Informal sector and job market: the image of mining artisanship in northern Côte d’Ivoire
ALLOU Tolla Koffi
Résumé : Cet article est le résultat d’enquêtes menées pour analyser les caractéristiques sociodémographiques des mineurs artisanaux et les types d’emplois qu’ils occupent dans le secteur au nord de la Côte d’Ivoire. Basée sur le cas de trois régions (Hambol, Poro, Bagoué), l’étude a été réalisée essentiellement à partir de données quantitatives et qualitatives issues d’enquêtes de terrain. Les résultats indiquent que l’exploitation minière artisanale est une activité très lucrative dans laquelle de nombreux acteurs, opérant à différents niveaux et avec des rôles spécifiques, trouvent leur compte au plan financier. Au niveau social, plus de 64 % des acteurs interrogés ont au moins 35 ans. Cependant, la majorité (62,17 %) est analphabète. Sur le plan économique, 68,66 % des artisans interrogés ont un revenu mensuel inférieur de moins de 60 000 FCFA au salaire minimum. Finalement, cette étude montre que l’exploitation minière artisanale dans le Nord est un fait social total malgré son caractère illégal et archaïque.
Mots clés : Secteur informel, employabilité, Nord ivoirien, artisanat minier
Abstract : This article is the result of investigations carried out to analyze the socio-demographic characteristics of artisanal miners and the types of jobs they hold in the sector in northern Côte d’Ivoire. Based on the case of three regions (Hambol, Poro, Bagoué), the study was carried out essentially using quantitative and qualitative data from field surveys. The results indicate that artisanal mining is a very lucrative activity in which many actors, operating at various levels and with specific roles, are financially rewarded. At the social level, more than 64 % of the actors surveyed are at least 35 years old. However, the majority (62.17 %) are illiterate. On the economic level, 68.66 % of the artisans surveyed have a monthly income of less than 60,000 FCFA below the minimum wage. In the end, this study shows that artisanal mining in the North is a total social fact despite its illegal and archaic nature.
Keywords : Informal sector, employability, Northern Ivory Coast, artisanal mining
Plan
Introduction
Zone d’étude
Données et méthodes d’analyse
Données
Méthodes
Résultats
Caractéristiques sociodémographiques des artisans mineurs
Répartition des artisans mineurs selon la nationalité
Niveau d’instruction atteint par les artisans mineurs enquêtés
Structure par âge des artisans mineurs enquêtés
Occupations des artisans mineurs enquêtés
Les sous-secteurs d’activités des artisans mineurs enquêtés
Principales tâches exercées dans le secteur minier artisanal
Les revenus moyens des artisans mineurs enquêtés
Les disparités enregistrées au niveau des revenus dans l’artisanat minier
Discussion
Conclusion
Texte intégral Format PDF
INTRODUCTION
Difficile à quantifier par nature, l’économie informelle fonctionne comme un amortisseur socio-économique et correspond à une vision particulière des rapports humains dans toutes les sociétés africaines (Organisation pour la Coopération et le Développement Économique, OCDE, 2008 : 1). Pour l’Organisation Internationale du Travail (OIT, 2020 : 7), environ 2 milliards de personnes travaillent dans l’économie informelle, la plupart d’entre elles dans les pays émergents et dans les pays en développement. Ce secteur d’activités représente près de 55 % du Produit Intérieur Brut (PIB) cumulé de l’Afrique Subsaharienne (Banque Africaine de Développement, 2020 : 2).
En Côte d’Ivoire, l’économie informelle demeure l’un des moteurs du marché d’emplois. Selon les analyses de l’Institut National de la Statistique (2016 : 3), l’emploi en Côte d’Ivoire est presque exclusivement informel (93,6 %), peu importe la caractéristique sociodémographique considérée à l’exception des travailleurs qui ont fait des études supérieures (52,8 %).
Le secteur informel prospère surtout là où sévissent le chômage, le sous-emploi, la pauvreté, l’inégalité entre les sexes et la précarisation du travail (BIT, 2014 : 7). Il rend compte des capacités de résilience de sociétés à faible productivité face aux chocs extérieurs (OCDE, 2008). Son développement peut être considéré comme la réponse apportée au défi de la croissance de la population, donc de la demande d’emploi souvent au détriment de l’accumulation du capital. Ses implications sont donc fortes sur les opportunités d’emplois, la productivité, les recettes fiscales et la croissance économique.
À l’image de l’ensemble des activités du secteur informel, l’artisanat minier malgré son faible niveau de technologie occupe une place de plus importante parmi les activités économiques. (Kouadio, 2016 : 296 ; Buss et al., 2017 : 9). Il joue désormais, un rôle important en zones rurales (Sangaré et al., 2016 : 53 ; Allou et Fofana, 2018 : 63). À l’échelle mondiale, les femmes représentent près de 30 % de la main d’œuvre de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit GmbH, 2020 : 2). En Afrique, au moins 25 à 50 % des personnes qui se livrent à cette activité sont des femmes (Buss et al., 2017 : 9).
En Côte d’Ivoire, depuis la crise militaro-politique de 2002, le secteur de l’artisanat minier demeure une principale source de revenus pour plusieurs ménages particulièrement en zones rurales. Il emploie plus de 500 000 personnes parmi lesquelles 300 000 se trouvent au Nord du pays (Goh, 2016 : 20). Certains considèrent cette activité comme un héritage de la rébellion de 2002 (Alan et Helbig de Balza (2017 : 2).
À l’échelle des localités du Nord (régions du Bagoué-Poro-Hambol) du pays où nous avons mené nos investigations (cf. carte 1), les sources de motivations de la ruée des populations rurales vers le secteur des mines artisanales varient d’un acteur à un autre. Cependant, l’idée de gain rapide diffusé par le secteur (31,76 %), l’effet de mode (15,44 %), les nouvelles opportunités offertes dans le secteur (13,02 %), les variabilités climatiques (15,60 %) et surtout la baisse chronique des rendements agricoles (20,75 %) justifient les mutations socio-économiques observées dans le quotidien des populations enquêtées. Alors que le secteur évolue actuellement dans un contexte totalement évasif vis-à-vis du cadre juridique (loi n°2014-138 du 24 mars 2014 portant code minier ivoirien) qui réglemente son fonctionnement, il faut noter que les acteurs mineurs artisanaux sont exposés à des emplois précaires. Même si le secteur minier artisanal se présente comme une aubaine pour la population étudiée, son niveau de développement actuel dans les zones rurales du Nord de la Côte d’Ivoire suscite plusieurs problématiques quant à son influence sur l’autonomisation économique durable des populations en majorité jeune dans le pays.
Le secteur offre des emplois à la population riveraine, mais ces emplois demeurent dans l’ensemble, fragiles et dangereux à exercer comme tâches quotidiennes. Dès lors, quels sont les enjeux socio-économiques de l’exploitation minière artisanale dans les régions du Nord de la Côte d’Ivoire ?
Cet article dresse le profil sociodémographique des exploitants mineurs artisanaux et montre les types d’occupations exercées par les différents acteurs. Il se structure autour de deux axes : 1) les caractéristiques sociodémographiques des artisans mineurs enquêtés et 2) les types d’occupations exercées par les acteurs mineurs.
ZONE D’ÉTUDE
La zone d’étude se trouve dans le nord de la Côte d’Ivoire, particulièrement dans les régions du Bagoué-Poro-Hambol (cf. carte 1).
Carte 1 : Localisation des zones de l’étude
DONNÉES ET MÉTHODES D’ANALYSE
DONNÉES
Les données utilisées sont à la fois qualitatives et quantitatives. L’échantillon est constitué de 785 personnes qui travaillent dans le secteur minier artisanal (or, granite, diamant, etc.). Il faut noter que 365 d’entre elles soit 46,49 % sont des femmes alors que les hommes sont au nombre 420 soit 53,51%. Les questions aident à dresser le profil sociodémographique des personnes interrogées, leur niveau de revenu et de satisfaction, les différentes tâches exercées et les difficultés rencontrées dans le secteur.
Dans l’ensemble, 22,50 % des femmes enquêtées exercent dans le secteur de l’or (Siempurgo, Fodio et M’Bengué), 21,40 % dans le concassage de pierres à Gnambéléguékaha et seulement 2,55 % sont enregistrées dans le secteur du diamant à Tortiya (cf. tableau 1).
Source : Enquêtes CIRES/CRDI-Projet GrOW, Décembre 2016
Tableau 1 : Répartition des individus enquêtés selon le sexe par localité
Les données qualitatives proviennent notamment des entretiens collectifs et individuels avec les concasseurs, les orpailleurs, et les populations riveraines ainsi que des groupes de discussion et des observations directes de terrains.
MÉTHODES
La revue de la littérature a permis la collecte des données secondaires indicatives de l’évolution du secteur minier ivoirien et plus particulièrement, l’artisanat minier qui prend un pas ascendant sur l’employabilité des populations. Ces données secondaires ont été croisées avec celles de terrain dans le but de procéder à la cartographie des activités de l’artisanat minier en Côte d’Ivoire.
Le logiciel sphinx v5 a été utilisé pour l’analyse des données qualitatives. Il a permis, après les retranscriptions des données enregistrées, de regrouper les informations selon les thématiques diffusées par les personnes interrogées. Le logiciel stata a servi à faire ressortir les statistiques liées aux données quantitatives collectées. La réalisation des cartes a été rendue possible grâce au logiciel QGIS 3.14.
RÉSULTATS
Les résultats comportent deux points principaux : les caractéristiques sociodémographiques des artisans mineurs enquêtés et les différents types d’occupations de ces acteurs dans l’exercice de leurs tâches.
CARACTÉRISTIQUES SOCIODÉMOGRAPHIQUES DES ARTISANS MINEURS
L’analyse des caractéristiques sociodémographiques des acteurs du secteur minier rend compte de trois faits : la nationalité, le niveau d’instruction atteint et la structuration des acteurs par âge.
RÉPARTITION DES ARTISANS MINEURS SELON LA NATIONALITÉ
Le développement du secteur minier artisanal au nord de la Côte d’Ivoire est animé par plusieurs principaux acteurs nationaux comme non-nationaux. La population étrangère constitue plus de la moitié (54,79 %) des artisans enquêtés (cf. figure 2).
Source : Enquêtes CIRES/CRDI-Projet GrOW, Décembre 2016
Figure 2 : Répartition des artisans mineurs enquêtés selon la nationalité (%)
On note également que 45,21 % des acteurs, soit 353 individus sur 785 des enquêtés sont constitués de jeunes nationaux ayant pour la plupart, appris l’activité auprès des acteurs étrangers pendant les moments de crises. L’artisanat minier est devenu par la force des choses, un domaine privilégié pour ces jeunes nationaux. En plus des nationaux, près de 361 soit 45,92 % des acteurs enquêtés proviennent principalement du Mali et du Burkina Faso. Ils sont constitués respectivement de 28,19 %, soit 220 individus pour le Burkina Faso et de 17,73 %, soit 141 individus pour le Mali. En effet, ces acteurs étrangers jouissent d’une grande réputation dans le domaine de l’artisanat minier. Aussi, 90 % de ces acteurs sont arrivés en Côte d’Ivoire après la crise de 2002, et dans leur jargon, ils appellent la Côte d’Ivoire « l’eldorado de l’Afrique de l’Ouest ». Ces artisans mineurs migrants communément appelés les « clandos », arrivés clandestinement en Côte d’Ivoire n’existent pas dans les registres des services d’immigration.
NIVEAU D’INSTRUCTION ATTEINT PAR LES ARTISANS MINEURS ENQUÊTÉS
En Côte d’Ivoire, le taux d’alphabétisation est de 50,24 %. Dans le secteur minier artisanal en zones rurales au nord de la Côte d’Ivoire, le niveau d’instruction des acteurs enquêtés est plus faible, car plus de 62% disent n’avoir jamais été à l’école. Le tableau 2 présente le niveau d’instruction des artisans mineurs enquêtés.
Source : Enquêtes CIRES/CRDI-Projet GrOW, Décembre 2016
Tableau 2 : Niveau d’instruction atteint par les artisans mineurs enquêtés par localité
À M’Bengué, 77,33 % des enquêtés n’ont aucun niveau d’instruction. Cette proportion de personnes analphabètes est plus élevée à Gnambéléguékaha où plus de 81 % n’ont aucun niveau d’instruction. À Tortiya et Siempurgo, ce taux passe respectivement de 41,86% à 45,45 % alors qu’à Fodio il est de 31,77 %. Aussi, 6,98 % des artisans de Tortiya disent avoir fréquenté l’école coranique. On constate que 118 individus sur 785 enquêtés, soit 15,03 % ont atteint le niveau primaire.
STRUCTURE PAR ÂGE DES ARTISANS MINEURS ENQUÊTÉS
Il faut noter que 503 individus sur 785 enquêtés, soit plus de 64 % ont 35 ans et plus. Aussi, 16,94 % ont 25 ans alors que 18,98 % ont entre 25 et 34 ans. Le tableau 3 résume la structure par âge des artisans mineurs enquêtés suivant les localités visitées.
Source : Enquêtes CIRES/CRDI-Projet GrOW, Décembre 2016
Tableau 3 : Structure par âge des artisans mineurs enquêtés par localité
On recentre plus d’individus de moins de 25 ans à Gnambéléguékaha (cf. tableau 3). Ils représentent plus de 36 % des enquêtés dans la localité. Cette proportion reste faible à Tortiya, où seulement 9,30 % sont dans cette tranche d’âge. À M’Bengué et Tortiya, plus de la moitié (67,44 %) des acteurs enquêtés a au moins 35 ans. Alors que la plupart des acteurs enquêtés à Fodio et Siempurgo sont dans la même tranche d’âge. En somme, les activités du secteur minier artisanal attirent surtout les moins de 40 ans qui viennent du milieu rural.
OCCUPATIONS DES ARTISANS MINEURS ENQUÊTÉS
LES SOUS-SECTEURS D’ACTIVITÉS DES ARTISANS MINEURS ENQUÊTÉS
Au nord de la Côte d’Ivoire et plus précisément en milieu rural, les artisans miniers artisanaux s’activent dans la production d’or (39%), de diamant (18%) et de la pierre concassée (41,65%). Il existe une disparité de sexe selon le secteur d’activité. On retrouve peu de femmes dans certains secteurs d’activités tels que le diamant à cause souvent des différents stéréotypes développés autour de l’activité. Seules 26 femmes ou 17,81 % ont été répertoriées contre 120 hommes ou 82,19 % (cf. figure 3).
Source : Enquêtes CIRES/CRDI-Projet GrOW, Décembre 2016
Figure 3 : Répartition des artisans mineurs enquêtés selon les sous-secteurs d’activité (%)
Selon la figure 3, les femmes représentent plus de la moitié (56,52% soit 185 individus sur 327 dans le secteur du concassage. Cette forte présence des femmes est liée au fait que le concassage peut se faire individuellement. Dans les sous-secteurs du diamant (82,19 %) et de l’or (61,34 %), les hommes sont beaucoup plus présents. Dans le secteur du diamant, ils représentent 120 individus sur 146 enquêtés. Leur nombre est de 191 sur 312 individus enquêtés dans le secteur de l’or.
PRINCIPALES TÂCHES EXERCÉES DANS LE SECTEUR MINIER ARTISANAL
Composés surtout d’hommes, les acteurs du secteur minier artisanal exercent plusieurs tâches sur les sites d’exploitation minière artisanale. Ces tâches diffèrent d’un individu à un autre, et surtout d’une localité à une autre. On retrouve plus les acteurs dans les tâches liées au creusage des galeries minières (32,48 %), au concassage de pierres (40,64 %), au lavage (12,61 %) et au triage (8,28 %). La planche photo 1 montre certaines activités exercées sur les sites miniers artisanaux visités. Il existe une grande disparité entre les acteurs au sein des activités exercées. Les concasseurs dominent dans toutes les localités répertoriées (cf. tableau 4). Ainsi, à M’Bengué et Fodio, ils représentent respectivement 49,42% et 26,04 % alors qu’à Siempurgo, Fodio et Tortiya les creuseurs comptent notamment pour 48 % ; 71% et 42,86 %. À Fodio 15,10% des acteurs sont des laveurs contre 38,37 % à Tortiya.
Planche photos 1 : Quelques tâches exercées par les artisans mineurs sur les sites
Source : Enquêtes CIRES/CRDI-Projet GrOW, Décembre 2016
Tableau 4 : Les principales tâches des artisans mineurs par localité enquêtée
À M’Bengué par exemple, le lavage occupe environ 20,35 % des acteurs, alors qu’elle n’intéresse que 15,10 % des populations à Fodio, contre 4,55 % à Siempurgo. Cette activité est en majorité menée par les femmes. À Fodio en revanche, on retrouve plus de 5,21 % des enquêtés dans le commerce de biens de consommation, l’alcool, etc. sur les sites. Le commerce des biens de consommation n’est pas présent sur tous les sites.
À l’image des activités menées directement dans le secteur minier artisanal en milieu rural au nord du pays, certaines autres activités telles que la prostitution, les taxis motos sont par moment associés indirectement au secteur. À Tortiya (28,57 %), M’Bengué (11,04%), Siempurgo (14,28 %), Fodio (3,65 %) et à Gnambéléguékaha (5,14 %), des populations mènent diverses activités associées à l’essor du secteur minier artisanal.
LES REVENUS MOYENS DES ARTISANS MINEURS ENQUÊTÉS
Nos résultats montrent que plus de 68,66 % des artisans enquêtés ont un revenu mensuel de moins 60 000 FCFA. Cependant, ils existent des discriminations en faveur des hommes. En effet, 51 % des hommes touchent au plus 60 000 FCFA comparativement aux femmes qui représentent 88,77 % de tous les artisans miniers. Leur vulnérabilité est remarquable. Toutefois, 21,90 % des hommes touchent entre 60 000 FCFA et 120 000 FCFA contre seulement 6,58 % de femmes.
Les femmes touchent moins que les hommes dans la tranche de revenu comprise entre 120 000 FCFA et 150 000 FCFA, la fréquence est de 8,81 % pour les hommes contre et 2,46 % pour les femmes. Les résultats montrent en fin de compte que plus le revenu augmente et moins les femmes sont représentées. En effet, pour les gains compris entre 150 000 FCFA et 450 000 FCFA, nous avons 9,5 % d’homme contre seulement 1,37 % de femme enfin, pour les revenus compris entre 450 000 FCFA et 480 000 FCFA, on a plus de 8 % des hommes contre 0,82 % de femmes (cf. tableau 5).
Source : Enquêtes CIRES/CRDI-Projet GrOW, Décembre 2016
Tableau 5 : Répartition des individus enquêtés selon la rémunération (%)
Le revenu mensuel moyen estimé à 141 790 FCFA présente une forte disparité selon le sexe. Le revenu mensuel moyen des hommes est estimé à 231 702 FCFA contre seulement 48 293 FCFA pour les femmes, soit un écart 79 % estimé à 183 409 FCFA au profit des hommes.
LES DISPARITÉS ENREGISTRÉES AU NIVEAU DES REVENUS DANS L’ARTISANAT MINIER
L’analyse des revenus mensuels par sous-secteur d’activité montre que 48,57 % des hommes qui travaillent dans l’extraction du granite touchent moins de 60 000 FCFA alors que 64,52 % de ceux qui travaillent dans l’or ont un revenu compris entre 60 000 FCFA à 120 000 FCFA. Dans ce même sous-secteur, la proportion des hommes est de 70,31 % qui perçoivent entre 120 000 FCFA et 150 000 FCFA. De plus, ils sont plus de 45,65 % qui travaillent dans le domaine de l’or et qui touchent entre 150 000 FCFA et 450 000 FCFA, contre 20,65 % dans le granite et 10,87 % dans le diamant.
En ce qui concerne le gain des femmes en fonction des sous-secteurs d’activité, la proportion de femmes travaillant dans le secteur minier touchant moins de 60 000 FCFA par mois est de 64,74 % dans l’or et de 35,26 % dans le granite. Quant à celles qui perçoivent un revenu mensuel compris entre 60 000 FCFA et 120 000 FCFA, 81,01 % travaillent dans l’or. De plus, 61,86 % et 26,8% des femmes qui travaillent respectivement dans l’or et dans le granite ont des gains financiers compris entre 120 000 FCFA et 150 000 FCFA. Le tableau 6 montre également que pour les revenus compris entre 150 000 FCFA et 450 000 FCFA, nous avons 55,91 % pour l’or, 26,88 % dans le granite. En somme, les femmes dans le secteur minier artisanal ont des revenus moins importants que ceux des hommes (cf. tableau 6).
Source : Enquêtes CIRES/CRDI-Projet GrOW, Décembre 2016
Tableau 6 : Répartition des individus enquêtés selon le revenu mensuel par sous-secteur d’activité (%)
DISCUSSION
Le secteur informel occupe une grande place dans l’économie ivoirienne. Il a pris de l’importance depuis les récentes crises qu’a connues le pays (INS, 2016 : 3). Le secteur des mines artisanales connait un dynamisme aussi important ces dernières années en Côte d’Ivoire est perçue comme un héritage de la rébellion de 2002 que le pays a traversé (Alan et Helbig de Balza (2017 : 2). En Côte d’Ivoire, les artisans mineurs en général et plus particulièrement, les orpailleurs sont habituellement jeunes, mobiles et attirés par l’exploitation de l’or par désespoir économique. Leur mobilité et la contrebande d’or sont facilitées par les frontières extrêmement poreuses de la région ainsi que la succession des crises sociopolitiques et économiques (Alan et Helbig de Balzac, 2017 : 2).
Les résultats de nos enquêtes montrent que la structure sociodémographique des exploitants mineurs au nord de la Côte d’Ivoire est très diversifiée. Elle est constituée de plus de 54,79 % de non nationaux et de 45,21 % de nationaux. Ces résultats sont différents de ceux de Diarrassouba et al. (2017) menés dans le secteur du concassage à l’échelle de la ville de Bouaké (centre de la Côte d’Ivoire). Dans ce secteur, l’exploitation des carrières de graviers fait intervenir une population très composite suivant les analyses des auteurs. Cependant, cette activité est dominée par les nationaux qui représentent 74 % des exploitants contre 26 % de non nationaux (Diarrassouba et al., 2017 : 14).
Notre étude a aussi montré que 64,08 % des artisans mineurs ont 35 ans et plus. Dans les carrières de graviers à Bouaké, les analyses de Diarrassouba et al., (2017 : 15) ont montré que la tranche d’âge comprise entre 18 et 55 ans est la plus importante. Elle représente 67 % de la population sur les carrières. L’ensemble de ces résultats corroborent ceux de Mogba et al., (2007 : 15) qui ont montré que le paysage sociodémographique des artisans mineurs dans la République Centrafricaine est diversement structuré et du point de vue de la répartition selon l’âge, les tranches d’âge comprises entre 25 et 55 ans sont les plus nombreuses.
Au niveau économique, le revenu mensuel moyen est estimé à 141 790 FCFA. Il existe une forte disparité du revenu selon le sexe. En effet, le revenu mensuel moyen des hommes dans le secteur minier artisanal est estimé à 231 702 FCFA contre seulement 48 293 FCFA chez les femmes, soit un écart de 79 % estimé à 183 409 FCFA au profit des hommes. Ces résultats sont à l’image des revenus dans le secteur informel en général. Dans ce milieu, l’INS (2016 : 10), souligne que le revenu moyen chez les hommes est presque le double de celui des femmes (87 375 FCFA contre 49 195 FCFA).
Ailleurs, dans le concassage à Man dans l’Ouest du pays, cette disparité économique est plutôt en faveur des femmes selon Allou et Konan (2019 : 38). Dans ce secteur, les femmes gagnent en moyenne 53 888 FCFA alors que les hommes touchent tout au plus 33 333 FCFA soit une différence de 20 555 FCFA en faveur des femmes. Dans la commune de Baté au Bénin, le revenu moyen mensuel par exploitant concasseur est estimé à 21 000 FCFA (Kinigbé, 2013 : 6). Cette rémunération varie entre 23 000 et 41 000 FCFA pour certains acteurs (concasseuses et tamiseuses) exerçant dans l’exploitation du gravier à Bouaké (Diarrassouba et al., 2017 : 17). En somme, le secteur minier artisanal se présente donc, comme un moteur de la croissance socio-économique des populations ivoiriennes après la crise de 2002. Cependant, ses contraintes sur les conditions de vie des populations, posent d’énormes défis, d’où la nécessité d’une redynamisation totale du secteur sur l’ensemble du territoire national.
CONCLUSION
À l’image de l’économie informelle, le secteur minier artisanal demeure un canal pour l’employabilité des populations dans les zones rurales du Nord de la Côte d’Ivoire. Cependant, son niveau de développement et son caractère totalement évasif posent toujours d’énormes défis quant à son niveau de soutenabilité à l’insertion socioprofessionnelle des jeunes et à la croissance économique durable du pays. L’ensemble des emplois exercés dans le secteur reste pénible pour les acteurs. Quant aux revenus enregistrés, ils sont encore insuffisants vis-à-vis des efforts physiques consentis par les artisans mineurs. Ainsi, dans ce contexte post-crise 2002 et 2010 marqué par un taux d’employabilité critique dans le secteur formel en Côte d’Ivoire. Il revient au gouvernement de moderniser le secteur des mines artisanales tout en créant des emplois durables et moins dangereux pour les populations en milieu rural.
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Remerciements
L’auteur tient à réitérer ses sincères remerciements à UK Government’s Department for International Development, William and Flora Hewlett Foundation, au Centre de Recherches pour le Développement International (CRDI-Canada) à travers le projet Growth Opportunities for Women (GrOW), au Professeur KONAN Yao Silvère coordonnateur du projet GrOW zone Côte d’Ivoire, au Centre Ivoirien de Recherches Économiques et Sociales (CIRES-Abidjan) et à toute l’équipe du projet pour leurs apports à la réalisation de cet article.
Pour citer cet article
Référence électronique
Tolla Koffi ALLOU (2020). « Secteur informel et marché d’emplois : l’image de l’artisanat minier au nord de la Côte d’Ivoire ». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (7) 2. En ligne le 25 décembre 2020, pp. 22-28. URL: http://laurentian.ca/cjtg
Auteur
ALLOU Tolla Koffi
Docteur en Géographie
Unité de Recherches Ressources Naturelles et Environnement
URRNE-CIRES, Abidjan, Côte d’Ivoire
Email : alloutollakoffi@gmail.com