Migrations internes et développement socio-économique dans la ville de Bertoua à l’Est-Cameroun : Une analyse à partir des marchés Central et Nkolbikon

Internal migrations and socio-economic development in the city of Bertoua in Eastern Cameroon: An analysis from the Central and Nkolbikon markets

Armelle BOUME NJATENG


Résumé: La ville de Bertoua est la principale ville de la région de l’Est-Cameroun de par son statut de chef-lieu de région, sa population et les services urbains qu’elle offre. Ces fonctions lui confèrent le statut de ville la plus prisée de la région de l’Est-Cameroun. La population camerounaise cosmopolite qu’on y trouve est le résultat des migrations passées et actuelles. L’animation commerciale y est importante et constitue une part non négligeable du fonctionnement de la ville à travers les marchés Central et Nkolbikon. Pourtant, les populations autochtones ne sont pas des commerçants, mais des agriculteurs. Cette étude pose le problème des acteurs du développement socio-économique à Bertoua. La recherche repose sur l’hypothèse selon laquelle l’installation des peuples allogènes dans la ville de Bertoua a contribué à son développement socio-économique. La théorie convoquée est celle du développement local. La méthodologie utilisée a constitué à la collecte des données primaires et secondaires. Les résultats obtenus démontrent que les ressortissants de l’Ouest, de l’Adamaoua et de l’Extrême-Nord-Cameroun, plus précisément des départements des Bamboutos, de la Vina et du Diamaré, font partie des acteurs du développement socio-économique dans la ville de Bertoua.                               

Mots clés: Migrant interne, développement socio-économique, Bertoua, marché central, marché de Nkolbikon   

Abstract: The City of Bertoua is the main city in the East region of Cameroon due to his population, his urban services and his status of chief town of region. This is why it is the main city in the East region. The diversity of the population is the result of past and actual migrations. The commercial animation is important and constitutes a part of the functionment of the city through Central and Nkolbikon market space. However, the autochtones populations are farmers. This study poses the problem of the actors of socio-economic development in Bertoua. The research is based on the hypothesis that the installation of non-native peoples in the city of Bertoua has contributed to his socio-economic development. The methodology used is based on primary and secondary data gathering. The results prooves that the citizens of the West, Adamaoua and Farth North region in Cameroon especially from the department of Bamboutos, Vina and Diamaré are the main actors of the socio-economic development in Bertoua.                           

Keywords: Internal migrants, Socio-economic development, Bertoua, Central market, Nkolbikon Market
 

Plan


Introduction
Cadre théorique de la recherche
Méthodologie de la recherche
Résultats
Les migrations internes à Bertoua sont l’œuvre des ressortissants des régions de l’Ouest, de l’Extrême –Nord et de l’Adamaoua-Cameroun
Les migrations internes ont contribué à l’augmentation de la population à Bertoua
Les migrants investissent dans des activités économiques marquées par une prédominance du commerce
Les lieux d’exercice de l’activité commerciale
Des activités commerciales qui  bénéficient à la fois au ménage, à l’économie et à la Collectivité Territoriale Décentralisée
Les Migrants naturalisés vivent en harmonie avec les populations autochtones à Bertoua
Discussion
Conclusion

 

Texte intégral                                                                                Format PDF 


Introduction

Dans un millénaire marqué par la mondialisation et l’éclatement des territoires, la mobilité est de plus en plus accrue, d’autant plus que cette dernière définit l’être humain. Les raisons évoquées sont soit d’ordre professionnel, soit d’ordre personnel. Le déplacement est contraint (pour le cas des réfugiés), ou choisi (pour le cas des immigrés). Nombreux sont les travaux qui rendent compte du volet juridique, social, économique, culturel ou environnemental des migrations. Au niveau international, l’Organisation des  Nations Unies a mis sur pieds un organisme spécialisé dans les questions migratoires, au nom de l’Organisation Internationale des Migrations. Si pour certains le phénomène migratoire est un atout, pour d’autres, il est générateur de maux sociaux et environnementaux, voire culturels. De plus, les travaux actuels relatifs se concentrent plus sur les migrations internationales que sur les migrations internes ; pourtant cette dernière est importante dans l’étude des dynamiques des territoires à l’échelle d’un pays, d’une région ou d’une localité. Au Cameroun, les migrations se sont effectuées par vagues successives. C’est ainsi qu’on note deux principales phases à savoir les migrations anciennes et les migrations récentes. Les migrations internes dont il est question dans le cadre de ce travail concernent les migrations modernes. Selon le glossaire des migrations de L’OIM[i], numéro 9, on entend par migration interne le « Mouvement de personnes d’une région d’un pays à une autre afin d’y établir une nouvelle résidence ». De ce fait, s’agissant de la ville de Bertoua à l’Est-Cameroun, quelle est la contribution des peuples allogènes à son développement socio-économique ? Quelle est la typologie des peuples allogènes qui font l’objet du dynamisme de Bertoua ? Quel est l’apport des migrations internes à la ville de Bertoua ? Que peut tirer la population autochtone de ces migrants naturalisés ?

Cadre théorique de la recherche

La théorie utilisée dans le cadre de ce travail est la théorie du développement local, utilisée en géographie sous l’angle des milieux innovateurs, avec pour auteur Aydalot P. (1985). Elle a été choisie parce que l’État camerounais via la Loi n° 2004/017 du 22 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation souhaite donner un sens nouveau développement des territoires, celui du développement impulsé par les initiatives locales. Cette théorie propose « une approche globale, intégrée, communautaire et horizontale des communautés » Sommet de Montréal sur le Développement Local (2002). Elle met les populations riveraines comme des acteurs majeurs de la transformation et des innovations dans un territoire qui est leur lieu de vie et d’épanouissement, un territoire où ces derniers puisent leurs revenus monétaires et enfin un territoire où les collectivités territoriales décentralisées puisent une partie de leurs revenus pour leur fonctionnement efficace. Dans sa version plus urbaine, on parle de « développement économique communautaire »[ii].

Figure 1 : Le développement local selon les travaux issus du sommet de Montréal, 2002

Dans le cadre de ce travail, la dimension économique se traduit par le fait que la ville de Bertoua est le lieu d’exercice de leurs activités économiques. Pour la dimension locale, les produits vendus dans les marchés urbains sont pour une part des produits cultivés dans la localité ou dans les localités environnantes. Quant à la dimension sociale, politique et communautaire, les migrants internes de par leur domiciliation à Bertoua imposent de façon indirecte aux autorités des projets de développement tels que l’adduction en eau, l’aménagement ou la réhabilitation de la voirie, une meilleure couverture sanitaire et la scolarisation de la jeunesse.

Méthodologie de la recherche

Le choix des marchés urbains comme étude cas de notre analyse se justifie par le fait qu’ils sont les principaux lieux de l’animation économique de la ville. En effet, Bertoua n’a pas bénéficié d’une fonction industrielle comme Douala, Yaoundé ou Bamenda. L’essentiel des activités extractives et forestières se situent dans les autres localités telles que Bétaré-Oya dans le Lom et Djerem et Messamena dans le Haut Nyong.

Source : Boume Njateng, (2019)
Carte 1 : Localisation de la zone d’étude

La méthodologie qui a servi de base à ce travail s’est effectuée en deux principales étapes à savoir : la collecte des données, le traitement et l’analyse des données

– La collecte des données

Les données primaires ont été obtenues via les questionnaires administrés aux commerçants des marchés Central et Nkolbikon.  Au total, c’est cent questionnaires qui ont été administrés, répartis comme suit suivant les informations obtenues à la Communauté Urbaine de Bertoua.

Source : Enquêtes de terrain, mai 2019
Tableau 1 : Répartition de l’administration des questionnaires

Les entretiens semi-directifs ont aussi été effectués en complément aux résultats obtenus à l’issue de l’enquête par questionnaires. Les personnes-ressources ont été consultées. Il s’agit de : Mme Nnomo Nicole, Chef Service assiette fiscale et recouvrement à la Communauté Urbaine de Bertoua, M. MVOUING Émile, responsable Communauté Urbaine de Bertoua au marché de Nkolbikon, M. Yaya Mouliom, Chef de bloc I au marché Central et Sa Majesté M. Aiba Ngari, Chef supérieur du canton Gbaya Bertoua.

Quant aux données secondaires, elles ont été obtenues via les recherches à l’aide des moteurs de recherche Google et Firefox. Des sites tels que ceux de l’Organisation Internationale des Migrations ont été d’une aide précieuse. Les ouvrages, les travaux de thèses et de mémoire ont été exploités au Département d’Histoire de l’École Normale Supérieure de Bertoua.

– Le traitement des données

Les questionnaires administrés aux commerçants ont été dépouillés manuellement et introduits dans le logiciel Excel, version 2010 dans le but de ressortir les principaux résultats sous forme graphique. Les données issues des différents entretiens ont subi une analyse de contenus qui a aidé à appuyer les résultats obtenus au travers des questionnaires.

Résultats 

Les migrations internes à Bertoua sont l’œuvre des ressortissants des régions de l’Ouest, de l’Extrême –Nord et de l’Adamaoua-Cameroun

La ville de Bertoua, malgré son éloignement par rapport aux grandes métropoles nationales à savoir Douala et Yaoundé, connaît un flux migratoire des ressortissants des autres régions du Cameroun. Cependant, ces migrations internes sont marquées par une typologie bien précise de peuples.

Source : enquêtes de terrain, mai 2019
Figure 2: Répartition des commerçants selon leur région d’origine

Il ressort que les peuples de l’Ouest-Cameroun sont majoritaires, avec un pourcentage de 66% contre 13% pour les peuples de l’Extrême-Nord et 8% pour ceux de l’Adamaoua. De façon plus détaillée, l’Ouest (66%) c’est 33% pour le département des Bamboutos, 7% pour le département des Hauts-Plateaux, 6% pour le Noun et la Menoua, 5% pour le Ndé, 3% pour le Nkou-Khi et 1% pour le Haut-Nkam. Quant à l’Extrême-Nord (13%), c’est 8% pour le département du Diamaré, 3% pour la Mayo Kani et 2% pour le Maya-Tsanaga. Pour l’Adamaoua sont représentés les départements de la Vina (3%), du Djérem, du Faro et Déo (2% chacun) et du Mbéré (1%). Les migrations internes entraînent ce que le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest à propos du contexte socio-économique et régional des migrations ouest-africaines dénomme de «  recompositions du peuplement » p.7.

Comme l’a déclaré Sa Majesté AIBA NGARI, Chef supérieur du canton Gbaya à Bertoua, « les migrations des peuples de l’Ouest à Bertoua dans les années 1945-1950 étaient motivées par deux raisons ; l’une pour le commerce et l’autre pour l’agriculture, l’autochtone de l’Est n’étant pas un commerçant par essence ». Les raisons de migrations vers la ville de Bertoua sont différentes selon les personnes enquêtées. Si pour d’aucuns, le déplacement s’est effectué parce qu’ils avaient déjà la famille  résidente dans la ville (32%), pour d’autres c’est parce qu’ils trouvent la ville moins chère par rapport aux grandes métropoles (21%), ou encore viennent se chercher (20%) et rejoindre l’époux (17%). Concernant la migration féminine particulièrement, elle révèle que la majorité migre pour le regroupement familial.  Ces résultats vont dans le même sillage de l’Agence Française de Développement, pour reprendre l’OCDE (2008) et l’OIM (2009), qui affirment que : « La recherche d’une situation économique plus favorable et de sources de revenus constitue l’une des premières variables influençant actuellement les décisions de mobilité, qu’elles soient prises par un individu ou par une communauté » p. 12

Sur le plan social, ce sont des personnes qui ont un statut matrimonial bien défini. Mariés pour la majorité, ils démontrent encore la place et l’importance de la structure familiale dans la société.

Source : enquêtes de terrain, mai 2019
Figure 3: Le statut matrimonial des commerçants enquêtés

On observe que 44% des personnes enquêtées sont mariées, régime polygamie, 28% pour le régime monogamie et 18% pour l’Union Libre. L’Union libre désigne ici les personnes qui vivent déjà ensemble, avec un projet de mariage.

Concernant l’âge de ces migrants naturalisés, il varie entre 20-25 ans et 55-60 ans. Les tranches d’âges les plus représentées étant celles de 25-30 ans     ( 20 %), 30-35 ans (19%), 35-40 ans (19%) et 40-45 ans (16%) comme le démontre la figure ci-dessous.

Source : enquêtes de terrain, mai 2019
Figure 4: Tranche d’âge des commerçants ressortissants des autres régions du Cameroun

Les migrations internes ont contribué à l’augmentation de la population à Bertoua

L’Agence Française de Développement le précisait déjà dans une étude portant sur les migrations internes et internationales, période 210-2013 que « Les migrations internes aux pays en développement, conjuguées à une importante croissance démographique ont favorisé l’émergence de pôles urbains dont la force attractive reste difficilement maîtrisable » p. 8. C’est notamment le cas de la Ville de Bertoua.

La ville de Bertoua est la principale ville de la région de l’Est-Cameroun en termes de population agglomérée et de services urbains qu’elle offre sur son territoire. En 2005, elle affiche un taux d’urbanisation de 36,5%. Bien que son réseau routier ne soit pas encore dense (Boume Njateng, 2019)[iii], des travaux d’aménagement sont en cours. Il en est de même pour l’adduction en eau. La ville de Bertoua est une ville en pleine urbanisation, une ville en pleine construction.

Source : RGPH, 2010
Tableau 2 : La population de la région de l’Est-Cameroun par départements en 2005

Il ressort du tableau que de tous les départements de la région de l’Est-Cameroun, le département du Lom et Djerem auquel appartient la ville de Bertoua est le département le plus peuplé avec une population de 771 755 habitants, soit 60,8% de la population totale de la région.

Source : RGPH, 2010
Tableau 3: La population du Département du Lom et Djerem selon le sexe en 2005

Dans son département, la ville de Bertoua affiche une fois de plus la population la plus forte à savoir 168 926 personnes, soit 111 986 hommes et 56 940 femmes. Elle est suivie de la ville de Garoua-Boulai (62 089). La deuxième position de Garoua-Boulai se justifie par le fait qu’elle abrite un marché frontalier avec la République centrafricaine.

Source : Enquêtes de terrain, mai 2019
Figure 5: Années d’installation des commerçants ressortissants des autres régions du Cameroun à Bertoua

Il ressort que les années 1995 et 2000 marquent la phase d’un afflux des populations des autres régions du Cameroun vers la ville de Bertoua (10-15 ans, 15-20 ans, 20-25 ans et 25-30 ans). Il faut également noter que la dynamique migratoire est toujours, car on note des installations récentes (7 ans, 5 ans, 3 ans et entre 0 et 1 an). Il faut aussi noter le nombre de personnes en charge à domicile qui varie entre zéro et vingt personnes. La majorité étant constituée de cinq personnes (13%), six personnes (14%) quatre personnes (11%), trois personnes (12%) et deux personnes (10%).

Les migrants investissent dans des activités économiques marquées par une prédominance du commerce

Les lieux d’exercice de l’activité commerciale

L’animation commerciale à Bertoua est l’œuvre des marchés urbains qu’elle abrite. Les principaux marchés de la ville de Bertoua sont au nombre de deux à savoir le marché central et le marché Moderne de Nkolbikon. Bien qu’étant tous deux des espaces marchands, chacun d’eux exprime deux réalités différentes. Le marché central naît de la volonté des populations à écouler leurs produits issus de l’agriculture au départ. Les lieux d’exercice de l’activité se développement de façon spontanée et concerne les espaces «  marché colonial » et ancienne gare routière.

« Le marché central actuel tel qu’on l’appelle est parti du regroupement des paysans aux lieux dits « bâtiment colonial » et « ancienne gare ». Le site autour du bâtiment colonial appartenant à M. Tongue Eto Jean Marie et le site de l’ancienne gare, jadis un palais royal appartenait à Sa Majesté Ndiba Gbaya. Quant à la situation des faits dans l’histoire, je ne pourrais donner une réponse exacte. Mais je reconnais que lorsque je naquis en 1946, les activités s’y exerçaient déjà. Les femmes étaient les principales  vendeuses à ces lieux. Avec l’arrivée des peuples de l’ouest-Cameroun et plus précisément les Bamiléké vers les années 1945-1950, les activités vont s’étendre et prendre la forme actuelle que nous avons aujourd’hui. » Entretien avec Sa Majesté AIBA NGARI, Chef supérieur Gbaya Bertoua le 07/05/2019 à 12h 05 min.

Si le marché central est le reflet des dynamiques de peuplement et le fruit de l’ingéniosité commerçante, le marché Nkolbikon quant à lui est le fruit des projets de développement impulsés par l’État camerounais pour doter la ville en équipements et la faire bénéficier de la politique du développement équitable des territoires. Il est inauguré en décembre 2018. Cependant, malgré cette création récente, la majorité des places de vente sont déjà prises, même s’il faut lui reconnaître un fonctionnement au pas de tortue. Les raisons évoquées sont la quête du capital à investir par les commerçants.

Des activités commerciales qui  bénéficient à la fois au ménage, à l’économie et à la Collectivité Territoriale Décentralisée

L’objectif visé par le commerçant qui exerce dans une activité quelconque est de pouvoir subvenir à ses propres besoins ; viennent ensuite ceux de la famille et des autres responsabilités qu’il peut avoir. Autrement dit, l’intérêt est d’abord personnel. Que ce soit pour les frais de scolarité, de nutrition, ou de santé, les revenus sont utilisés de manière à faire aussi fructifier le capital de départ. Les résultats démontrent qu’en plus d’être mariés, ces migrants ont des personnes en charge dont le nombre varie entre 0 et 20 personnes ; la  moyenne se situant entre 6 personnes (14%), 5 personnes (13%), 3 personnes (12%), et 4 personnes (11%).

L’activité commerciale bénéficie à l’économie en ce sens que le commerce contribue à l’écoulement des produits issus soit de l’agriculture, soit des industries locales, de l’artisanat local  ou des importations. Il s’agit des vivres frais, des vivres secs, de l’agroalimentaire, de l’électronique, des ustensiles de cuisine, des matériaux de construction entre autres. La vitesse d’écoulement de ces produits permet de faire une estimation annuelle du Prix Intérieur Brut et du Prix National Brut.

Les activités commerciales bénéficient à la Collectivité Territoriale Décentralisée à travers les taxes qu’elles génèrent. Dans un contexte de décentralisation, les CTD doivent pouvoir fonctionner à partir des revenus qu’elles tirent des activités économiques placées sur leur territoire en plus du budget de fonctionnement qui leur est remis par l’État. À Bertoua, les marchés sont gérés conjointement par la Communauté Urbaine de Bertoua et les Communes d’Arrondissements. Chacune prélevant des taxes qui lui sont propres. Si la Taxe sur l’Hygiène et Salubrité revient aux Communes d’arrondissement à hauteur de 10 000 FCFA par/an et payé par trimestre,  la quittance communale mensuelle est de ressort de la Communauté Urbaine de Bertoua. Son montant dépend de la superficie de la place de vente. Le montant varie entre 5000 et 14 500 au marché central et entre 10 000 et 25 000 au marché de Nkolbikon[iv].

Les Migrants naturalisés vivent en harmonie avec les populations autochtones à Bertoua

Dans un contexte marqué par la sensibilisation sur le vivre-ensemble, la ville de Bertoua fait partie des meilleurs exemples à suivre sur le territoire national. Il y règne une forte cohésion sociale. Les enquêtes de terrain ont permis d’identifier un total de 26 quartiers qui démontrent que l’occupation de l’espace ne se fait pas à un endroit précis, même si on note parfois des quartiers à forte connotation ethnique, c’est pour des raisons foncières. En effet, très souvent, la première à arriver achète la terre et réserve une partie qu’il revend ensuite à ses frères qui vont lui succéder et former ainsi un regroupement familial. Ces quartiers, de création ancienne ou nouvelle, dont la toponymie exprime souvent les vagues de migrations se présentent ainsi qu’il suit : Mornou, Mokolo (4%), Tigaza (16%), Nkolbikon (18%), quartier Haoussa, Bertoua 2 ( 4%), Enia ( 4%), Zangwa, Élevage, Dabadi, Nyangaza, Yadémé, Bipondo, Yadémé (5%), Kpololota, Ngaikada, Ndemnang, Kano ( 4%), Madagascar, Koumé, Briqueterie et Toungou.  De plus, à la question de savoir quels sont les problèmes qu’ils rencontrent au quotidien dans l’exercice de leurs activités ? un commerçant du marché Central répond :

« Il n’existe pas d’activités sans difficulté, mais je dois reconnaître que nous avons souvent des malentendus et des petites tensions avec la commune. Quant au quotidien dans le marché entre allogènes et autochtones, c’est la parfaite symbiose. À Midi par exemple, quand il faut aller manger au tourne dos, le couscous manioc à la sauce « kôkô » fait partie de mes menus préférés. Je me sens bien à Bertoua, je me sens avec les miens »[v] . Il s’agit là, de propos tenus par un vendeur de produits manufacturés au marché Central de Bertoua.

Discussion

S’il est vrai que la méthodologie utilisée a permis d’obtenir des informations sur lesquelles repose le raisonnement de cet article, il faut néanmoins souligner qu’il présente quelques limites. En effet, l’une des principales faiblesses de ce travail réside au niveau de la généralisation des résultats des enquêtes et observations de terrain à la ville de Bertoua, bien que l’étude a été menée dans les marchés urbains sur la base d’un sondage.

L’approche d’analyse qui a reposé sur la théorie du développement local a permis de constater et de vérifier qu’effectivement les migrations internes ont contribué au développement socio-économique de la vile de Bertoua. Ses différentes dimensions ont été abordées, à savoir économique à travers les types d’activités pratiquées ; locale  à travers la mise en valeur des ressources locales, c’est-à-dire la commercialisation des produits issus des zones agricoles ; sociale et politique à travers le caractère d’emploi que ces activités offrent à ceux qui les pratiquent et leurs incidences sur la revitalisation du territoire urbain. Dans le cadre de cette étude, la dimension communautaire intervient au même moment que la dimension sociale et politique en ce sens que la concentration massive de la population entraîne aussitôt des projets de développement (services urbains) comme on peut le voir dans la ville actuellement : adduction d’eau, voirie, immobilier entre autres. Ces projets étant tous orientés principalement vers la population pour contribuer à son épanouissement.

Au-delà des migrations internes, des savoir-faire et des opportunités à saisir par les populations autochtones

Les migrants internes à Bertoua font preuve d’une grande capacité d’adaptation et d’un vivre ensemble à féliciter. Au-delà ce qui appartient comme une accaparation foncière par ces derniers, il y a des points positifs à exploiter. Notamment leur savoir-faire et leur incidence sur la demande alimentaire de la ville.

Les migrants internes à majorité de l’Ouest, de l’Extrême-Nord et de l’Adamaoua-Cameroun sont nantis d’un savoir-faire qui pourrait profiter à la population locale autochtone. En effet, bien que n’ayant pas fait de longues études (34% pour le primaire, 33% pour le niveau 3e et 19% pour le niveau 1re), ces derniers réussissent à faire partie intégrante de l’économie locale. Car pour la plupart, faire le commerce, c’est une culture dans la famille (36%). Comme le démontre le graphique ci-dessous.

    

Source : enquêtes de terrain, mai 2019
Figure 6: Motifs de choix du commerce comme activité

En plus d’être une culture dans la famille, le commerce est un moyen d’insertion socioprofessionnelle pour ces personnes qui n’ont pas trouvé d’emploi (16%), qui n’ont aucune formation (18%), qui souhaitent s’auto-employer (13%) ou encore qui n’ont pas réussi un concours de la fonction publique (7%). En d’autres termes le commerce permet de mener une vie décente tout en garantissant à celui qui le fait un moyen de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. L’Agence Française de Développement (op. cit) précise que « les mobilités peuvent également favoriser les échanges d’information, le transfert de technologies et de ressources intellectuelles, suscitant par ailleurs de l’innovation, nécessaire à l’activité économique »  p.18.

Un autre apport des migrations internes aux populations autochtones réside dans l’augmentation de la demande alimentaire. La croissance démographique a entraîné l’augmentation de la demande alimentaire dans la ville. Pour cela il faut donc nourrir ce surplus de résidents. Compte tenu du fait que les autochtones sont encore les principaux acteurs de la production agricole, les producteurs ruraux et urbains pourraient saisir cette opportunité pour augmenter leur production et s’offrir des revenus monétaires. De plus, la politique de sécurité alimentaire au Cameroun prévoit le soutien aux producteurs. Même si on ne peut pas parler d’agriculture de seconde génération dans ce contexte, on peut au moins assister à l’augmentation des terres cultivables, ce qui va inciter les agriculteurs à produire davantage. Que ce soit dans la culture des denrées, dans l’élevage ou dans la pêche. De plus, c’est également une bonne opportunité pour la jeunesse à la quête des projets d’entrepreneuriats.

Conclusion

Depuis les premières migrations internes entamées dans la ville de  Bertoua dans les années 1945, ces dernières ne cessent de croître et de contribuer à l’augmentation de la population à Bertoua. En plus de contribuer à l’augmentation de la population, ces dernières sont le produit des acteurs bien précis. Il s’agit des ressortissants des régions de l’Ouest à travers le département des Bamboutos principalement, de l’Extrême-Nord à travers le département du Diamaré et de l’Adamaoua-Cameroun à travers le département de la Vina. En s’installant sur le territoire de la ville de Bertoua, ces derniers exercent des activités qui contribuent au développement socio-économique de la localité à travers leur contribution aux charges du ménage, à l’économie locale et au fonctionnement de la Collectivité Territoriale Décentralisée, notamment la Communauté Urbaine de Bertoua et les Communes d’arrondissements de Bertoua 1 et 2.  Les apports de ces migrants au développement local peuvent aussi être abordés sous l’angle de la transmission des savoir-faire et de l’augmentation de la production agricole face à une population de plus en plus importante. Le défi pour les gouvernants repose donc désormais d’une part sur la nécessité d’allier croissance de la population et croissance économique créatrice d’emplois dans un contexte déjà marqué par le vivre-ensemble, pour le consolider davantage et d’autre part sur l’impératif d’allier occupation de l’espace et protection de l’environnement dans un contexte marqué par la disparition progressive du couvert forestier et la densité des activités.

[i] Principale organisation intergouvernementale dans le domaine de la migration dans le monde
[ii] TREMBLAY, Diane-Gabrielle et Vincent VAN SCHENDEL, Économie du Québec et de ses Régions, Télé-Université, Éditions Saint-Martin, 1991, p. 487.
[iii] Boume Njateng A., (2019), immigration ouest-africaine et économie informelle à l’Est-Cameroun : Cas des conducteurs de mototaxis (ben skin) dans la ville de Bertoua, in revue de l’École Normale Supérieure de Bertoua, A paraître, 21 p.
[iv] Au marché Nkolbikon, compte tenu de sa création récente et des aléas internes à la CUB, les taxes ne sont pas encore prélevées, mais les montants à payer ont déjà été fixés
[v] L’intéressé n’a pas souhaité donner son nom pour des raisons personnelles

 

Références bibliographiques


Agence Française de Développement, 2010-2013, Migrations internes et internationales, CIT, 54 p.

Boume Njateng Armelle., 2019, immigration ouest-africaine et économie informelle à l’Est-Cameroun : Cas des conducteurs de mototaxis (ben skin) dans la ville de Bertoua, in revue de l’École Normale Supérieure de Bertoua, A paraître, 21 p

Centre ORSTOM de Yaoundé, 1967, Dictionnaire des villages de Lom et Djerem, répertoire géographique du Cameroun, fascicule n°13, 39 p.

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Evina R. C., 2009, Migrations au Cameroun : Profil global, 2009, OIM, 128 p.

Loi n° 2004/017 du 22 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation

Loi n° 2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes

Lois et textes officiels

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République du Cameroun, 2010, Rapport de présentation des résultats définitifs du 3e RGPH, 67 p.

Roger Cadieux et Al, 2002, Le développement local, Sommet de Montréal, 13 p.

 

Pour citer cet article


Référence électronique

Armelle BOUME NJATENG (2021). « Migrations internes et développement socio-économique dans la ville de Bertoua à l’Est-Cameroun : Une analyse à partir des marchés Central et Nkolbikon ». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (8) 2. En ligne le 25 décembre 2021, pp. 39-44. URL: https://revuecangeotrop.ca

 

Auteure


BOUME NJATENG Armelle
Département de Géographie
Université de Douala, Cameroun
E-mail: armelle.boume@gmail.com