Paradigme de l’espace urbain : Cadre bâti et Habitat précaire à Luwowoshi (RD Congo)

Paradigm of urban space: built environment and precarious housing in Luwowoshi (DR Congo).

Perry Balloy MWANZA, Jean – Paul KATOND, Cathy KANTENDA, Yves HANIN & Philippe HANOCQ


Résumé: La forte pression démographique en milieux urbano-ruraux des pays en développement est très déterminante. Elle rend leur évolution difficile à prévoir et à planifier. Elle s’accompagne de graves problèmes que les migrants n’ont pas les moyens de relever. Il s’agit notamment, de l’accroissement du chômage, de l’insécurité grandissante, de la tenure foncière, de la prolifération des bidonvilles, de la paupérisation croissante, du manque d’équipements et de l’insuffisance de logements. Cette prolifération de l’habitat précaire est la conséquence de l’absence de réponse de l’État et du secteur formel aux besoins de la population en général, surtout des citadins et des néo-citadins qui naviguent entre la ville et la campagne au gré des crises économiques et alimentaires.  

Mots clésHabitat précaire, croissance urbaine, bidonvilles, quartier spontané, Luwowoshi  

 

Abstract: The high demographic pressure in urban-rural areas of developing countries is very decisive. It makes their evolution difficult to predict and plan. It is accompanied by serious problems that migrants do not have the means to address. These include increasing unemployment, growing insecurity, land tenure, the proliferation of shantytowns, growing impoverishment, lack of facilities and inadequate housing. This proliferation of precarious housing is the consequence of the lack of response by the state and the formal sector to the needs of the population in general, especially city dwellers and neo-city dwellers who move between the city and the countryside at the mercy of economic and food crises. 

KeywordsPrecarious housing, urban growth, slums, spontaneous neighborhood, Luwowoshi  

 

Plan

Introduction
Matériels et Méthodes
Milieu d’étude
Matériels et Méthodes
Résultats et Analyses
Précarité de l’habitat : solutions appropriées aux réalités et contraintes complexes
Milieu urbano-rural de Luwowoshi : cadre bâti
Le quartier précaire, de quoi parle-t-on exactement ?
Mode de production : l’apparition du phénomène « bidonville » ou symbole de la pauvreté humaine
Conclusion

 

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INTRODUCTION

Dans un contexte mondial d’urbanisation, les zones d’habitat précaire constituent un défi majeur. L’extension de ces zones d’habitat précaire, appelées des taudis et /ou des bidonvilles, est particulièrement plus inquiétante pour les pays en développement. Des décennies d’urbanisation rapide, conditionnée par la précarité de l’habitat de la majorité de la population dans les zones périphériques, ont créé d’immenses concentrations humaines mal assurées et sujettes à des risques.

La ville supposée offrir à l’humanité les fruits de la croissance continue, ne présente qu’un contexte vulnérable où des centaines des millions de citadins sont menacés. Les avantages offerts par la ville, soit les infrastructures urbaines et les équipements, les activités culturelles, la démocratisation de la vie civile, sont occultés par la vulnérabilité ambiante (Mechkat et Hossein, 1999).

L’Afrique est actuellement confrontée à une démographie urbaine qui grandit à un rythme toujours plus rapide. Le quartier Luwowoshi connaît aussi cette explosion démographique sans avoir une croissance économique adéquate d’une part, et d’autre part, il est confronté à une vague sans précédent de migration rurale-urbaine. Par manque d’une bonne planification urbaine, la plupart de ces migrants aboutissent généralement dans des bidonvilles, construits illégalement, par les résidents eux-mêmes sur des espaces privés.

C’est un défi majeur comme l’avait déclaré Joan Clos, Directeur Exécutif du Programme des Nations Unies pour les Établissements Humains, constatant qu’il est impératif d’améliorer les conditions de vie des habitants des bidonvilles tout en prévenant la formation de ce type d’habitat, et qu’il est tout aussi impératif d’améliorer l’aménagement urbain, en facilitant l’accès aux services de base (eau, électricité), au foncier ainsi que de développer des villes offrant toutes les fonctionnalités (industrie, agriculture et artisanat…) et de freiner l’exode rural des personnes à la recherche d’un emploi.

Il est impossible d’envisager une réponse unique au phénomène, car les situations sont très diverses. Si les conditions de réussite de ces opérations sont nombreuses, on peut emprunter deux qui sont particulièrement importantes : la participation des habitants tout au long du processus ainsi que la volonté politique d’inclure ces populations et ces quartiers au reste de la ville. Or, la croissance des quartiers précaires dans les villes du Sud est extrêmement fulgurante, informelle et très difficile à appréhender pour les experts et les acteurs de l’urbain de par sa diversité.

Cette croissance rapide dans les villes africaines a pour conséquence des mécanismes de productions urbaines qui mettent à mal les équilibres territoriaux et sociaux des agglomérations. Ladite croissance dans les pays du Sud s’accompagne d’une extension de la pauvreté. Le phénomène est aujourd’hui si répandu que l’on s’interroge sur la capacité d’intégration et le rôle des quartiers précaires dans le processus de développement. Ils sont la manifestation du manque de planification et de contrôle du développement urbain (Chénal et al., 2018).

Aujourd’hui, les grandes villes africaines connaissent une croissance urbaine continue (une hausse moyenne de 4,3% par an, résultat d’une natalité croissante, de l’exode rural et du taux d’urbanisation plus faible). Il y a et il y aura de plus en plus de monde dans les villes africaines, mais celles-ci ne sont pas préparées à faire face à cette tendance. Les habitats salubres sont en nombre insuffisant, les services publics (transport, éducation, santé, etc.) également font souvent défaut. Dans ces conditions, la croissance démographique rime avec accentuation de la pauvreté ou encore risque d’explosion sociale. L’aspect le plus visible de cette décomposition urbaine, c’est l’habitat précaire (spontané) tentaculaire à la périphérie et parfois au cœur des grandes cités du continent (Bangui, 2005).

Ainsi, la croissance urbaine dans le quartier Luwowoshi comme dans le reste des villes congolaises, continuera d’être une préoccupation importante des décideurs, des acteurs, des chercheurs et de tous ceux qui réfléchissent sur l’espace, en raison du niveau qu’elle atteint, mais surtout en raison de la configuration spatiale qu’elle induit. L’occupation de l’espace par la population maintiendra une réalité contrastée, d’une part, des néo-citadins qui continuent d’abriter une part importante de la population et, d’autre part, une urbanisation qui subit le poids des grands centres urbains. Face à cette urbanisation accélérée et incontrôlée, le quartier Luwowoshi a subi de nouvelles formes d’extensions volontaristes telles que les bidonvilles et l’habitat précaire, empiétant les marges de la ville et formant ainsi des périphéries urbaines faites des taudis.

L’essor de l’urbanisation dans les pays du Sud s’explique par une très forte croissance de la population depuis les années 50. Ce dynamisme démographique qui va, selon les démographes, se poursuivre se répercute en ville. Les villes des pays du Sud croissent donc largement de manière naturelle, c’est-à-dire par la différence entre les naissances et les décès. L’exode rural, très fort dans le monde en développement, contribue également à accélérer la croissance urbaine (Bangui, 2011).

Mais près des deux tiers de ces urbains vivent en réalité dans des bidonvilles qui s’étendent démesurément grignotant les campagnes. L’Afrique est devenue une immense banlieue, à deux échelles différentes : banlieue du monde, tenue à l’esprit par des politiques migratoires restrictives des principaux centres de la mondialisation, banlieue périurbaine du continent où la ville croît de façon anarchique et violente, malgré la résilience de ses habitants (Brunel, 2004).

Le développement de l’habitat précaire constitue donc, un élément important dans le cadre de la politique publique du développement de tels habitats. Il faudra dorénavant faire émerger et accompagner des projets urbains dans des municipalités urbano-rurales des quartiers informels illégaux. Cela nécessitera certes de mobiliser des compétences individuelles et collectives qui interagissent dans le système du développement territorial.

La réalisation de cette étude aura pour objectif de fournir une production de logements décents et abordables, faciliter l’accès aux terres et aux infrastructures, constituer des services essentiels de base tout en exigeant la mise en place de moyens à caractère durable, permettant d’entreprendre des actions qui s’inscrivent dans la durée. À ce titre, le maintien et la mise en place de systèmes de financement pérennes et de programmes publics de développement social revêtent une grande importance, souvent sous-estimée par les pouvoirs publics. De même, la reconnaissance de l’apport indispensable des acteurs non institutionnels capables de prendre en charge, de façon autonome moyennant un soutien public conséquent, les opérations de développement et de gestion à long terme de logements abordables s’avèrent importantes.

Par ailleurs, même si les villes continueront à attirer, à cause des nombreux avantages qu’elles présentent aux yeux des ruraux, il est important de favoriser le développement des zones rurales, afin de limiter l’exode rural, mais également les inégalités entre citadins et ruraux (Véron, 2007).

MATÉRIELS ET MÉTHODES

Milieu d’étude

Ancien petit village de la forêt claire de type zambézien autour des années 1957, situé à 10 km du centre – ville de Lubumbashi, le quartier Luwowoshi s’étend sur une superficie de 38,9 km2. Situé à une altitude variante entre 1220 et 1320 mm, il s’est organisé et étendu dans la région environnante entre 11º36′ de latitude Nord, 11º39’58”de Latitude Sud, et 27º de longitude Est 27º30 de longitude Ouest avec un dénivellement de 100 m. Son sol, essentiellement argileux, provient de l’altération des roches du Katanguien.

La périphérie septentrionale de cette agglomération abrite des marécages et sa limite littorale est jalonnée de bas-fonds par la vallée. Le quartier est situé au Nord-Est de la ville avec un nombre important des bidonvilles et/ou taudis. La population de cet espace est estimée à environ 70 000 habitants (Bureau du quartier, 2015). Les projections à l’horizon 2025 prévoient une population de 100 000 habitants pour le quartier. Les causes de cette forte croissance rapide s’expliquent par l’urbanisation effrénée, le faible coût de terrain à bâtir, et l’occupation des sols plus marquée. Ce qui donne une influence directe sur les infrastructures urbaines.

Matériels et Méthodes

Cette recherche a constitué un défi sur un plan méthodologique. Pour aboutir aux résultats escomptés, nous avons utilisé la méthodologie suivante : 1) documents issus du bureau du quartier ; 2) documents bibliographiques, documents d’urbanisme ; 3) articles et ouvrages et 4) procéder à une analyse succincte des données recueillies.

Pour tenter d’apporter une réponse à cette problématique qu’est l’habitat précaire, les méthodes d’enquête et d’analyse des formes de bâti ont été privilégiées. Nous croyons qu’elles sont les mieux appropriées à cette étude. Nous nous sommes appuyés sur les pratiques directes consistant en l’observation visuelle sur le terrain des différentes morphologies des maisons, du cadre du bâti et des conséquences liées à la mauvaise gestion des ressources en eau et vivrières.

Les entretiens semi-structurés ont été largement utilisés par le biais des fiches d’enquête et du guide d’entretien auprès des ménages, des acteurs institutionnels et non institutionnels impliqués dans l’organisation de cet espace. La méthode mise en œuvre a reposé également sur la recherche sur Internet pour savoir comment les autres chercheurs ont abordé la question sur l’habitat précaire. Enfin, le traitement de ces informations recueillies a été réalisé sur les cartes photographiques.

RÉSULTATS ET ANALYSES

Précarité de l’habitat : solutions appropriées aux réalités et contraintes complexes

La problématique de l’habitat est aujourd’hui dans les villes africaines un problème crucial. Depuis les indépendances, les États ont dit théoriquement vouloir construire des logements sociaux pour les démunis. Mais, ce discours ne correspond pas à la réalité des faits, car lorsque la puissance publique institue un office public d’habitation sociale ou une société parastatale du même acabit, elle a bien l’intention de produire des logements à loyer modéré accessibles à tous. En fait elle ne sert qu’une toute petite partie du peuple, triée sur le volet. Car en réalité, ils ne sont pas destinés aux pauvres, mais aux classes moyennes en expansion au lendemain des indépendances (Tribillon, 1988a).

C’est ainsi que la croissance accélérée des villes africaines est devenue un cauchemar pour les États avec notamment les occupations anarchiques de l’espace. L’État n’est pas en mesure d’édicter et de faire respecter des règles précises en matière d’urbanisme et de mise en valeur des zones à urbaniser, les politiques d’ajustement ont amenuisé ses capacités de gestion du phénomène urbain (Tribillon, 1988b).

Au regard des réalités et contraintes, le niveau de vie des migrants dans le quartier Luwowoshi est faible. La situation du logement dans les quartiers précaires est un problème important. Les difficultés que rencontrent bon nombre d’habitants à Luwowoshi pour accéder à un terrain urbain les contraignent à recourir à des solutions « informelles » et à des pratiques avilissantes. La précarité de l’occupation qui caractérise l’ensemble des néo-citadins décourage toute tentative d’amélioration de l’habitat.

Le rejet vers les espaces urbains non viabilisés rend l’organisation des gestions urbaines de plus en plus dramatiques. Dans le quartier précaire, l’habitat en « dur » et « définitif » sert de référence pour désigner un habitat « décent ». Cette logique conduit aux distorsions dans l’analyse de la situation réelle du quartier. Aussi, la précarité de l’habitat constitue un phénomène lié à la croissance démographique et au manque d’emploi des citadins. Une fois, en ville, les néo-citadins se trouvent dans l’incapacité de se trouver un meilleur emploi – ils préfèrent s’installer à la périphérie des zones urbaines dont la survie quotidienne n’est possible que grâce au secteur informel, le secteur de la débrouillardise selon les expressions métaphoriques consacrées, comme des « amortisseurs de la crise », des « soupapes de sécurité » ou encore des « palliatifs contre la misère » (Antoine et Coulibaly, 1989; Fall, 1994; Ouédrago et Piché, 1995; Assogba, 1997; Adjamagbo,1997).

Milieu urbano-rural de Luwowoshi : cadre bâti

Dans ce milieu déshérité, l’habitat est soit isolé, soit groupé, selon que l’on est en zone périurbaine, agriculteur, pêcheur ou éleveur. Les cultivateurs sédentaires de Luwowoshi vivent majoritairement en groupe comme au village. Ce type d’habitant reste attaché aux coutumes ancestrales. Ce fait se révèle davantage un mode de vie (les habitudes alimentaires et le système socio-économique) spécifique.

L’évolution du bâti s’est faite selon plusieurs formules en fonction de la taille et la forme de la parcelle. Les maisons sont construites en bonne partie en bâches, en briques adobes, armées de terre argileuse ou boueuse aux abords de grands axes routiers (cf. photo 1) ou à proximité d’un point d’eau ou encore sur des pentes fortes dans les zones inondables (cf. photo 2). La toiture est en paille (chaume) ou généralement en tôles. Certaines maisons peuvent avoir en moyenne 30 m2 à 100 m2 de surface et 1,5 à 2 m de haut. Les fenêtres sont très petites d’environ 900 cm.

Photo 1 & 2

Photo 1 : Cette photo montre deux maisons, l’une couverte des bâches et tôles de fortune, l’autre en brique adobe

 Photo 2

Photo 2 : Vue des maisons exposées à des risques de glissement de terrain à Luwowoshi

La vie familiale se déroule dans la maison paternelle. Les enfants âgés ont leur maisonnette à côté de celle des parents. L’équipement familial se résume en quelques habits, des ustensiles en argile (ou en aluminium) et un lit en bambou ou simplement une couverture que l’on dépose à même le sol lequel est non revêtu. L’éclairage se fait à l’aide d’une mèche dans l’huile de palme, d’une lampe à pétrole ou d’une bougie.

Les habitations sont construites à proximité d’une source, d’un cours d’eau, le long des voies principales d’accès. La maison type comprend deux pièces. Les habitations les plus pauvres sont construites en pisé, les moyennes en briques adobes et couvertes de chaume ou de tôles. Le sol peut être couvert de ciment ou simplement en terre battue. Ainsi, les toits sont en « tuile » de palmier – raphia. Tous ces matériaux sont très vulnérables aux intempéries, à l’attaque des termites, et doivent être renouvelés régulièrement. Cependant, ils ont l’avantage d’être « écologiques », produits sur place et de garantir une certaine fraîcheur à l’intérieur des habitations.

Les belles maisons sont en briques cuites, recouvertes d’un toit en tôles ondulées. D’une manière générale, la forme de parcelle la plus répandue est la forme rectangulaire, les logements sont disposés autour d’un couloir central souvent encombré (puits, fosse, des ordures…). Le logement est généralement bas et la cour est en terre battue. Les murs peuvent être édifiés en dur (en parpaing ou en briques). Il n’existe aucun aménagement autour du point d’eau, les WC sont constitués d’un simple trou et s’évacuent vers une fosse toujours en débordement sur la rue, surtout pendant la saison de pluie. Aussi, la forte densité de la population dans cette zone d’habitat précaire tiendrait à la possibilité d’approvisionnement en eau, à la fertilité du sol et aux possibilités favorables d’élever des volailles.

Luwowoshi est un quartier de contraste très frappant en ce qui concerne l’habitat. Nous trouvons généralement ce genre d’habitation précaire s’adossant à des logements en dur et cela montre sa particularité. Ces contrastes sont le résultat d’une croissance rapide et incontrôlée de la population. Le quartier n’a pas su ou n’a pas pu mobiliser les moyens importants pour accueillir les migrants dont les arrivées massives sont venues aggraver les difficultés de gestion urbaine. L’absence d’une politique de planification et gestion urbaine de la croissance et des services d’aménagement urbain a favorisé la diffusion de l’occupation spontanée et de l’habitat précaire.

Ces données constituent la toile de fond de toute réflexion sur la question de logement. Tout semble indiquer que, au moins dans la décennie à venir, l’urbanisation des villes du Sud se poursuivra à un rythme soutenu, généralement supérieur à celui qu’ont pu connaître les pays développés au plus fort de leur révolution industrielle (Durand-Lasserve, 1986).

Le quartier précaire, de quoi parle-t-on exactement ?

L’accès à un logement de qualité a été reconnu par le législateur comme un droit à garantir et un devoir de solidarité. En effet, le droit au logement est l’une des aspirations les plus légitimes, mais les situations de précarité de logement dans les villes des pays en développement sont celles de l’accès au sol (Lasserve, 1988). Or, le sol urbain constitue un enjeu essentiel entre diverses catégories d’acteurs et des politiques foncières reflètent un rapport de force qui, en permanence, évolue.

Les conditions d’habitat réservées aux familles démunies des villes du Tiers – Monde représentent une parfaite démonstration de ces enjeux (Bolay et al., 1994). La question du logement est indissociable de la question de l’accès au sol. Dans la plupart des villes, les pouvoirs publics ont été submergés par le nombre et au cours des années qui ont suivi les indépendances, la croissance spatiale des villes résulte de plus en plus d’extensions illégales et l’autoproduction devient la forme dominante d’édification du bâti (Dubresson, 1993).

Les quartiers squatters, les favelas à Rio, Mocambos de Recife, Katchi abadis du Pakistan, PucblosJovens au Pérou, Barrios populaers ou Quebrados en Colombie, Villas Lusena en Argentine, Slums en Inde, etc. et les bidonvilles, privés de services urbains sont les expressions urbaines les plus évidentes des phénomènes de pauvreté et d’exclusion qui revêtent une très grande ampleur. Leur trait caractéristique de l’urbanisation réside dans les distorsions sociales et spatiales exacerbées par les dysfonctionnements plus ou moins marqués du paysage urbain et les groupes sociaux dont les revenus sont les plus bas se heurtent à des difficultés croissantes pour accéder au sol et au logement. Ils tendent à être repoussés à la périphérie de grandes agglomérations dans des secteurs surdensifiés.

Mode de production : l’apparition du phénomène « bidonville » ou symbole de la pauvreté humaine

Jusqu’au début des années 1970, le logement insalubre correspond aux « bidonvilles » ou aux centres anciens exploités par des « marchands de sommeil ». Ce mot a progressivement pris une signification plus large pour rejoindre les termes anglais shanty town et slum c’est-à-dire un ensemble d’habitations construites avec des matériaux de récupération.

Le terme « bidonville » est vraisemblablement apparu au Maroc, à Casablanca, à la suite de la crise de 1929 pour désigner l’habitat précaire, fait de bric et de broc avec des bidons d’huile d’olive qui, dépliés et assemblés, permettaient de construire un habitat plus ou moins étanche aux intempéries sur un terrain occupé illégalement.

La question des bidonvilles, placée au carrefour des politiques du logement et de l’immigration, représente un souci majeur pour les pouvoirs publics et plus largement l’opinion publique ; non seulement insalubre et dangereux pour la santé de ceux qui habitent, il est aussi avilissant sur le plan social et marque négativement ceux qui sont contraints d’y vivre (Gastaut, 2004).

Depuis 2006, le programme ONU – Habitat estime qu’un citadin sur trois vit déjà dans un bidonville – ce nombre ne cesse d’augmenter de 51 millions dans la décennie 2000. Même si, le rapport de 2011 révèle que 828 millions de personnes, soit un tiers de la population urbaine vivent dans des taudis ou des bidonvilles, tout en reconnaissant que 200 millions de personnes (61,7% de sa population urbaine) proviennent de l’Afrique subsaharienne avec un taux annuel de croissance urbaine et de bidonvilles les plus élevés au monde (respectivement 4,58% et 4,5% par an) après l’Asie qui abrite plus de la moitié des habitants des taudis (581 millions). Elle aura doublé dans 15 ans (Marx et al., 2013). Après cette période, la grande majorité (plus de 90%) des habitants des bidonvilles de la planète vivront dans des villes africaines ; actuellement toutes les autres régions connaissent un recul rapide du nombre de bidonvilles. Ces taudis sont situés principalement dans les villes en développement (cf. figure 1).

Figure_1

Figure 1 : Nombre de bidonvilles dans le monde. Source : ONU, 2014

La crise du logement à Luwowoshi est sans aucun doute l’une des questions les plus préoccupantes lorsqu’on aborde les problèmes dans la ville de Lubumbashi. En effet, plus l’accès au logement décent devient difficile, plus la ville connaît des inégalités. Il s’agit surtout des inégalités socio-économiques étant donné que les populations les plus vulnérables se concentrent alors dans les zones à bas loyers qui sont souvent plus dégradées et moins bien fournies en accès aux biens et services offerts à la ville (Leïla et al., 2016).

Dans son rapport sur l’état des villes du monde 2006 – 2007, l’ONU-Habitat dresse un constat inquiétant : « les bidonvilles de la planète compteront 1,4 milliard d’êtres humains d’habitants en 2020 ». Actuellement, le monde évalue à près d’un milliard des habitants entassés dans des bidonvilles.

D’après les projections, en l’an 2025, plus de deux tiers d’êtres humains seront des citadins. Plus d’un milliard de personnes dans le monde sont dépourvues d’un logement convenable et plus de 100 millions sont sans – abri. D’une manière générale, les bidonvilles sont le résultat d’une évolution récente, du manque de logement, du déséquilibre entre le nombre de maisons construites et l’explosion démographique, de l’industrialisation et du déclin de l’agriculture. Cette croissance urbaine rapide pose, en Afrique subsaharienne, le problème de prise en charge des citadins. Les déplacements incessants des populations et le phénomène migratoire résultant de la faiblesse des politiques d’aménagements urbains ont entraîné une accélération des constructions anarchiques.

Les bidonvilles rapprochent les migrants d’une zone de travail et sont une étape de transition dans le processus de l’urbanisation. De nombreux ruraux s’exilent vers la ville pour tenter leur chance en quête d’emploi, en espérant de meilleures conditions de vie. Une fois arrivées, ces personnes se voient souvent contraintes à s’installer illégalement à la périphérie des villes. C’est ainsi que naissent et croissent les bidonvilles, quartiers spontanés composés d’abris construits de bric et de broc, où se développent fréquemment des activités informelles.

Il est certain selon Pornchokchal (2003) que ce sont aujourd’hui de véritables morceaux de ville qui dynamisent l’espace urbain, car étroitement lié à l’identité et à l’histoire de la ville. L’architecture spontanée est généralement synonyme d’insécurité et de pauvreté, une représentation associée à l’ignorance du phénomène dans les documents d’urbanisme.

Cette forme d’habitat précaire n’est qu’une forme de production de logements populaires, l’autre étant l’autoconstruction périphérique souvent entreprise à l’aide de la main – d’œuvre bon marché et des artisans embauchés en dehors des circuits marchands formels (Bangui, 2006). L’installation des quartiers d’un habitat précaire et informel se réalise en effet presque sans organisation de l’espace encore plus sans schémas directeurs d’aménagement urbain et dans des zones généralement marécageuses.

C’est alors une nécessité impérieuse que de lutter contre cette forme d’habitat propice, en outre, au développement des épidémies, du rachitisme…qui constituent une atteinte permanente à la santé des personnes. Aussi conviendrait-il de souligner que c’est la pauvreté du monde rural qui conduit ces populations rurales à quitter leurs milieux d’origine pour gagner la ville. L’absence d’une politique d’anticipation pour les accueillir crée une anarchie spatiale dans les quartiers périphériques et voire au cœur des villes (Bangui, 2011). Les bidonvilles semblent être la seule réponse urbanistique à des populations en perpétuelle croissance urbaine, et génèrent des problématiques en termes de santé publique et de société. Alors, la réponse des pauvres au problème de logement se traduit par l’extension sans relâche des bidonvilles.

CONCLUSION

Ce travail aboutit à la conclusion que même si l’état des lieux actuel de l’urbanisation dans les quartiers spontanés présente un aspect désastreux, les habitants de Luwowoshi sont aujourd’hui en train de se réapproprier leur histoire et leur destin. Force est de reconnaître que Luwowoshi continue à s’étendre plus vite et le nombre de nouveaux citadins et des néo-citadins augmentent. Il faut déjà envisager les équipements de base et la planification des ressources en eau disponibles et vivrières pour améliorer le cadre de vie des populations. En plus de cela, le chômage et la crise de l’emploi pour leur part sont à l’origine d’un secteur informel englobant l’agriculture urbaine.

Loin de n’être qu’un problème technique ou économique, l’accès au logement dans les villes africaines subsahariennes est un problème de développement social, au sens le plus large, avec des aspects juridiques, et d’autres facettes liées au projet de développement urbain et visant à une véritable promotion humaine et sociale.

À la lumière de ce qui précède, un certain nombre de préalables s’avèrent nécessaires à garantir. L’acquisition des parcelles constitue la première étape dans le processus de construction de logements et l’investissement massif dans les infrastructures urbaines contribue à améliorer la connectivité avec les zones rurales à la mise en place des infrastructures et services publics ainsi que la sécurité foncière, véritable enjeu de développement pour tous les habitants.

 

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Pour citer cet article

Référence électronique

Perry Balloy MWANZA, Jean-Paul KATOND, Cathy KANTENDA, Yves HANIN & Philippe HANOCQ (2021). « Paradigme de l’espace urbain : Cadre bâti et Habitat précaire à Luwowoshi (RD Congo) ». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography [En ligne], Vol. (8) 1. En ligne le 15 août 2021, pp. 08-17. URL: http://laurentian.ca/cjtg

 

Auteurs

Perry Balloy MWANZA
Département de Génie Civil
Université de Lubumbashi, République Démocratique du Congo
E-mail: pballoy@yahoo.fr

 

Jean-Paul KATOND
Département d’Électromécanique en Polytechnique
Université de Lubumbashi, République Démocratique du Congo
E-mail: jpkatond@hotmail.com

 

Cathy KANTENDA
Département de Psychologie du travail
Université de Lubumbashi, République Démocratique du Congo
E-mail: katcnda.kankokwe@gmal.com

 

Yves HANIN
Faculté d’Architecture, d’ingénierie architecturale et d’urbanisme
Université Catholique de Louvain, Belgique
E-mail: yves.hanin@uclouvain.be

 

Philippe HANOCQ
Faculté d’Architecture et d’Urbanisme en Sciences Appliquées
Université de Liège, Belgique
E-mail: p.hanocq@ulg.ac.be