Odonymy and expression of identity in Bandundu, a secondary town in the South West of the Democratic Republic of Congo
Urbain MBENGA MPIEM LEY
Résumé: Bandundu est une ville moyenne du Sud-Ouest du Congo dont l’évolution politico-administrative fut marquée par des « éclipses » durant lesquelles la ville a changé de rôle politico-administratif, passant du chef-lieu de territoire et de district, basculant ainsi entre les districts du Kwango, du Lac Léopold II et du Kwilu à celui de ville régionale (capitale de la l’ensemble de la province de Bandundu). Durant ces péripéties politico- administratives, la ville a connu des jalons d’une dichotomie odonymique concernant les avenues, opposant la vision de ses bâtisseurs et cherchant les uns et les autres à laisser leurs marques identitaires de territorialité dans l’ancienne circonscription européenne et dans la « cité ». L’étude fera également allusion à la toponymie des communes et quartiers qui sont des faits récents dans l’histoire de cette ville.
Mots clés: Bandundu, éclipses, expression identitaire, odonymie, toponymie
Abstract: Bandundu is a medium-sized town in the south-west of the Congo. Its political and administrative evolution has been marked by ‘eclipses’ during which the town has changed its political and administrative role, moving from being the capital of a territory and district, thus switching between the districts of Kwango, Lake Leopold II and Kwilu, to that of a regional town (capital of the whole of Bandundu province). During these politico-administrative vicissitudes, the city experienced the milestones of an odonymic dichotomy concerning the avenues, opposing the vision of its builders and seeking to leave their identity marks of territoriality in the former European constituency and in the ‘city’. The study will also refer to the toponymical of the communes and districts, which are recent facts in the history of this city.
Keywords: Bandundu, eclipses, identity expression, odonymie, toponymie
Plan
Introduction
Le cycle des éclipses administratives de la ville de Bandundu
Les péripéties de la croissance spatiale
La croissance urbaine comme matrice des référents identitaires
Dynamisme des référents identitaires dans la toponymie urbaine
Conclusion
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Introduction
La toponymie peut être perçue comme un réservoir des souvenirs d’un pays ou d’une ville. Elle porte donc les marques identitaires du milieu surtout lorsqu’elle se fait accompagner par des géo-symboles. Une recherche sur l’odonymie des villes présente un intérêt non seulement en vue de la connaissance de l’histoire de ces villes, mais aussi une occasion d’appropriation par ses habitants. En effet, l’odonymie reflète souvent le passé colonial des villes.
À titre indicatif, à Brazzaville, les avenues rappellent à la fois le passé colonial français (Avenue Savorgnan de Brazza), le passé socialiste (Avenue Lénine) et la volonté de l’identité nationale (Avenue Marien Ngouabi). En République Démocratique du Congo, avant 1971, les noms de plusieurs villes reflétaient le passé colonial belge : Banningville, Baudouinville, Coquilathville, Elisabethville, Jadothville, Léopoldville, Nouvelle Anvers, Ponthierville, Stanleyville, Thysville, etc…À Bandundu, on retrouvait ce passé colonial belge à travers les avenues de l’ancienne circonscription européenne.
À Kinshasa, les avenues Assossa, Birmanie, Gambela et Saio rappellent le passé victorieux de la Force Publique aux côtés des alliés lors de la Première Guerre Mondiale. Ainsi, la toponymie urbaine ouvre des perspectives de recherche multidisciplinaires dans ce sens qu’elle permet de retrouver la forme primitive des noms des lieux, leur étymologie et leur sens originaire. Cette importance a suscité des nombreuses publications et rencontres parmi lesquelles le colloque organisé à Aix-en-Provence (Bouvier et Guillon, 2001) au cours duquel la toponymie des plusieurs villes européennes a été examinée. En Afrique, un Symposium International s’était tenu à Niamey au Niger du 5 au 10 septembre 2018 sur le thème Nommer les lieux en Afrique : enjeux sociaux, politiques et culturels. Pour un observatoire des néo toponymies urbaine, géopolitique et numérique. L’abondance et la scientificité des communications ont fait de ce colloque un véritable volcan linguistique actif (Esseno, 2018).
Chevalier (1997) estimait que l’importance des études sur la toponymie par les géographes a ouvert un autre champ proche, celui des exonymes considérés comme des noms géographiques appartenant à une langue déterminée et désignant des régions, des villes, des cours d’eau, etc… situés dans un pays où cette langue n’est pas parlée. Ainsi, l’exonyme (toponyme) fait partie du patrimoine géographique de ce milieu. Lors des hommages à Bonnemaison, Schmitz (1998) écrivait que les toponymes permettent aux lieux d’exister et vont jusqu’à rendre certains lieux visibles.
En géographie humaine, la toponymie peut contribuer à reconstituer l’histoire du peuplement, de la mise en valeur du sol …. Ainsi, l’appropriation de l’espace par la population permet de repenser l’urbanisation afin de créer des villes « soutenables » pour stimuler la croissance et réduire aussi la pauvreté. Cet aspect de l’appropriation de l’espace a été relevé par Gaston Ndoch Ndoch (2020) dans la ville de Yaoundé où le moteur de la production toponymique se trouve être, d’une part, l’urbanisation spontanée populaire et la volonté urbaine de l’autorité d’autre part. Ainsi, la toponymie peut devenir à la fois le contenant et le contenu de l’histoire d’une ville : origine, croissance spatiale et fonctions urbaines.
Concernant la toponymie des villes congolaises, on peut citer une étude réalisée par le Groupe d’Experts des Nations Unies pour les noms géographiques (2011), qui soulignait qu’en RD Congo l’usage de la toponymie rencontre d’énormes problèmes depuis la période coloniale et après l’indépendance à cause de manque d’une structure nationale de gestion toponymique. En outre, plusieurs changements s’opèrent sous l’impulsion politique ou les événements de tous genres connus par le pays. Une autre étude purement morphosémantique a été menée sur la toponymie des communes et quartiers de la ville de Kikwit (Imbwele, 2013). La présente recherche ne prétend pas combler cette lacune, mais cherche à poser les termes d’une méthode et susciter l’intérêt pour les géographes à aborder ce vaste champ laissé à d’autres sciences sociales. Elle s’inscrit donc dans la perspective des études sur la territorialité dans la mesure où la géographie ne sert pas seulement à faire la guerre (Lacoste, 1976, 1988), à faire le monde (Breuer, 2009) et à faire la politique (Mashini, 2017), elle permet aussi de lire les paysages avec les yeux du géographe (Mbenga, 2017).
Concernant particulièrement la ville de Bandundu, il y a lieu de noter que l’évolution politico-administrative de cette ville a connu un développement intermittent qu’Henri Nicolaï (1972) avait qualifié d’éclipses. Ce thème se retrouve à la base des travaux de plusieurs chercheurs dont Mandala Mandar (1978), Mbenga Mpiem (1980), Maboloko et Mbenga (1995) ; Noti (2003 ; 2006), Mbenga et Mafuta (2014). Dans une perspective processuelle, la préoccupation majeure de la présente note est celle de chercher à connaitre les enjeux, qui ont présidé à la production de la toponymie polyphonique actuelle de la ville de Bandundu. On retient l’hypothèse selon laquelle la production de la toponymie de cette ville relèverait d’une toponymie vernaculaire populaire sur laquelle seraient venus se greffer des référentiels identitaires par les pouvoirs publics, pour périodiser l’évolution politico administrative de la ville.
Il convient de rappeler que cette recherche concerne les odonymes se rapportant uniquement aux avenues de la ville. Ce qui n’empêche pas des allusions sur la toponymie des communes et quelques quartiers de la ville.
La recherche en géographie sociale n’échappe pas aux méthodes développées par les autres sciences humaines et sociales. C’est dans cette perspective que di Meo et Buleon (2014) proposent deux familles d’approches dont celle qui tend à rendre compte des comportements sociaux et des phénomènes socio-spatiaux. La manipulation des données, surtout statistiques, tend à rechercher des corrélations entre diverses variables. C’est ce à quoi cet article tentera d’aboutir.
La collecte des données a été rendue possible par la combinaison de plusieurs techniques. Le dépouillement des quelques archives disponibles à l’Hôtel de Ville de Bandundu a permis de reconstituer la toponymie coloniale. Cette étape a été complétée et rendue possible grâce aux entretiens avec des personnes ressources rencontrées y compris les jeunes à Bandundu et à Kinshasa. Il fallait également compter sur notre propre expérience de la ville à la suite de nombreuses recherches menées sur cette ville (1980, 1995, 2014, 2020). La télédétection a fourni des images satellitaires dont les fonds ont servi de support pour la réalisation des cartes avec le logiciel ARC.
La période envisagée qui s’étend sur plus de 50 ans d’existence de cette ville parait suffisante pour obtenir une perspective historique du phénomène étudié. Sur le plan spatial, la recherche porte sur toute la ville afin de concilier la spatialité et la temporalité.
La perte et la détérioration des archives à la suite du ballotage politico-administratif de la ville entre les différents districts constituent une contrainte majeure de la recherche. Une autre contrainte réside dans l’absence d’un service spécialisé pour l’attribution des noms des avenues, à l’exception de la toponymie de décision qui relève souvent du processus de débaptisation. À cette étape exploratoire, les questions d’interprétation ont surgi. En effet, devant certains noms ayant une signification ambivalente, on se demandait dans quelle catégorie les placer. C’est le cas de l’avenue Wamba qui est à la fois une rivière et une entité administrative (secteur). Devant telles situations, les témoignages populaires et l’analyse du contexte spatial ont guidé notre décision. Ainsi, Wamba a été considéré comme hydronyme et non comme toponyme. Que retenir de cette récolte sans doute incomplète des données de terrain ?
Le cycle des éclipses administratives de la ville de Bandundu
Des études antérieures consacrées à cette ville (Nicolaï, 1972 ; Maboloko et Mbenga, 1995 ; Noti, 2006) offrent les péripéties de l’évolution politico-administrative depuis sa création jusqu’à son élévation au rang de la capitale régionale de la province de Bandundu. La figure 1 ci-dessous place la ville au cœur de la province.
Figure 1: La ville de Bandundu dans la province du Bandundu
Ville portuaire au confluent des rivières Kasaï, Kwango et Kwilu, Bandundu, alors Banningville (en souvenir de l’homme politique belge Émile Banning), fut érigée en factorerie en 1891 par Ernest Stache, à 12 km de Dima, capitale régionale d’une société huilière, la Compagnie du Kasaï et de l’Equateur et en face de la mission catholique Wombali, berceau de l’évangélisation du bassin du Kwango par les missionnaires catholiques (Mukoso, 1993 ; Mbenga et Mafuta, 2014). En 1911, Banningville, devint le chef-lieu du vaste district du Kwango (décrets du 7 mars 1910 et du 28 mars 1912) jusqu’en 1936, année marquant le transfert des institutions administratives à Kikwit. La ville est alors reléguée au rang du chef-lieu du territoire de Banningville (actuel territoire de Bagata), crée en 1913 et rattaché alors au district de Lac Léopold II dont le chef-lieu était Inongo.
Avec la réforme administrative de 1954 (ordonnance n° 21/60 du 25 février 1954), le vaste district du Kwango est scindé en deux districts dont le Kwango (ordonnance n° 21/63) avec comme chef-lieu Kenge et le Kwilu (ordonnance n° 21/64) avec Kikwit comme chef-lieu. Chaque district compte cinq territoires. C’est ainsi que le territoire de Banningville est mis de nouveau en ballotage : il est détaché du district de Lac Léopold II pour être alors rattaché définitivement au district du Kwilu. Après l’indépendance du pays en 1960, tous les anciens districts deviennent alors des provinces, mieux des « provincettes ». Le pays en compte jusqu’à 21.
Dans le cadre de la recherche du contrôle du pouvoir, le gouvernement impose un nouveau maillage politico-administratif qui fait passer successivement le nombre des provinces de 21 à 12 en 1966 et à 8 en 1967. Redevenue Bandundu en 1966 dans un vaste mouvement national de recherche identitaire, la ville est relevée au rang de la capitale régionale de la nouvelle province de Bandundu, regroupant les anciennes provinces du Kwango, du Kwilu et du Lac Léopold II. Il faut noter cependant que le maintien des institutions régionales restera instable de 1966 à 1972 entre Kikwit et Bandundu, faute d’infrastructures d’accueil dans une ville qui apparait plus comme une création politique que comme une nécessité économique (H. Nicolaï, 1987). Toutefois, le transfert des institutions provinciales a transformé le paysage urbain. En effet, il fallait répondre au besoin de logement des nouveaux fonctionnaires avec la création de nouveaux lotissements. En outre, le besoin en équipements s’imposait : institutions bancaires, voirie viable, électrification, aérodrome, institutions d’enseignement universitaire, approvisionnement en eau potable, … En dépit de certaines ratées comme l’absence des projets de développement à caractère régional (Mashini, 2015), on peut affirmer que des considérations purement politiques et administratives peuvent devenir des facteurs de transformation de la morphologie qui ont fait que la ville de Bandundu ait pu s’imposer comme capitale politico-administrative et une métropole d’équilibre dans l’espace régional.
En tant qu’agglomération, Bandundu a connu plusieurs statuts. D’abord, par ordonnance du Gouverneur Général de décembre 1915, elle a été érigée en circonscription urbaine, comprenant les quartiers européen, administratif et commercial. En 1936, le reste de la ville devient un centre extra coutumier jusqu’à l’accession du pays à l’indépendance. C’est en 1963 que la circonscription urbaine fusionne avec le centre extra coutumier pour former la commune de Banningville et c’est le 21 novembre 1969 que Bandundu accède au statut de ville avec trois communes urbaines (Basoko, Disasi et Mayoyo). La ville englobe alors dans ses nouvelles limites outre la circonscription urbaine (commune de Basoko), le centre extra coutumier (communes de Disasi et Mayoyo), les anciens villages suburbains comme Luani, Buzala, Ebolo, Salaminta, Bimbili, Bongali… sur une superficie pensant de 264 Ha à 1960 et estimée actuellement à plus de 22.200 Ha pour une population dépassants 280.000 habitants qui ne cesse de s’accroitre.
Les péripéties de la croissance spatiale
Cette croissance peut être retracée à travers la figure n° 2 ci-dessous.
Figure 2: La croissance spatiale de la ville de Bandundu
À l’époque coloniale, la ville était composée de deux noyaux distincts : le quartier européen ou la « ville » près du port et la cité africaine qui avait le statut d’un centre extra coutumier – CEC-La mission catholique Saint Hyppolite, située entre les avenues Joséphine Charlotte et Kwango, servait de zone de tampon entre les deux quartiers. C’est là l’une des caractéristiques du système colonial, basé sur la ségrégation spatiale et raciale.
Le CEC s’étendait entre les avenues Wamba au Nord et ex Usumbura au Sud ; Fatundu à l’est et Kwango à l’Ouest. Entre 1960 et 1965, une extension Sud poussent les limites du CEC jusqu’à l’avenue Kiwa aux abords de la zone marécageuse de Bunkunku. A partir de 1971, le transfert des institutions provinciales de Kikwit vers Bandundu, le chef-lieu de la nouvelle province de Bandundu, avait provoqué le transfert d’environ de 10.000 personnes (BLANC, 1972). Ce qui entraîna un besoin croissant en nouveaux lotissements.
Au nord, le nouveau quartier Air Zaïre (la compagnie aérienne nationale de l’époque) est né entre l’avenue Wamba et l’aéroport, avec une nouvelle extension au-delà de l’aéroport après les années 1990 vers l’ancienne cité industrielle de Dima. Au Sud, on signale la naissance du quartier Caravane (en souvenir de Caravane du Soir, le premier bar du quartier) dont l’extension a absorbé le village Lwani sur le rivage de la rivière Kwango. A l’Est de la ville, l’assèchement de la rivière Ngamilele donna naissance au quartier Malebo (nom vernaculaire du palmier borassus, très abondant dans cette partie de la ville) en suivant la route d’intérêt régional Bandundu-Bagata-Kikwit.
La consolidation du pouvoir régional de la ville à partir des années 90 entraîna une deuxième phase d’extension au nord au-delà de l’aéroport avec le quartier MONUSCO et le plateau de Tala Ngai vers Dima et au sud en suivant la route de Buzala. Rappelons que cette croissance spatiale a entraîné la phagocytation de tous les villages suburbains comme Ebolo, Lwani et plus tard Buzala au Sud, Bimbili au nord et Salaminta à l’Ouest. Qu’en est-il de l’évolution de la toponymie ?
La croissance urbaine comme matrice des référents identitaires
Le tableau ci-dessous a été élaboré en vue lier la spatialisation et la typologie de la toponymie des avenues en allant du Nord au Sud conformément à l’orientation des avenues de la ville.
Tableau 1: Spatialisation de la toponymie des avenues de la ville de Bandundu
On constate que la spatialisation est en relation avec la typologie de la toponymie. Pour comprendre cela, il convient de souligner que la ville de Bandundu dispose d’un plan en damier remarquable où seules les avenues orientées Est-Ouest portent des noms, tandis que celles orientées Nord-Sud sont appelées « directions », à l’exception de quelques-unes qui portent des noms. C’est le cas de l’ex avenue Joséphine Charlotte dans le quartier colonial et des avenues Kwango et Fatundu dans la cité africaine.
Figure 3: Spatialisation de la toponymie de la ville de Bandundu
À partir de cette spatialisation de la toponymie, six noyaux apparaissent. Dans l’ancien quartier européen, il était évident que la toponymie des avenues reflète le passé colonial belge. Contrairement à ce qui se passait dans la cité africaine, les avenues orientées Nord-Sud portaient des noms. Ce fut le cas de l’imposante avenue Joséphine Charlotte, marque de la famille royale belge, qui servait de limite entre le quartier européen et la zone tampon constituée par la paroisse Saint Hyppolite. Actuellement, ce quartier est frappé par des cas de polyphonie dans la mesure où on retrouve des odonymies de toute origine : débaptisation, expressions nationalistes, émergence des nouveaux leaders comme on le verra plus loin.
Dans l’ancien CEC, en allant du Nord au Sud entre les avenues Wamba et Usumbura, les noms des avenues sont en rapport soit avec l’hydronymie régionale (Wamba, Bakali, Luie, Kamatsha, Inzia), soit avec les entités administratives (Kapanga, Feshi, Popo Kabaka, Kasongo Lunda, Buzala).
À partir de l’avenue ex-Usumbura jusqu’à l’avenue Balanda, deux faits importants marquent la toponymie. En effet, à côté des souvenirs des agglomérations régionales (Kwamouth, Wombali et Dima), apparaissaient des indices de la vocation africaine de la ville avec des avenues comme Usumbura, Angola et Kenya ainsi que la reconnaissance des leaders locaux. En effet, on retrouve quatre avenues qui se suivent et qui portent les noms des anciens chefs du Centre Extra Coutumier. Selon l’ordre chronologique, Sakata (un ancien militaire) fut le premier chef de centre en 1936, suivi d’Honoré Disasi, Henri Balanda et François Kiwa. Ils sont considérés comme les bâtisseurs de cette ville. Originaire du district du Kwango, le chef Sakata aurait joué un rôle majeur dans la prédominance d’une toponymie du Kwango avec des avenues comme Feshi, Kamutsha, Popo Kabaka, Kasongo Lunda, Panzi, Kahemba.
La première extension Nord entre Wamba et l’aéroport confirme la vocation régionale de la ville devenue alors la capitale de la nouvelle province. C’est ainsi que vont naître les avenues Kikwit, Bagata, Bulungu, Idiofa, Mangai, Inongo, Gungu qui sont des grands centres politico-administratifs de la nouvelle province du Bandundu. L’avenue Air Zaïre, devenue RVA (Régie des Voies Aériennes), fera exception à la règle : elle constitue la frontière entre la cité et l’aéroport. La deuxième extension Nord porte les traces de cette vocation régionale de la ville prenant en compte même les petites localités comme Kibambili.
Par contre dans les extensions sud (quartier Caravane), on compte au moins onze avenues qui portent les noms des tribus nationales : Bayanzi, Bambala, etc. Ces ethnies génèrent des sentiments d’appartenance qui sont autant des composantes possibles de l’identité sociale des individus.
On note alors que plusieurs identités coexistent au sein de cet espace et dégagent des sentiments d’appartenance. À travers cette toponymie identitaire, on assiste à l’émergence d’une image historique, fédératrice et conciliable de l’espace urbain. Ainsi, la ville de Bandundu affirme son image régionale et se présente comme un creuset où toutes les tribus peuvent cohabiter, effaçant les cicatrices du passé.
Tableau 2: Périodisation des avenues de Bandundu selon les marques identitaires
Légende : les chiffres () indiquent le nombre d’avenues ayant connu des cas de débaptisation
On est surpris de constater que les rivières Kasaï et Kwilu ne figurent pas dans la toponymie urbaine, de même que l’orographie (la ville étant bâtie sur une plaine) et la végétation à l’exception du quartier Malebo dominé par les palmiers borassus. En outre, dans l’ancien centre extra coutumier ce sont des noms de l’espace Kwango qui dominent, soit 75 % bien que certaines rivières traversent également le Kwilu. Les enquêtes révèlent que les premiers collaborateurs du service du Cadastre étaient originaires du Kwango qui, profitant du mépris des autres envers ce travail harassant, en profitèrent pour placer leurs marques identitaires. Cette influence du Kwango se retrouve à travers le mot « Kigoma », une déformation du mot yak « kingom » et qui est donné aux différentes prisons tant dans la ville de Bandundu, dans la ville de Kikwit et dans la cité de Bagata.
Ce panorama ne manque pas cependant de soulever quelques inquiétudes.
Dynamisme des référents identitaires dans la toponymie urbaine
Au départ, ce sont les hydronymes et les toponymes qui ont constitué le socle de l’odonomie de la ville. Devenue capitale régionale, les marques ethniques et les toponymes à caractère régional ont permis à la ville de jouer son rôle intégrateur. L’anthroponymie reste très présente dans la ville. Les noms des premiers dirigeants de la ville constituent des mémoires d’histoire. C’est dans ce cadre qu’il faut inscrire les noms des trois communes de la ville (Disasi, Basoko et Mayoyo) tandis que la toponymie coloniale a été effacée en faveur des nouveaux leaders qui incarnent le renouveau de la ville en rompant avec le passé.
On retrouve également les marques identitaires de la ville dans les noms des quartiers.
Tableau 3: Odonymie des quartiers de Bandundu par commune
Concernant la toponymie des quartiers, il convient de souligner que, malgré les différents changements de régimes intervenus dans le pays, les quartiers Mobutu et Mama Yemo conservent toujours leurs noms, rappelant l’ancien président et sa mère. Ne faudrait-il pas y voir une marque de reconnaissance envers celui qui fut le grand artisan de l’émergence de Bandundu comme capitale régionale et comme ville ?
La toponymie urbaine de la ville a connu également le phénomène de débaptisation. C’est le cas de l’avenue Usumbura devenue Boulevard du 21 Novembre (date de l’élévation de Bandundu au rang de ville), de l’avenue Joséphine Charlotte devenue avenue Dionge (en souvenir du premier maire de la commune de Disasi), de l’avenue Kenya devenue Kwilu et celui de l’avenue Angola devenue Kigoma.
Dans l’ancienne circonscription européenne et dans les nouvelles extensions de la ville, on assiste à l’émergence de certaines avenues qui portent les noms de nouveaux leaders locaux. C’est le cas des avenues Ndambu (ancien gouverneur de province), Ingénieur Motima Sankrini (opérateur économique), DG Tayeye (Enseignement Supérieur et Universitaire) ou encore Abbé Bateko. Il s’agit là d’une expression du renouvellement de la classe politique. Les causes sont à rechercher dans la volonté de l’identité nationale et au retour à des « sources historiques » dans la mesure où ces personnalités sont des leaders d’opinion dans cette ville, cherchant à rompre avec le passé auquel ils refusent de se reconnaitre. En outre, la présence dans cet ancien quartier européen des avenues portant des noms comme Rivière, Révolution, De La Paix ou de l’Emancipation constituent une expression de l’urbanité. Ces péripéties démontrent à suffisance que l’histoire n’est pas une donnée immuable, mais une perpétuelle construction et reconstruction où les perceptions idéologiques peuvent aider à comprendre la personnalité des lieux et des personnes (Schmitz, 1998).
On peut toutefois signaler des cas de « trou de mémoire » dans la mesure où il n’y a aucune avenue portant le nom d’une femme alors que la ville évolue dans une société matrilinéaire. On peut trouver maigre consolation dans la mesure où le nom Bandundu viendrait de la reine Mandun, sœur du grand chef Yansi Tatsar qui avait régné dans cette contrée. Ce dernier aurait donc baptisé le siège de son fief du nom de sa sœur. Combien peuvent encore s’en souvenir ?
Conclusion
Outre l’activité de relations, c’est généralement le rôle historique et politique de la ville qui apparait déterminant sur la toponymie urbaine (Chevalier, 1997). Sur le plan morphosémantique, la toponymie de la ville est surtout d’origine toponymique, hydronymique et anthroponymique. À travers cette toponymie, on peut affirmer assister à l’appropriation de l’espace par la population, allant du local au régional. L’analyse de cette odonymie montre, d’une part, une approche identitaire des bâtisseurs de la ville et, d’autre part, l’esprit fédérateur de la ville : Bandundu n’appartient plus seulement à ses bâtisseurs mais est devenue un patrimoine national où toutes les énergies doivent converger pour lui permettre de refléter son rôle régional.
La ville de Bandundu ne se trouverait-elle pas à la croisée de son destin partagé entre la volonté de l’appropriation de son rôle régional et la matérialité de cette volonté qui tarde peut-être à se concrétiser ? Le présent article a posé les jalons de la territorialité d’un phénomène identitaire, à travers l’odonymie, branche de la toponymie qui s’intéresse aux noms des voies et d’espaces publics. Le cas de Bandundu est révélateur de transformations urbaines et d’historicité socio-spatiale.
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Pour citer cet article
Référence électronique
MBENGA MPIEM LEY, Urbain (2022). « Odonymie et expression identitaire à Bandundu, une ville secondaire au Sud-Ouest de la République Démocratique du Congo ». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (8) 2. En ligne 23 août 2022, pp. 58-62, https://revuecangeotrop.ca
Auteur
MBENGA MPIEM LEY Urbain
Professeur Associé
Université Pédagogique Nationale
Faculté des Sciences
Département de Géographie- Sciences de l’Environnement
Kinshasa, RD Congo
E-mail: urbain.mbenga@yahoo.com