre les populations et les agents forestiers.
CONFLITS ENTRE LES RÈGLES LOCALES ET LES LOIS NATIONALES
Tous les sites de l’étude abritaient des allochtones. Ils étaient venus des contrées voisines et/ou lointaines, attirés par l’abondance des ressources naturelles dont dispose la région. Il s’agit principalement des Peulhs et des Mossis, venus des zones plus arides du Nord. Les premiers sont des éleveurs transhumants dont une grande partie s’est sédentarisée. Selon les dires des autochtones Bobo, leurs cousins à plaisanterie, les Peulhs se sont installés à l’extérieur des villages, sur des collines, où ils ont fini par créer leurs propres villages à l’écart. Les Mossis se sont plutôt établis dans les villages où ils vivent avec les autochtones.
Les estimations de la part des allochtones et des autochtones montrent que certains villages comptaient jusqu’à 80% d’allochtones. Beaucoup d’entre ces allochtones se reconnaissaient originaires des villages d’accueil pour y être nés. À leurs demandes, les autochtones leur donnaient des portions de leurs domaines fonciers. Ces derniers les ont mis en exploitation et certains d’entre eux considéraient que ces terres sont devenues les leurs maintenant. C’est pour cette raison que les nouveaux immigrants éprouvaient plus de difficultés pour disposer des terres à cultiver. Les autochtones avaient alors peur de se voir retirer leurs terres par des allochtones.
La politique nationale de sécurisation foncière a créé deux positions diamétralement opposées. Les partisans du premier camp considéraient que les octrois de terre sont définitifs et n’allaient pas revenir sur les engagements pris par leurs aïeux vis-à-vis des immigrants. Ils étaient par conséquent prêts à ce que des terres soient attribuées aux noms des immigrants. L’autre camp, qui avait le plus grand nombre d’adhérents, ne se reconnaissait pas dans les promesses faites auparavant. Ils disaient être plus confortés par le fait de l’inexistence de document donnant la preuve de ces dons et/ou prêts. Ces derniers s’opposaient alors à toutes attestations de possession foncières au profit d’allochtones.
La loi 034/2009 sur le régime foncier rural au Burkina Faso, en son article 36, dispose pourtant que « la mise en valeur continue, publique, paisible et non équivoque et à titre de propriétaire de fait pendant trente ans au moins, de terres rurales aux fins de production rurale » donne droit à une possession foncière (Burkina Faso 2009). Mais dans les villages, c’était plutôt les droits traditionnels qui sont appliqués. Ce type de conflit était présent, mais moins visible dans tous les villages. Il était fait recours à cette loi que dans les seuls cas où les litiges étaient portés devant l’administration publique. Les tribunaux rendaient alors des jugements et tranchaient en fonction des lois de la république, y afférents. Ils prenaient énormément de temps, pour le traitement complet des dossiers, selon les populations enquêtées. Selon les règles locales, les immigrants, quel que soit le nombre d’années d’exploitation, ne pouvaient pas être propriétaires des terres qu’ils exploitaient.
CONFLITS ENTRE LES AUTOCHTONES OU ENTRE LES VILLAGES
Les limites des domaines fonciers des ménages, des exploitations et des villages n’étaient pas bien précises. Les acteurs se référaient à des éléments naturels tels que les arbres et les cours d’eau. Ces éléments n’étaient pas stables et pouvaient subir des modifications importantes pouvant aller jusqu’à la disparition. Les conflits naissaient justement de ces limites peu précises.
Il faut préciser que c’est le type de conflit le moins fréquent et les acteurs arrivaient à trouver rapidement des solutions endogènes. Il est généralement admis que les litiges fonciers entre autochtones et villages se réglaient par des sacrifices. Ces sacrifices avaient rarement lieu, car une des parties se désistait. Elle prenait des informations avec les autres membres pour fonder son retrait. Lorsque malgré tout le sacrifice a lieu, la partie qui n’a pas raison subirait des dommages importants, dont des pertes en vie humaine.
Une autre forme de conflits fonciers se passait dans les exploitations ou les ménages. De nos jours on trouve des femmes chefs de ménage, le plus souvent des veuves. La famille du défunt mari autorisait que la femme puisse continuer d’exploiter les terres jadis attribuées à son époux. Mais elle n’avait pas le droit de s’en approprier et de les rétrocéder à d’autres sans l’avis de la famille. Toutes les autres catégories de femmes, les mariées et les divorcées accédaient aux terres à travers leurs maris et frères, qui en faisaient la demande à d’autres lorsqu’ils n’en disposaient pas. Les portions cédées étaient vite retirées, au bout de quelques années d’exploitation. D’autres lopins de terre, très souvent peu fertiles, leur étaient attribués à la place. Ils étaient de petites superficies, obligeant les femmes à pratiquer l’association culturale (Bonkoungou et al. 2017; Zoungrana 2012). Les jeunes filles n’avaient pas leurs propres champs. Les jeunes garçons pouvaient en disposer s’ils le demandaient à leurs pères. De plus en plus, des enfants réclamaient à ce que leurs pères leur donnassent des portions de terre pour leurs propres exploitations. Cette situation était dictée par l’économie de marché où l’individualisme prend le pas.
Un conflit foncier entre les membres d’un même ménage pouvait survenir suite à la mort du chef. L’héritage amenait à diviser le domaine familial entre les bénéficiaires et par conséquent à en attribuer aux enfants dont l’activité principale n’est pas l’agriculture. Il arrive que les superficies héritées ne soient pas viables sur le plan économique. Des ventes de terrain étaient de plus en plus pratiquées dans les villages. Cette pratique entrait alors en conflit avec les traditions qui stipulent que la terre est un bien inaliénable. Les conflits fonciers nés dans les exploitations et les ménages sont réglés à l’interne. Les chefs de ménage ou dans certains cas de la grande famille y apportaient des solutions, en puisant dans les savoirs locaux.
CONFLITS ENTRE LES AUTOCHTONES ET LES ALLOCHTONES
Les terres allouées aux allochtones étaient assorties de conditions oralement dites que ces derniers devraient observer. Ils ont obligation de participer aux sacrifices rituels de gestion des terres. Lors de fêtes locales, qui se déroulaient durant toute l’année, les bénéficiaires devaient apporter leurs contributions pour les sacrifices et les fêtes organisées. Lorsque ces obligations n’étaient pas respectées, les allochtones fautifs se voyaient infliger des peines, pouvant conduire à l’exclusion du village. Le plus gros conflit entre allochtones et autochtones a eu lieu dans le village de Passakongo, situé à moins de 10 km au Nord de Dédougou. Les Peulhs, peuples immigrants longtemps installés, auraient refusé de reconnaitre le droit des autochtones sur les terres qui leur avaient été cédées à des fins d’exploitation. Ils affirmaient, selon les propos des participants à l’entretien du village, que les terres étaient devenues les leurs et refusaient de remettre leurs participations pour les sacrifices habituels. Une expédition punitive avait été organisée et s’était soldée par des affrontements sanglants et des morts d’hommes entre les deux peuples qui avaient pourtant des alliances. L’affaire avait été portée devant les juridictions positives qui tardaient à prendre des décisions définitives. Durant notre passage, les Peulhs n’avaient pas été conviés à la rencontre d’évaluation. Leurs besoins ne pouvaient pas être pris en compte dans le plan régional d’adaptation à formuler. D’autres sites avaient aussi choisi de ne pas inviter les allochtones aux entretiens conduits.
L’augmentation rapide de la population s’accompagnait d’une pression foncière plus élevée sur la disponibilité des terres. Des prétextes étaient avancés par des autochtones pour servir aux retraits de portions de terres cédées aux allochtones. Il avait été avancé le retour d’émigrants de la famille, des pays côtiers, de la Côte d’Ivoire et du Ghana, pour retirer des champs à certains allochtones. Dans tous les cas rencontrés, les allochtones avaient refusé. Certains d’entre eux avaient vu des portions de leurs domaines fonciers réattribuées ou exploitées par d’autres exploitants, sans au préalable avoir leur aval. Les plaintes, dans ces conditions, n’aboutissaient pas à la rétrocession des portions. Les allochtones prenaient alors des dispositions pour ne plus se voir retirer des terres.
CONFLITS ENTRE LES ANIMAUX ET LES HOMMES
Le bétail et les animaux sauvages étaient très souvent les causes des dégâts de cultures qui aboutissaient à des conflits. Les conflits entre agriculteurs et éleveurs étaient les plus répandus dans la région. Il s’agissait dans un premier temps des conflits entre sédentaires éleveurs et sédentaires agriculteurs. Moins fréquents, ce type de conflits étaient réglés à l’amiable. Les pardons demandés étaient acceptés et le conflit était ainsi fini. Il s’agissait aussi de conflits entre éleveurs transhumants et agriculteurs sédentaires, le plus fréquent, dont le règlement se faisait auprès des autorités administratives ou à défaut dans les juridictions régionales.
La pression foncière réduisait l’espace vital des animaux sauvages. Les galeries forestières faisaient place à des champs agricoles. Les réserves forestières faisaient l’objet de convoitise, car disposaient de ressources naturelles abondantes. Alors les animaux sauvages, notamment les hippopotames et les éléphants, sortaient de leurs biotopes et causaient des dégâts importants dans les champs. Les dégâts étaient constatés par l’autorité administrative qui les transmettait au ministère en charge de l’environnement pour compensation. Il n’existait pas de mécanisme d’indemnisation dans la région de la Boucle du Mouhoun. Les dossiers étaient transmis dans la région du Centre-ouest à Koudougou.
CONFLITS ENTRE LES POPULATIONS ET LES AGENTS FORESTIERS
La région de la Boucle du Mouhoun disposait de forêts classées où l’exploitation agricole et minière était interdite. Pourtant des champs et des sites miniers s’y étaient implantés. Pour ces populations locales à qui les droits fonciers ont été refusés depuis la période coloniale, les forêts classées leur appartenaient et leur meilleure implication dans la gestion pourrait être la solution à ces exploitations délictueuses. La gestion centralisée de ces forêts avait même montré ses limites. L’État n’en avait d’ailleurs plus les moyens, mais refusait de reconnaitre les droits locaux.
Ces différents conflits s’accompagnaient quelques fois de pertes en vies humaines et en dégât matériel. C’est dans ces cas que les conflits sont confiés à la justice positive pour règlement. La majeure partie de ces conflits sont réglés de façon locale, soit entre les parties en cause, soit à l’aide d’un intermédiaire, très souvent les chefs de village et/ou de terre. Lorsque le règlement par l’intermédiation n’est pas accepté de toutes les parties, le conflit peut aussi être amené dans les juridictions de l’État.
DISCUSSION
De nombreux auteurs ont montré le dualisme dans la gestion foncière dans bon nombre de pays africains. Bary et al., (2005) dans leur diagnostic de la situation agraire, affirment que les pratiques foncières locales y sont dominantes et la loi de l’État peu effective. Officiellement, au Burkina Faso, ce sont les lois républicaines qui prévalent dans la gestion du foncier. L’Assemblée Nationale s’est chargée de voter les lois pour encadrer la gestion du foncier sur le territoire (Burkina Faso, 2012b). Un processus d’adoption qui a été déclaré pourtant participatif et qui intègre par conséquent les besoins des parties prenantes de terrain. Le pouvoir exécutif a formulé alors une politique de sécurisation foncière qui doit servir de référence dans tous les actes sur le foncier en milieu rural (MAHRH, 2007). Tous les autres programmes de développement, notamment le second programme national du secteur rural (2016-2020) et le Programme National de Développement Économique et Social (2016-2020) font la promotion des attestations de possession foncière rurale (APFR) comme l’outil de sécurisation foncière en milieu rural (Bonfiglioli 2010; Burkina Faso 2011, 2012a; Faye 2011; Gautier et al. 2015; MAHRH, 2007). Des projets comme le Compact du Millénium Challenge Corporation des États-Unis, ont mis tous les mécanismes devant favoriser leur délivrance en place, notamment les services fonciers ruraux (SFR) dans les mairies qui travaillent avec des commissions foncières villageoises. Ces programmes de gouvernance manquent, entre autres, de communication entre les principaux acteurs concernés entrainant ainsi une faible adhésion des populations (Kauffmann, 2017). Le projet d’appui aux communes de l’ouest du Burkina Faso, en matière de gestion du foncier rural et des ressources naturelles, entendait aussi délivrer des APFR pour sécuriser le foncier et augmenter sensiblement les rendements agricoles (Beucher et al. 2017). Mais au résultat, aucun engouement pour ce précieux document. L’absence d’une communication explicative traduirait le manque d’engouement pour les documents fonciers (Vermeulen et Hardy, 2016). Les populations locales, autochtones et allochtones s’en sont détournées. Elles préfèrent gérer leur foncier sur la base de règles traditionnelles non écrites, peu favorables à la productivité agricole et sources de conflits multiformes.
Une des raisons profondes de ce manque d’engouement est la faible reconnaissance des droits locaux par l’État, dans la quasi-totalité des nations colonisées (FAO 2015). Les lois sont plutôt votées en tenant compte d’une part, de l’environnement international où les gouvernements ont ratifié des conventions régionales, africaines et mondiales qu’il faut nécessairement respecter (Kambire et al. 2015; MASA 2013b, 2013a; Savadogo et al. 2007). D’autre part, la constitution sert de boussole lors du vote de ces lois. Enfin les besoins d’une législation forte, qui puisse servir le développement durable en donnant plus de sécurité aux potentiels investisseurs, obligent les états à tenir peu compte des besoins des populations autochtones dans le vote et l’application des lois. C’est pour cette raison que les populations autochtones n’utilisent le droit positif que lorsqu’elles en sont contraintes. Elles éprouvent d’ailleurs des difficultés à accepter les décisions prises, qui vont souvent à l’encontre de leurs intérêts et du droit coutumier.
Enfin, de l’analyse des conflits, il ressort que l’absence de communication peut aggraver un conflit. Dans le conflit entre autochtones et allochtones, l’expédition punitive traduit un manque de communication, ce qui a conduit au conflit. Une communication entre les parties pourrait atténuer le conflit et éviter l’affrontement (Dacheux, 2011). Par ailleurs, s’agissant du conflit entre lois locales et nationales, la communication se révèle être un minimum nécessaire pour l’harmonisation de ces textes (Proulx et Breton, 2012).
Cette étude présente des limites certaines en ce sens que les mécanismes de gestion des conflits ne sont pas véritablement étudiés à fond. Il est juste signalé les canaux que les populations utilisent pour résoudre les conflits. En plus, l’échelle d’analyse, dans les villages représentatifs où les cas de conflits ont été enregistrés, ne permet pas de rechercher des formes nouvelles de conflits. Ainsi, les conflits au sein même des exploitations et/ou des ménages semblent être effleurés. L’économie de marché a pour corollaire le développement des cultures de rente et des familles devenues nucléaires (Bary et al. 2005; Faber and Naidoo 2014; FAO 2015). Mis à part les chefs d’exploitation et/ou de ménage qui se sont arrogés plus de droits, les autres membres de la famille sont très vulnérables. La pauvreté des ruraux ne permet pas d’acquérir des outils aratoires leur permettant d’obtenir des rendements meilleurs et des revenus additionnels.
CONCLUSION
L’utilisation des conflits divers est enregistrée dans les pays d’Afrique. Les États tentent d’y apporter des solutions par des lois, qui sont ignorées en grande partie par leurs populations locales, qui continuent d’appliquer leurs propres pratiques. Ainsi, les lois modernes ignorent les règles traditionnelles et vice-versa. Cette situation ne peut plus durer. La nécessité est là de réconcilier les deux, surtout pour les pays africains.
Pour être vraiment efficace sur le terrain, dont les décisions seront acceptées et appliquées par les populations locales, le droit positif doit prendre pied sur les lois traditionnelles et tenter de les promouvoir. C’est dans ces conditions que l’affirmation que « nul n’est censé ignorer la loi » trouvera sa raison d’être. Les populations locales verront leurs savoir-faire valorisés et les lois nationales traiter de leurs vécus quotidiens. Dans le cas contraire, le développement participatif local ne connaitra pas un engagement et un engouement conséquents des populations locales.
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Remerciements
Cette publication a été tirée des travaux de consultation attribuée au groupe BAASTEL (www.baastel.com) et à ICI Burkina Faso, sur financement de l’Agence Française de Développement, à qui nous adressons nos remerciements pour l’autorisation de publication qui nous a été donnée. Nos remerciements sont adressés à toutes les parties prenantes depuis l’échelle du ministère en charge de l’agriculture, aux populations des villages choisis, en passant par les autorités et la société civile de la région de la Boucle du Mouhoun.
Pour citer cet article
Référence électronique
Joachim BONKOUNGOU, Jérôme COMPAORÉ, Farid TRAORÉ, Olivier BEUCHER, Issa BIKIENGA (2020). « Typologie et modes de gestion de conflits fonciers de la région de la Boucle du Mouhoun au Burkina Faso ». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (7) 2. En ligne le 25 décembre 2020, pp. 16-21. URL: http://laurentian.ca/cjtg
Auteurs
Joachim BONKOUNGOU
Institut de l’Environnement et des Recherches Agricoles (INERA)
Centre de Recherches Environnementales, Agricoles et de Formation (CREAF) Kamboinsé
Ouagadougou, Burkina Faso
Email : joachbonk@gmail.com
Jérôme COMPAORÉ
Institut de l’Environnement et des Recherches Agricoles (INERA)
Centre de Recherches Environnementales, Agricoles et de Formation (CREAF) Kamboinsé
Ouagadougou, Burkina Faso
Farid TRAORÉ
Institut de l’Environnement et des Recherches Agricoles (INERA)
Centre de Recherches Environnementales, Agricoles et de Formation (CREAF) Kamboinsé
Ouagadougou, Burkina Faso
Olivier BEUCHER
Consultant
Baastel (www.baastel.com)
Issa BIKIENGA
Consultant
ICI Burkina Faso (www.ici-burkina.com)