Dysfonctionnements des comités de gestion des forages à N’Gaoundéré au Cameroun

Malfunctions of drilling management committees in N’Gaoundéré, Cameroon

NYEMBE ETAME Ghislain, YOGBACK Gertrude Estelle, KANA Collins, OJUKU Tiafack, NGOUFO TCHINDA Gaelle Merveille & ESSE NDJENG Maximilien


Résumé: Dans le but d’assurer un meilleur fonctionnement des points d’eau publics, les comités de gestion sont créés. Mais, ils ne répondent pas toujours aux attentes des populations et municipalités initiatrices de leur création. À cet effet, le présent article vise à déterminer les causes des dysfonctionnements des comités chargés des forages à N’Gaoundéré. Les résultats obtenus émanent des entretiens, des sources documentaires et du sondage des populations. Dès lors, il en ressort que les manquements observés au sein des comités de gestion sont liés au mode aléatoire de désignation des membres du bureau (44%), au recouvrement partiel des frais exigés (33%), l’absence d’un encadrement juridique (81,25%) et la distraction des finances allouées au maintien des ouvrages hydrauliques (44%). Néanmoins, afin  d’assurer le fonctionnement pérenne de ces structures de suivi, les communes et les pouvoirs publics interviennent depuis quelque temps par l’entremise des cadres de développement et des artisans réparateurs. 

Mots clés: Forage, comité de gestion, artisan réparateur, cadre de développement, N’Gaoundéré  

Abstract: In order to ensure better functioning of public water points, management committees are created. However, they do not always meet the expectations of the populations and municipalities that created them. To this end, this article aims to determine the causes of the dysfunctions of the committees in charge of the boreholes in Ngaoundéré. The results obtained are based on interviews, documentary sources and a survey of the population. The results show that the shortcomings observed within the management committees are linked to the random mode of appointment of the members of the bureau (44%), the partial recovery of the required fees (33%), the absence of a legal framework (81.25%) and the distraction of the finances allocated to the maintenance of the hydraulic works (44%). Nevertheless, in order to ensure the sustainable functioning of these monitoring structures, the communes and the public authorities have been intervening for some time through the intermediary of development executives and repairers.  

Keywords: Drilling, management committee, artisan ingeneer, development executive, Ngaoundere town
 

Plan


Introduction
Collecte et traitements des données
Résultats
Les comités de gestion des forages : Fonction et composition
Les multiples fonctions attendues d’un comité
Les composantes du bureau d’un comité de gestion
Les diverses faiblesses liées au fonctionnement des comités
Le choix non démocratique des membres du bureau
L’absence de textes réglementant l’encadrement et le suivi juridique
Une opacité de la gestion financière
Le désagrément des populations face à la mauvaise gestion des comités
Les actions d’assainissement des comités de gestion des forages
L’appui, sans cesse, des pouvoirs publics
La contribution des communes
Conclusion

 

Texte intégral                                                                               Format PDF 


Introduction

Le comité de gestion d’eau est un groupe de personnes élues démocratiquement dans le but d’assurer le bon fonctionnement du point d’eau. Il vise le mieux-être d’un groupe d’individu ou d’une communauté (Action Contre la Faim, 2008 : 2). Dans le cas des comités chargés de la gestion des forages, des insuffisances ont été relevées (J-P.O. De Sardan, 2000). Elles portent sur la difficulté de recouvrement auprès des ménages, des frais obligatoires alloués à l’entretien des forages, celle relative au détournement des fonds de caisse par les trésoriers et la désignation informelle des membres du comité. Wikiwater (2018) relève que le mauvais fonctionnement des comités de gestion observés au Sénégal et au Bénin concerne la mauvaise tenue des documents comptables, l’absence de compte-rendu des dépenses financières entreprises, une gestion peu rigoureuse. Ces manquements constituent de véritables facteurs, qui limitent le bon fonctionnement des points d’eau.

Au regard des différents manquements relevés plus haut, une attention a été accordée à l’étude des comités de gestion des forages à Ngaoundéré. Cet article tente alors de répondre aux questions suivantes : quelles sont les composantes et les fonctions des structures de suivi des points d’eau ? Quelles  peuvent être les causes de leurs dysfonctionnements ? Comment les pouvoirs publics et les collectivités locales contribuent-ils à leur assainissement? Afin de répondre à ces différentes questions, il importe de présenter la constitution et la mission du comité de gestion d’un point d’eau, d’identifier les entraves à sa bonne marche et enfin de dresser la liste des efforts entrepris par l’État et les communes pour éliminer les dysfonctionnements.

Collecte et traitements des données

Les informations récoltées sont faites sur la base des enquêtes de terrain accompagnées des entretiens, des observations documentaires et du sondage des échantillons de ménages.

Parlant des entretiens, ils sont menés auprès de 48 membres qui appartiennent tous aux différents bureaux de comités étudiés. En effet, 17 comités sont recensés dans l’ensemble des trois communes que compte Ngaoundéré, mais huit seulement ont fait l’objet d’étude, au regard de leur organisation sérieuse, et des postes de bureau pourvus du personnel. C’est ainsi que des entrevues ont eu lieu avec les composantes des comités de gestion des forages choisis dans les communes de Ngaoundéré 1er, Ngaoundéré 2e et Ngaoundéré 3e qui, dénombrent respectivement trois, quatre et un comités. Au cours de ces entretiens, il est présenté les fonctions d’une telle structure et la mise en exergue des aspects qui entravent toujours son bon fonctionnement. En plus, d’autres entretiens se sont déroulés avec les trois cadres de développement des différentes municipalités et un responsable du Programme National de Développement Participatif (PNDP) représentant de l’État. Les échanges ont permis de passer en revue les différentes actions de ces acteurs en la faveur des comités de gestion.

Quant aux sources documentaires, elles ont été essentiellement focalisées sur l’exploitation des Plans Communaux de Développement (PCD) en vue d’obtenir l’effectif démographique des quartiers constituant notre échantillon d’étude. C’est à la suite de ces informations recueillies que nous procédions au sondage d’un quota de 230 ménages choisis au hasard dans les quartiers Gambara II (94),  Nord-CIFAN (39) et Dang (97) permettant ainsi d’apprécier les prestations rendues par les comités étudiés. Tous ces instruments de collecte des données utilisées ont conduit aux résultats présentés dans le développement qui suit.

Résultats 

Les comités de gestion des forages : Fonction et composition

Les multiples fonctions attendues d’un comité

De prime abord, il importe de retenir que les comités de gestion des points d’eau en général remplissent plusieurs fonctions importantes de natures différentes. En effet, l’une de ses missions phares est d’assurer la supervision des points d’eau afin que la population l’utilise le plus longtemps possible. Il est chargé d’assurer l’entretien de la borne-fontaine et l’assainissement de son site d’implantation (G.B. Hounmenou, 2006 : 29). C’est pourquoi il règlemente le ravitaillement en eau conformément à certaines prescriptions définies en instaurant obligatoirement les heures d’ouverture et de fermeture du forage (photo 1). Pour rendre plus efficient le respect de sa règlementation, des mesures coercitives sont instituées et appliquées en cas de violation d’un calendrier de nettoyage visant à mettre la propreté aux alentours d’un point d’approvisionnement, du port de la chaussure sur la margelle, et en cas de bagarre ou autres types d’altercations pouvant survenir. C’est ainsi qu’au sein des huit comités ayant fait l’objet d’enquête, ces mesures restrictives font déjà l’unanimité dans le fonctionnement rigoureux des forages (cf. tableau 1).

Source : Enquête de terrain, janvier 2017
Tableau 1: Distribution des amendes suivant les infractions commises autour d’un forage

Les amendes prévues sont fonction de la transgression d’une règle préalablement définie. Le comité par l’entremise de l’un de ses membres se charge de la stricte application des règles en cas d’infraction commise. La rigueur observée pour le refus du port de la chaussure pendant la puisée, vise à éviter toute sorte de contamination de l’eau par certains usagers qui n’ôtent souvent pas leurs chaussures avant de manipuler la pédale des forages de type vergnet. La sanction prévue à cet effet est plus vicieuse à l’égard de tous ceux qui la transcendent.

En outre, un autre rôle du comité consiste à agir en cas de panne d’un forage. Lorsque cette panne est de nature à faire intervenir un artisan réparateur, les membres du bureau sollicitent ses services. Au cas où la panne s’avère moins grave, ce sont les services d’un technicien réparateur de proximité intervenant généralement dans le cadre d’une débrouillardise qui sont désirés.

Source : Kouiye Gabin Jules, mars 2018
Photo 1 : Approvisionnement en eau des ménages autour d’un forage ouvert depuis 6h30

Ce sont des femmes accompagnées de leurs enfants venus se ravitailler en eau à partir d’un forage géré par un comité de gestion dans un quartier de la commune de Ngaoundéré 2e. Les horaires d’ouverture, de fermeture et la discipline sont appliqués à la lettre.

De même, le comité est astreint à la tenue régulière des réunions de compte-rendu de fonctionnement aux populations, assurer de la bonne collecte des cotisations mensuelles des différents frais alloués à l’entretien du point d’eau. D’ailleurs, c’est à lui que revient la responsabilité de l’achat du matériel de maintien dont les fonds proviennent non seulement de la cotisation des habitants, mais aussi des dons de quelques mécènes. À cet effet, il prépare, publie les rapports financiers, organise les réunions, gère les finances à l’aide d’un « cahier de caisse » pour les petites dépenses (C. Bénard, J. Tripet et R. Weill, 2013 : 5). Sa compétence  est élargie à l’élaboration d’un règlement intérieur, régissant la fréquence des réunions, mentionnant les recettes, les dépenses et même les sanctions assorties de leurs amendes en cas de dérive. Tout cela dépend du sérieux et de la rigueur du comité qui encadre les populations bénéficiant des privilèges de l’ouvrage hydraulique.

Les composantes du bureau d’un comité de gestion

Il importe de retenir que les comités faisant l’objet de notre attention ont été créés entre 2010-2017, soit en moyenne plus d’une demi-décennie de fonctionnement. Dans leurs compositions internes, ils doivent en principe être constitués d’un nombre limité et agissant des membres choisis par les populations au cours d’une assemblée générale. Ceux qui entrent dans le cadre de nos investigations comptent dans leur structure six membres à la base, tous sont des hommes qui remplissent différentes fonctions (tableau 2). Leurs tranches d’âges se situent entre 35 et 50 ans, et selon leur profil socioprofessionnel ; 35,41 % sont des fonctionnaires, 39,58 % des agro-éleveurs et 25 % des commerçants.

Source : Enquête de terrain, mars 2017
Tableau 2: La composition du bureau d’un comité de gestion de forage

Le rôle du président est d’être le garant de la bonne gestion du point d’eau. Il veille à la bonne marche des activités du comité, convoque et préside les réunions. Le ou les trésoriers s’occupent des finances et de la comptabilité au même titre que le commissaire aux comptes. D’autres membres qui complètent le bureau comme le secrétaire général se charge d’inscrire le nom de tous les résidents du quartier qui s’approvisionnent à partir du forage, entre autres, il s’occupe de la gestion administrative du comité en rédigeant parfois les rapports lorsque les réunions se sont tenues. Le censeur est chargé du suivi de l’ouvrage dont il veille au bon fonctionnement quotidien pendant le ravitaillement. Il assume les différents horaires d’ouverture et de fermeture. En outre, il se charge spécialement d’appliquer à la lettre les amendes prévues par le bureau, collecte les cotisations de chaque ménage pour ensuite les reverser auprès du trésorier principal. Bref, le censeur est le garant de la discipline autour du point d’eau qui doit fonctionner selon une certaine rigueur.

Cependant, il y’a des disparités sur les effectifs des membres du bureau des comités étudiés. 75 % illustrent les différents membres présentés par le tableau ci-dessus et sont observés dans les quartiers Gambara II et Nord-CIFAN, alors que seulement 25% comptent plutôt deux commissaires aux comptes et un trésorier, en l’occurrence le comité du quartier Dang.

Par ailleurs, il est important de souligner que les frais de cotisation exigés aux populations varient d’un comité à un autre. En effet, 50 % fixent la modeste somme de 100 FCFA à verser mensuellement par chaque famille ; 33,33 % ont opté pour le seuil de 200 FCFA et 16,66 % exigent une cotisation mensuelle de 150 FCFA par ménage. Ces frais collectés par les populations font à la fois office des fonds d’entretien de l’ouvrage et d’une autorisation de ravitaillement en eau qui s’effectue à volonté durant le mois à condition que le forage soit fonctionnel. C’est donc dire qu’il n’existe pas de fontainier chargé de collecter l’argent au moment de l’approvisionnement en eau hormis le censeur qui met de l’ordre lorsqu’il y a affluence autour du point d’eau. 

Les diverses faiblesses liées au fonctionnement des comités

Le choix non démocratique des membres du bureau

Tous les comités enquêtés sont constitués des membres n’ayant pas été choisis au gré des populations  au cours d’une assemblée générale, convoquée par le chef du quartier ou la municipalité de leur appartenance. Dès lors, une idée claire est donnée sur le mode de désignation de ces différents membres qui assurent une fonction au sein d’un bureau (cf. figure 1).

Source : Enquête de terrain, mars 2017
Figure 1 : Modes de désignation des membres d’un comité de gestion

Il en ressort que le mode de désignation des membres d’un comité de gestion de point d’eau n’obéit pas au principe démocratique qui recommande l’organisation des élections. Dans le cas présent, le choix des composantes d’un bureau est imposé aux populations  soit par la mairie de leur appartenance soit par le chef du quartier qui choisit un membre selon ses affinités ethniques ou amicales avec ce dernier. L’influence du politique renvoie à l’appartenance du candidat à une formation politique de sa circonscription de résidence où il milite le plus souvent et occupe même un poste de responsabilité au sein du bureau d’un comité de base. Ainsi, sur les 48 membres que comptent les comités étudiés, aucun n’est élu à la suite d’un scrutin organisé selon les règles de l’art. Ils ne sont pas choisis démocratiquement par l’ensemble des populations de leurs différents quartiers, mais ils sont tous issus d’une désignation aléatoire qui place les habitants devant les faits déjà accomplis. Le choix des membres doit avant tout satisfaire la condition de légitimité et de représentativité de toute la population, y compris des personnes les plus défavorisées (Wikiwater, 2018 : 2). L’idéal serait qu’ils soient vraiment représentatifs et honorablement connus de la population locale et ensuite élus par elle.

Sur les quatre comités que compte la commune de Ngaoundéré 2e, 47,61 % des membres émanent du choix des chefs de quartier et 40 % ont été imposés par la mairie qui ne consulte pas la population. Par contre, les personnes appartenant aux structures de gestion des points d’eau des collectivités locales de Ngaoundéré 1er et 3e sont plus issues du résultat de l’emprise du politique ayant institué 66,66 % de membres. En plus, aucun d’entre eux n’a fait l’objet d’une enquête de moralité, ou d’un vote par les habitants. Ceci prouve que le plus souvent un mode formel de nomination n’a pas eu lieu, à plus forte raison une élection (J-P.O. De Sardan ,2000 : 27). C’est pourquoi 90,43 % des ménages boudent toujours les bureaux existants qui ne répondent pas à leurs critères de désignation. L’on se rend alors compte que l’un des manquements observés au sein des comités est celui du mode de désignation arbitraire de ses membres en l’absence du respect d’une véritable démocratie calquée sur le choix délibéré des dirigeants.

L’absence de textes réglementant l’encadrement et le suivi juridique

Dans le but d’éviter toute sorte de désagrément, chaque comité est tenu d’avoir en  son sein des textes de base qui régissent son fonctionnement et son organisation. Mais, ceci n’est généralement pas le cas pour certains comités qui ont été observés, car rares sont ceux qui disposent des normes inscrites et appliquées  par le bureau imposé.

Au regard des comités ayant fait l’objet d’observation, 81,25 % ne disposent d’aucun texte ni d’un simple règlement intérieur. Ils fonctionnent selon une navigation à vue, car certaines décisions sont prises à la hâte, sans consultation préalable d’une quelconque législation arrêtée à l’avance. Le plus souvent, l’on s’en tient seulement aux prescriptions  prises verbalement qui font l’objet d’amendement au jour le jour faute de loi fondamentale. Pour ces membres, il est inutile de mentionner dans un registre toutes les résolutions prises. C’est pourquoi l’on retient que l’absence de statut officiel pour ces comités ne les contraint pas à une gestion rigoureuse (Wikiwater, 2018 : 5).

En revanche, rien que 18,75 % ont à leur possession un règlement intérieur bien défini, un préambule qui institue le comité bien qu’il s’agisse d’un texte qui fonctionne encore dans l’informel. Son application demeure toutefois en vigueur au sein de ces comités et conditionne quand même le maintien des ouvrages hydrauliques.

Au demeurant, en l’absence d’une législation, 75 % des membres de bureaux exercent encore leur fonction depuis plus de deux ans ; pourtant d’après les populations interrogées, aucun d’entre eux ne devrait excéder cette durée de mandat reconnue d’un commun accord de gré à gré. En outre, 71,25 % de présidents maintiennent toujours leurs postes depuis lors et 91,66 % de trésoriers occupent encore leurs fonctions à en juger les différents privilèges dont ils continuent de glaner.

Une opacité de la gestion financière

L’une des caractéristiques des comités que nous étudions est le manque de transparence dans la gestion des fonds collectés auprès des populations, justifiant généralement l’absence d’un cahier de compte et même la tenue des réunions de restitution des frais recouvrés et dépensés. Cette mauvaise gestion des finances destinées prioritairement à l’entretien des forages est causée par plusieurs types de dépenses des membres (cf. figure 2).

Source : Enquête de terrain, mars 2017
Figure 2 : Typologie des causes de dépenses effectuées par les comités de gestion

Le présent graphique laisse présager les proportions des raisons qui déterminent les fautes de gestions enregistrées par les comités afin de justifier les dépenses des fonds financiers collectés. En réalité,  l’on constate que la majorité des dépenses imputées aux emprunts est due aux prêts abusifs d’argent par les membres du bureau et surtout par le trésorier qui effectue l’usure. Les comités appartenant aux communes de Ngaoundéré 1er et 2e  se démarquent dans ce cas de figure avec 71,42 % de trésoriers qui distraient les fonds alloués au comité à travers cette pratique devenue très courante. Ceux-ci ne préservent pas l’argent perçu dans un compte bancaire, mais développent des activités lucratives à l’attente d’une quelconque dépense exigée par la communauté.

Les recouvrements financiers effectués partiellement, sont dus à l’indigence de certains ménages qui sont incapables d’honorer le versement mensuel, des frais exigés pour le ravitaillement en eau à partir d’un forage. Compte tenu de leur situation socioprofessionnelle, ils sont parfois contraints d’adopter la formule d’un paiement morcelé des arriérés dont ils cumulent régulièrement. Cette situation cause alors du tort au censeur chargé de la collecte qui doit justifier ces retards auprès du trésorier. Ce sont les mairies de Ngaoundéré  2e  et 3e qui sont dans cette situation avec 81,5 % des cas de difficulté à recouvrer les cotisations des ménages.

Les dépenses effectuées dans le cadre du dépannage d’un forage consistent à débourser de l’argent, pour l’achat d’une pièce en panne et pour le paiement des prestations d’un artisan réparateur sollicité. En fait, la tarification des interventions est fonction du niveau des pannes qui peuvent être souterraines ou superficielles (Programme Gouvernance Locale de l’Eau, 1998 : 2). Sur les 11 cas d’interventions enregistrées, 36,36 % de forages ont eu un dysfonctionnement souterrain contrairement aux 54,54 % dont les pannes sont superficielles. Les frais déboursés pour les différentes réparations ne sont souvent pas exorbitants et oscillent autour de 7500-15000 FCFA selon la gravité de la panne. Mais, rares sont les trésoriers qui font allusion à de telles dépenses, d’ailleurs dénoncées par 96,08 % de ménages. Elles sont gérées habituellement entre le trésorier et certains membres du bureau qui s’offusquent à faire un véritable compte-rendu aux populations.

Le désagrément des populations face à la mauvaise gestion des comités

Certains aspects qui persistent encore à fragiliser le fonctionnement efficace des comités ont fait l’objet du recueil de l’avis des populations (cf. figure 3).

Source : Enquête de terrain, mai 2017
Figure 3 : Avis des populations sur les prestations des comités de gestion

Le faciès de cette figure illustre les multiples plaintes exprimées par les ménages au sujet des faiblesses observées auprès des comités. Les cas de pannes des forages enregistrées ne font souvent pas l’objet d’une réparation diligente, expliquant ainsi la plainte de plus de 38 % de ménages. Une telle situation contraint ces derniers à recourir à l’usage des modes rudimentaires d’approvisionnement comme : le puits à ciel ouvert, la source naturelle, et pour certains l’eau de la rivière ou des bas-fonds. Ces pannes, devenues récurrentes, surgissent le plus souvent à cause de la forte demande en eau des populations connectées au réseau courant et qui sont de plus en plus victimes des coupures intempestives. Cette difficulté amène alors ces populations à s’approvisionner à partir des forages et occasionne ainsi une forte affluence qui justifie la plupart des pannes dues à la manipulation abusive et anarchique des points d’eau autonomes.

Les heures d’ouverture et de fermeture indiquées pour les points d’eau se situent dans la plupart des cas entre 6 heures et 18 heures. Mais, certains censeurs responsables de cette tâche ne l’assument pas correctement. C’est un problème vécu par 59,57 % des populations appartenant aux comités de la commune de Ngaoundéré 1er  dont maintes plaintes sont notées à cause de l’irrespect des horaires indiqués pour le ravitaillement en eau. Les censeurs, en charge, ouvrent ces points d’eau à leur guise. Parfois, ils les ouvrent deux heures après l’heure d’ouverture fixée et les referment quelquefois une heure bien avant. Cette mauvaise gestion, des horaires, impacte sur l’approvisionnement en eau des populations toujours à la quête du garant de la borne-fontaine.

Par ailleurs, des faveurs sont accordées par le censeur à certains ménages qui n’effectuent pas le versement mensuel de leurs cotisations. Ces actes sont décriés par 59,79 % des populations de Dang qui dénoncent ces irrégularités par le non-paiement des frais de ravitaillement des personnes qu’ils qualifient de « mauvaise foi ». Le mécontentement des uns et des autres devient flagrant, lorsque ces habitants en situation d’irrégularité se rendent au point d’eau où ils font fréquemment l’objet d’une critique, de la part des autres habitants ayant payé leurs contributions. Tout ceci est dû à l’absence d’une gestion transparente des cotisations par le bureau dont le fonctionnement est calqué sur une privatisation du système où seulement une ou deux personnes sont au courant du montant en caisse (C. Bénard, J. Tripet et R. Weill, 2013 : 33).

Les actions d’assainissement des comités de gestion des forages

L’appui, sans cesse, des pouvoirs publics

Pour accompagner les comités appartenant aux différentes communes de Ngaoundéré, l’État a initié sa contribution par le biais du PNDP. En effet, depuis 2013 cette structure étatique intervient par la formation des artisans réparateurs (G. J. Kouiye, 2018 :164). Ce sont  des personnes choisies délibérément par chacune des collectivités locales et formées gratuitement par le PNDP pour intervenir en cas de panne survenue sur un forage. Le choix de formation est orienté sur deux personnes recevant des connaissances pratiques et des kits de travail.

Sur les huit comités, six ont déjà reçu l’intervention d’un artisan réparateur ayant remis sur pied les forages tombés en panne. Pour les différentes interventions, il revient généralement au comité la charge du paiement des prestations de l’artisan réparateur dont le coût peut varier entre 2500 et 5000 FCFA selon la gravité de la panne. Ces derniers, jusqu’alors, n’ayant pas encore reçu un statut bien défini sanctionné par une rémunération au sein des communes. De ce fait, ils ne sont ni des agents ni des fonctionnaires, mais interviennent en tant que des bénévoles ayant reçu une formation, dont les interventions, sont recommandées pour la réparation des points d’eau. Aussi, en cas de remplacement d’une  pièce quelconque indisponible dans la circonscription, il est exigé au comité d’apporter une quote-part pour son achat. Au cours de certaines interventions dont les dysfonctionnements s’avèrent légers, ce sont plutôt ces techniciens qui s’attèlent à fournir la pièce de rechange du point d’eau, puisqu’ils en reçoivent très souvent du PNDP.

En outre, le PNDP organise très souvent des sessions de formation de recyclage en faveur de ces agents réparateurs dont les interventions sur les forages restent toujours au bénéfice des populations. Avec cet apport, les comités sont de plus en plus aujourd’hui à l’abri de certaines pannes élémentaires autrefois récurrentes. D’ailleurs, cette contribution fait l’objet de l’appréciation de 82,82 % de ménages qui confirment l’efficacité de ces techniciens grâce à qui ils font de moins en moins recours aux modes informels d’approvisionnement en eau ( puits, rivière, bas-fonds…), véritables réservoirs de dissémination des maladies hydriques.

La contribution des communes

Afin d’assurer un fonctionnement pérenne des comités de gestion, les communes interviennent depuis un certain temps par le concours des cadres de développement. En effet, on en compte un par municipalité qui se charge d’encadrer régulièrement les membres du bureau des comités. Il organise des rencontres au cours desquelles les échanges portent sur la démarche de la bonne gestion d’un point d’eau, les finances collectées auprès des populations avec ouverture d’un compte bancaire et le mode de désignation des membres qui doit se conformer aux exigences démocratiques basées sur l’organisation des élections ; bien que les communes dérogent encore à ce principe. Pour cela, au cours des assises, on a créé le  profil des potentiels membres du bureau qui conditionne toute présentation d’une candidature. Il est recommandé entre autres : d’être volontaire, avoir une bonne moralité et résider dans le quartier.

Les cadres de développement qui sont les chefs de service technique sensibilisent aussi les comités sur la qualité officielle de cette structure dont la plupart a encore un caractère illégal. À cet effet, les communes se sont dévouées à accompagner ces groupements dans leur légalisation afin qu’ils aient force de loi et de légitimité en cas de litige. Elles ont pris la résolution de mettre l’accent sur la légalité des comités étant donné qu’ils reçoivent en permanence les interventions de l’État qui crée non seulement les points d’eau autonomes, mais aussi, met les artisans réparateurs à leur disposition. Depuis lors, 50 % de ces structures ont déjà installé un bureau dont les élections ont été organisées sous la supervision des représentants communaux. Cette initiative consiste à donner la possibilité à toutes les catégories de personnes dans la communauté, à se porter candidat aux postes de responsabilité au sein d’un comité de gestion d’eau (Helvetas, 2013 : 30), car le meilleur moyen de choisir un membre du comité est le vote à travers un système démocratique.

Conclusion

Le présent article avait pour objectif principal de mettre en relief les différents dysfonctionnements observés au sein des comités de gestion des points d’eau que constituent les forages à N’gaoundéré.

L’étude montre que de nombreuses faiblesses existent toujours dans le fonctionnement des comités. Elles sont constituées entre autres de l’absence d’un choix démocratique des membres par l’organisation des élections, l’indisponibilité des textes de régulation et une véritable opacité dans la gestion des finances. De plus, on y déplore la collecte partielle des fonds destinés au maintien des points d’eau par les censeurs à cause de leur complaisance, une utilisation arbitraire des frais collectés par des trésoriers véreux qui sont à l’origine de la mauvaise gestion de ces fonds encaissés. Une telle situation permet de décliner les responsabilités de tout un chacun dans les dérives observées au sein de ces groupes de suivi des points d’eau.

Toutefois, compte tenu du fait que les comités sont aujourd’hui un acteur à part entière de la politique d’eau, des efforts d’accompagnement dans leur assainissement sont entrepris par les pouvoirs publics et les collectivités territoriales décentralisées. Ceux-ci s’engagent davantage à intervenir dans la réparation des forages tombés en panne avec le concours  des artisans réparateurs et l’organisation des séances de formation en insistant sur le mode de fonctionnement des comités. Les résultats de ces actions sont déjà visibles, car nombreuses sont ces structures de suivi qui ont par exemple un bureau élu démocratiquement, des règlements intérieurs en cours de validation officielle et l’amélioration des modalités de recouvrements des fonds avec traçabilité dans un compte d’épargne bancaire ou dans une microfinance.

 

Références bibliographiques


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Pour citer cet article


Référence électronique

Gabin Jules KOUIYE (2021). « Dysfonctionnements des comités de gestion des forages à N’Gaoundéré au Cameroun ». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (8) 2. En ligne le 25 décembre 2021, pp. 23-27. URL: https://revuecangeotrop.ca

 

Auteur


Gabin Jules KOUIYE
Docteur en Géographie
Université de N’Gaoundéré, Cameroun
E-mail : gabin.jules@yahoo.com