Incivism of populations, laxity of public authorities and urban disorder in the city of Yagoua (Far North Cameroon)
Baugard Ovono NOGO EDONGO & Louis Bernard TCHUIKOUA
Résumé: Le cadre urbain est un espace à la fois donné de la nature et une œuvre humaine. Son aménagement passe inévitablement par la mise en application des textes définis. Cependant, la ville de Yagoua semble s’écarter de cette logique législative. En dépit d’une réglementation rigoureuse en termes d’occupation du sol, d’entretien de la voirie, les actions de planification urbaine présentent des limites et l’appétit pour le désordre urbain va croissant. Les différentes investigations de terrain ont permis de relever que la multiplication des actes complaisants des autorités administratives et l’incivisme social des populations locales favorisent le désordre urbain dans cette localité où l’occupation anarchique des sols et l’insalubrité ambiante sont les maitres maux. Remédier à cela requiert une sensibilisation régulière des populations, l’application sans ménagements, ni connivences des dispositions réglementaires ; une nécessité de vivre dans un environnement urbain propre et sain.
Mots clés : Planification urbaine, environnement urbain, désordre urbain, insalubrité, Yagoua
Abstract: The urban environment is both a natural and man-made space. Its development inevitably requires the implementation of laws passed by legislators. However, the town of Yagoua seems to deviate from this legislative logic. In spite of rigorous regulations in terms of land use and road maintenance, urban planning actions have their limits. This situation creates an urban disorder, which is increasing every year. The objective of this study is to highlight the causes of urban disorder in Yagoua. The various field investigations have shown that the multiplication of complacent acts by the administrative authorities and the social incivism of the local population encourage urban disorder in this locality. The anarchic occupation of urban land and the ambient insalubrity are indicators of this urban disorder. In order to remedy this situation, the study concludes that regular sensitization of the population and the application of regulatory provisions without mercy or connivance are the only alternative for the establishment of a clean, structured and healthy urban environment.
Keywords: Urban planning, urban environment, urban disorder, insalubrity, Yagoua
Plan
Introduction
Méthodologie
Résultats
Yagoua : une dominée par une urbanisation anarchique
Actions quotidiennes de la population et persistance de l’insalubrité
Occupation anarchique des zones inondables et laxisme des autorités
Discussion
Conclusion
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INTRODUCTION
Le phénomène urbain au Cameroun a pris au cours des dernières décennies une ampleur considérable. Le taux de croissance annuel moyen des villes est de 5%, celui de l’urbanisation actuelle est de 52%, alors qu’il était seulement de 28% en 1976. Un rythme qui fait en sorte que 68% de la population vivront en ville d’ici l’an 2020 (Chouto, 2013). Cette croissance urbaine crée malheureusement un désordre urbain qui affecte les villes africaines et particulièrement la ville de Yagoua.
Le mot désordre se comprend dans une perspective péjorative en raison du sens moral qui est généralement attaché à l’idée d’ordre. Par désordre on entend généralement soit une absence d’ordre soit un dérangement de l’ordre existant due à une complication interne ou à une contestation externe. Par conséquent, les désordres urbains renvoient à des problèmes récurrents comme la surpopulation, l’insécurité, la pollution, la désorganisation du pouvoir dont souffrent de nombreuses cités. Aussi, la notion de “désordres urbains” peut aussi porter sur une incapacité à penser l’évolution du phénomène urbain à cause de sa complexité. Aussi, le concept de désordre serait alors une formule confortable pour désigner un ensemble de phénomènes nouveaux qui échappent à notre entendement ou du moins difficile à être conceptualisés.
Chez les sociologues le “désordre urbain” est synonyme de violence urbaine, d’incivilité ou du malaise des banlieues (Sureau, 2008). Il est compris comme un dysfonctionnement social lié à un manque de qualité urbaine et de lisibilité de l’espace qui pourtant dans l’approche juridique est soumis à des règles particulières. Cette perception du désordre urbain s’applique, à certain égard, à la ville de Yagoua. En effet, ville moyenne de la vallée du Logone, Yagoua connait une organisation axée sur les principes du laisser-faire et d’interventions d’urgence. Bien que bénéficiant de l’élaboration et de l’approbation de certains documents d’urbanisme : un plan d’occupation du sol (POS) depuis 2012, un plan communal de développement (PCD); l’observation du périmètre urbain démontre que les populations et les autorités administratives ont du mal à se conformer aux prescriptions réglementaires.
Comment comprendre que malgré les dispositions du POS prévoyant des actions de rénovation des quartiers anarchiques appuyées par le choix de la journée du mardi comme journée de propriété, les populations participent rarement aux activités d’assainissement et créent des commerces de fortunes sur l’espace public. Elles occupent les espaces inconstructibles et rejettent les déchets domestiques dans les espaces vagues et dans les quelques caniveaux existant sans qu’elles ne soient inquiétées par un quelconque texte ni même par la présence moins encore des actions des agents de l’urbanisme et/ou communaux ?
Cette contribution tente de présenter le phénomène du désordre urbain tel qu’il est développé dans la ville de Yagoua. Elle s’articule en trois volets. Le premier fait une présentation du périmètre urbain comme un espace habitable ; le deuxième, l’incivisme qui caractérise les populations ; le troisième, les limites des actions de restructuration menées par les autorités locales.
MÉTHODOLOGIE
L’approche méthodologique adoptée dans cette contribution repose sur la recherche documentaire, l’observation directe, les entretiens individualisés, l’enquête par des questionnaires auprès des ménages, la collecte des données secondaires, le traitement et l’analyse des informations.
Les données secondaires ont été collectées auprès des différents acteurs impliqués directement dans la question d’aménagement et de gestion des périmètres urbains : la préfecture, la sous-préfecture, la commune de Yagoua et la délégation départementale du Ministère de l’Habitat et du Développement Urbain (MINHDU). Il a été question de s’attarder sur les différentes lois, décrets et arrêtés qui rappellent les missions assignées à tout un chacun et définissent les dispositions ou les normes d’occupation et d’organisation du milieu urbain. Parmi ces lois, il y a la loi n°96/12 du 5 août 1996 portant loi cadre relative à la gestion de l’environnement et la loi n°2004/003 du 21 avril 2004 régissant l’urbanisme. Les documents statistiques utilisés sont les estimations du troisième recensement de la population de 2005 et les valeurs numériques de la population consignées dans le POS élaboré et approuvé en 2012.
La phase d’observation directe a consisté à observer l’environnement urbain, l’organisation des activités économiques, le type d’habitation dominant, le suivi quotidien des activités des agents du MINHDU et des éléments de la police municipale ; le comportement des populations locales le mardi dit « mardi propre », le but étant en se référant aux textes d’urbanisme régissant l’occupation de l’espace urbain, d’apprécier le niveau d’implication ou de participation de chaque acteur. Compte tenu de l’effectif élevé de la population urbaine au vu des résultats du recensement de 2005, soit 37 867 âmes, un sondage de 1% est effectué. Ainsi, de manière aléatoire, 279 ménages ont été enquêtés.
Des entretiens tenus avec des personnes ressources (autorités administratives, agents du service de la police municipale) ont permis de mettre en exergue l’état de complaisance avéré qui les caractérise. Les supports cartographiques utilisés sont ceux conçus et réalisés par l’entreprise BATISU (Bureau d’Appui Technique à l’Immobilier et aux Services Urbains) dans le POS ; ils ont permis de circonscrire et de matérialiser le périmètre urbain de Yagoua.
Le traitement des données, aussi bien manuellement qu’à travers des logiciels informatiques notamment; SPSS 20, Excel 2007, ENVI et Map info 8.5 a abouti à la production des résultats sous forme de textes, de tableaux et de cartes.
RÉSULTATS
Yagoua : une plaine dominée par une urbanisation anarchique
La ville de Yagoua est située entre 10°20’ et 11°35 de latitude Nord et 14°55 et 15°10 de longitude Est. La localité est sur une vaste plaine uniforme aux pentes négligeables (valeur se situant pour l’ensemble à 5% selon les études du POS en 2012), aux sols argileux, imperméables et inondables pendant les mois de juillet à Octobre. Une analyse faite du POS élaboré en 2012, permet de relever la prédominance des zones constructibles soit 89,70% de la superficie totale du périmètre urbain contre 10,1% des terrains non constructibles (Ovono, 2015).
Cependant, les populations préfèrent se concentrer autour des zones inondables (cf. figure 1) laissant la périphérie vide. Sans tenir compte des règles et lois domaniales en vigueur, les populations ont développé l’habitat spontané autour des berges du mayo danay. Les zones inondables sont envahies par un regroupement des logements. Les terrains sur lesquels sont construits ceux-ci sont dans la plupart du temps acquis dans l’illégalité. Du moins, le processus d’acquisition de ces terrains semble ne pas suivre les normes établies. Le centre commercial est situé non loin de là et le plus souvent dans ces zones se pratique la petite agriculture (cultures maraîchères).
Source : Délégation départementale MINDUH Mayo Danay, 2012. Adaptée par Ovono Nogo 201
Figure 1. Concentration humaine autour des zones inondables
La valeur futuriste d’une ville est généralement axée sur la mise en place d’un plan d’urbanisation préconçu associée à une gestion efficace de l’espace dont le but est l’entretien du bien-être des populations (Mbolo, 2011). Cependant, cette option est difficile à préconiser dans la ville de Yagoua. Il en est de même dans les autres cités camerounaises où les modes d’occupation du sol remettent en cause les différentes politiques urbanistiques. Ces modes limitent les moyens de préservation de la qualité de vie des populations en nette croissance et permanemment exposées aux nombreux risques.
Actions quotidiennes de la population et persistance de l’insalubrité
La population de la ville de Yagoua reste homogène. Composée aussi bien des nationaux que des étrangers. Quel que soit le statut des chefs de ménages, ils sont appelés à respecter la réglementation urbaine mise en place. Mais, cela devient difficile. La population croît à un rythme exponentiel. Les hypothèses de croissance démographique dans le contexte de mobilisation tous azimuts donnent les statistiques qui varient. Ainsi, de 42 317 habitants en 2012, la population urbaine de Yagoua pourrait atteindre et même dépasser les 80.000 habitants à l’horizon 2027. L’urbanisation qui attire des masses importantes des populations se poursuit de manière anarchique débordant les capacités des autorités urbaines.
Actrice clé de la gestion du périmètre urbain et principale bénéficiaire des actions entreprises par les pouvoirs publics, la population reste dans son élan de pauvretés observées, l’un des acteurs qui dégrade par ses multiples activités aussi l’environnement urbain. L’entretien régulier de la voirie urbaine étant essentiel. Il se pose dans le cas contraire, le problème de l’assainissement dont l’un des volets pris en compte dans cette contribution est la gestion des déchets domestiques.
Modes de dépôt des déchets domestiques hors normes malgré les efforts de mise en place d’ouvrages appropriés fournis par la commune
La réglementation actuelle portant la gestion des déchets au Cameroun est contenue dans le décret N°2012/2809/PM du 26 septembre 2012, fixant les conditions de tri, de collecte, de stockage, de transport, de récupération, de recyclage, de traitement et d’élimination finale des déchets. Plusieurs acteurs interviennent dans la gestion des déchets domestiques à Yagoua. Sont pris en compte, la commune responsable de l’administration du patrimoine de la ville et la population locale véritable bénéficiaire des actions entreprises par les pouvoirs publics.
Des efforts consentis par l’autorité communale
Placée sous l’autorité du conseil municipal, la commune est le premier responsable local chargé de l’amélioration des conditions de vie des populations. C’est le conseil qui élabore les différents plans d’occupation du périmètre urbain, s’investit dans son assainissement quel que soit sa capacité en ressources humaines, matérielles et financières. Il se trouve que ces ressources sont limitées à Yagoua (cf. tableau 1).
Source : Service hygiène et salubrité mairie Yagoua, janvier 2018
Tableau 1: Ressources disponibles dans le service d’hygiène et salubrité en janvier 2018
Les entretiens avec l’agent comptable de la commune font apparaitre, au regard du tableau I, une insuffisance en ressources humaines, financières et matériels roulants. Il y a seulement sept agents assignés à la collecte des déchets. Par conséquent, il existe une difficulté à collecter régulièrement les déchets domestiques dans l’ensemble du périmètre urbain. La difficulté à mettre en place des ouvrages servant de dépôt des déchets est à souligner. La répartition, dans le cas spécifique des bacs à ordures maçonnés, est inégale (cf. figure 2).
Figure 2. Inégale répartition des bacs à ordures dans la ville de Yagoua
Sur la base des observations de terrain et relevés GPS, il apparait au vu de la figure 2 que les efforts sont faits par l’autorité communale dans le processus de mise en place des ouvrages de collecte des déchets à Yagoua. Cependant, ils sont inégalement répartis. Ces bacs qui servent de lieux de dépôts des déchets domestiques sont des pavés droits ou parallélépipèdes rectangles posés le long des axes principaux de certaines rues secondaires : axe carrefour lion- ancien Lamidat-Danayré ; axe antenne communale Elécam-Sabongari-Danayré ou tout simplement sur des carrefours à deux ou trois voies favorisant l’accès aux tricycles de la commune : Tikoro-Evéché (paroisse Saint Paul), carrefour Joli Soir, Fall night-club, Accra Sabongari, école publique Sabaongari.
Il faut remarquer que la gestion des déchets domestiques revient en grande partie à la collectivité territoriale décentralisée qu’est la commune de Yagoua. Elle s’attèle à construire des bacs selon des critères axés sur la facilité d’accès aux agents du service d’hygiène et salubrité. La capacité de ces ouvrages n’est pas négligeable. Leurs volumes exprimés en mètre cube se calculent en multipliant la longueur par la largeur par la hauteur suivant la formule : Volume du pavé = L×l×h où L est la longueur ; l, la largeur et h la hauteur
Des 17 bacs à ordures construits dans le périmètre de Yagoua, la prise des dimensions de 9 (neuf) d’entre eux, à l’aide d’un décamètre relève des longueurs comprises entre 2,50 à 2,75 mètres, les largeurs entre 1,43 à 2,85 mètres et des hauteurs variantes entre 1,47 à 2,54 mètres; pour des volumes compris approximativement entre 9,98 à 11 mètres cubes. Ce qui laisse sous-entendre que ces ouvrages peuvent contenir une importante quantité de déchets domestiques. Malheureusement, les populations excellent dans l’incivisme. Elles déversent régulièrement leurs déchets hors des bacs.
Déchets déversés hors des bacs installés et incinération à ciel ouvert
Typologie des déchets produits : Un tri fait des déchets régulièrement produits par les populations enquêtées dans les 8 quartiers de la ville de Yagoua conclu qu’ils sont largement constitués des résidus d’aliments. Il s’agit, entre autre, des restes d’aliments, les cendres et fumiers, les produits d’emballage : le papier et le carton, le verre, la porcelaine, la ferraille constituée en majorité par les boites de conserve, le textile, les crottins d’animaux, les animaux morts, les feuilles sèches provenant du nettoiement des cours et des jardins privés, le cuir et le caoutchouc, les matières synthétiques, les débris de bois, les cailloux et le sable.
Incivisme social des populations : Productrices de déchets domestiques, les populations urbaines sont appelées au strict respect des conditions de mise en poubelle devant leur concession et dans les sites de dépôt. Elles sont aussi soumises au respect des normes d’hygiène publique, au paiement des redevances et taxes, à la participation aux activités de salubrités et d’hygiène du quartier. Cependant, malgré les efforts faits par l’exécutif communal, les populations adoptent des comportements inciviques caractérisés par le rejet des déchets hors des bacs construits (cf. photo 1) ou préfèrent plus les incinérer (cf. photo 2).
Clichés : Ovono Nogo, Yagoua, février et avril 2018
La volonté des populations de jeter les déchets hors des bacs ne résulte pas, comme l’ont souligné Tchuikoua et Elong dans leur étude faite sur la ville de Douala en 2014, du mécontentement des citadins abusés encore moins de l’ignorance des textes en vigueur puisque les résultats d’enquêtes de terrain relèvent que 69,5% de citoyens ont une connaissance de la législation urbaine. Sur la base des entretiens participatifs, il s’agit en réalité des actes volontaires sous le prétexte de donner du travail aux agents de la mairie. Ces pratiques ne doivent pourtant pas être observées dans les quartiers qui disposent d’au moins un bac. Bien que ressemblant plus à des zones de transferts des déchets, l’intérieur de l’ouvrage est pourtant vide; cela justifie d’une manière quelconque l’incivisme social des populations urbaines. Il va de soi que les populations ne font pas bon usage de l’ouvrage de collecte des déchets installé. Un manque d’utilisation parfaite d’un bien public qui, pourtant, est destiné à l’amélioration de leur cadre de vie.
Le processus d’urbanisation rapide et non planifié s’accompagne en général des problèmes récurrents de salubrité liés à une accumulation rapide des déchets dans les espaces urbains (Ibrahima Sy, 2006). En effet, cette situation est le résultat d’un bouleversement des modes de vie et du développement d’activités consommatrices liées à l’économie urbaine informelle. Ces activités engendrent une hausse considérable de la production des déchets avec des répercussions inquiétantes sur la salubrité publique. Cette hausse favorise l’attribution du qualificatif de ville poubelle d’autant plus que les populations participent rarement aux activités d’assainissement.
Faible participation des populations à l’assainissement
Les enquêtes auprès des ménages précisent que 113 ménages sur les 279 ayant contribué à l’enquête soit 40,5% jettent leurs déchets sur les terrains vagues. Il est donc très difficile à Yagoua, de passer d’un quartier à un autre sans qu’on ait rencontré une immondice de déchets ; sans qu’on ait observé des caniveaux remplis des détritus, irrégulièrement curés et qui en saison de pluies sont des sources d’inondations. Bien que causé par un déficit de gestion de la part des acteurs institutionnels, la situation pérenne d’insalubrité du périmètre urbain de Yagoua tient de la non-participation des populations aux activités d’assainissement (cf. tableau 2).
Source : enquêtes de terrain, avril-mai, 2017
Tableau 2 : Faible participation à l’assainissement
La participation à l’assainissement est pourtant un élément clé qui dans le cadre de la protection durable de l’environnement urbain, ne devrait faire l’objet, ni de l’oubli ni de la négligence. Elle se doit être un acte citoyen d’abord volontaire.
Au vu du tableau 2, bien qu’étant au courant de la législation en matière d’urbanisme, les populations de la ville de Yagoua s’écartent de la logique d’accompagnement dans les activités d’assainissement. Même l’instauration de la journée de propreté dite de « mardi propre » ne booste pas leur volonté à embellir l’espace urbain.
Or, il s’agit d’une journée de nettoyage général où tous les services publics comme privés et les ménages doivent être totalement impliqués jusqu’à dix heures de la journée. Mais, seul 6,09% des ménages participent de temps en temps aux activités d’assainissement. Par contre, 63,08% n’ont jamais eu l’idée de contribuer et 23,29% ne trouvent aucun intérêt à cela. Ce n’est ni par ignorance. Dans leur grande majorité, la population ne se considère pas comme éboueur de la mairie. Une perception qui favorise la persistance de l’insalubrité.
Occupation anarchique des zones inondables et laxisme des autorités
Les politiques urbanistiques telles que définies par le législateur, lorsqu’elles sont appliquées dans un minimum de respect des normes, peuvent produire des effets encourageants quant à la gestion des espaces urbains. Mais, très souvent dans les villes des pays du sud, il est facile de constater comme dans le cas de la ville de Yagoua, que les pouvoirs locaux, ont tendance à laisser les choses se faire toutes seules par les populations. Cette négligence s’exprime à travers des vides observés autour des contrôles de routine sporadiques des agents de la DD/ MINHDU/MD et de la municipalité, de leurs réactions par rapport aux anomalies recensées et surtout le comportement des populations logées dans les zones inondables.
Lorsqu’on s’intéresse un tant soit peu à la fréquence des contrôles, il apparait que seuls 16,5 % des ménages enquêtés ont déjà fait l’objet d’un contrôle de routine. Les actes de contrôle se résument à quelques actions répréhensibles comme les avertissements et les démolitions. Cependant, en faisant une analyse diachronique, à l’aide des photographies et des coordonnées GPS d’un site régulièrement inondé, il ressort après des observations de terrain que, quand bien même les autorités locales arrivent à mettre la croix de Saint-André sur la fondation ou le mur d’une bâtisse, ceci est, loin de signifier véritablement une mise en demeure, mais au contraire, un appel à la négociation (cf. planche 2).
Une analyse faite de la loi n°2004/003 du 21 avril 2004 régissant l’urbanisme au Cameroun précise pourtant dans son titre 1, chapitre 1 en son article 9 alinéa 1, les règles générales de construction; ainsi sont inconstructibles, sauf prescriptions spéciales, les terrains exposés à un risque naturel (inondation, érosion, éboulement, séisme, etc.); la même loi dans son titre 2 en son article 53 alinéa 1 et 2 définit les actes de restructuration et de la
Clichés : Ovono Nogo, Yagoua septembre 2013, janvier 2014
Planche 2. Complaisance avérée des autorités locales
L’habitat au plan médian de la photo1 se trouve régulièrement inondé. Abandonné en saison de pluie, il est à nouveau utilisé lorsque les eaux disparaissent en saison sèche (cf. photo 2) et architecture plus améliorée cinq années après (cf. photo 3). La matérialisation sur le mur de la photo 2, par la croix sainte sous l’indication « AP », comme pour dire à repeindre ne fait référence à un déguerpissement futur des occupants. On déplore sur cette planche, un laisser-aller total des contrôleurs chargés de prévenir et de réprimer les contrevenants occupant les zones inondables.
rénovation urbaine; l’on ne peut oublier les dispositions précisant les types de contrôle, des infractions et sanctions. Il convient de rappeler ici que ces actes ne peuvent être appliqués qu’en associant les différents acteurs ayant un lien direct avec les questions d’aménagement, dont les services du MINHDU (Ministère de l’Habitat et du Développement Urbain) et surtout la commune avec la mise en œuvre du processus de décentralisation.
Le ministère de l’Habitat et du Développement Urbain, cheville ouvrière du dispositif technique dans l’organisation de la ville est chargé de la politique générale de l’urbanisme et de l’habitat ; de l’élaboration, de l’application et du contrôle des règlements administratifs et techniques relatifs à l’urbanisme et à l’habitat ; de la préparation et du contrôle technique, de l’exécution des opérations d’urbanisme et des réseaux urbains.
En matière d’urbanisme, les préoccupations d’une municipalité sont celles d’assurer aux populations des conditions économiques et sociales favorables. Responsable de l’administration du patrimoine de la ville, la commune à travers son exécutif délibère par exemple sur l’élaboration d’un plan d’occupation du sol et d’un plan de développement communal. Elle participe, de concert avec les administrations étatiques à la mise en place des équipements de base en même temps qu’elle gère les questions d’hygiène et de salubrité liées aux flux des populations.
Cependant, il ressort dans cette contribution que leurs actions sur le terrain présentent des limites. Des limites qui se résument en gros au manque de coordination. Chacune des parties concernées se rejette mutuellement les causes du désordre qui prévaut à Yagoua et hésite à se mettre à sa place. Pourtant, les pouvoirs publics doivent profiter de certaines situations de catastrophes (cas des inondations), pour asseoir leurs politiques de restructuration, de réhabilitation et de rénovation de l’espace urbain.
DISCUSSION
Les travaux sur la gestion du milieu urbain préoccupent de plus en plus les chercheurs. La plupart des études menées dans ce domaine dans les villes moyennes Camerounaises en général et à l’Extrême Nord en particulier ont presque toujours analysé les différents problèmes que pose l’urbanisation galopante.
Le présent travail a englobé les problèmes d’incivisme social des populations et de la complaisance des décideurs en matière du suivi des textes réglementaires dans la ville de Yagoua. Il relève les faiblesses des décideurs qui encouragent les situations d’insalubrité des périmètres urbains. La restitution des résultats confirme la carence des outils d’urbanisme et des actions menées évoquées par plusieurs auteurs (Assako Assako, 1999 ; Touna Mama et al, 2004 ; Rasedimahefa, 2012 ; Assako Assako, 2013 ; Youcef et al, 2015). Il apparait une absence des politiques locales efficientes élaborées en matière d’assainissement urbain ; socle d’insalubrité ambiante de l’environnement tel que soulevé par Tchuikoua et Elong en 2014 dans le cas de la ville de Douala.
CONCLUSION
Au total, le bilan des actions menées par les différents acteurs de la gestion du périmètre urbain de Yagoua fait ressortir des limites d’ordre institutionnel et organisationnel engendrant le désordre urbain et par conséquent la dégradation des conditions de vie. Ici, les documents d’urbanisme lorsqu’ils existent ne servent qu’à promouvoir, tel que le souligne Noubouwo (2014) dans le cas de la ville de Douala, le « désordre urbain » et à encourager les « pratiques informelles ». En ville, il y a un minimum de règles qu’il faut respecter, chose que certains ménages semblent ignorer à Yagoua. Cependant, cette situation peut être évitée en multipliant des campagnes de sensibilisation.
Les campagnes doivent s’accompagner des opérations dites « coups de poing » faisant obligation pour des motifs d’occupations anarchiques des emprises publiques et des zones inondables. Il faut mobiliser les habitants, estimés aujourd’hui à près de 50 000, à viabiliser leur espace vital. Mettre durablement un terme au désordre urbain en l’occurrence l’insalubrité et l’occupation anarchique des sols. Ce qui nécessite un changement positif des mentalités et des comportements d’une partie de la population vers des attitudes et des pratiques civiques responsables ; respectueuses de la réglementation urbaine.
La lutte contre le désordre urbain à Yagoua nécessite une présence permanente des agents municipaux : la police municipale ayant des effectifs conséquents avec une formation adéquate et des forces de maintien de l’ordre en nombre suffisant sur le terrain. La surveillance de l’espace urbain doit être constante et s’accompagner de moyens matériels appropriés, toute chose qui nécessite beaucoup d’argent. Cette lutte doit être une priorité pour un développement durable de la ville moyenne au Cameroun.
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La loi n°96/12 du 5 août 1996 portant loi-cadre relative à la gestion de l’environnement.
Loi n°2004/003 du 21 avril 2004 régissant l’urbanisme au Cameroun.
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Pour citer cet article
Référence électronique
Baugard Ovono Nogo Edongo & Louis Bernard Tchuikoua (2021). « Incivisme des populations, laxisme des pouvoirs publics et désordre urbain dans la ville de Yagoua (Extrême Nord Cameroun) ». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (8) 1. En ligne le 15 août 2021, pp. 08-17. URL: http://laurentian.ca/cjtg
Auteurs
Baugard Ovono Nogo Edongo
Doctorant
Université de Maroua, Cameroun
E-mail : baugardovono@yahoo.fr
Louis Bernard Tchuikoua
Chargé de Cours
Université de Yaoundé I, Cameroun
E-mail : tchuikoua@yahoo.fr